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mardi, 01 novembre 2016

Le voyageur

En secret nous glissons dans les ténèbres par le chas de l'aiguille.

REINER KUNZE  in "Le poète Jan Skácel", (traduit de l’allemand et du tchèque par Gwenn Darras et Alena Meas), éditions Calligrammes, 2014                      

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Un promeneur sans souvenirs, rentre chez lui, longtemps après, mené aux confluences lui prend soudain l'envie de changer de direction. Juste avant, il revient sur ses pas, revoir le paysage qu'il avait tant aimé. Il n'en reconnaît rien et ne s'y retrouve plus. 

Il contemple une image qui a dû le représenter autrefois avec nous et tant d'autres, il a anticipé puis l'image s'est brouillée. Un glissement s'opérait qu'il se doit d'effacer. Il peut fouler du pied ce qu'il a recueilli, réfuter son histoire à l'instant où redevenu l'autre, il sait - et comme tant d'autres qui sont passés par là - il sait où il en est. 

Pas de connotation pour encombrer la voie dont la réalité la plus inaccessible est cet état d'oubli ou d'anéantissement protecteur, garantie invincible de l'homme en sa peau neuve. Il est le voyageur qui ne cesse de renaître et revivre en perpétuel trip, perpétuel rôdeur, étranger à lui même, il est cet inconnu qui s'embarque sur des rives, se pavane en touriste curieux des petits mondes ; puis la seconde suivante il pourrait reconnaître un visage familier qui lui ressemblerait, s'il n'avait pas jeté sa vieille peau par la fenêtre, s'il n'était pas passé de l'autre côté du pont, en quête d'autres rivages, plus peuplés et si vastes. 

L'homme entré en son cycle absolument nouveau a laissé au pays, le vieux garde du corps qui protège un trésor, des malles couvant les traces d'une tout autre personne. Il ne peut de si loin relier toutes les escales. Il est le voyageur tirant le casanier de son inhibition, il est le passager qui permet de garder ou jeter, d'exalter ou d'honnir. Il a vu les passeurs se noyer dans le fleuve. Il sera l'exilé, entré au coeur du monde se délestant du poids des anciens compagnons, des animaux fidèles, des bibelots, des carnets dispersés sur des pages aux angles repliés comme des petits bateaux. Il sera sans passé, sans mémoire, ni bagage, comme s'il avait été tout ce temps qui coulait, jouet d'apparitions, si bien qu'aucun, aucune, qu'il inventait gaiement dans le continuum ne pourraient être sûrs de se reconnaître à nouveau.

 

Photo : Le voyageur (hors cadre) entre dans la fiction de toutes nos promenades. Là, des strates - deux vitesses, deux niveaux dans un même et fragile équilibre - voyageur sur la berge juste au niveau du fleuve, et voyeur (photographe) aux aguets sur un pont, aucun des deux points de vue ne semblerait meilleur (qu'un autre) même si la vue du pont embrasse des perspectives lointaines époustouflantes, elle étreint le même air, fugue approximative, ou blue note, dissonnances que sifflait ce jour là, l'inconnu sur la rive (le même vent dans la gueule ou dans le dos, tout dépend), elle vise la même langueur, même ralentissement qu'un marcheur coutumier de la belle ville de Lyon remarquerait un jour, soudain saisi d'un charme, et d'un lent bercement peu commun aux grandes villes. Peut-être cela vient-il de cette omniprésence de l'élément liquide où le soir, les couleurs des façades de presqu'île, aux nuances florentines, se changent en gris tirant vers le bleu azurite parsemé des pigments "dark sea green", ou bien ce sont les ponts, les passerelles, les bateaux qui procurent l'impression aux marcheurs de glisser et flotter au milieu d'un tableau, mais chacun sait, au fond, - au fond de quoi ? Tout conte fait - que ce n'est qu'une impression... 

"Et topantru, lis tolflent" (Galilée).

 

podcast

 

Sonothèque: (crin-crin remis à flots), loin, la voix de son maître, Guillaume Apollinaire récite "Le voyageur". 

 

Sur les bords fleuve Rhône, en direction du parc

© Frb 2015- remix 2016 

mardi, 08 mars 2016

Notre réalité (par Baudouin de Bodinat)

Je me suis demandé s'il nous arrivait encore d'éprouver des joies où la tristesse ne viendrait se jeter comme à la traverse; qui ne se mélangeraient pas d'une impression de déclin, de ruine prochaine, de vanité. Tiens, se dit-on, cela existe encore ? Nos joies sont de cette sorte que nous procure un vieux quartier d'habitation rencontré au faubourg d'une ville étrangère et pauvre, que le progrès n'a pas eu le temps de refaire à son idée.

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Les gens semblent là chez eux sur le pas de la porte, de simples boutiques y proposent les objets d'industries que l'on croyait éteintes; des maisons hors d'âge et bienveillantes, qu'on dirait sans téléphone, des rues d'avant l'automobile, pleines de voix, les fenêtres ouvertes au labeur et qui réveillent des impressions de lointains, d'époques accumulées, de proche campagne; on buvait dans ce village un petit vin qui n'était pas désagréable pour le voyageur.

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C'est toujours avec la conscience anxieuse d'une dernière fois, que nous ne le reverrons jamais ainsi, qu'il faut se dépêcher d'avoir connu cela; que ces débris, ces fragments épargnés de temps terrestre, où nous entrevoyons pour un moment heureux le monde d'avant, ne tarderont plus d'être balayés de la surface du globe; et pour finir toutes nos joies ressemblent à ces trouvailles émouvantes, mais après tout inutiles, que l'on fait dans les tiroirs d'une liquidation d'héritage : ce n'en sont plus, ce sont d'ardentes tristesses, ce sont des amertumes un instant lumineuses.

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J'ai pensé aussi qu'on ne s'accommode de ce que ce présent factice et empoisonné nous offre, qu'à la condition d'oublier les agréments auxquels nous goûtions le plus naturellement par le passé et que cette époque n'autorise plus; et de ne pas songer que ceux dont nous trouvons encore à jouir, il faudra semblablement en perdre le souvenir, en même temps que l'occasion; qu'à défaut d'oubli on en vient à devoir s'en fabriquer au moyen d'ingrédients de plus en plus pauvres et quelconques, des fins de série, des objets d'usage sauvés de bric-à-brac, tout imprégnés de temps humain et qui nous attristent; de tout ce qui peut se dénicher en fait de rebuts, de derniers exemplaires, de pièces détachées, de vieilles cartes postales; se réfugiant dans les détails de rues en instance, ciels de traîne, matins d'automne; de tout ce qui fut.

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On nous dit, les fanatiques de l'aliénation nous disent, que c'est ainsi, tout change et l'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, etc. On voit pourtant que ce n'est plus selon le cours des générations; que nous le subissons abasourdis comme une guerre totale qui fait passer sur nous ses voies express, qui nous tient en haleine de toutes ses dévastations.

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Aussi ils ironisent, comme d'hallucinations, si l'on évoque le goût des choses autrefois: ce ne serait qu'un effet, bien compréhensible, du vieillissement qui nimberait ainsi notre jeunesse enfuie. Mais il y a là un problème de simple logique: admettons que le regret exagère la saveur des tomates d'alors, encore fallait-il qu'elles en aient quelque peu; qui se souviendra plus tard, s'il reste des habitants, de celles d'aujourd'hui ?

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Prétendre à trouver des moments heureux, dans la condition où nous sommes, c'est s'abuser; c'est même se tromper, et c'est de toute façon ne pas les trouver. Chesterton, qui avait sous les yeux la machine du progrès en perfectionnement, en fut perspicace: «Il est vrai que le bonheur très vif ne se produit guère qu'en certains moments passagers, mais il n'est pas vrai que nous devions considérer ces moments comme passagers ou que nous devions en jouir simplement pour eux-mêmes. Agir ainsi, c'est rendre le bonheur rationnel et c'est, par conséquent, le détruire. 

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Tel un Midas aux mille doigts la rationalité marchande afflige tout ce qu'elle touche et rien ne lui échappe. Ce qu'elle n'a pas supprimé et que l'on croit intact, c'est à la manière d'un habile taxidermiste; et le durcissement des rayons solaires est aussi pour les hommes qui vivraient toujours enfouis dans la forêt primitive, ils voient dans le ciel les sillages que laissent les vols intercontinentaux et la rumeur des tronçonneuses parvient à leurs oreilles.

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J'en suis venu à cette conclusion qu'il faut renoncer : on s'enfonce sinon dans l'illusion qu'il demeurerait, en dépit de ce monde-ci, des joies simples et ingénues, et pourquoi pas des joies de centre commercial; c'est vouloir être heureux à tout prix, s'en persuader, s'accuser de ne pas l'être. C'est, par conséquent, ne rien comprendre à l'inquiétude, au chagrin, à la nervosité stérile qui partout nous poursuivent; c'est jouir de représentations, c'est se condamner à l'erreur d'être dans ces moments le spectateur satisfait de soi-même, de s'en faire des souvenirs à l'avance, de se faire photographier heureux.

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Renoncer à cette imbécillité, ce n'est pas être malheureux; c'est ne pas se satisfaire des satisfactions permises; c'est perdre des mensonges et des humiliations, c'est devenir en fin de compte bien enragé c'est rencontrer sûrement des joies à quoi on ne pensait pas.

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Un demi-siècle passant, Adorno ajoutait ceci: «Il n'y a plus rien d'innocent. Les petites joies de l'existence, qui semblent dispensées des responsabilités de la réflexion, ne comportent pas seulement un trait de sottise têtue, d'aveuglement égoïste et délibéré: dans le fait elles en viennent à servir ce qui leur est le plus contraire.» Ce serait oublier que ces joies anodines sont les avortements de celles qui sommeillaient en nous, que le mal économique ne voulait pas vivantes; que c'est encore à la faveur de sa condescendance et comme sournoisement. Ce n'est pas sauver l'idée du bonheur, c'est trouver cette misère bien assez bonne pour soi.

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Voici ce que j'ai constaté d'autre: les uns aux autres nous ne trouvons plus rien à nous dire. Pour s'agréger chacun doit exagérer sa médiocrité: on fouille ses poches et l'on en tire à contrecoeur la petite monnaie du bavardage: ce qu'on a lu dans le journal, des images que la télévision a montrées, un film que l'on a vu, des marchandises récentes dont on a entendu parler, toutes sortes de ragots de petite société, de révélations divulguées pour que nous ayons sujet à conversation; et encore ces insignifiances sont à la condition d'un fond musical excitant, comme si le moindre silence devait découvrir le vide qu'il y a entre nous [...]

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il resterait tout de même le vin ; mais plus simplement par celle-ci que la conversation, outre de vouloir cet esprit particulier qui consiste en des raisonnements et des déraisonnements courts, suppose des expériences vécues dignes d'être racontées, de la liberté d'esprit, de l'indépendance et des relations effectives. Or on sait que même les semaines de stabulation libre n'offrent jamais rien de digne d'être raconté que nous avons d'ailleurs grand soin de prévenir ces hasards; que s'il nous arrivait réellement quelque chose, 

ce serait offensant pour les autres.

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BAUDOIN DE BODINAT: "La vie sur terre", éditions, "l'Encyclopédie des Nuisances", 1996.

 

Photos : La vie sur terre vue par... : Des quartiers de la quiétude, jusqu'aux arcades tranquilles du jardin du Musée des beaux arts en plein coeur de Presqu'île et autres bricoles habituelles : la vraie chèvre de l'Alain (à l'Alain ?) en amie sur ton mur ; le fragment d'un cadavre du bois derrière chez moi, le banc près de la fontaine aux génies de l'industrie, de l'agriculture, et d'on ne sait plus trop quoi ; les rois de la poésie, aussi maîtres d'un monde (qui est dans celui-là) épanouis à coup de boules, dans une concentration silencieuse épatante, un contrepoint terrible et hommage respectueux au lieu de résistance, urbain, bien arboré de la place Tabareau sur les plus hauts plateaux du village de Croix-Rousse, hommage tardif, à PAG qui les aimait beaucoup ces boulistes, situés, au coeur du monde, chez nous, à côté de l'équateur (la place Tabareau, donc), jour et nuit, au régal, en doublettes ou quadrettes à des années lumière du chic Panama Club.

Un exposé en vrac, au fil de l'eau (qui dort), vie sur terre, rebelote, dans l'hiver, noir et blanc, paraphrasant à peine en matière d'illustré, le terrain des vivants, tel qu'on peut certains jours, s'y ajouter, (avnat ueq soursy s'taire*) 

un signe* à la mémoire de l'amicale des "pères" du vindi Marchillon, pas vendu pour l'instant, dont l'oral s'est perdu, ce projet ambitieux, ne verra pas fleurir cette langue dans nos écoles, mais les passages tiennent bon, et sont bien consolants. Je diffère la réclame et les invitations ainsi que le printemps, alcestien, c'est probable. Ressentant cruellement ce rétrécissement du vivant, décrit par Bodinat dans ce présent ouvrage, depuis pas mal de temps, j'oppose, un ralentissement, sans plus trop m'épancher du fond de ce bazar, esquinté, (euphémisme), ces limites nous regardent, comme le peu, presque rien, de vocables inaudibles. Déjà tout semble prêt, pour le monde à l'envers schizo-paranoïaque greffon à nos prothèses, (on m'a vu dans le Vercors sauter à l'élastique, et j'ai beau démentir, je ne connais pas le Vercors. On m'a vu. On s'en fiche. A la fin c'est d'accord, si ça leur fait plaisir), vaut mieux ouïr ça qu'être mort, ou fou ? Oui. Fou, vraiment ? - "ah non ! non ! non ! pas soi !" on a des sentinelles, et des peintres hollandais, des pics, des miradors, avec des coussinets, mais l'entame est coriace, elle dit "je" à notre place. On s'entend dire "je gère" au milieu d'un tas d'âmes calées sur des sofas avec des numéros qui attendent, on sait pas : une carte sym ? Un "yes !" du carré des experts ? Des âmes ? On comprend pas. On questionnerait sans cesse, - "OK Google ! dis moi..."

Sur ces notes pessimistes, je ne saurais que vous recommander l'autre ouvrage de Baudouin de Bodinat, quelque part entoilé entre Evian et Badoit, voici les références :

Baudouin de Bodinat, "Au fond de la couche gazeuse" (2011-2015), Éditions Fario, 2015, 241 pages, 21 €.

 

Là un très court extrait pour (se) finir un brin à travers l'entonnoir:

 

[...] pour notre détriment ce monde-ci que les hommes ont rendu si inconfortable et malencontreux, ce monde de restrictions, de gênes de toutes sortes et privation vitales, ce monde étouffant et empoisonné, et dont l'examen est fait pour apporter à qui s'y livre à peu près tous les dégoûts, est le seul dont nous disposons."

 

Et là, "y'a pas photo", pour les autres (de photos) si tu les caresses bien, elles grandiront pour toi. C'est comment dire ? C'est "top" c'est plus que "top"... c'est "waow !". 

Notre réalité. 

En attendant, le chant. La sortie attendue du "Morituri" de Jean-Louis Murat, (15 Avril), clair obscur, onirique, aux racines éprouvées, perdues, dans l'air du temps.

Et ici, le pays, pour les correspondances, lieux parcourus dans l'ordre : Du Brionnais d'hier, au Lyon et ses merveilles, en passant par Charpennes et ses bars jusqu'aux buissons d'Achères. 

 

© Frb 2016.

mercredi, 22 avril 2015

Fluidités (II)

Un voyageur peut toujours revenir sur ses pas. Mais sur l'axe du temps, il n'y a pas de retour en arrière. Ce qui est perdu l'est à tout jamais.

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Le voyageur revient à son point de départ, mais il a vieilli entre-temps ! [...] S'il était agi d'un simple voyage dans l'espace, Ulysse n'aurait pas été déçu ; l'irrémédiable, ce n'est pas que l'exilé ait quitté la terre natale: l'irrémédiable, c'est que l'exilé ait quitté cette terre natale il y a vingt ans. L'exilé voudrait retrouver non seulement le lieu natal, mais le jeune homme qu'il était lui-même autrefois quand il l'habitait. [...] Ulysse est maintenant un autre Ulysse, qui retrouve une autre Pénélope... Et Ithaque aussi est une autre île, à la même place, mais non pas à la même date ; c'est une patrie d'un autre temps. L'exilé courait à la recherche de lui-même, à la poursuite de sa propre image et de sa propre jeunesse, et il ne se retrouve pas. Et l'exilé courait aussi à la recherche de sa patrie, et maintenant qu'elle est retrouvée il ne la reconnaît plus.

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Ulysse, Pénélope, Ithaque : chaque être, à chaque instant, devient par altération un autre que lui-même, et un autre que cet autre. Infinie est l'altérité de tout être, universel le flux insaisissable de la temporalité. C'est cette ouverture temporelle dans la clôture spatiale qui passionne et pathétise l'inquiétude nostalgique. Car le retour, de par sa durée même, a toujours quelque chose d'inachevé : si le Revenir renverse l'aller, le "dédevenir", lui, est une manière de devenir; ou mieux: le retour neutralise l'aller dans l'espace, et le prolonge dans le temps ; et quant au circuit fermé, il prend rang à la suite des expériences antérieures dans une futurition ouverte qui jamais ne s'interrompt: Ulysse, comme le Fils prodigue, revient à la maison transformé par les aventures, mûri par les épreuves et enrichi par l'expérience d'un long voyage. [...] Mais à un autre point de vue le voyageur revient appauvri, ayant laissé sur son chemin ce que nulle force au monde ne peut lui rendre : la jeunesse, les années perdues, les printemps perdus, les rencontres sans lendemain et toutes les premières-dernières fois perdues dont notre route est semée.

VLADIMIR JANKELEVITCH, extr. "L'Irréversible et la Nostalgie", éditions Flammarion, 1983.

 

Photo : de l'eau qui coule sans cesse, de l'eau qui fertilise, de l'eau qui dort, de l'eau qui porte. Un jour entre deux rives, jusqu'au fleuve, jusqu'au lac, sans jamais oublier la source. Là, un fragile passage entre deux courts voyages, qui ouvrent à la question fermant un autre livre: "La presqu'île" de Julien Gracq, une question difficile, humaine, fondamentale, (reste à lire), via des correspondances, qui pourraient (si on cherche) entrer en résonance avec le voyageur du texte de Jankélevitch. 

Il avait parfois le sentiment vif de ces joints mal étanches de sa vie où la coulée du temps un moment semblait fuir et où, rameutées l’une à l’autre par un même éclairage sans âge, le va-et vient des seules images revenait battre comme une porte.

 

Passés/ présent © Frb 2015

lundi, 02 mars 2015

L'étang

 Il y en a qui vont 

Vers l'entrée pour voir

Si c'est possible. 

 

GUILLEVIC : "Du Domaine", éditions Gallimard 1977. 

 

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Lyon, un après midi dans les brumes au dessus de l'étang.

 

Photo: © Frb 2015

vendredi, 20 septembre 2013

Prélude à l'effeuillement

L'air par cet après-midi d'automne était d'une grande douceur et les montagnes au loin se découpaient avec une clarté froide. Malgré tout, je ne pensais guère à elles mais seulement à mes pensées. Tout ce qui avait été me parut plus triste que si tout cela n'avait jamais été.

FERNANDO PESSOA, (voir acolytes) in "L'éducation du stoïcien", éditions Christian Bourgois, 2000.

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Le caillou grossissait en colline comme un être vivant, au delà, la lumière généreuse de Septembre évoquait par instants le soleil de Corinthe. La sûreté toute humaine allait en bercements. J'étais peut-être ici coincée sous les ratures d'un roman à tiroirs, une copie dans l'espace qui pouvait reproduire pour un autre regard, agrément ou désagrément, tout me biffait alors par la force illusoire que je mettais à vouloir me rajouter au monde en ayant l'air d'occuper des vêtements camouflant des pensées opposées à tout ce que j'étais.

Je virais à l'ersatz mais parvenais toutefois à suivre les conversations y répondre poliment et les personnes croisées ce jour là, ont dû s'imaginer que j'existais vraiment. Nous avons échangé quelques banalités, comme les banalités paraissent encore des preuves du temps qu'on passe ici au temps qu'il fait là bas, nous constatons bêtement, qu'il est bon d'exister, présents avec nos chairs, ce rire bête au dehors, un gloussement, à peine, echo de la volaille, et le balancement de couleurs agréables sur des nappes à carreaux rouges et blancs sous ce ciel gris-bleuté, c'était un enchantement.

Quand le jour veut tomber, des mains molles font des gestes puis rien, absolument rien n'en peut demeurer, juste après ce sourire qui n'exprimera jamais autre chose que le contraire d'un air riant, on dirait qu'on s'y croit éternellement vivant, à causer sans manière, près d'un panneau montrant la douzième biennale d'art qui sème un peu partout une images du cochon puis cette tête de garçon - une photo réussie - d'un visage assez tendre portant autour de l'oeil les traces noires d'un violent rififi dans la gueule, c'est si bon, la violence, quelques ruines permanentes, des miroirs grossissants qu'on regarde par dépit de ne pouvoir les fuir. Et si on le pouvait, sans doute on passerait son temps à ne faire que ça:

prendre des raccourcis qui rallongeraient la vie, on s'éviterait parfois de se retrouver happé dans les plans irréels dont on nous persuade qu'ils sont notre présent, à la fin on y croit dur comme fer et ça doit s'intriquer plus ou moins dans les plis ou plus exactement, c'est un passage forcé, on serait les obligés des profusions d'images qui nous compileraient, s'approchant au plus près de nos centres d'intérêt, on s'y adapterait.

Au mieux c'est un reflet, tant de jours on espère qu'il se passe quelque chose en dehors de ce vide qui pourrait nous heurter au nerf des éléments comme surprendre le caillou rouler et s'écraser contre une Tête d'Or cachée dans les marais, et qu'enfin réveillée elle déchire les reflets et les enterre là bas, justement à l'endroit précis, où l'on ne la trouverait pas.

Ca changerait le trajet avec d'autres couleurs, la terre de Sienne brodée des sublimes strobilanthes. Mais ici rien ne bouge, pour le mieux on attend un immense évènement qui convierait les fleuves à devenir torrents, et par le cours du temps on serait ces ballants repris dans les colères on se transformerait, on serait le ruban, courant se purifier dans les éclaboussures.

Au mieux on sera le clampin qui s'en va claudiquant à son bureau de tabac au coin de la rue Say, (tu sais mais tu sais rien), entre deux vides, on serait celui qui fait son plein, un sac dessus l'épaule, à parodier les charmes qui émanent de ce monstre dévorant la parade, suivant d'autres ballants promis au menu sort, dans les joies des achats qui nous tiennent harmonieux comme des produits vitreux dérivés des trésors pour ballants-matamores. Truffes au guet, dos cinglé, dans un léger cafard caché par les formules qui s'autorisent la valse, et des ronds de fumée au milieu de l'azur, on se roulerait dedans, on piétinerait les rousses qui hantent la Tabareau et frottant sur tout le monde sa belle rangée de dents, on serait prêt à l'ouvrir pour dire n'importe quoi, on parlerait du temps:

"demain il fera beau, malgré quelques rafales dûes au violent cyclone venu des Philippines...".

Contre l'abêtissement, qu'est ce qu'on ne vous dirait pas ? Et puis clopin-clopant on se trouverait un banc, on irait lire l'avenir dans les feuilles rosissantes, on les aimerait vraiment, et on regarderait gentiment trembloter leurs ombres moins béantes que nos songes balancés aux torrents, voguant dessus des feuilles, puis dessous bringuebalant et dehors et dedans, et inlassablement...

 

  

Photo: Voyageuse immobile, contemplant un chef d'oeuvre d'ombres chinoises en presqu'île, biennale off d'arbres rares encore verts, d'où prélude...

 

 

Lyon © Frb 2013.

lundi, 16 août 2010

Fin d'été

Jeux trop mûrs, mais bouche ingénue;
Œillet blanc, d'azur trop veiné;
Oh ! oui, rien qu'un rêve mort-né,
Car, défunte elle est devenue.

JULES LAFORGUE, extr. "Complainte de la bonne défunte" in "Complaintes".

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J'ai perdu le centre du monde, des secondes infinies qui peut-être n'ont pas d'importance. J'ai perdu le contentement, celui de la lady, ou celui de l'ami. J'ai perdu le consentement, perdue l'oeuvre, la sainte impatience. Des années-lumières d'une étoile se crashent sur un brise-lame. J'ai perdu le goût ordinaire d'aller chercher le journal en souriant. Ma parole réinjecte ses boucles et les mêle au bruit blanc. J'ai perdu la musique, le chant, quelques balbutiements obsédés d'un trésor, aujourd'hui introuvable. J'ai perdu l'accolade. J'ai perdu la croyance. Nos singularités liées ailleurs sur les notes chahutées d'animaux glissent sous les aromates, jusqu'à ces nuits passées dans l'ombre après qu'un décret aussi froid qu'insensé ait avancé la fin des mondes.

Hier un camion est passé ramasser toutes les saloperies qui trainaient sous les arbres et l'ombre de quelques branches encore abondamment feuillues, on cherche en vain deux ou trois éphélides, deux, trois allumettes à craquer, juste histoire de roussir les pages avant de les brûler. Tant de choses perdues, tant de peines. Tant et plus. Et ce n'est qu'un début...

 

 

 

 

Photo : Le début de l'Automne ou la fin de l'été. Premières rousses. Sitôt apparues, et déjà destinées à une bouche pas très ingénue. Photographiées ici et là, juste à deux pas des oubliettes du bourg de G. (c'est le nom du village, et ça, je le garde au secret). Nabirosina. Aôut 2010.© Frb.

vendredi, 23 octobre 2009

Le détraquage

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Quatre heures. Le voyage dura quatre heures. Pour un trajet de 90 km. Dans la chenille bleue amidonnée, un panneau devenu fou déroulait le projet d'un itinéraire à rebours. Nous étions censés venir d'Orléans, et à destination de Lyon. Je venais de quitter Lyon pour un train à destination d'Orléans. Le panneau m'assurait que non. Une certitude tournait en boucle. Et j'en doutais. Deux mois.

Cela faisait deux mois que j'attendais de partir. Deux mois que je voyais courir les arbres au dessus de l'enseigne "Le canut sans cervelle", et que je trébuchais sur la caillasse de ces rues en travaux, esquivant les nouveautés, les créateurs, ces vernissages... (non pas que je sois contre, loin s'en faut ! mais là, c'était trop). La rentrée dans tous ses états. Le pire étant encore dans nos villes ce qu'on appelle : "animations". Lasse des têtes et des rubans, épuisée par ces fugues molles toutes identiques, (la mienne aussi), j'attendais le moment où je pourrais durant des heures, parler avec mon âne en croisées de chemins. Combien ?

Il y avait un nombre incalculable de wagons dans cette chenille. Combien exactement ? Je ne saurais dire, de ma vie je n'ai vu un train aussi long. J'étais seule dans le wagon. Le contrôleur, je ne sais pourquoi, me dit qu'il y avait une autre fille à l'autre bout de la chenille. Je songeais que bientôt les forains replieraient la vieille vogue. Il m'a parlé juste pour me dire ça. Deux.

Nous étions deux dans ce grand train. Ca ressemblait à l'énoncé d'un cauchemar mathématique."Deux et deux seulement". C'était un TER avec des sièges comme au salon de coiffure, en velours imitation velours, (c'est très nouveau), et des tablettes couleur perce-neige, rabattues, (rebattues ?) sur le dos du fauteuil d'en face, un long couloir gris, et plus haut des diodes électroluminescentes oranges déroulaient le nom de toutes les gares qui marqueraient l'arrêt entre Orléans et Lyon. Sur le côté, des bribes de civilisation, ponts de ferraille, tags incompréhensibles, établissements portant à bout de charpente, la "domotique", les bureaux de marketing, puis un retour brusque aux néons augurait entre des grillages, la rébellion des végétaux qui claquaient sur la vitre maculée de caques d'oiseaux. On entrait victorieux en gare de Lozanne, (20km au nord ouest de Lyon du nom de "Hosanna" jour de correspondances et de Rameaux). Un quart d'heure environ.

Le train roula presque normalement pendant un quart d'heure environ. Le moteur vibrait fort, ce barouf de graves nous prenait dans l'étau. J'avais ouvert un livre de Benjamin FONDANE, qui parlait de Baudelaire, d'une préface signée par Théophile Gautier. Un livre écrit tout en hongrois. Tandis que la loco attaquait les oreilles, le cerveau puis les yeux, et que les diodes oranges superposaient aux caractères des éditions Paris-Méditerranée, des figures cosmiques, univers fractals et les liasses de billets d'un Voltaire psychédélique virevoltaient simultanément sur mon crépusculaire reflet. Nul ne peut ignorer que FONDANE n'est pas un poète hongrois mais roumain, la traductrice s'était trompée ? J'eus un instant besoin de maudire Odile Serre, que j'aimais bien pourtant grâce à la poésie moldave. La mécanique flambait, acheminant la vie du rail qui bringueballait de gauche à droite son acousmatique laminée. Tout cela allait crescendo mais le train avançait. On avait ajouté à cette symphonie (non pas pour un homme seul, mais pour deux femmes dans un train), l'éclatante ligne de rouages percussifs, une diffusion en continu, un métronome broyé qui battait sous la peau mais le train avançait encore. Et je me réjouissais du temps qu'il me restait pour lire. Trois.

Tandis que je contestais violemment Odile Serre pour cette traduction hongroise inacceptable de FUNDOIANU (FONDANE), une confusion qui représentait à mon sens, une faute professionnelle très grave, doublée d'un irrespect envers les lecteurs et lectrices ; le train arriva à Lamure sur Azergues au bout d'une demi-heure comme prévu. Lamure sur Azergues, (anciennement, "La mure". Héraldique : "gueules au mur ruiné (la mure) d'argent, maçonné de sable, soutenu d'or et ouvert du champ, au chef aussi d'or chargé d'un lion issant aussi de sable, armé et lampassé aussi de gueules, surchargé d'un lambel de cinq pendants du même"). Lamure sur Azergues, deux minutes d'arrêt. La ville (petite) ouvrit ses quais à la chenille. Impromptu mécanique métamorphosé qui sait ? en papillon de nuit conçu par Vaucanson un soir d'ivresse. La bête s'émancipait. Nous nous désincarnions. Personne ne descendit, ni ne monta. Le contrôleur vint me le redire. D'un air tout à fait désolé. Il répéta trois fois "Vous êtes deux dans ce train" : Cette fille qui ne me voyait pas et moi qui n'avais pas la preuve de l'existence de cette fille, à peine de la mienne sinon dans le regard du contrôleur, lui même, intermittent, "effacé", comme on dit souvent. Nous étions trois, à peine. Dans un monde où tout compte à partir de mille. Une heure.

Nous passâmes du chant Russolien au silence de la montagne. Un râle spasmodique, juste. Et plus rien. Grâce à l'arrêt de ces moteurs, je parvins enfin à relire la préface de Monique Jutrin. "poétique du gouffre". Une mémoire pour Benjamin FONDANE, mes initiales inversées, je loue ce précurseur et poète au destin tragique qu'on ne m'apprit jamais à l'école, hélas ! nous y reviendrons, hors détraquage... "enadnof srev Unaiodnuf eD". Le hongrois d'Odile Serre prenait un élan charmillon. Le rétablissement d'un espace sonore plus adéquat à mon audiophilie maniaque, me rendait les points de concentration, de probité, nécessaires à la compréhension d'un livre en promenade, ce projet de nouveau possible, je reconstituai méthodiquement le bon sens du rectangle qui glissait sous mes doigts. Je me mis à aimer follement Odile Serre, pour sa traduction admirable du roumain au français de l'oeuvre de Benjamin FONDANE ("Images et livres de France") quand je m'aperçus que depuis une heure, raptée mentalement par le jeu arythmique du train, j'avais lu le livre à l'envers. Deux minutes.

MONTS86.JPG

J'avais donc repris le beau livre, rephasé à l'endroit son deuxième chapitre. J'attaquais doucement quelques notes d'introduction sur HUYSMANS, le catholique, où FONDANE évoquait le Christ peint par Matthias GRÜNEWALD du petit musée de Cassel. Au prélude de "Là bas", les diodes implacables lancinaient le désert, annonçaient implacables aussi, l'arrivée imminente au terminus de Lyon Perrache. Nous étions arrêtés en sens contraire à la campagne. Ma montre retardait de trois jours. Vingt minutes.

Le contrôleur signala que la machine était en panne, un des moteurs avait lâché. La nuit tombait sur la montagne. Il venait un courant glacé. On avait appelé d'urgence un technicien qui arriverait dans vingt minutes pour essayer de faire redémarrer ce train. Pour l'instant on préférait évaluer le temps en valeur indéterminée. Nulle part.

Nous étions au milieu de nulle part. Là bas entre les rails, un petit bonhomme courait. Le chef de gare, le contrôleur, deux voyageuses.  Bientôt nous serions cinq. Nous grandirions. Le contrôleur allait venait. Son talkie walkie émettait un consolant grésil. Le contrôleur parlait en hurlant, à chaque fois le grésil répondait : "Ok d'accord ! d'accord ok !". Je m'entendis bêtement demander au controleur :"Pardon, m'sieur, mais qu'est ce qui se passe ? Où va-t-on maintenant ?". Il énonça clairement les faits. L'homme était très aimable, les choses bien expliquées. Mais elles semblaient se balancer comme la feuille de TINGUELY au bout d'un porte-clefs à quelques mètre de là, pendues à la ceinture du chef de gare... J'écoutais la réponse. Toute l'attention qu'on me portait, le contrôleur faisait tout ce qui était en son pouvoir. J'en fus émue aux larmes :

"On est en panne, on ne peut pas réparer, soit on essaye de repartir avec un moteur détraqué au risque de se retrouver coincé dans un tunnel, soit on reste là, et on attend. Qu'est ce que vous préférez ?"

Nota : Prochainement, un certain jour (?) ou jamais (?) la suite du voyage et puis un autre jour encore (?) plus certain (?) je reparlerai du poète, Benjamin FONDANE (traduit admirablement du roumain par Odile Serre et vivement conseillé par la maison)

Photo 1 :  La nuit, ou presque. Quelques brésars d'automne qui bordent la vallée d'Azergues.

Photo 2 : Un extrait de forêt de pins dans la montagne, vus quelquepart entre le Bois d'Oingt et Poule les Echarmeaux. Je ne sais pas où exactement. Octobre 2009. © Frb.

dimanche, 31 mai 2009

Comme un dimanche avec Melle Branche

melle branche A.jpgC'est sur le Boulevard de la Croix-Rousse au milieu de l'après-midi, que nous retrouvons l'héroïne de nos dimanches, au patronyme si Alcestien : Melle Branche. (Souvenez vous, cet hiver elle faisait son marché place Wilson en tâchant de ne poser sa canne qu'en de savants calculs), nous l'aperçûmes, (depuis elle a changé de coiffeuse), un autre dimanche, sur la presqu'île devant le magasin "Jolidon"). Avec les beaux jours, elle a chaussé des souliers confortables. Elle a marché longtemps afin de rejoindre la colline et puis sur le boulevard, elle a enfin trouvé son banc pour lire un peu à l'ombre sous un arbre. Le boulevard a cet avantage de ne pas avoir omis les bancs. Il y en a partout, près du café de la Mairie, devant la mairie, devant le square (Bernard Frangin), mais elle, elle préfère s'éloigner un peu là où il y a encore des arbres, des vieux, dans la direction des Charteux. Et la voilà, tranquille, face à la pharmacie elle lit l'ouvrage "Comment rajeunir" du Docteur HELIAN JAWORSKI (Un livre prêté Melle Lacroix, "un livre qui s'appelle Revient", a cru bon de préciser Melle Lacroix, qui ne prête que rarement ses livres...). Melle Lacroix, après avoir lu ce livre, c'était incroyable ce qu'elle avait rajeuni ! "c'est un "livre-miracle", écrit par un "docteur miracle", ça donne beaucoup d'espoir" avait dit la Denise qui avait été la première à l'acheter après avoir assisté à une conférence de connaissance du monde où le Dr HELIAN JAWORSKI avait causé des heures durant. La Denise aussi, elle avait rajeuni. Melle Branche ne voulait pas que ce soit dit. Ce n'est pas qu'elle aimait lire, elle préférait parcourir des revues comme "Nous deux", ou faire des jeux , mais surtout elle voulait connaître le secret, savoir comment on fait, ce que ça fait. Elle voulait rajeunir. Doucement elle mit ses lunettes, l'ouvrage datait de 1929. Elle se demanda quel âge, avait aujourd'hui le Docteur JAWORSKI.

"L'Homme devait donc atteindre 140 ans. Cette loi n'aurait rien d'absolu puisque certains individus sont arrivés à 150 et même 160 ans ainsi que le célèbre physiologue HALLER au XVIIIe siècle, en rapporte des cas. Celui ci professait du reste que l'homme devait vivre jusqu'à 200 ans."

Melle Branche resta longtemps sur le chiffre 200. 200 ans ! évidemment ça changeait tout ! elle pourrait passer son permis de conduire, apprendre à aller dans les internettes et même faire un emprunt pour acheter sa maison... En parlant de maison, il était déjà plus de 16H00, et sa belle soeur la Marinette devait lui amener tout un tas d'affaires à retoucher, "on peut pas rajeunir et coudre" pensa t-elle... "c'est bête, je n'aurai pas le temps"...

Au loin elle entendit le bruit, ce grincement familier d'une barotte qui trainaît toujours derrière sa belle-soeur : "Ah tiens voilà la marinette" se dit melle Branche dans son for intérieur. Puis elle referma son livre tristement.

Photo: Mademoiselle Branche sur son banc. Vue Boulevard de la Croix-Rousse à Lyon, ce dernier dimanche de Mai 2009. © Frb