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mercredi, 30 mars 2011

Nid d'amour

L’amour est patient, il est plein de bonté ; l’amour n’est point envieux ; l’amour ne se vante point, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne périra jamais.

Extrait de la lettre de ST PAUL aux Corinthiens, chap. 13

Parfois quand on ouvre la fenêtre, on entend une petite musique... nid d'amour,nouvelle,couple,illusions,amour,maison,façade,vivre ensemble,concierge,madame grenada,monsieur chandon,murielle,humanités,curiosité,infidélités,intrusions,histoire d'a,jalousie,fidélité,cachotteries

.J'ai vécu là, plusieurs années, je connais tout par coeur, derrière ces fenêtres, pour moi, pas de secret. Je connais tous les locataires. Il y en a beaucoup, trois par palier sur cinq étages, au rez de chaussée il y a les concierges Monsieur et madame Grenada. Madame surtout qui s'occupe du bon fonctionnement de l'immeuble. Chaque année pour jour de l'an avec Murielle, on lui donne une petite étrenne, avec un mot gentil: "Puisse cette nouvelle année vous être favorable, chère madame Grenada, ainsi qu'à votre époux". Quand j'y pense ! Ils savent tout. Même plus que ce que nous supposons savoir nous-mêmes sur nos propres allées et venues, enfin "propres"... Comme lorsque Muriel reçût ce monsieur, tandis que j'étais en voyage d'affaire. Tous les jours le monsieur venait, à 5h00 de l'après midi, il restait jusqu'à 7H00 (du soir). c'est comme ça que j'appris l'existence du monsieur, par Madame Grenada, le jour même de mon retour, le dernier. Elle me dit l'air de ne pas y penser "Bien contente de vous retrouver monsieur Chandon, enfin votre dame, n'était pas trop toute seule, votre frère est venue lui tenir compagnie tous les après midi entre 5 et 7 heures" ... "Ah bon ? Mon frère ?" Et madame Grenada prenant l'air gêné de la confidente qui s'en veut d'avoir trop parlé, (non sans éprouver cette satisfaction de méchanceté intérieure qui sied tant aux vilaines personnes). -"Ah ? Ce n'est pas votre frère ? Comme il vous ressemblait, j'ai pensé que...". Alors je bredouillais  -"Mais si ! bien sûr que si ! c'est mon frère ! Madame Grenada, mon frère jumeau, même ! c'est vrai que je n'aime pas savoir Murielle toute seule quand je pars en voyage, mais de là à ce que mon frère passe tous les jours ! il est vraiment serviable, j'en suis presque gêné, en même temps, vous m'en trouvez si agréablement surpris" - "en tout cas..." - (crût-elle bon d'ajouter) - Madame Grenada ponctuait souvent la conversation par cette expression - "en tout cas" - qui permet de dériver à peu près sur tous les sujets, "... Votre frère, il a bien veillé sur elle". Cette dernière phrase me glaça. Qu'est ce qu'elle voulait dire au juste par "il a bien veillé sur elle" ? J'étais furieux. Il me semblait que si je ne montais pas en quatrième vitesse, tout de suite, là, urgemment, tous les étages qui me séparaient de Murielle, j'allais faire subir à cette femme un de ces sorts qui la priverait de ses cordes vocales pour toujours. Les doigts me démangeaient. J'essayais de prendre congé poliment. "Bon, madame Grenada, ce n'est pas le tout, je vais monter. Murielle m'attend." Et pour faire bonne figure je rajoutais un léger point qui me parût fort malin, pour me défaire de cette conversation qui aurait fini comme toujours sur la météo, et la maladie de coeur de son mari : "Madame Grenada, dites moi, euh... comme j'arrive à l'instant je ne suis pas encore passé chez mon frère, il n'aurait pas laissé un petit mot pour moi, par hasard ?". Qu'allais je donc inventer ? C'était lâche et absurde ! le ton n'y était pas, mais allons ! tant qu'à faire ! Et si cette pauvre femme avait su combien j'avais souffert d'être fils unique, elle en aurait rajouté, alors bon, il valait mieux enfoncer le clou, valider copieusement l'existence de ce frère qui m'avait jadis tant manqué, dissiper tout malentendu, en finir et monter. Ensuite, j'aurais ouvert la porte, notre porte d'entrée. Dans notre long couloir, je t'aurais vue, Murielle, radieuse comme à chacun de mes retours. Murielle, je t'aurais embrassée et puis je t'aurais dit, "Murielle, il faut que je te parle, Murielle, c'est important, il faut qu'on parle tous les deux, là, maintenant !". Et Muriel m'aurait écouté, elle aurait ri de mes soupçons, elle m'aurait rassuré. Muriel elle aime bien quand je suis inquiet, elle me rassure, elle me passe la main dans les cheveux, elle m'appelle "son chouchou", ça m'apporte une certaine stabilité même au bureau, quand j'ai des inquiétudes, il suffit que je pense à Muriel, à notre nid douillet, et je suis moins nerveux. A chaque retour de déplacements, c'est plus fort que moi je crains le pire. "Et si Muriel rencontrait quelqu'un d'autre ?"... Quand j'y pense, j'en souffre horriblement, moralement, physiquement, j'ai des crampes d'estomac, les mains qui brûlent. Rien que d'imaginer Murielle dînant au restaurant avec un autre, me rend fou, oui, je sais, je suis jaloux. Mais Murielle elle est pas comme les autres, elle est fidèle, elle me connaît, elle sait apaiser mes tourments, depuis le temps ! je la connais aussi très bien de mon côté, je suis un homme chanceux. C'est incroyable, tout ce qu'il y a d'harmonie entre nous. C'est quelquechose d'unique. Elle me devine, souvent, elle anticipe. Murielle, elle m'aime sans conditions. Quand j'ai peur, elle le voit tout de suite. Elle rigole, elle me dit :" oh Chouchou ! tu es jaloux ! il est jaloux ! il a peur que je m'en aille, mais ça c'est trop mignon, je t'aime trop, mon chouchou !"... Sauf que Madame Grenada me répondit qu'effectivement, mon frère avait laissé un mot pour moi, et même une grande enveloppe qu'elle me tendit avec un de ses sourires beaucoup trop attendri pour être honnête. "Enfin, je ne sais pas si c'est votre frère qui a écrit, mais il y a une lettre à l'intérieur...". Je tatais docilement... Il y avait bien une lettre à l'intérieur. Je n'avais pas encore ouvert l'enveloppe que madame Grenada murmura d'un ton triste, si triste que j'eus envie de pleurer. "En tout cas, monsieur Chandon, on va bien vous regretter, vous allez faire un sacré vide dans cette maison". Je regardai longtemps cette petite femme voûtée avec son gros grain de beauté beige sur le menton, sa médaille de Sainte Vierge qui pendait au dessus de la collerette d'un corsage sur lequel étaient imprimés des coeurs bleus, ses seins énormes, ses grosses hanches, son tablier à fleurs, ses jambes maigres plantées sur d'énormes pantoufles en pilou rose bonbon. C'est la dernière image qu'il me reste de notre nid d'amour d'où je me suis enfui sans jamais avoir lu la lettre.

Photo : Nid d'Amour et plus anonymement, une jolie façade rose vue du côté de la place Carnot, au niveau du métro Ampère-Victor Hugo entre les deux incontournables gare de Perrache et Place Bellecour photographiée à la fin de l'hiver, à Lyon.

Lyon II © Frb 2011.

mardi, 22 mars 2011

Court circuit

Toujours... Toujours il faut que j'aille dans les rues... Et je sens toujours quelqu'un derrière moi... C'est moi même... Et il me suit.

PETER LORRE dans "M le Maudit" de FRITZ LANG, 1931

ombres002.JPGIl est riche de ses actes, il écrit son nom il l'accole aux gens qu'il croise, et cela est sans conséquences, il ne va pas, il ne se contente pas du peu. Il ne prend pas la page blanche pour le début, c'est sa fin, il l'arrange, s'y rajoute, continue l'existence jusqu'à cette stabilité qui l'insupporte, un monde imaginé par tous ceux qui ont précédé, semblables à ceux qui suivent, des tas de gens, des têtes dont il n'a rien à dire. Un niveau machinal, des relations interchangeables à l'infini, il compose à ce jeu un grattage, il ne gratte pas, il se déchire.

Vu de loin, cela contraste avec la notion pour lui, incompréhensible de sympathie. Il élabore des figures qui de près ou de loin l'obsèdent par leur monotonie, il gratte et enterre tout dans son jardin, il rature des pages et des pages jusqu'à l'avènement d'une oeuvre d'art blanche, oeuvre purgée du sentiment, art de s'absorber dans l'espace, de recomposer le désordre avec les éléments. Il se met dans la peau d'un autre qui se trouve déjà dispersé. Le plus sûr de son initiative a déjà échoué. Il voit d'avance, une page qui manque juste au milieu du livre, une morsure au coeur de la toile, les fourches dans les cheveux des filles, un concentré déjà détruit qui contient à lui seul toute l'histoire du monde, celle des hommes et son destin à lui. Dans cette absence, il y a la voie lactée, la conquête de l'espace et l'embrassement d'une fusée avec une étoile filante, la réalité confondue dont il est pure trace,  reliant au ciel sa glaise, son fleuve et son métal, une situation de danger au terme d'un lent acharnement sans aucun but défini à l'avance.

Le cours du temps passe dans l'élasticité de journées indolentes. Aux aguets d'un langage détruit, entre les corps, des bêtes à grosse carapace ont promené sur leur dos, les dépouilles des hommes et des femmes, ceux qui n'ont pu survivre, le résultat grosso modo de toutes les guerres visibles ou invisibles, il ajoute un peu de son corps, qui meurt parfois petitement dans l'amour, se voudrait inspiré, goûtant une telle offrande, prêtant sa chair qui délivre du mal aux baisers de l'éphéméride. Il pourrait avoir honte à se faire aimer trop, sans pouvoir aimer trop lui même, ou aimant trop sa solitude qu'on dit incompatible avec l'amour. Ce on dit, est encore une foutaise. La petite idée se forme dans sa tête qui le taraude pour brûler ce qu'il reste d'obsession à oeuvrer, il voudrait contempler les petits matins, dans la joie de la course à pied, du basket ball, des descentes à vélo sans les mains, tout seul des jours entiers il joue entre des marques tracées sur le sol à la craie, et court sous un panier à essayer de réussir des doubles pas, à s'encourager dans le dribble, les mains apprenant la dextérité en compagnie de joueurs invincibles, qu'il imagine et qui n'existeront jamais. Chaque jour, lui vient de plus en plus d'adresse pour en finir avec le besoin de dextérité. Cela n'est qu'un mouvement dans l'espace juste pour oublier que la pensée peut fondre comme une savonnette. Il est cet enfant souple glissant sur une rampe d'escalier. Il parade le jour. La nuit, il pleure ce que le jour lui a volé.

Des guerres ravagent son écriture, cela engendre une sorte de poème héroïque, avec des idées monstrueuses qui chevauchent des idées sublimes, tous les mots il les plie à sa volonté dans le goût capiteux de répandre l'épuisement sur la terre, l'épuisement des êtres et des lieux jusqu'à qu'il n'en reste rien, ni dedans ni dehors, et la douceur va dans son regard, dans ses yeux bleus ou gris qui pleurent et cela fait comme une pluie de météorites plus loin, ailleurs, il verse l'alcool à brûler dans des fioles d'encre bleue ou grise, un petit feu court sur toute la surface d'une nappe, du genre toile cirée, juste au milieu, il y a un ilôt de cendre qui brille, il y voit une peau de chagrin grosse comme un pois cassé. "Pois cassé", les deux mots roulent entre ses doigts. Existe t-il encore une chose au monde qui ne puisse pas se casser? "Pois cassé", rien à faire, comment casser ce rien ? Les plus petits obstacles sont toujours les plus vains, il devra désormais lutter contre cette chose minuscule qui résiste, dont chaque jour il essaye de s'acquitter au mieux. Le combat à l'oeil nu paraît pourtant facile. Chaque jour il s'applique et chaque jour ayant échoué, après des heures passées, en bras de fer qui l'auront épuisé, il regardera le soleil se coucher, et se dira : "et merde !".

Photo: Une ombre demesurée qui précède ou qui suit on ne sait quoi, on ne sait qui, prise en flagrant délit sur les pavés aux alentours de la bibliothèque de la part-Dieu à Lyon. © Frb 2011.

mardi, 15 mars 2011

Fallen angel

- A quoi passez-vous votre temps ?
- Le plus clair de mon temps, dit Colin, je le passe à l'obscurcir.
- Pourquoi ? demanda plus bas le directeur.
- Parce que la lumière me gène, dit Colin.

 BORIS VIAN in "L'écume des jours",éditions, le livre de poche, 1987

Colline0129.JPGPetit plan d'une ville à saisir, dans les motifs des portails de la rue Denfer, sur la mosaïque d'une façade qui jouxte une villa de taille idéale près du jardin de l'ancien presbytère ; ici, se trouve un homme penché, qui vomit sur les escaliers, plus loin, j'aperçois la chevelure blonde d'une femme qui s'éloigne. Ensuite je ne vois plus que des chevilles, entre les ronces enchevêtrées, de longues tiges bordées d'épines cachées par l'ombre. C'est la fin du jour, c'est la nuit. Loin d'une terrasse où l'on s'allume, sur une place, un couple se dispute  ; deux silhouette longilignes appuyées contre la portière d'une 206. Une planète engloutie, des millions de figures embarrassées de songes, un château Margaux pour l'oubli, des hommes penchés sur des figures, des fugues ignorées et des êtres qui cherchent leur moitié parmi les détritus. On voit même parfois le courage revenir grâce aux bitures, et le silence nous garde de ces forces actives qui nous auront nommés misérables. Tourbillon, escalade, chute cernée d'engrenages. Le vieux terme maritime dit : "lovage en biture" qui signifie : "ranger un bout ou une chaîne en formant des huit pour éviter la formation de tours", il évoque dit-on peut-être la marche de l’homme ivre. Des bitures pour les peines, les mêmes, pour le courage, qui commencent dans la fête, se terminent en sucettes en citrate et charbon. On rentre à la maison. L'homme s'est relevé, il frappe du poing contre l'escalier il crie "conasse !". La femme revient sur ses pas, vite. Elle trotte et le bruit de ses talons joue sa petite réverbération contre les murs d'une cour d'école. Elle parle à l'homme. Lui, il se noie et continue de taper du poing violemment sur le sol. J'entends un peu la femme qui essaie de discuter. "Je sais pas pourquoi  les femmes, elles veulent toujours discuter", lui il pense qu'elles sont folles ou chiantes le plus souvent, c'est les deux. Elle lui dit gentiment "T'avais qu'à..." "T'avais qu'à pas..." Puis des injures, "Regarde moi ce con !" "T'es vraiment qu'une pauvre merde, Christian... ". Elle s'éloigne, il essaie de répondre les yeux fixés sur son vomi, il répond il ne sait plus à qui, il balbutie : "tu comprends rien" mais trop loin d'elle. Elle ne peut plus entendre. "Elles sont comme ça les femmes elles veulent, les femmes, elles veulent, toujours discuter. Elles veulent on ne sait pas quoi. Est ce qu'elles mêmes elles le savent ?". Discuter, il y a un temps pour ça. Un temps qui passe et après, discuter, elles veulent pas. Le bitume claque encore sur le passage d'un groupe de gens qui cherchent un restaurant, On voit les bottines à la mode, à petits talons en daim, des écharpes à motifs indiens, des blazers anglais, des parkas, des dizaines de parkas achetés au stock américain, hors de ce défilé de mode mi-hiver, mi-printemps on sent Mai et ses fêtes enrober les heures ternes et les premiers bourgeons minuscules, au bout de branches sèches comme soudées sur des arbres morts et ces foules cet aplomb de ces galops qui claquent, un écho de talon qui s'approche puis s'éloigne, etc.. L'homme s'effraie de l'état des lieux, il a vomi sur sa cravate, il a frappé, il a pleuré; maintenant il pue; quelqu'un dit "ça pue la vinasse". Agenouillé devant la porte, face à la rue, les yeux fuyant un halo de lune masquée par un nuage, les mains tendues vers l'escalier, il y a de la beauté dans la forme de ses mains qui ne savent plus où s'aggripper. La femme est partie de l'autre côté, disparue dans l'allée d'un n°8, parallèle à la rue d'Ivry.

Au matin l'homme se réveille, sur le même escalier, il aura dormi habillé sur des dalles de l'église St Augustin. St Valentin ? Il ne sait plus. L'aube fera resplendir ailleurs des corps absents dans d'autres chambres. La femme, elle se réveille aussi, au N°8 sous une grande couette à fleurs hybrides jaunes et violettes hideuses près d'un corps qu'elle ne connait pas mais suivant le bout de ses doigts elle en connaît, dira-t-elle "les grandes lignes". Elle pense : "les grandes lignes c'est n'importe quoi !. Elle est libre, elle l'a si souvent dit, "libre et prête à n'importe quoi", mais surtout, pas, "non, quand même pas !" elle ne va pas prendre son café avec cet homme ni beau ni laid. Elle prendra le café quand même avec cet homme, ni beau, ni rien, au caractère juste agréable, pour la forme, dont la nuque sent la savonnette, le senbon de chez Séphora, un truc de goût, genre "Eau sauvage", ou "Kouros" un parfum qui sent l'homme, qui pue sur le tissu la glande de chevrotain, avec un petit fond de pisse de chat. Elle jette un oeil sur son portable. Elle cherche Christian, elle ne voit pas. L'autre, il est dans la salle de bain, il arrange sa coiffure en brosse avec son peigne, il reste des heures, elle pense "Est ce qu'il aurait pas plus vite fait d'arranger sa coiffure en brosse avec ses mains ?". Il va dans le salon, glisse un cd dans un bidule, un vieux tube de Moby, elle pense "Merde ! Moby, il manquait plus que Moby!". Elle regarde encore son portable, elle a très chaud aux mains, elle vérifie les numéros, Christian encore. Christian n'a pas laissé de message, pas d'appel de Christian, "pourquoi Christian il l'appelle pas ?". Elle pense qu'il ne doit pas aller bien que peut être il aura besoin d'elle. ? Puis elle pense le contraire : "ce connard n'en vaut pas la peine". L'autre, il revient, avec sa coupe en brosse, des épis impeccables aplatis par le Petrol Hahn, du senbon sur les mains, il lui caresse les seins, elle ne trouve ça ni mal ni bien, elle se dit "après tout, pourquoi pas ? A mon âge, il faut que j'en profite avant que plus personne ne veuille de moi, c'est vrai, quoi ! qu'est ce que j'ai à perdre ?".

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La nuit croise le jour à l'heure où tout vient à nouveau, comme hier, comme un premier jour après une première nuit d'amour qui ressemble à une nuit ordinaire. Il y a d'abord ceux des labeurs matinaux puis une foule qui dynamise les petits couloirs de la ficelle. Station Croix-Rousse, Hénon, Caluire et Cuire. Le soleil éclaire le caillou sans éclat tel un diamant brut qui culmine à 254 mètres sur un échantillon de soie, sous l'auguste des étourneaux font un de ces baroufs, il y a des forains sous les arbres qui transportent des cageots. Il y a des taxis qui patientent devant la marbrerie, de La rue de La Salle. L'homme aura attendu longtemps en longeant le parc à vélos (vélo'v qu'ils nous disent, traduction intégrale = vélos d'amour) entre le Clos Jouve et le "café Jutard", il commence sa journée comme ça, avec deux ou trois verres de blanc. Et de quatre !  "Et hop ! un dernier pour la route ! Partout il voit des sosies de blondes qui font claquer les mêmes talons c'est la charge d'une cavalerie lourde, défilé de guerrières sur Mars. Partout il entend des femmes blondes lui dire "t'es vraiment qu'une pauvre merde, Christian"... Partout il voit des brunes en body lamé qui se couchent sur sa peau, lui chuchotent à l'oreille "Que tu es beau, Christian !". Au bout du cinquième verre il finit par y croire vraiment, il mate dans la rue les brunes et les blondes et les rousses moins souvent . Elles disparaissent, toutes de la même façon, dans des coins de rues, dans des traboules. C'est une malédiction, dont il n'a qu'une image, ces femmes qui le pulvérisent dans des coins, à coups de bombe. La seule image qui le console c'est quand il pense à elle; avant hier, il se souvient dans la petite cuisine en soupente, d'un petit appartement rue de l'Alma elle lavait la vaisselle il l'essuyait et ils causaient d'un peu de tout à peine, sans se prendre le chou, et c'était bien comme ça. Il cherche dans sa poche, le portable, où il est ? Et ses clefs ? Il faudrait qu'il refasse tout le trajet d'hier, alors qu'il ignore d'où il vient, qu'il aille au commissariat le plus proche faire une déclaration de vol, de perte, il va entre les portes de ces longs corridors et son oreille se colle sur la vitre d'entrée noire du nouveau glacier où gît la dépouille de l'ancien Lutin Bleu, le magasin des petits enfants en pyjama devenus méchants, à force. Une danse gourde porte son corps sur des passés sans gloire, des jeux de mains, qui ont fondu comme neige ou vogue, pendant que des cristaux multicolores éparpillent sa tête sur un comptoir doux c'est un traversin. Il tente dans un demi-sommeil, de reconstituer la trame des évènements, qu'il reproduit sans cesse à l'identique quelle que soit la personne rencontrée. Qu'a t-il vécu avant pour que tous ces visages au final n'en forment plus qu'un ? Le plus inaccessible, toujours le plus absent. Dans les miroirs du bar il voit son reflet prenant des airs d'homme de demain, ses gestes de chevalier d'avant, au temps de la grande époque, quand tous ses combats étaient nobles, ses étreintes sûres et fortes, toute cause valait qu'il risque gros. Les filles disaient: "Christian il est pas comme les autres", ils s'aimaient et après ils se quittaient copain-copain, il n'y avait pas de drame, pas de biture, pas de vomi sur les cravates. Et Christian, il est là, comme les autres, au milieu d'une bande de gueulards, des poivrots, des vantards, des grands minces avec des gros bides, des petits rougeauds en salopette, qui rigolent à propos de rien, ils sont tous là et ils rigolent, à charrier la serveuse, ses lolos et son popotin. Lui, il retrouve ces vieilles gueules du vieux monde, sa sale gueule qui ne s'accorde pas avec ce qu'il est, ce qu'il voudrait montrer, nul ne le voit. Il aimerait bien appeler sa blonde au téléphone il se dit (comme ces gens qui se disent "tu" à eux mêmes), il se dit "ça suffit, Christian, en ce moment tu déconnes, t'as assez déconné, maintenant tu rentres chez toi", la serveuse elle l'observe elle se dit "celui là, il est pas comme les autres", elle le tient déjà sous sa robe, dans ses bras,  sous son aile et dans son lit, tu crois ? Moins rougeaud moins poivrot que les autres, elle se dit du  pauvre gars qu'elle pourrait s'en occuper "bien", elle lui demande "Et le joli monsieur, il est tout triste, il va bien reprendre une petite rincette ? Je vous en remets un pareil ?" Il pense à cette chanson de Nino Ferrer "Rondeau". Il se dit que cette chanson c'est toute sa vie ou c'est la vie de tout le monde. Au fond, les chansons et la vie, il s'en fout. Il émet un grognement qui veut dire "va pour une petite rincette". Il se dit, "après tout. Pourquoi pas ? Un peu plus, un peu moins..."

  

Photos : Passage clouté sur le boulevard plus un mot glissant comme la soie. Colline comme ailleurs. Entre la grande artère et petite rue d'Alma. © Frb 2010.

mercredi, 05 janvier 2011

Petits désagréments du Fin' Amor

La douce voix du rossignol sauvage
Que nuit et jour j'entends gazouiller et retentir
Adoucit et console mon coeur ;
Alors j'ai désir de chanter pour me réjouir.
Je dois bien chanter puisque cela fait plaisir
A la Dame à qui j'ai  fait hommage ;
Je dois avoir en mon coeur une grande joie
Si elle veut me retenir pour son bien.

In "Le CHATELAIN DE COUCI", extr. de "Chansons d'amour du Moyen âge" présenté et traduit par M.G. GROSSEL. Editions Librairie Générale Française, 1996.

amor vr.JPGLe châtelain de Couci, ("i" ou "y"), appartenait à la famille des Seigneurs de Thourotte (dans l'Oise), c'était une lignée d'officiers qui gardaient la forteresse des Sires de Coucy. Guy de Thourotte, le trouvère, participa probablement à la troisième croisade de 1190, mais il devait être encore jeune lorsqu'il se croisa à nouveau en 1203. Il n'atteignit jamais Constantinople car il mourût en mer et son corps fût jeté au large (d'après le récit qu'en fît l'illustre chroniqueur Geoffroi de Villehardouin). Le châtelain de Couci a servi de prétexte à une légende singulière :

séparé de sa bien aimée, juste avant de mourir en mer, le châtelain de Couci fît envoyer à sa bien-aimée, son coeur embaumé dans un coffret. Le mari de la Dame voyant tous ses soupçons confirmés, fou de haine et de jalousie fît servir à table à la Dame, le coeur de son aimé. Mais dès qu'elle fût informée de la nature qui devait constituer son repas, la Dame décida aussitôt de ne plus rien manger et mourût peu après.

Cette légende bien plus ancienne que l'existence de l'authentique châtelain est pourtant devenue la sienne lorsqu'à la fin du XIIIem siècle, le romancier Jakemon Sakesep dit Jakemes eût l'idée de faire du châtelain le héros de son récit, intitulé : "Le roman du Castelain de Coucy et de la Dame du Fayel", ce texte étant très long et très complexe, je vous propose ici un troublant extrait de cette légende qui se répandit en pays d'oïl.

Et li sires s'en est viertis
Droit a Faiiel, en sa maison.
Son mestre keus mist a raison,
Et li commande estroitement
Qu'il se painne esforciement
D'un couleïch si atourner
Que on n'i sace qu'amender,
De ghelinnes et de capons,
"Dont a table siervi serons
De toutes pars communalment,
Et par lui espescialment.
De cest coer un autre feras
Dont tu ta dame sierviras
Tant seulement, et non autrui."
- "Sire, se Dieus me gart d'anui,
Je le ferai, ne vous doutés,
Ensement que vous dit l'avés."
Atant d'illuec li keus s'en tourne;
Ces mes appareille et atourne
Qu'a mangier fu tres delitables.
Quant temps fu, si mist on les tables,
Si se sont au souper assis,
S'orent mes tels come a devis.
Apriés siervirent li vallet
Del mes qui fu tels qu'a souhet;
Del coer seul la dame siervirent
Et de l'autre partout offrirent;
Cescuns volentiers en menga.
La dame mout cel mes loa,
Et li sambla bien c'onques mes
Ne manga plus savereus mes,
Si dist : "Et pourquoi et comment
N'en atourne nos keus souvent ?
Y est li coustenghe trop grande
En atourner tele viande,
C'on ne nous en siert plus souvent ?
Boinne me samble vraiement."
Adont a commenchié li sire
Sa parolle, par mout grant yre :
"Dame, n'ayiés nulle mierveille,
S'elle est boinne, car sa pareille
Ne poroit on mie trouver
Ne pour nul denier recouvrer."
- "Et comment l'apielle on, biaus sire ?
Par amours, voelliés le me dire."
- "Dame, ne soiiés en esfroi.
Je vous affi en boinne foi
Que vous en ce mes chi mengastes
Le coer celui que mieus amastes :
C'est dou castellain de Couchi
Dont on vous siervi ore chi.
Par vous seule en fustes siervie,
Et jou et toute la maisnie
Fumes siervi d'un mes samblant.
Vous l'amastes en son vivant,
Dont moult och viergongne et anui,
Puis que le soch jusqu'al jour d'ui;
Et pour un peu moi revengier
Vous ai ge fait son coer mengier

Traduction de la fin de ce redoutable poème à partir de "Dame, ne soiiés en esfroi" :

Madame n'ayez pas peur, je vous donne ma parole que le mets que vous avez mangé est le coeur que vous avez le plus aimé : c'est celui du Châtelain de Couci que l'on vient de vous servir, il n'a été servi qu'à vous seule et les autres convives et moi-même avons mangé un mets qui lui ressemblait. Vous l'avez aimé de son vivant, j'en ai enduré honte et tourment jusqu'à ce jour, pour me venger je vous ai fait manger son coeur.

L'appétit de vengeance s'accommode particulièrement de la dévoration du corps de l'adversaire, d'autant plus quand il s'agit d'un crime passionnel. Les lais et les fabliaux moraux racontent avec force détails des faits divers sordides pour l'édification des foules, ils filent ainsi avec bonheur le thème de la sexualité anthropophage. Ces historiettes véhiculèrent ainsi de véritables mythes qui colportèrent les valeurs et les hantises profondes de toute une société, adaptées au gré des faits divers et des circonstances politiques pendant des générations, le thème en est presque toujours celui d'une union illégitime, les variantes se déclinent en abandon de la fille-mère ou par le retour surprise du mari. Pour comprendre tout le contenu et la portée de ces contes, il suffit de considérer le titre d'une de ces histoires:

L'histoire prodigieuse d'une jeune Damoiselle de Dole, en la Franche Conté, qui fit manger le foye de son enfant à un jeune gentilhomme qui avait violé sa pudicité sous ombre d'un mariage promis, et se remit entre les mains de la Justice pour estre punie exemplairement: le Samedy 19. jour de Novembre, 1608 [...]

Mais revenons au fin' amor et au Castelain de Couci (ou Coucy), ce n'est pas tout à fait comme dans certains récits au dénouement plus "classique" (!) où, le mari tue son rival et lui arrache le coeur, ni  comme l'acte de la Dame, qui d'ordinaire (!) dans le cas d'un immense dépit, met volontairement fin à ses jours. L'histoire est ici plus nouée, en voici quelque résumé encore assez léger (!). Le castelain (châtelain) Renaut de Coucy (Couci) se retrouve trahi par une ami jalouse qui va raconter toute l'histoire au mari de la Dame du Fayel. Celui ci décide alors de se croiser et d'emmener sa femme avec lui en Terre Sainte, mais le lecteur (malin) aura compris que cela n'est qu'un vile stratagème pour éloigner sa femme du bel amant qui ne pourra supporter de savoir la Dame, loin de lui et décidera alors de partir lui aussi en Terre Sainte. Le stratagème fonctionne à merveille, Renaut de Coucy s'en va pour la croisade, tandis que l'époux de la Dame au dernier moment, s'y refuse. Le Seigneur du Fayel se trouve provisoirement "débarrassé" de son rival. Pendant ce temps là, Renaut de Coucy  Après s'être distingué par son héroïsme en Terre Sainte, se retrouve mortellement blessé, il meurt sur le bateau qui le ramène en France mais auparavant il demande à son écuyer de faire embaumer son coeur et de le porter à la Dame du Fayel, comme on l'a dit, le mari intercepte le coffret, fait servir le coeur du Châtelain à la Dame, dans un dîner préparé dont elle se délecte, la dame peu après prendra connaissance de la composition du met, et jure qu'elle ne mangera plus jamais de sa vie, elle perd connaissance puis meurt dans d'affreuses souffrances. Le roman de Jakemes, est  bien sûr, plus sinueux que notre résumé et multiplie les extrapolations, les épisodes secondaires, à savoir tout de même que le banquet cardiophage, y est décrit dans ses moindres détails, à commencer par les conseils professionnels du seigneur de Fayel, au cuisinier, pour la préparation du coeur de son rival (coeur séché, précisons le !)  puis servi avec une succulente sauce de poule et de chapons... 

On retrouvera ce thème dans "Le Décaméron" de Boccace, (à moins que les deux récits ne soient encore très liés comme on le suppose) :

Guillaume de Roussillon tue Guardastagne, amant de sa femme, puis il fait manger à la Dame, le coeur de la victime. En apprenant la vérité, la malheureuse se défenestre. Elle meurt et partagera la tombe de son amant.

Boccace décrira lui aussi dans le moindre détail, l'action de Roussillon, lorsque par exemple, il extirpe de ses propres mains le coeur de Guardastagne.

Il prît un couteau et fendit la poitrine de Guardastagne. de ses propres mains, il arracha le coeur de la victime, le fit rouer dans un pennon de lance et le donna à porter à un valet, recommandant que personne ne fût assez osé pour souffler mot de l'affaire puis il remonta à cheval...

Une autre scène (encore plus écoeurante, si j'ose dire) concerne des instructions données à son cuisinier pour préparer le coeur de Guardastagne à la manière d'un coeur de sanglier, du moins, est-ce de cette façon un peu "arrangée" qu'il présentera "la chose". Extrait choisi (dans la langue puis traduit) :

"Prenderai quel cuor di cinghiare e fa che tu ne facci una vivandetta la migliore et la piu dilettevole a mangiar che tu sai ; e quando a tavola saro, me la manda in una scodella d'argento". Il cuoco, presolo e postavi tutta l'arte et tutta la sollecutidine sua minuzzatolo e messevi di buone spezie assai, ne fece un manicaretto troppo bueno.

"Prends ce coeur de sanglier, et tâche d'en tirer le ragoût le meilleur et le plus savoureux dont tu sois capable. Quand je serai à table envoie le moi dans un plat d'argent" Le cuisinier prit le coeur, mettant en oeuvre tout son art et tous ses soins, il le hacha menu, l'assaisonna à point de bonnes épices et en fît un plat délicieux

Nota 1 : Il est bien sûr déconseillé aux lecteurs jaloux d'appliquer ces recettes qui on l'espère, n'ont plus cours aujourd'hui pas plus en France qu'en Italie, une pratique qui "se joue" peut être encore chez Peter Greenaway dont le style baroque et l'oeil délirant (immense bond dans le temps, oblige) ne filmera jamais tout à fait les choses à moitié, (comme dans le film insoutenable mais visuellement et musicalement somptueux,"Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant" sorti en 1989) mais ceci est une autre histoire que je vous raconterai peut être un (certain ?) jour, si nos coeurs, entretemps, s'en trouvent quelque peu épargnés. (Ames sensibles, s'abstenir)

http://www.youtube.com/watch?v=fJTVKTubrt0

Nota 2 : les documents  qui constituent ce billet sont tirés de deux ouvrages "Chanson d'amour du Moyen Age" (cité en haut de page), puis de larges extrait du livre "Le coeur mangé" ou "Histoire d'un thème littéraire du Moyen Age au XIX em siècle", par Mariella Di Maio,  traduit par Anne Bouffard paru aux presses de l'université de Paris-Sorbonne (2005).

Autres liens autour du thème :

: http://www.medieval.org/emfaq/cds/clp9528.htm

http://www.youtube.com/watch?v=pTa_iWVO2rk

http://cedic.chez.com/graal/lachet1.htm

Photo : Retrouvée enfin, la tombe de cette pauvre Madame du Fayel. (L'inscription étant illisible, on dira que c'est la sienne et notre lecteur, (bon public) fera semblant de s'en persuader. Photographiée lors d'une promenade dans l'allée "des femmes infidèles", au cimetière du village médiéval de Bois Ste Marie, il y a bien longtemps... © Frb 2009.

mercredi, 15 décembre 2010

Déserts

Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente

CAMILLE CLAUDEL

Il y a toujours quelques sons dans les images image_0201.JPG

Je désespère parfois de ne pas vous amener là où il serait possible de me comprendre, je vous montre un chemin et vous me répondez qu'il mène nulle part, il ne s'agit que d'un chemin. Vous pensez aux destinations, vous êtes pressé d'arriver, et pendant nos conversations, je pose très patiemment un mot qui pourrait engendrer l'oisiveté, l'immobilité, d'invisibles ramifications tout cela me transforme à mesure que je parle. Cette façon ne me permet pas de songer à l'avenir.

Ce dernier jour est mon premier dernier jour ensuite je serai autre. Vous me regardez marcher au hasard, et vous dites que je patine, qu'il est impossible de savoir où je vais et cela vous angoisse. Vous préféreriez encore que je vous désigne "nulle-part", je mettrai une croix sur une carte. Je vous dirai "nous sommes ici" cela vous apparaîtrait encore comme une destination. Ainsi dois-je demeurer toujours un peu extérieure à ce pas qui est au dedans de moi, et qui ôte le sens à ma parole dès que j'essaie de vous le décrire. Si ce pas pouvait s'acheminer sans moi, je le laisserai vous conduire et m'abandonnerai là.

Je retrouve l'altitude dans des décisions singulières, de quoi nourrir des aventures d'une autre espèce, les convier à mesure, plutôt que d'attendre une providence ou un événement susceptible de renverser mes constructions. Un miracle pourrait-il durablement nous transformer ? Ne finirions-nous pas par nous en lasser comme du reste ? Le mener tout à l'ordinaire sans nous apercevoir à côté de quoi nous passons, sans nous soucier que cette chose qu'il nous a plu de saccager est arrivée une fois et ne reviendra plus jamais, quoique nous fassions. L'absence d'entretien tue nos forces. Le sacré, n'est pas ce quu'on croit il est plus libre toujours un peu hors de ce qu'on en a fait. St Paul n'a-t-il pas déclaré : "Tout est permis ?". On peut aimer les saints et ne pas croire en leurs prières ni en leurs Dieux.

Je songe à la voie de Tristan : sa passion désirait aimer sans limite au delà des formes et du temps, au delà du moi désirant, au delà de tous les attachements terrestres. Sa passion désirait ce cercle où l'amant et l'aimée puissent se confondre en un seul être dans le règne sans fin de l'amour sans réveil, alors rien serait ni vrai ni faux, ni tien ni mien, ni séparé. Si cela était de nos mondes, nous ne pourrions pas l'accepter, car nous serions dans l'innommable. Le silence qui naîtrait de cette confusion, de ces joies inconnues, de ce pouvoir délivrant toutes les possibilités humaines, nous serait intenable.


Dans le flot houleux
Dans l'éclat sonore
Dans la tourmente
Infinie du souffle du monde
S'engloutir
S'abîmer Inconscient
Joie suprême

Photo : Transformation d'une affiche de mode en simple cri encore humain, vue dans la vitrine d'une boutique de prêt à porter masculin au seuil d'un centre commercial pour lequel je ne ferai pas de publicité, c'était donc quelque part à Lyon, rive gauche, en Décembre .© Frb 2010

dimanche, 21 novembre 2010

Une heure ...

Quelqu'un m'a demandé mon âge,
Après avoir vu la vieillesse grisonner sur mes tempes
Et les boucles de mon front.

Je lui ai répondu : une heure.

Car en vérité je ne compte pour rien
Le temps que j'ai par ailleurs vécu.
Il m'a dit : Que dites-vous là ? Expliquez-vous.
Voilà bien la chose la plus émouvante.

Je dis alors :

Un jour, par surprise, j'ai donné un baiser,
Un baiser furtif, à celle qui tient mon cœur.

Si nombreux que doivent être mes jours,
Je ne compterai que ce court instant,
Car il a été vraiment toute ma vie.

lBN HAZM  (écrivain Andalou Xem et XIem s) in "Le collier de la colombe" ("De l'amour et des amants") éditions Actes Sud, Collection Babel traduit par Gabriel Martinez Gros. 2009.

Une heure0164.JPGIBN HAZM est un homme de l'an mil, un philosophe de souche andalouse né à Cordoue en 994 (384 de l'Hégire) mort en 1064, converti à l'Islam. (ABÛ MUHAMMAD ALÎ IBN AZM ou AL HAZM), fût poète, historien, juriste, philosophe et théologien il mît son érudition, au service de ses convictions politiques et théologiques. Son oeuvre est immense, 400 titres environ, (dont beaucoup de livres perdus ou brûlés par punition), "Tawq al-Hamama" ou "Le collier de la colombe", son ouvrage le plus célèbre, a été souvent comparé aux livres d'amour courtois, à la poésie des troubadours, composé à Jativa en 1027, il est consacré à l'Amour et aux amants. La dissimulation du langage est un des traits de l’amour. L’amant, quand on l’interroge, nie et se compose une apparence sereine :

 Il est donc vrai que l'amour est séduction spirituelle, une fusion des âmes [...] L'âme de l'amant est libre. Elle sait la place qu'elle partage avec l'autre ; elle vise à son voisinage, y tend, la recherche, désire l'aborder, l'attirer si elle pouvait, comme l'aimant attire le fer.

On connaît de lui un diwan, recueil de poésies qui reflètent ses tristes expériences. Ce livre reprend les idées courantes de la littérature arabe sur l'amour et le comportement des amants. Il s'inscrit dans la tradition d'une idéalisation "platonique". IBN HAZM s'est appliqué à faire éclater les idées reçues. Il s'est posé rapidement la question de la sincérité, il s'inspire finement de son expérience personnelle, pour atteindre des considérations psychologiques bien avant l'avant l'avènement de cette discipline, qui mettent en question le mystère de la sincérité de l'homme : 

L’homme se sert-il des mots pour se masquer, pour se donner telle ou telle apparence, ou trouve-t-il dans la puissance de ces mots les miroirs vivants dans lesquels il offre sa véritable image ?

Ainsi est posé le problème de la nature et de la valeur du langage, qui a inspiré à IBN HAZM les idées fondamentales de sa réflexion religieuse. On trouve dans son Kitab al-ahlaq wa’l-siyar (Épître morale) d’autres exemples de son acuité psychologique et ses ouvrages théoriques sont les plus connus dans son oeuvre. Selon IBN HAZM, le langage est fait pour la communication et son but est l’intercompréhension (tafahum).  Ce langage doit être clair, ne pas se construire sur des sous-entendus (taqdir) et ne pas être énigmatique. IBN HAZM a étudié le Coran, ses lois grammaticales, son lexique sa logique, mais nous ne traiterons pas ce sujet ici car un blog entier ne suffirait pas.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rh...

Son oeuvre est inspirée d'un fil conducteur que l'on retrouve dans toutes ses oeuvres, le pessimisme et une certaine misanthropie, IBN HAZM  est un des auteurs les plus personnels, les plus vivants de toute la littérature arabe, il a pourchassé, dans la religion et dans la connaissance en général, tout ce qui venait de l’homme comme erreur, vaine prétention, révolte. Son idéal était de retrouver, en toute humanité la pureté, la foi et la loi. 

Une amitié sincère ne naît pas en un instant et l’on ne fait pas jaillir la flamme à volonté. Elle se développe lentement et elle est enfantée grâce à une longue intimité ; ainsi elle acquiert des base solides, Elle n’est point sujette au déclin ni à la diminution ; sa stabilité et son accroissement ne sont compromis par rien. Ce qui confirme cela, c’est que tout ce qui naît et croit rapidement ne tarde pas à périr.

Pour IBN HAZM aimer, est une guerre civile, c'est choisir, contre tous les autres, un seul être, qui se distingue par l'amour même qu'on lui porte. "Car l'amant est un étranger au pays du partage, un barbare travesti dans la cité, hostile à ses lois, à ses usages. Et quelle force, sinon l'amour, serait en mesure de tisser dans la mémoire des liens qui uniraient les hommes, après avoir su rompre ceux du quotidien ?" (Extr du texte de présentation de l'ouvrage)

 "Le collier de la colombe" débute ainsi :

"L'amour commence en plaisanterie et s'achève gravement"

 

Ensemble IBN ARABI : "Ne t'éloigne pas de moi"
podcast

 

 Photo : Les dernières fleurs avant l'extinction de toutes les fleurs et l'arrivée des neiges, photographiées place de la bourse à Lyon presqu'île, par un jour ensoleillé de November. © Frb 2010

samedi, 20 novembre 2010

November (Version poétique)

Petite balade sentimentale et sensuelle à travers le champ lexical des poésies de Paul Verlaine aux doux titres de "Chair", "Chanson pour elle" et "Parallèllement"...

Les personnes terre à terre s'y retrouveront plus sûrement en cliquant sur l'image.autiste.JPG

Amour, diable, ange, impitoyable, méchant, redoutable, loup, beaucoup, hou ! hou !, cou,  roucoulant, métamorphoses, lèvres, rouges, moues, finir, blanche, lys, blonde, perfide, onde, vide, beaux, sein, braise, fortune, foutaise, lune, fraise, châtaine, chose,  turlutaine, ébène, femme, reine, toi, moi, brûlant, moqueur, mignon, Styx, vainqueur, chevelure, longue, encolure, repas, lèvres, ivresses, diaboliques, multiples, rallier, seul, fatigué, paraître, fol, arc, parc, cibles, rosâtres, flocon, trahir, secret, blâmer, roi, photographie, sage, libertin, fredaine, crime, nom de Dieu !, galopine, vrille, ce jourd'huy, soixante treize, ardent, appât, appétent, fressure, tête, émouvante, outre vit, lascif, muscles, amusante, zut !, bergère, saccager, peluche, solitaire, dormir, maligne, délétère, se taire, coi, paix, pourquoi ?, question, pleine, plaise, jeux, Waterloo, Paris, énerve, tableau, joie, faveur, tromper, ta proie, reprochée, grande maîtresse, j'adore, coeur amoureux, papefiguière, à l'encontre, mieux, grâce, harmonie, mol, aboutissant, venelles, richement, ondoie, incessamment, frisotté, copeaux, abîmé, béant, peur, entrée, danse, variation, caverne, fraude, hic et nunc, divine, dépit, outre, parbleu, possible, plume, plaindre, mourir, tocs tocs, tics tacs, trac, mon Dieu, ennui, entrailles, braves, graves, pleurer, cadavres, vive, pire, navre, estropié, roué, coups de poing, dégoût, hormis, fog, fade, clair, Leicester, Londres, square, savoureux, hagard, retenir, elle, m'aime, vertueuse, possède,  intelligents, indulgents, seize ans, vingt ans, corsage, clabaudant, si ça te plaît, accessible, valet, soufflet, proverbes, alentour, caresses, le soir, définitif, seul témoin, te baise, embrasse, aime moi !, sans toi, gueux, doigts, sous-sols, royaume, gaîté, à nos nuits, tes bras, vaillance, vin, science, gonfler, qu'importe ! pardon, je t'étreins, zut au monde, jaser, te fuir, poète, derniers jours, poudre d'escampette, nigaud, un quart d'heure, mendigot, autans, grosse bête, en dépit de tout, factice, qui supplie, crocs blancs, désir fou, tu pardonnas, aimons !, exprès, simplicité, flûte, basse, pièges, desseins, alarmes, champignon, cerfs, lestes, je fais l'âne, la défense, les us d'été, le frisson, pelotonne, morose, dormons !, corps et âmes, jamais, ta façon, ivoirine, perverse, ma chair, ma parole, nom d'un chien !, madame, on profite, éterniser, bécots, biaiser, insomnie, bénie, consoler,  terrible, chérie, esprit, lutter, luth, bien se faire, m'amante, tu bois, hideux , honteux, soumis, tigresse, cochon, cabochon, en sus, fainéantise, obstination, humeur de dogue, baisons nous, désordres, coeur infidèle,  voilette, mes cieux, la tournure, caricature, somptueux, robe, cache, charmes, cher délice, mollets, autel, obstacle, soir et matin, armure, ad hoc, blancs, gras, tout nus, vêtement, mode, cambrés, parfums, sa croupe, plis de batiste, bousculer, à côté, humble, hiver, défavorable, réchauffâmes,  campagne, glacés, intruse, opulence, crois-moi, gueuserie, tu te piques, hypocrite, duperie, moineaux, vertement, soyons scandaleux, sinon, cyniques, oubli, veux-tu ?, lanterne, Sauterne, vieux coeur, au feu, tout flamme, sacré, galbe, souvenirs, collège, tes hanches, mangeurs, marc de café, grands jeux, grands yeux, jours néfastes, heures bleues, nuits blanches, tu cherches, c'est rigolo, deux seins, bredouille, sottement, infructueuse, mille poses, tas de choses, bouche pleine, val ou plaine, élasticité, haleine, âge d'homme,  criarde, criard, révoltant, un peu, aveu, coureur, encore,  nos instants, exquis, confiants, coquins, mesquins, la femme, l'idéal, à genoux, tyrannique, satanique, cocodette, flemmes, gamine, dégoise, petite oye, grammaire, mettres, oreille, loisible, fâcheux,  antique, roi déchu, fleuve lent, faune, somnolent, naïade,  galant, suranné, opéra, destinée, hirondelles, cheveux de jais, peignoirs, asphodèles, lune, émotion, moite, couple, balcon, sombre, mélodrames,  ambre, or blond, valses, innocence, mousseline, lueur, opaline, mollement, rieuse, argentine, enlace, esseulée, rousse, émoustillée, charmille, arrosée, pâmée, pantelante, bien aimée, gorge, stigmate, maturité, louve,  rêves, victimes, phaon, dédaignées, immenses, vierges, encor', flamboyante, paupières, cascatelles, crinière, moire, noire, pâle, laide, poudre, allure, débaucher, mienne, toison, chantre, rare, suave, lait, cuisses, ventre, sens, lit, toujours, oreiller, draps fous, nue, canapé, jaune, presque nue, dentelles, délirante, impérieuse, méchante, clair de lune, coude, sourcils, caprice, adore, ébats, orgueil, fesses, bleu, dur, volée, cierges, angélus, sacrements, boniments,  boire, remords.

Photo : La feuille d'automne du Paul tombée sur un vitrage opaque fixé au sol entre deux dalles, photographié à Lyon presqu'île, par un jour pluvieux de November. © Frb 2010

mercredi, 17 novembre 2010

Nous semblons insensés les uns aux autres, disait autrefois Saint Jérôme

cluny0107 nb2.jpgLes ponts bougent dans la nuit se déplacent tels des radeaux à la dérive, avec les lumières qui traversent les âges. Des jeunes filles s'y attardent portant l'amour aux inconnus qui vont sur elles à nouveau, sans histoire. Ils ne demandent rien d'autre, chaque nuit, qu'un peu de considération, c'est toujours la même chose, il suffirait de presque rien. Ensuite le soleil se lèverait. Et chacun serait séparé jusqu'au soir. Puis les nuits qui suivraient, on verrait encore les ponts bouger un peu, rassembler entre les rives opposées, des passeurs invisibles qui inventeraient un mot nouveau pour chaque nuit et ainsi de suite...

Tout cela ne s'unirait jamais au petit jour, tout invisiblement, se balancerait entre les ponts, contre l'assaut des aiguilleurs qui assiégent la ville, portent les hématomes, la sanction pour qui dépasse la ligne, jusqu'à ce que les premières neiges assourdissent l'écho de tous ces combats éperdus.

Il y aurait ceux qui vendent les fleurs, avenantes sur les marchés et laissent des grands bouquets de lis (ou lilium candidum) un peu défraîchis, aux balayeurs. Il y aurait des vieilles qui se traînent à genoux dans des églises priant on ne sait qui.

Il y aurait la satiété dans les grands restaurants, et des phrases à rallonge pour présenter une simple entrecôte pincée de gros sel sous sa noisette de beurre, accompagnée de pommes dauphine. Il y aurait pour chaque dessert dans ce même restaurant les tartes au citron meringuées ou au choix, les pommes cuites au four servies avec du caramel, des éventails de biscuits parfumés de cannelle en forme de petits doigts coupés et la crème chantilly, pour le modeste supplément de 1,58 euros.

Il y aurait les buveurs de Gueuse-cerise, la mort subite aux terrasses, et des hommes d'âge mûr aux fonctions importantes, soudain pris de panique à l'idée de mourir d'un infarctus, au volant de leur voiture entre deux déplacements.

Il y aurait des femmes de ménage trouvant des lettres compromettantes au fond d'une corbeille à papiers, et des secrétaires aux cheveux défaits par la brutalité d'une étreinte un peu forcée, submergées par l'amour au milieu d'un parking. Elles soupireraient peut-être d'une joie, d'une honte de ne pouvoir bien jouir qu'au coeur de la saleté.

Il y aurait des enfants qui rentreraient gaiement de l'école sans savoir que leurs parents se déchirent.

Il y aurait des fadaises pour cette petite employée de maison, des amants en dépit couvrant de ridicule le sexe et la façon d'aimer d'anciennes péronnelles, au zinc du café des artistes.

Il y aurait la trahison, permettant à chacun de se mettre en valeur au détriment de l'autre. Il y aurait des chiens écrasés, pour de vrai, pour de faux, des visages tristes croisés dans une rame de métro, et qui pour la journée inverseraient le cours des choses.

Il y aurait des amitiés furtives, les liens dépossédés, les bonnes et les mauvaises manières, cette haine contenue dans des formules de politesse, abusant de l'espace public pour démanteler les saloperies humaines, qui viennent des autres, évidemment.

Il y aurait le reniement de soi consenti comme une évidence qui pourrait garantir à chacun et chacune autant l'illusion de son libre arbitre qu'une crédibilité incorruptible aux yeux du monde.

Puis, il y aurait les yeux du monde, à l'affût de nos faiblesses, aveuglés des sentences de la bonne et mauvaise conscience ; derrière chaque acte délictueux, il y aurait l'ignorance du code civil, les petites procédures intimes et des hommes en robe noire et collerette blanche, qui défendraient l'innocence ou le crime tout cela au même tarif, des remises de peine, des années de prison avec sursis, le bureau des greffes surchargé, des audiences ajournées et des procès qui se termineraient par une pire injustice dont les conséquences désastreuses n'intéresseraient personne.

Il y aurait des gens dans des téléphériques qui suivraient des yeux le mouvement des oiseaux migrateurs, rêvant de ne plus jamais interrompre le voyage qui les porte et constitue leur seul moyen de tenir debout, désormais, les pieds sur terre en apparence. Il y aurait la reproduction la mue, la migration de tous de nos entretiens.

Un coucou geai tombé du ciel, dont on ramasserait le corps au cap nord suite à un déréglement de sa boussole interne ; il y aurait les insectivores à la recherche du refuge de l'Alceste qui regarde en silence toute saison comme le prolongement de l'hiver.

Il y aurait les cigognes noires, le sterne arctique et le rouge gorge, tous ces oiseaux qu'on invente qui passent en grillant nos cervelles, ou couverts des louanges des fruits de fin d'été délivrant en automne les poisons du vérâtre blanc.

Il y aurait le pluvier doré qui survole l'océan pacifique sur 3 300 km pour rejoindre les îles Hawaï, le souci de la nourriture disponible, de la tranquillité, et cette indifférence au comptage des ornithologues.

Les ponts bougent dans la nuit, se déplacent tels des radeaux à la dérive, avec les lumières et tous les artifices dans tous les estuaires, dix mille huîtriers-pies en stationnement sur les vasières ; l'impuissance des granivores, et les prédateurs en sommeil, réveillés par les oies cendrées qui déplient le plan à l'envers en modifiant très lentement la composition de l'atmosphère.

Il y aurait des hypothèses à l'approche du danger, des captures imperceptibles après la découverte de pinsons dans des plats préparés. Il y aurait la peur d'être contaminé ; de grands élans d'amour, de solidarité, quand la nuit reviendrait qui déplacerait ses ponts à l'avantage des uns au détriment des autres. Il y aurait la Veuve Clicquot au cul trempé dans un seau d'eau glacée, accompagnant des toasts tièdes tartinés d'un pâté d'hirondelle. Chaque nuit apporterait sa joie nouvelle avant que le jour revienne mettre les choses en ordre, jusqu'au soir, et ainsi de suite...

 

Extr de "Genre humain" à écouter : ICI

 

Nota : Le titre de ce billet est une phrase empruntée aux "Sermons" de Bossuet.

Photo : Un animal étrange perché entre deux rosaces : un fragment de chapiteau médiéval datant du X em siècle, photographié lors d'une exposition splendide à l'abbaye bénédictine de Cluny (jadis, le plus grand édifice de la chrétienté avant St Pierre de Rome) et visité, à l'occasion du onzième centenaire de l'abbaye, au mois d'août l'été dernier. © Frb 2010.

mercredi, 27 octobre 2010

Nuit et jour (Part I)

Derrière le monde dans lequel nous vivons, loin à l'arrière-plan, se trouve un autre monde; leur rapport réciproque ressemble à celui qui existe entre les deux scènes qu'on voit parfois au théâtre, l'une derrière l'autre.

SOREN KIERKEGAARD extr. "Le Journal du séducteur" (1843), éditions Folio 1990.

Pour lire la partie II de "Nuit et jour" vous pouvez cliquer sur l'imagboulange.JPGe

La nuit confond tous les langages. L'éloge et la pagaille qui vient après la fantaisie quand l'animal se rhabille en vitesse et va se consoler à la boulangerie, pour goûter dans la rue, le quignon d'une banette "Moissons". October précise l'avalanche. Toutes les villes grondent et je suis partout, à la fois, à Paris, à Brighton ou à Lyon, cherchant les brumes, je promène mon esprit sur un damier usé, beau comme un palimpseste. Je lis une lettre fauve ivre du grand secret, postée d'une tour endormie. 

 Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s’étonne, on s'étonne
Et on vous regarde ...

Je compte et je recompte, plus de mille et un jours, tant d'âmes se sont noircies. Les passions immobiles rendent leur brumes à l'aube ; sur elles les coucous pondent des théories issues des grandes industries. Les vrais professionnels ont horreur de la poésie. Un monstre habituel ouvre ce ventre et fouille dans nos petites horloges, piqué comme un monument de sottises, sucrant nos fraises juste après les émeutes. Plus haut sur la colline, un monde englouti de guimauve, butine un boulevard rongé de transes, on y croise parfois des vieillards, portant tous la même gabardine, assis sur des bancs, ils récitent avec des voix d'enfants l'alphabet à l'envers, disent cent fois le même souvenir. Les autres dans la maison du "quatrième âge", ("L'Hermitage" qu'elle s'appelle), ordonnent bien patiemment les syllabes d'un jeu, sur des tables disposées en rond et se gardent pour la bonne bouche le panier en osier, les violettes en papier crêpon. Le désordre des esprits est une splendeur à moudre, plus personne ne peut jouir tranquille, (même dans son coin), de toutes sortes de déréglements. Le monde est droit. On m'apprivoise. Plus personne ne pourrait trouver les rages du Cobra et des fauves au coeur de l'uniformité qui vient. Nous sommes codés mais pas encore détruits. En quête du dernier mot, nous tentons d'en sortir, tous-un-chacun conscients des ruines, et nul encore ne songe à recourir à l'alchimie : amalgame philosophique, aimant des sages, transmutation...

Le jour brûle et c'est un peu triste de penser à ce temps qui vient. Triste comme la jachère, nous nous appliquons à la tâche malgré tout et selon. Maintenir nos acquis puis dire "Je suis comme ça, il n'y a rien à y faire, pardi !", avec nos têtes de rats, nos têtes de chiens, d'oiseaux genre canaris ou vautours tapant du poing, beaux sur nos pattes, avec nos têtes de fouines, nos têtes de lapins blancs planqués dans des capuchons molletonnés, nos têtes de mort de ta race infidèle, nos têtes raides et fières, têtes d'eskimos glacés à la sortie du "Titanic" fondant bêtes comme chou pour une histoire d'amour qui finit mal ou bien, nos têtes à demi-notres sur des corps couverts de réclames. Nos bouches sont rouges de la colère, et du gloss des city-marchés, crachant des noyaux de cerise pour ces temps bousculés par les catastrophes présentes, par la tronche du Cribe et de la grosse Trischine qui s'en va déclarer à la télé sans le moindre sentiment de honte "je suis un être humain, j'ai un coeur comme tout le monde".

Le jour brûle, embrase tout, portant au poème un cuivre érodé par l'automne, quelques feuilles sur les ponts au dessus des fleuves et le feu prend juste entre les deux, tout en haut des tours éveillées, endormies, selon les heures, jour et nuit enfin liés par la note pincée d'une gigue sur une corde de luth nommée "chanterelle". Et le hasard m'attache aux choses infimes, en elles, j'espère être annulée. Je me balade sans rien penser puis je tombe sous l'enseigne de monsieur Chr. Rodrigue (il a du coeur, vous le saurez), par cette minuscule ruelle, courte et droite qui part de la rue de Brest atterrit à Mercière, en perpendiculaire avec vue sur la Saône et ses baigneuses lascives (j'exagère ! qui pourrait croire une chose pareille ?). J'achète un petit pain viennois constellé de pépites, j'interroge la marchande sur la texture du pain. Je lui dis que les oeuvres de Rodrigue m'intéressent, et soudain je me trouve transportée devant un four à pain. J'écoute le poème de la commerçante (la mie de Rodrigue ?), qui me chante avec des mots simples comment ce pain est fabriqué, "blanc comme la peau d'un nouveau né, onctueux à merveille, et croustillant autour ". Combien de nuits à transpirer pour mettre au point la dite texture ? Elle le dit, la marchande : "ce pain est fabuleux !". Elle fait sonner les adjectifs dans sa bouche, les alanguit, forçant mon air blasé, jusqu'à ce que mon entendement s'y soumette, me voilà désarmée, prête à livrer combat pour la mie tendre, la croûte dorée à point de ce "pain fabuleux". J'opine et je dis "oui !". Enfin, la boulangère ne peut dissimuler sa joie, elle m'emballe avec des gestes tendres, le pain dans un beau papier blanc, où Rodrigue a écrit, on dirait, de sa main, en fines lettres dorées des bribes d'une fable de La Fontaine "par l'odeur alléchée", jouxtant l'histoire de la "Banette", et sur cette note guillerette en caractères gothiques on peut lire au sommet : "Artisan boulanger". Ainsi, ma journée se trouve embellie et dans mon imagination envoûtée par l'endroit, je me surprends à transposer la tendresse infinie de la marchande et de son boulanger à 6,793 milliards d'êtres humains ; ce qui produit sur moi un effet quasi hallucinatoire démésurément empathique. Je sais bien que c'est une niaiserie, mais cette niaiserie suffit à faire de moi un être différent, entièrement pétri d'amour, pour quelques heures au moins...

Photo : L'enseigne et son poème, plans de vies parallèles, la vitrine de la boulangerie de monsieur Rodrigue, et juste derrière un autre monde moulé dans celui-ci. Photographié fin Octobre, sur la presqu'île dans le 2em arrondissement de Lyon. © Frb 2010.

lundi, 18 octobre 2010

Avalanche

La recherche de l'intensité veut que nous allions d'abord au delà du malaise.

GEORGES BATAILLE, extr. "La littérature et le mal" (à propos de "La sorcière" de Jules Michelet), éditions Gallimard 1957.

avalanche_0093.JPGTout t'épuise. C'est cela qui resplendit, le déplacement de toutes tes vies jusqu'au plus grand flou possible ; la confusion entre les joies dilapidées et le pic hormonal normal, comme si l'impression nette de toutes tes expériences avait nourri pendant longtemps un but sans fondement véritable. Le flou et tous ses avantages, abhorrant tes antécédents, les trouble, dénude un fil étrange qui menace à présent ton ouvrage. Tu vois pousser des tulipes au milieu de ta maison. Tu perds la boule puis tu pars en haillons marcher sur une plage et tu sens tout le sable et le sel ronger le cuir de tes souliers. Il te faudrait de l'imprudence pour allonger la dulcinée au milieu du salon, dans ce feuillage exubérant, la regarder s'étendre sur tes pieds nus réchauffés par l'amour, tes pieds tout neufs. Elle s'aveugle à tes pieds. Tu es une idole immortelle. Tu grandis. C'est cela qui réchauffe, elle resplendit en toi. Tu dis que les herbes sont plus hautes quand elles repoussent à l'intérieur, entre les murs ou aux plafonds, nul ne te contredit, oui, c'est logique tout ça. Et tu tapes en cadence, ta petite chanson. Une pelle, un rateau dans tes mains, sur ton ventre accroché, le jouet tient par un ruban aux couleurs de tes mondes, tu tapes sur un seau aussi rond qu'un tambour, et tu chantes à tue tête sans te soucier du faux. Les notes avenantes cristallisent tout ce qui reste à goûter de silence ; la dulcinée se couche dans l'herbe folle parmi les tulipes floues dessinées par les monstres qui pressent dans la nuit des tubes de couleurs chaudes. Les jaunes de cadmium coulent sur les végétaux leur conférant d'artificielles callosités en forme de pétales de rose. Les bulbeuses prolifèrent entre les lianes nouées de lierre, et toi tout enlacé d'amour, tu sens quelque chose comme une pierre qui te coule au fond, un point fondu dans ton système, une drôle de solitude. Il reste une question que tu n'arrives pas résoudre, cela ne finit jamais, ça te venait déjà quand tu vivais sous terre. Tu demandes à la dulcinée, elle qui ne t'écoute jamais, elle qui t'aime sans rien dire, qui te veut immortel, à la manière de ces rois embaumés, les pharaons. Tu la couvres d'énigmes puis tu fais voyager sur son corps l'excès fantômatique revenu des sables, tu tamises et verses grain par grain ton sel. L'évènement, tu le passeras sous silence, il se couchera sur ta chanson qui resplendit toujours et mutile constamment tes sens. Enfin, il y a ces gens qui reviennent chercher leur dû. Des montagnes de sel entourent la plage, tu entends. Quand elle respire c'est encore leur respiration, il remontent la pente où tu les as laissés pour morts, par négligence, parce que c'est humain d'oublier. Tu les vois, ils sont flous, ils sont là, ils s'amusent et remuent dans ta tête des flaques d'eau miraculeuse avec leurs doigts, leurs sales doigts qui se mêlent, à chaque fois, c'est pareil, plus tu les noies, plus ils remontent.

Photo : Flou urbain (et humain ?). Dans ma rue, quand la nuit tombe, toutes les fenêtres fondent, c'est ainsi. Photographié à Lyon, quelque part à Croix-Rousse, par un beau soir d'Octobre, (le nom de la rue restera sous scellés). Frb © 2010.

mercredi, 22 septembre 2010

L'oiseau qui cachait la forêt

 Rousignol du boys ioly
a qui la voix resonne
pour vo’ mettre hors dennuy
vostre gorge iargonne gazouille
frian frian tr tar tar tu
velici ticun tu tu
qui lara fereli fi fi
coqui oy ty trr
turri huit teo turri quibi
frian fi ti trr tycun
quio fouquet fi fi frr

 Extrait d'une chanson tirée du "Chant des oiseaux" de CLEMENT JANEQUIN

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”Cela fait trois jours que je me suis installé là, au guet de tous vos faits et gestes, face à votre fenêtre, longtemps je me suis demandé si mes ailes parviendraient à m'amener jusqu'à vous, sous ce ciel bleu, qui pâlira de jour en jour et va, le soir, manger notre lumière de plus en plus tôt, avant que la nuit ne dévore la lune dans laquelle par un beau désordre croissant je me trouve quand je rêve de vous.


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Je suis revenu d'Afrique par un long vol de plus de cinquante jours, si je ne veux pas mourir de froid, cet hiver, il faudra bien que j'y retourne. Mon plumage noir ne suffit pas à me chauffer pour deux, ni à m'offrir une endurance suffisante aux pluies, aux neiges...  Ainsi devrai je choisir chaque automne, entre mourir de faim, de froid, que sais-je ? Ou redouter déjà, dans un pays lointain, de ne plus vous revoir à mon retour. Sachant vos coutumes humaines et urbaines si changeantes, la mode étant souvent chez vous de raser toutes les choses où l'on se plaît, je redouterai, à distance de retrouver mon fil arraché par les folles machines d'un dénommé John D., et je me troublerai d'avoir perdu l'observatoire sur lequel j'adorais vous parler sans rien dire, ou encore, manquerai-je cruellement de vocabulaire pour demander à un riverain de votre allée, si par hasard il connaît votre nouvelle adresse, à supposer que vous n'ayez pas changé de ville...


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En vérité, qui pourrait deviner à quel point tout cela m'est cruel ? Depuis trois jours, rue de la Tourette, j'effraie les diligences, comme si ma noirceur minuscule augurait toutes les catastrophes possibles, et cela sûrement à cause de ce cinéaste anglais qui eût tant de succès avec un film idiot destiné à nous nuire. Comme je le hais parfois ce gros bonhomme hideux. J'espère que vous ne croirez pas toutes les images qu'on vous montre ! à part les pigeons qui sont sales et stupides, nous autres les oiseaux, nous sommes peut être des créatures plus affables que vous, mine de rien.

Je me connais impatient de ce réel idiot, qui me prive de vous, "nous ne sommes pas du même monde" dites vous ? Pourtant quand je vous vois apparaître derrière votre rideau assez fin pour que je m'y projette, quand j'aperçois votre silhouette qui m'est tout, je sais qu'au delà de nos apparences, nous nous ressemblons bien tous deux, que vos rêves s'il vous poussait des ailes vous feraient peut être ange, tandis que je ne suis à vos yeux qu'une bête. Je sais que mon plumage par nos mondes rejoints, (quoique vous le contestiez), s'est enfoui tout à l'intérieur de votre âme où je respire cette noirceur du diable aussi profonde que mon habit, qui vous ferait frissonner si l'audace me prenait de me poser sur votre épaule. Je sais que vous grelottez dans le froid l'hiver, à l'attente du premier tramway tandis que sur ma branche, mes pattes tremblent aussi, quand le vent se met à souffler, vous voyez, je fais tout comme vous et chez vous c'est tout comme ici, l'hiver s'en vient envahir tout, même l'Afrique quand nos êtres se brisent à s'aimer en un point bien trop loin de l'autre. Je vous confierai davantage : si je chante si fort là bas, c'est pour que l'écho de chacune de mes vocalises revienne chaque jour attendrir votre humeur, ainsi je m'applique à battre le trille comme s'il était précédé d'une appogiature, celle qu'on trouve dans la "grande musique", et qui soutient merveilleusement l'écoute. Afin de mieux séduire votre esprit à l'affût , j'ai dû me décarcasser (si j'ose dire), à demander à monsieur Pierre BELON (mon ami garde-oiseaux au Parc de la Tête d'Or), de vous parler de ma nature et de glisser sous votre porte un manuscrit enluminé dont j'ai picoré chaque lettre pour y planter quelques graines d'euphorbes dites "diamond frost" celles ci au suc laiteux, vous reviendront en fleurs au mois d'Avril par mille blancheurs poudrées dont le parfum s'évaporera discrètement dans vos cheveux. Ainsi Pierre BELON me supplante, puisque je ne peux m'adresser directement à vous aussi bien que le fait votre vieux hibou  trop vieil époux (que j'abhorre) et dont je suis très jaloux à vos yeux, si charmant.


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Ainsi comme le veut la saison dans quelques jours je m'en irai. Savez vous, mon amie, que ces trop longs voyages font un tri effrayant entre nous ? Les plus faibles n'en reviennent jamais, je n'aurai certes pas à vos yeux la puissance du grand cormoran dont le "vol" en "V" est si spectaculaire, dont les battements d'ailes alternent avec ces vols planés que je n'ai jamais su faire, même si j'ai essayé, en vain. Non, je ne sais pas si j'aurais l'ardeur encore cette année de ne pas tomber d'épuisement au milieu de la mer. Saurez vous seulement qu'en mourrant, sur la dernière vague je poserai un baiser ? Même s'il est vain de vous soucier, je prononcerai en ces lieux, votre prénom qui dans la langue oiseau signifie "beauté éclatante".


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Et quand je reviendrai l'année prochaine, si je reviens, je glisserai dans mon bec délicat, quelques brins de ces fleurs tropicales. Je porterai moi même sur votre balcon ce paisible ornement, nommé "cassia mimosoides", une plante rare, un trésor odorant, que je déposerai à vos pieds, en gage de ma fidélité. Et cela sera pour vous tel n'importe quelles graminées ordinaires, je suppose que vous n'y verrez qu'une de ces nombreuses saletés amenées par le vent d'automne, comme la "rousse" chantée par Verlaine. Il se peut que vous chassiez vous même, cette plante à coup de balai, ignorant que des mois entiers j'ai dû traverser des déserts au risque de ma vie pour vous la dénicher. Mais cela est sans importance, tout conte fait...

Dois je pour terminer, vous prier de ne pas accorder trop de gravité aux défauts de mon caractère ? A mes plaintes que votre indifférence aura accentuées au fil de la saison et lisez sans attendre le manuscrit de monsieur Pierre qui doit à présent se trouver sous votre porte : 

(1) "Qui voudra avoir plaisir indicible aille l’esté s’asseoir sur la rive de quelque douve, où il y ait  d’infinis petits Halcyons vocals que nous nommons en françoys Rousseroles. Il n’est homme, s’il n’est du tout lourdaud qui infailliblement, s’il y prend bien garde, n’en soit rendu triste ou joyeux... D’une mesme haleine il (l’oiseau) maintient sa voix, tantost si haute qu’il n’est dessus d’instrument d’ivoyre qui y puisse monter, tantost si basse qu’il n’est dessous d’un pot cassé qui puisse descendre si bas. Entre autres, il semble quasi prononcer : toro, tret, fuis, huy, tret ; et en réitérant tel chant en diverses manières passer les nuictées sans cesser... Les païsans accoutumez de l’ouïr ont tellement retenu son chant qu’ils en ont fait des chansons si impudiques à la prononciation, qu’il ne seroit licite de les escrire... "

 

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Acceptez également avant que mes camarades de route ne viennent troubler notre précieuse intimité, (d'autant plus précieuse qu'il me semble que ce voyage sera peut-être le dernier), de vous laisser quelques uns de nos chants, c'est la dernière petite chose que je peux vous offrir, mais peut être qu'en les écoutant tous ensemble, en même temps, y trouverez vous, par un jeu d'accords mélodieux voire d'alternances à votre guise, le souffle entier d'une forêt...

Adieu, donc, espérez que je reste en vie, autant que je l'espère pour vous ; de tout coeur, à jamais.

Votre Oiseau.”

(Extrait du Journal de l'oiseau chap V, p. 68, editions "Duplon-D'Anlèle" 2010.)

Ref : (1)  Pierre BELON, Histoire de la nature des Oyseaux, Paris : Gilles Corrozet éditeur, 1555, p. 221.

Photo : Petit oiseau mélancolique sous le grand panneau des départs, ou au guet. Observatoire de la rue de la Tourette à Lyon. Septembre. © Frb 2010.

vendredi, 06 août 2010

Par une grande innocence ...

Le silence est l'élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu'enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu'elles vont dominer.

MAURICE MAETERLINCK, "Le trésor des humbles", éditions Mercure de France, Paris 1896

La musique est dans les ombrages. Pour l'écouter vous pouvez cliquer sur l'imageforêt.JPG.

Dans un monde de rudesse l'amour pourrait être presque doux. L'amour est tout, si malmené parfois, en s'éclipsant il se révèle mais cela est encore trop simple ou bien trop archaïque, qu'on ne peut si clairement en exposer la thèse et dénouer les fils qui trament les intrigues tant celles-ci se jouent de la coïncidence et du charme des opposés laissant l'homme et la femme impuissants face à leur destin. Nous sommes en 1892, Maurice MAETERLINCK crée "Pelléas et Mélisande", une histoire magnifique mise en musique avec raffinement, par le compositeur Claude DEBUSSY. Le récit reste fidèle, au livret de Maurice MAETERLINCK, c'est une transposition de l'histoire de "Tristan et Yseult, (ou le drame éternel et classique de deux jeunes gens qui, passionnément épris l'un de l'autre, voient la réalisation de leur amour empêchée par la présence d'un vieux mari jaloux et violent, leur amour avéré impossible, ne pourra s'accomplir que dans la mort). Claude DEBUSSY bien qu'employant toutes les ressources du leitmotiv, ne mena pas sa composition de la même façon que WAGNER, il dira à propos de son opéra en 5 actes et 19 tableaux :

"J'ai voulu que l'action ne s'arrêtât jamais, qu'elle fût continue, ininterrompue. La mélodie est antilyrique. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie. Je n'ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d'exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s'efface dès qu'il convient qu'elle leur laisse l'entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur."

L'intrigue, nous la résumerons très succintement ainsi : Lors d’une partie de chasse, Golaud, prince du royaume d’Allemonde, se perd dans la forêt et rencontre au bord d’une fontaine une petite fille en pleurs désolée d’une mort déjà annoncée. Golaud la prend pour femme et la ramène au royaume d’Allemonde, sans connaître rien de son passé. Pelléas, demi-frère de Golaud, ne tarde pas à succomber au charme de la douce Mélisande et les deux jeunes gens s’avouent mutuellement leur amour. Golaud les surprend et, sous l’emprise d’une jalousie délirante, surgit par derrière un arbre et, "parce que c’est l’usage", frappe de son épée Pelléas qui tombe près de la fontaine, tandis que Mélisande s'enfuit légèrement blessée. Elle donnera naissance à une petite fille dont le destin s’annoncera tragique. "Vous ne savez pas ce que c'est que l'âme", soupire le vieux roi Arkel, aïeul de Golaud, au chevet de Mélisande. C’est pendant ce discours que Mélisande meurt discrètement. Le vieillard se lamente :"Je n’ai rien vu… Je n’ai rien entendu… Si vite, si vite… Tout d’un coup… Elle s’en va sans rien dire". En profonde détresse, les personnages se taisent ou s’expriment dans des paroles floues ou obscures. "Je ne sais pas ce que je dis" avouera Mélisande. Ces êtres au destin incertain semblent se mouvoir dans un ailleurs, imperceptiblement inscrit en ce monde. Ils n’agissent pas, au contraire ils sont agis et subissent leur sort en silence. Peu de choses sont dites tout n'est que suggéré...

"La parole est du temps, le silence de l'éternité. Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications véritables entre les êtres. Les lèvres ou la langue peuvent représenter l'âme de la même manière qu'un chiffre ou un numéro d'ordre représente une peinture de Memlinck, par exemple, mais dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous sommes obligés de nous taire ; et si, dans ces moments, nous résistons aux ordres invisibles et pressants du silence, nous avons fait une perte éternelle que les plus grands trésors de la sagesse humaine ne pourront réparer, car nous avons perdu l'occasion d'écouter une autre âme et de donner un instant d'existence à la nôtre ; et il y a bien des vies où de telles occasions ne se présentent pas deux fois… 
Nous ne parlons qu'aux heures où nous ne vivons pas, dans les moments où nous ne voulons pas apercevoir nos frères et où nous nous sentons à une grande distance de la réalité. Et dès que nous parlons, quelque chose nous prévient que des portes divines se ferment quelque part. Aussi sommes-nous très avares du silence, et les plus imprudents d'entre nous ne se taisent pas avec le premier venu. L'instinct des vérités surhumaines que nous possédons tous nous avertit qu'il est dangereux de se taire avec quelqu'un que l'on désire ne pas connaître ou que l'on n'aime point ; car les paroles passent entre les hommes, mais le silence, s'il a eu un moment l'occasion d'être actif, ne s'efface jamais, et la vie véritable, et la seule qui laisse quelque trace, n'est faite que de silence. Souvenez-vous ici, dans ce silence auquel il faut avoir recours encore, afin que lui-même s'explique par lui-même ; et s'il vous est donné de descendre un instant en votre âme jusqu'aux profondeurs habitées par les anges, ce qu'avant tout vous vous rappellerez d'un être aimé profondément, ce n'est les paroles qu'il a dites, ou les gestes qu'il a faits, mais les silences que vous avez vécus ensemble ; car c'est la qualité de ces silences qui seule a révélé la qualité de votre amour et de vos âmes. 
Je ne m'approche ici que du silence actif, car il y a un silence passif qui n'est que le reflet du sommeil, de la mort ou de l'inexistence. C'est le silence qui dort ; et tandis qu'il sommeille, il est moins redoutable encore que la parole ; mais une circonstance inattendue peut l'éveiller soudain, et alors c'est son frère, le grand silence actif, qui s'intronise. Soyez en garde. Deux âmes vont s'atteindre, les parois vont céder, des digues vont se rompre, et la vie ordinaire va faire place à une vie où tout devient très grave, où tout est sans défense, où plus rien n'ose rire, où plus rien n'obéit, où plus rien ne s'oublie … Et c'est parce qu'aucun de nous n'ignore cette sombre puissance et ses jeux dangereux que nous avons une peur si profonde du silence. Nous supportons à la rigueur le silence isolé, notre propre silence : mais le silence de plusieurs, le silence multiplié, et surtout le silence d'une foule est un fardeau surnaturel dont les âmes les plus fortes redoutent le poids inexplicable. Nous usons une grande partie de notre vie à rechercher les lieux où le silence ne règne pas. Dès que deux ou trois hommes se rencontrent, ils ne songent qu'à bannir l'invisible ennemi, car combien d'amitiés ordinaires n'ont d'autres fondements que la haine du silence ? Et si, malgré tous les efforts, il réussit à se glisser entre des êtres assemblés, ces êtres tourneront la tête avec inquiétude, du côté solennel des choses que l'on n'aperçoit pas, et puis ils s'en iront bientôt, cédant la place à l'inconnu, et ils s'éviteront à l'avenir, parce qu'ils craignent que la lutte séculaire ne devienne vaine une fois de plus, et que l'un d'eux ne soit de ceux, peut-être, qui ouvrent en secret la porte à l'adversaire."
(Maurice MAETERLINCK, extr: "Le Trésor des humbles", Mercure de France, Paris, 1896 )

Photo : Ceci n'est pas la forêt de "Pelléas et Mélisande" mais celle du beau et très puissant Marquis de Monrouan, prince des ombres qui vont aux mondes invisibles. Ici même est "ailleurs", cachant mille secrets, hélas, l'histoire serait assez sublime, et j'aurais bien plaisir à vous la raconter, si la vieille épouse du Marquis (une créature méchante) n'était pas si jalouse ... Or je tiens à la vie, tout autant qu'à son ombre et je vous prie, chers lecteurs, de ne rien divulguer, sinon il arriverait un grand malheur. Nabirosina. Ma forêt. Août 2010. © Frb.

vendredi, 05 mars 2010

Bang Bang

Je n'ai jamais désiré de quitter le lieu où je vivais, et j'ai toujours désiré que le présent, quel qu'il fût, perdurât. Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps . Elle est en désaccord si formel avec le sentiment de mon identité qu'elle est la source même de ma poésie. J'aime les hommes, non pour ce qu'il les unit, mais pour ce qui les divise et, des coeurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge.

GUILLAUME APOLLINAIRE.

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J’écluse tout vers le silence des tombes. De La Salle à Loyasse, le désert est si vaste. Et sans cesse absorbée par l’étrangeté du monde, je m’attache aux devoirs du petit quotidien. Il me reste quelques lettres à poster. Les choses sont disposées: “chaque chose à sa place et puis un temps pour tout”. Le rêve que l’existence soit d’une autre manière devient très déplacé, on y mettrait du sien. On promet, rien ne tient, il faut qu'on s'en arrange. Et l’on s'en va traîner jusqu'à ce que la machine nargue et nous dépossède. A parfois s’annuler, à faire la bonne figure, politesses, simagrées, sourires et volte-face, des soupes à la grimace, des ronds de jambes négociant des bricoles usant jour après jour. Le jeu particulier dévoue au collectif, en veux-tu en voilà, l’originalité pour tous, l’absence de vrais tracas, la bonne pogne carriériste où s'intrique le surhomme. Ailleurs, l'auge se remplit, la gloriole qui nous cible chacun à son loisir, petits sacs, agenda, applis, mémo, là bas, les numéros du cirque, un monstre en équilibre sur ses quatre ou six mains. le garnement prépare l'opus à son désir, il hésiterait encore entre l'allée centrale du plus grand magasin et quelques restaurants coquets en centre-ville. Est ce qu’une ceinture à franges ocrées ou une paire de mules andalouses pourraient consoler, réchauffer ? Prendras tu le menu-plaisir d'une grosse truffe à la mangue, ou une pièce montée à t'en barbouiller le museau de chocolat au lait ?

Auge sournoise, climatise. La chaleur, on la sent, elle nous est diffusée tout d’abord par les pieds, et plus haut, un avenir surplombe l'écran plasma ; la météo prévue pour les trois prochains jours, te dit: le temps qui est, le temps qui vient, on suit les horoscopes, les conjonctions subtiles, de vierge en capricorne via l'année du lapin, l’amour, le beau travail, la santé, le voyage dans les îles, sponsorisé par la baleine, le sel marin, et les poulies des chalutiers qui feraient couler le bateau si d’autres modernes, (baleines aussi), charitables, futuristes, ne veillaient pas au gain, à l’ivraie, le grain-grain, aux singeries des uns et des autres et aux miennes du même grain de folie qui nous  fonde, qui veut l'alternative, ou l'ivresse famélique, ou la geôle. Les deux parfois offertes. l'alternance. Une même prothèse pour tous conviendrait aussi bien. Ma chemise pour une chèvre. Est ce que tout cela nous vient ? Te plaît ? S'en va, revient ? Ceci vous convient -il ? - Oui, bien sûr, par la force des choses, un beau jour, tout convient. “Pas de Lézard ! et que vive le grand huit, vertige d'Ourobouros !" comme le racontait dire Jim, vieux voisin, feu éteint, un peintre ésotérique mort dans les couleurs dingues d'une palette riche et pauvre, enflammée de carmin et de belles maîtresses roses. On pourrait se noyer, re-boucler le tympan sur l'orgue de Manzarek. La vie sauvage foulée dans des sandales indiennes piétinant un tapis de bain, trois feuilles vert pomme d'un palmier nain, au pied d'une baignoire rock n'roll en forme de licorne remplie de cigarettes blondes écrasées à moitié. Un peu de cendre pour le bain.

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J'écluse et les formes m'absorbent dans les murs écaillés. Une fissure s'épuiserait aux parois recouvertes de calcite blanche, un taureau noir de jais en tapisserait le fond, ou l'iris lamenté pour quelques notes de tête, bouquetins et aurochs, ours, félins, bisons... Cette nuit je redécouvre quelque part, le décor, sous mon nez, des peintures rupestres, là où la ville exige des murs blancs et muets. Les nettoyeurs s’agitent, demain ils viendront recouvrir à la chaux le délit, les sentences amoureuses, et puis la nuit prochaine, les graffeurs magnifiques retourneront au délit, et puis toutes les nuits effacer au matin, délit et ainsi de suite...

Je retiens le décret qu'il est mieux d'accepter ses chagrins que d'empaler l'amour avec des cris de haine. Ensuite, il serait doux de se noyer tout court dans n'importe quel poème ou de courir le monde et fuir les arcs en ciel et les couchers de soleil, se lover sous les voûtes d'un grain photographique dans l'oeil de la Dumenge. Retrouver chez Raymond le courage d'être pur, et ne céder en rien.

Il est des êtres humains qui ont la force des glaciers, déplacent à la surface de quelques mètres carrés les montagnes sacrées. Fumer des cigarettes, boire dans des gobelets blancs, le rosé ou le punch, oser la grenadine. Oublier les fureurs. Se glisser lentement dans la vraie vie pénétrante. Oublier les replis, les chatoiements instables, l'orgueil, la jalousie (cette affreuse preuve d'amour) se rendre à l'entrepôt nuire aux petits calculs qui ne disent pas leur prix, s'accordant toutes les aises à briser les collègues. "Rien n'est sincère, honnêtement" disait ce camarade (de grande classe) dont l'amie (une dindonne, de mon genre assez paradoxal) remâchant la philosophie druckerienne répondait par le terme:

 - "ça ! ouais, ouais !... et ce qu'il nous manque à nous, à notre époque, c'est que la sincérité, elle soille vraie j'veux dire encore plus vraie!",

c'est parfois si confus, qu'il faudrait préciser ...  S'imaginer au fond, que tout ça finira bien, au nom de la raison, de la tranquillité, que les amis de Georges se chargeront de balayer d'un bon gros rire blasé. 

Dieu s'en mêle, les adages annoncent la décadence, tôt ou tard, un revers, il faut anticiper. Les horizons sont tels qu'on voit bien que le Bon Dieu est en train de se barrer avec les cacahuètes laissant là le gourmet sur sa faim. Fin des fins. On va s'en tartiner. On échange des belles phrases, devant trois oeuvres iniques, sculpture contemporaine à base de crottes de biques posée sur des parpaings, plateformes mélaminées exhibant une série de bombyx, pilés menus, entrés dans un pot rempli d'acry fluo, on meurt pour un triptyque où sont collés trois pous posés sur des manches à balai, le tout signé du sang de l'artiste. Puis l'on se souviendra un peu de Georges, prince lointain, (dont la femme supérieure hiérarchique dans une boîte de cages à lapins) n'était jamais à la maison, la nuit. Du désordre...

On le croise quinze ans plus tard, pâmé dans son habit tout cuir, avec sa grande tête piriforme, un visage sec, et tournant sur lui même, homme-toupie, fier de son devenir. Ensuite viendra le conte (de fées et ses antécédents), + de fadaises encore et des formules pétantes, qui font tourner la tête. On se prendrait presque pour l'autre, l'illuminé mythique qui partit autrefois du temps de sa folie, imposer à l'Espagne la véracité des chimères. Nul ne peut ignorer la tristesse de l'histoire. Et la gueule du lendemain tirera leçon du sage.

A force de prendre les tire bottes pour des lyres, on mourrait presque en queue de poisson. A présent, peut-être les portes s'ouvrent munies de vannes ou de ventelles. Je fais mienne la phrase de Brummel "Il vaut mieux étonner que plaire", ou ne rien dire, programme: le flegme et la parure. Mille traits pour éviter que le ciel dans sa traîne s'unisse aux terres lointaines. Trouver un tas de machins et des consolations comme goûter la saveur d'un beau nu étendu dans l'herbe, là bas juste au milieu du zoo. Une tête d'or à couvrir de baisers pour fêter le printemps qui vient, mille chevelures à coudre ensemble sur un grand lit de perce-neige, un regard de biche abuserait des rêvasseries quotidiennes. La flemme aguichant un instant le bleu turquoise du ciel avant qu'on en vienne à l'écluse, toujours accouplée d'un barrage qui ferme la page d'écriture, une sentence pour la guigne: "chaque chose à sa place, une place pour chaque chose". Et comme on n'est pas difficile, on y trouverait sûrement encore un petit agrément.

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Photos 1 + 2 : Flous artistiques voyageurs et vaguement noctambules.

Photo 3 : Le monde en marche, une anonyme avec des bottines (d'à peine sept lieues). Lyon. Nuit.

 

Ailleurs © Frb 2009

vendredi, 12 février 2010

Le miroir des simples âmes

"Hadewijch d'Anvers chante "ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu". Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique "sans cause", douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite ?"

MICHEL DE CERTEAU texte de présentation des "Ecrits mystiques des Béguines" de HADEWIJCH D'ANVERS. Editions Seuil 1954.

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Peu de gens connaissent HADEWIJCH, l'auteur des "Poèmes spirituels". son oeuvre est souvent citée pour illuster les tendances au XIIIem siècle du mouvement béguinal. Peut être faudrait il énoncer plus précisément ce qu'était une béguine.

A la fin du XIIem siècle, début du XIIIem s., de nombreux témoignages attestent à la fois le nombre et l'enthousiasme des femmes pieuses souvent affectées de phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres, bien que souvent en étroite relation avec eux, d'abord en petits groupes, puis s'organisant lentement et finissant dans la deuxième moitié du XIIIem siècle, par constituer de nouvelles communautés religieuses (au sens impropre cependant puisqu'elles ne prononcent point de voeux même si elles sont guidées par quelques règles écrites). Nous savons aussi que ces femmes étaient nombreuses dans le nord ouest de l'Europe, spécialement en Brabant. L'histoire indique que ces âmes avides de sacrifice, (qui regardaient le monde comme un ennemi, femmes du grand mouvement extatique), assiégèrent en effet les cloîtres pour se ranger sous leurs lois sacrées. Plusieurs d'entre elles passèrent même leur vie sous l'habit cistercien ou du moins la terminèrent dans un cloître après avoir appartenu au mouvement des béguines. Mais la plupart se virent écartées des ordres, on redoutait sans doute, que l'afflux de vocations féminines compromît l'équilibre et la paix. Il leur fallût alors se grouper, s'organiser, cherchant en elles l'encouragement, la doctrine, le conseil, non sans se soumettre à la direction de quelques prêtre régulier (ou séculier) mais dans une autonomie et une liberté à laquelle les sociétés religieuses féminines d'alors, n'étaient pas du tout accoutumées. Un souffle de liberté est très perceptible parmi les béguines. Il semblerait que bon nombre de ces âmes n'étaient pas faites pour la vie claustrale et se trouvèrent, jouissant d'une indépendance relative parce qu'elles suivaient une vocation différente et devaient remplir une autre mission.

L'époque où paraissent les béguines, n'est pas celle de l'affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la dame, qui devait en vérité former l'âme de l'Occident et fixer définitivement le trait de sa culture. Au XIIIem siècle, la révolution spirituelle passe par une conscience nouvelle de la solitude de l'âme avec Dieu, de sa noblesse divine, de sa liberté intangible. Cela fût en grande partie l'oeuvre des vierges extatiques, qui  par ailleurs pût emprunter ses expressions dans une étrange mesure, à la littérature courtoise, dont la dignité féminine était l'objet tout autant que l'inspiratrice. Les plus naïves, protégées par une précieuse ignorance, plus patientes, plus dévouées au sacrifice,insufflèrent un élan nouveau. Ainsi, nous verrons les béguines créer une langue pour traduire toute la passion d'une expérience; chercher avec Dieu une conjonction plus immédiate, totale, et proclamer une exigence nouvelle de l'éternel amour.

l'invincible amour déroute l'esprit :
il est proche de qui s'égare
et loin de qui le saisit.
Sa paix ne laisse point de paix
Ô paix du pur amour
seul qui fait sienne sa nature
boira ce lait consolateur !
C'est par lui même que l'on gagne l'amour.

Nota : Les écrits hadewigiens composés de visions, de lettres et de poèmes, après une longue période d'oubli, furent imprimés pour la première fois de 1875 à 1885, comme une curiosité philologique et n'attirèrent l'attention des historiens de la spiritualité qu'à la suite des travaux de R.P. Van Mierlo.

A lire, HADEWIJCH toujours (à propos du film de Bruno Dumont) : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/had...

Photo : Un lien puissant et éternel, sculpté dans la pierre romane. Vu sur la façade extérieure bordant la porte de l'entrée principale de la basilique du Sacré-Coeur, à Paray le Monial. Nabirosina. Hiver 2009. © Frb.

lundi, 28 décembre 2009

Notes givrées 1

"La source de goutelette pour le givre est un nuage ou le brouillard [...] Il est fréquent en hiver sur le sol, la végétation, les objets et les aéronefs. Le givre peut également se déposer sur des flocons de neige dans les nuages et les enrober d'un dépôt glacé qui augmentera leur densité."

Wikipédia : voir "givre". (Si vous ne voulez pas vous en tenir à la poésie du Ouiki vous pouvez caresser l'image en appuyant bien fort, sur la petite feuille de lierre).

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Le givre peut se déposer sur les créatures. Un seul hiver à peine les fardent pour longtemps. Cela n'a rien à voir avec les cheveux blancs. Chaque dépôt cache une plainte, quasi imperceptible, chaque blancheur couvre la haine d'une beauté ancienne. Le givre mou des plantes, les écailles rompues, et les cristaux de neige voilant la pépinière sont encore moins chancelants que ces coeurs en jachère, aux yeux exorbités, cherchant l'âme soeur dans les tanières, un sexe entre les dents, des fadaises pour la mère Noël.

Le dégivré empire l'affre du peuplement. Le dégivré est pire. Il se tient proprement. Il a sucé les vents sur des échelles humides, s'est barbouillé d'azur jusqu'à l'écoeurement. Le dégivré s'empiffre de matins agrippés aux grains qui se dépulpent dans l'eau tiède, souvent, le dégivré, y trempe des petits gateaux secs, et des biscottes sans sel lui rentrent dans la tête. La nuit, il dort. D'un sommeil bienheureux. Nul cauchemar ne le hante. Pas le moindre consentement s'immisce à ce qu'il fût, l'amoureux de naguère, l'étoile inaccessible, (Arcane XVII). Il a plié son drap, tué son jeu de flêches puis il s'est retapé... Il est sorti en ville avec son chapeau blanc, son souvenir piteux qui lui râtelait, au grand secret, le sang à petit coups féroces sous un linge admirable.

Son souvenir était piteux, il n'avait pas su l'entretenir. Tout se délitait doucement. Sur la blessure, il pouvait lire quelques mots désolés. Il l'était, platement. Et les sanglots de tant d'hivers s'atténuaient au fil des ans, tandis que le mercure remontait.

Le givré a pensé qu'il y avait bien des cochonneries qui grouillaient sous ce chapeau blanc. Et qu'il faudrait un jour, faire payer les vampires en les refroidissant. Le dégivré reniait son givre. Un givré malhonnête. Un suiveur impatient. Minaudant sur les sports d'hiver, roulant son paradis sur des notes de pêches. Attachant les roses par dix avec des kikis à frisettes. Voilà, ce qu'il reste du givré quand il a trop aimé et que sa fol' jeunesse se change en levure morte. Une suite de jours panoramiques liquidés sous l'enfant. Il fallait aussi balancer les chagrins malséants. Les uns n'allant pas sans les autres : L'alphabet doux, l'amour d'une fille. La cabane de l'Alceste, la grappe bleue des glycines à gratter dans la neige, pour piétiner au cul de l'an, les splendeurs d'un palimpseste.

Le givré berce ses hiéroglyphes. Il retrouve plus loin, le ruban d'une lettre. Et le vent mauvais de Janvier qui le laissa fou et muet, dix ans plus tôt, à l'abandon, dans un massif pas loin des tulipes de Juillet. Il avait essayé les cimes, il était retombé par terre, dans un grand trou, où poussaient les fougères, quand Décembre en fin de carrière gelait toutes arborescences. Puis il s'était laissé mourir, non sans avoir pleuré longtemps sur ce temps replié. Les derniers numéros perdants, deux ou trois journées immobiles qui n'en finissaient plus de redouter cet an mordu déjà de deux mil 10. C'était une nouveauté, que le monde entier, dit-on, s'arracherait. Mais pourquoi s'en moquer ?

"On cherche aussi nous autres le Grand Secret"...

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Photo : La voie de son givre + quelques plantes au choeur floqué. (Le dégivré n'ayant pas désiré figurer sur cette photo, il vous présente platement ses excuses). Vu en forêt. Nabirosina. Fin Décembre 2009. Frb. ©.

mardi, 10 novembre 2009

Passer à côté de l'amour

A une petite seconde près....