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mercredi, 21 janvier 2015

Aimer le chétif

J'avais envie de dire quelque chose, de le rompre comme du pain, le silence.

CHRISTIAN DOTREMONT extr. "Les grandes choses" 

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Ogres et géants assistent à nos raclettes.

La petite dans sa cage tapotait sur le bec d’un oiseau et les cris déchirants de la bête nous arrachaient le coeur.

L'humain, noble chétif, apportait les z'oizelles et de juteuses mûres, des volailles à pieds d'ange, ce serait les dernières.

L’ogre savourait encore les orties dans sa grange. Il tombait une belle neige barbouillée de groseilles et le bonhomme fondait au milieu de la route avec son rire tenant le notre en hébétude.

Sur les murs de la chambre un vacherin couleur miel camouflait des moellons, c'était le bas de laine, une vie de pâquerettes à motif libertaire,

la petite tirait la langue à cette drôle de neige, le bonhomme dégorgeait, l’ogre dormait en ronflant, la mère faisait des crêpes, et l’ado, né-rebelle, un nid de faune dans l’oreille répétait à tue tête "on  y va ! on y go ! on y va ! on y go!".

Ogres et géants sifflent nos anisettes,

piquent dans nos sacs nos sucres, nos pétards et nos pêches, s'aspergent à nos pipettes puis embaument leur crête des arômes du grand musc d'Ovibos Moschatus.

L’un des derniers poètes sirotait sur son banc, l’hypocras et le ciel se couvrait doucement d’un grand voile écarlate, vu de l'escarpolette on aurait dit du sang.

La petite dans sa cage portait un jupon blanc qui flottait dans sa tête, elle martelait penchée, en arrière, en avant, le bâton de rouge à lèvres mélangé à la terre, farines et dissolvants

l’ogre sautait sur le banc de son frère et la terre s’en trouvait parée de brisements. Le bonhomme souriait sur ses mains grosses de neige, serrant l’air de l’hiver, la tempête et le vent.

Ogres et géants dévastent nos palettes,

un bras de mer roulé au pays des congères pour embraser la guerre, l’ogre mangeait un flan. La petite dans sa cage comptait les vers de terre sur les corps des amis par milliers, ruisselants,

et la chaleur humaine dans le bonhomme de neige devenait un cortège au grand air débonnaire, on ne sût pas pourquoi cet air était glaçant, une flaque dans nos gamelles.

Ogre et géant funestes retardaient les horaires.

Le benêt cajolait des cachous sous sa dent, le froid cloquait les ailes des bébés-cormorans.

La petite à genoux priait la Bernadette qu’on la sorte à présent du trou où les gisants se transforment en lichens, et les mourants reprennent des airs de bons vivants.

Une gondole échouée près d'un mur en coulisse s’était mise à rouler, la petite écoutait. Ces bruits lui rappelaient les chantiers de Dunkerke, caresses à l'océan,

le dadet retournait à ses mondes étonnants, l'américain suaire bouclerait ses bonnettes sur un vaste désert et des vues d'ouragan.

On dut voir l’encre sèche cacher les pansements. Quand l’ogre tremperait ses lèvres dans un grand bol de crème, il serait 5H30, l'aube s'ouvrirait violette à nos gigues mourantes, et le dernier candide sous le premier soleil, ne verrait pas les vrilles attachant la petite secouée dans sa cage qui riait mollement.

Ogres et géants étouffent nos chansonnettes.

Des croisés sur un rire barré de rouge ardent, la parole agrégeant un noeud sur sa ficelle, le géant décrétait. Sous un ciel apaisé, les pigeons communient dans le vin de bohême. Le nez devient complexe.

On voit les dieux-enfants suspendus à l'envers aux branches du pommier blanc, les bébés cormorans se ramassent à la pelle, une mémoire s'épanouit hors des lousses maraîchères, les femmes occupent l'hiver, les marins sont marrants. 

Ogres et géants boursouflent nos crapettes

Diable ! que les dieux sont bêtes ! à parquer les comètes dans l'osier des volières, où de grands fauconniers pleurent les joujoux d'antan.

La neige tombe en poussières, si les voeux sont troublants, les coeurs flanchent à travers.

Le rouquet boit son lait de jabot sous le lierre, on annonce pour demain, un peu de neige en plaine, l'ombre porte le gel. Les jours vont sans oreilles.

 

In situ: Jour de grâce à l'hôtel, les pigeons retombés sur un tapis de neige, vaguement allégorique, si on veut. Bien aussi malins que les pingouins, nos pigeons - Ce Qui Fut et Ne Fut Pas Démontré - juste vus de concert entre autres hybridations, parmi de nombreuses "curiosités", mues de l'époque épique.

Photo: à l'aube d'une ère nouvelle, la photo officielle, nous y étions, déguisés en Charlots, (bien partis à la faire, la guerre, la dure ! la vraie !) armés d'un stylo bille, dans la cour des petits, d'accord, mais assez dignes, engagés et lucides, droits dans nos bottes, et hop ! to hope is to live, hop ! et hop ! en doudoune sur la place des Terreaux, partis à la marche des Charlie qui se trouvait place Bellecour, en fait, bon, on n'est pas des héros,,"l'erreur est presque humaine" a dit l'ogre, tout là haut après avoir fouillé la bête et sa f(u)leur polétique, se fut fée, et enfin nous pûmes rationnellement rejoindre les camarades pour la photo, pis aller à l'after, voilà, un monde d'images, à suivre, peut-être, ou pas, une promesse intenable pour l'instant...

Moralité: y'en a pas, toujours pas, enfin, si, y'en a une, on la pigera après quand on sera très très vieux. On peut toujours sourire, et suivre de loin, chouïa, pour le temps qui nous reste, desfois qu'on anticipe, des feuilles mortes à la pelle qui se balayeraient elle mêmes, pour ne pas voir le vent... :((

 

Nids perliens : La vie des animals, une fantaisie pas méchante remixed © Frb, 2014 vs 2015.

lundi, 24 décembre 2012

Ciel qui traîne

Les larmes du monde sont immuables. Pour chacun qui se met à pleurer, quelque part un autre s'arrête. Il en va de même du rire. Ne disons pas de mal de notre époque, elle n'est pas plus malheureuse que les précédentes. N'en disons pas de bien non plus. N'en parlons pas.

Samuel BECKETT : "En attendant Godot", éditions de Minuit, 1952.

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Photo : Quelques jours avant minuit. Sous la dernière lune ou le répit. En attendant le petit (ou grand) jour, fêtez en paix, s'il est possible...

 

 Lyon / Tabareau © Frb Décembre 2012.

samedi, 28 juillet 2012

La vraie fenêtre est ailleurs

Les tours, les chaumières, les murs,
même ce sol qu'on désigne
au bonheur de la vigne,
ont le caractère dur.

 

damier.jpg

 

 
Mais la lumière qui prêche
douceur à cette austérité
fait une surface de pêche
à toutes ces choses comblées.

 

RAINER MARIA RILKE : "Les tours, les chaumières, les murs"

 

Envoi : Guettant votre retour, j'ai saisi hier un passage au grand jeu d'une fenêtre éclairant un damier patiné de soleil dans l'espace silencieux mais peut-être habité... - un instant retrouvé de la beauté ancienne et la tranquillité inespérée des lieux - Plus présents que jamais, je voyais les reflets de vos pas de velours par une autre fenêtre.

 

Photo : hier, c'était la paix en plein coeur de presqu'île, un endroit où écrire, où lire, où s'absenter. Demain, on verra à deux pas d'une rampe d'escalier mécanique, des masses de clientèle longer les vitrines d'un futur grand complexe. Tout livré au commerce. Parfois on imagine que l'endroit sera sauvé. On se dit que personne n'osera y toucher, qu'il ne peut en être autrement. Pour l'instant, on espère, on fait le plein, si toutefois... un peu triste déjà, à la pensée de se trouver un jour en manque de perspective...

 

Lyon-presqu'île © Frb 2012.

lundi, 11 octobre 2010

Out of the blue

Nous vivons dans l'envers du monde, le monde véritable du feu est sombre, palpitant, plus noir que le sang : le monde de lumière où nous vivons en est l'autre côté.

D.H. LAWRENCE in "L'homme et la poupée". Extr de "Amant et fils - L'homme et le poupée - L'amant de Lady Chatterley- Nouvelles". Editions Gallimard 1992.

IMG_0044.JPGGagner la limite de l'écho. S'étonner que partout des gens luttent pour quelque cause. Marcher à côté d'eux sans bruit. Compter les collines innombrables aux flancs légèrement érodés. Savoir encore courir. Courir après.

Assouvir sous la pluie les délits, cacher sa plainte. Se faire ombre délicate. Courtiser les poètes. S'enflammer, en aimer un seul. Se laisser vivre. Rouler sous la banquette ou en Rolls sur les Champs Elysées. Abuser d'alcool polonais. Goûter aux drogues artisanales. Perdre pied. Devenir incompréhensible. Chercher la sagesse dans le sport. S'engoncer dans une veste en cuir. Fuir les gens. Tout bazarder.

S'embarrasser d'une incartade. Mépriser l'art. Etre rongé de palissades. Epancher toutes ses doléances au comptoir d'un café avec des inconnus idiots, à moitié ivres, n'éprouver aucune honte précise à cela ou les éprouver toutes. Faire le cadet de ses soucis des exagérations d'autrui. Se contenter de peu. Choisir des journées simples. Opter pour des prières extravagantes devant les stalagmites, les stalagtites qui coulent goutte à goutte à la voûte des souterrains.

Naviguer en eaux troubles. Se pourvoir d'une méthode carrée. Chercher l'autre dans un parc parmi les aliénés. Ne pas le reconnaître. Le voir et le trouver changé. Revenir écoeurée du monde. Abhorrer la chimie. Avoir envie d'administrer à certains diplômés (pas tous) de la "médecine de l'âme" (soit-disant), les mêmes traitements qu'ils préconisent pour leurs patients, les regarder devenir légumes avec le sentiment d'une vengeance légitime et du travail bien fait. Eviter l'alvéole. Se faire pendre juste après le combat. Hésiter entre la retraite à plus de 60 ans ou une fin choisie parfaitement anticipée. Chercher la voix d'un autre qui s'inflige des châtiments. Se sentir impotent face à qui perd le nord. Trouver le panneau des départs. Echapper vite.

Fuir la voix de son maître. Se faire livrer des roses par un serviteur qui oublie la chose confiée, et soudain sans que vous ne le sachiez, se met à vous dominer par mégarde. Offrir au tout venant ses rêveries intimes. Eviter toutes les malveillances. Compter les jours. Les ranger dans des cases, cocher les cases avec une craie. Faire chou blanc d'une fraîcheur matinale dans un bocage microscopique. Protéger la fine fleur rosée par l'aube qui dévore la lune. Ouvrir la porte sur le confort tout familial enguirlandé d'offrandes des Noël indécents. Craindre le père Fouettard puis Janvier sous le gel. Ecraser de ses propres mains quelques colonies de limaces glissant sur les reins d'une statue qui brûle au jardin botanique. Se gaver des fêtes à outrance, goûter l'hypocras couchée sur les marches anciennes de la maison de Thérèse, dans la chambre de Marguerite, vestale du Sacré Coeur et d'un mal plus ou moins sacré. Craindre les papillons de nuit. Leur ressembler.`

Croire que les déserts renforcent la mémoire. Enjôler les aspects prouvant que la matière peut réellement soutenir la forme. Affiner le caillou, le caresser sans y penser tout comme on caresserait le crâne d'animaux tombés des falaises. Partir un crayon sur l'oreille, reconquérir le lieu, la formule peut-être. Se croire porteur de panacée universelle, pourvu d'un don extra lucide, répéter les mots à la suite qui conjurent l'endeuillement. Rouler au milieu des rosaces dans les régions tempérées de l'ancien monde. S'hybrider par la toute puissance du père, du fils, du Saint Esprit. Devenir solitaire en marche, rêver les yeux fermés sur un fil agiter ses bras au bout d'une ficelle. Se faire femme et poupée. Acheter un seul fruit au marché, le poser sur une table parfaitement nettoyée, se l'approprier, comme le faisait Michaux, jadis avec sa pomme :

"Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité !"

Revivre toutes les formes de la cruauté. Devenir deux, et m'adonner à vous, tandis que votre esprit repose, loin du monde, après tout. Vous dormez, quelqu'un veille, et vous fait croire que les déserts sont des univers pour vous, qu'ils vous protégeront désormais de tout accident regrettable. Devenir une friandise émiettée dans un autobus, assourdie par les cornemuses d'un groupe de manteaux écossais. Sentir sous la pluie de vraies hallebardes tomber et retomber. Se dire qu'on aimerait que quelqu'un nous explique la théorie du météore minuscule, comment le dinosaure a pondu un jour un archéoptéryx, pourquoi les feuilles des églantiers ont cinq à sept folioles elliptiques. Espérer mettre fin au débat qui agite la science sur la question. Parler de déréglement climatique avec le commis du pépiniériste et sentir le dérèglement tout court, nous pendre au nez. Penser à l'unique seconde d'il y a 160 millions d'années, en période jurassique à l'époque où l'océan venait tout juste de se former. Regarder l'automne avancer.

Craindre une collision dangereuse, une glissade sur des feuilles mortes, des peaux de banane dans l'escalier. Courir en cette ville infestée de d'hérétiques. Convoquer en soi les mensonges, les vérités de l'argenture. Songer à ces gens à traiter qui subissent un grand lessivage pour le bienfait de leur mental puis après avoir été dégraissés, polissés rentrent chez eux l'âme amollie, balayée des passions. Se cuivrer, se chromer, s'oxyder jusqu'au drame. Recouvrir tout le fonctionnel pour lequel nous sommes dévoués, tout le sens d'exister. Se perdre au grand supermarché devant les bouchons noirs des bouteilles de curaçao. Se dire qu'on aimerait bien que quelqu'un nous explique d'où vient ce bleu.

 

http://www.deezer.com/listen-6658469

 

Photo : Un verbe qui se mouille à la pluie d'October photographié en début de soirée entre les échaffaudages d'un chantier au quartier du Tonkin à Villeurbanne. © Frb 2010

vendredi, 11 septembre 2009

Le dernier bal d'une fin d'été

"WILLY RONIS a le sens de l'honneur, oh, pas comme un officier de cavalerie, attendez un peu. Il a déclaré un jour :"Ma perception de l'organisation de l'espace est guidé par le canevas musical des maîtres de la musique que je vénère et qui sont mes anges gardiens". On ne peut mieux parler de l'harmonie. Celui qui est capable d'une telle déclaration ne peut être étroitement matérialiste. Et puis les anges prennent parfois l'aimable aspect de nus féminins. Là, cher WILLY, tu te découvres, en nous offrant tes images pudiques qui sont autant de câlineries visuelles. Ne proteste pas. Souviens toi New York, avec Barbara et Kathy. Nous étions trois au fond du taxi. Toi, tu étais assis à côté de la chauffeuse noire. A peine avions nous traversé deux rues que nous t'avons entendu dire "Vous avez une voix magnifique". Nous venions de découvrir ton système de recrutement des modèles. Le trajet était trop court, mais elle l'avait échappé belle, cette innocente !"

ROBERT DOISNEAU, extr. "A l'imparfait de l'objectif", (Souvenirs et portraits). Editions Actes Sud 1995.

Pour savoir où le vent portera la feuille, cliquer sur cette image:

w ronis.pngLes premiers pas foulés sur la colline en ce 11 septembre 2009, ne m'amenèrent pas, comme c'était prévisible sur un tapis de roux, mais à cette chose qui ne se voit presque jamais, à la fin de l'été, une feuille morte complètement noire que je vis tournoyer puis tomber à mes pieds. L'occasion d'essayer un nouvel appareil Pentax et ses nombreux mégapixels ? Pas vraiment. Pour la première mise en boîte, cette fois, j'hésitais. Une feuille noire, je n'aime pas ça. En cette date déjà étrange, croiser une feuille noire en chemin, ce n'est pas du meilleur présage. Non pas que j'attache une importance démesurée aux présages, mais je préfère les feuilles blanches, jaunies, roussies, même les feuilles sèches un peu rongées. Cette feuille me fît un drôle d'effet. Je passais mon chemin. Cherchant ça et là, quelquechose à photographier. Je ne trouvais rien. J'allais à quelque rendez vous du côté de St Nizier. J'oubliais. Sur le chemin du retour, malgré ce vent rembobinant les plus chauds après midis d'Août, je retrouvais devant ma porte, sur la chaussée, la feuille noire. Elle n'avait pas bougé d'un millimètre. Comme scellée au gris de la rue, elle inquiétait l'espace de son augure imperturbable. Je dûs me figurer qu'elle attendait peut-être, un oeil pour "l'immortaliser", dernier acte à tenter : fixer d'elle une trace pour qu'elle disparaisse à jamais. Je ne me risquerais pas, au delà d'un fait si étrange, à faire de l'anthropomorphisme à propos de tout ce qui se trouve caché dans l'esprit d'une feuille morte, surtout si elle est noire, ni à m'émouvoir quant aux signes, (du hasard ? ou pas du hasard ?), ceux-ci m'ayant parfois joué des tours tout aussi troublants que minables, je me refuse de prêter trop naïvement crédit au jeu systèmatique de cette foutue (dite) "poésie du quotidien" qui pose quelquefois du symbole sur chaque détail, asservit son promeneur aux oracles, qui une fois révélés, engloutissent tout dans une tache d'huile. Ainsi, je dissèque les signes, les désenchante, s'il le faut, avant de céder aux messages, si rarement, défiant les présages imbéciles que mon imagination tisserait. Je me méfie, autant que je peux. Mais cette feuille noire, tout de même ! à contre-coeur, je sortais mon Pentax, un boîtier noir (l'autre était argenté), et j'avalais du noir sur noir couché sur du presque anthracite étoilé ou piqueté. L'augure d'une triste journée une fois en boîte. Je laisserais décanter dans quelque purgatoire et livrerais aux lendemains radieux, le soin de balayer tout ça.

Je rentrais donc chez moi avec deux projets terre à terre (si j'ose dire) : d'abord écouter le répondeur, puis ensuite, la radio (11 Septembre obligeait)...  Sur le répondeur un message, une très mauvaise nouvelle, A.G. qui tout l'été 2008, m'avait gentiment proposé de poursuivre ce blog à la campagne, en m'offrant l'hospitalité, son bureau, son ordinateur, en me prêtant ses livres, A.G. que j'avais revu cet été, plein de projets, qui ne montrait aucune inquiétude quant à la prochaine opération qu'il devait subir le 10 septembre 2009, A.G. qui m'avait longuement parlé cet été autour du meilleur Porto, de ce qu'il ferait après : mettre à jour les mémoires tirées d'un manuscrit retrouvé d'un soldat de la guerre de 39-40, il ne restait que quelques pages pour que cela, peut être se transforme en un livre, fabriquer des meubles de ses mains, les offrir aux copains, A.G.  chaleureux et fidèle, au plus près de l'humain, un ami, gentil, protecteur. Un vrai. "Du premier cercle", depuis longtemps. A.G. venait de se faire ouvrir le coeur. Il ne s'était pas réveillé.

Ayant peine à réaliser, je poussais du pied le répondeur et cherchais quelquechose pour ne pas trop penser. France Info, c'est parfait, et que toutes ces paroles mettent un peu de diversité au "faire part" que j'avais vu choir, un instant, sur un gris piqueté beaucoup plus qu'étoilé. La boite noire remontée aux étages, une feuille noire enfouie taraudait de sa planque, posée là, sur le marbre d'une vieille cheminée qui me sert aussi d'étagère. A la radio, on parlait de quelqu'un. Enfin c'était un homme qui témoignait, il parlait de son ami, d'un fils d'immigrés juifs, des rues peuplées, des toits de Bastille, du Vaucluse et de l'Isle sur la Sorgue... Un homme qui ne pouvait plus courir les rues, ni battre le pavé en quête d'images à attraper, mais qui continuait même sur une chaise roulante à raconter, et à transmettre ses idées, son amour à vif de l'humain et sa passion pour la photographie. Le témoignage se terminait sur la description d'une photo de bal, une de mes préférées et la journaliste rappela les titres dont le principal : "WILLY RONIS est mort".

WILLY RONIS est au plus loin, je ne l'ai jamais rencontré évidemment, mais au plus près de tout ce qui est le plus fin à saisir des personnes. Juste ce qu'il faut pour entrer dans la vie d'une photo, puis regarder tout autrement la vie tout court. Jamais ne se trouve chez WILLY RONIS, le moindre déséquilibre, la moindre malveillance, fond et forme, tout en harmonie. Il est pourtant facile avec un appareil photo de croquer les êtres et de les réduire. "Vous ne trouverez pas une seule photo méchante, je n'ai jamais voulu donner des gens une image ridicule" expliquait W.R au Monde en 2005. Bref, avec WILLY, on respirait. L'artiste était aussi un homme pudique, sachant comment l'impudeur, même par accident, en photographie, est aisée. Dans le plus populaire de ce qu'il nous croqua, y compris de la pauvreté, des quartiers tristes, du misérable, se trouve, toujours en note de fond, cette part d'élégance, une signature sur chaque photo. Pas étonnant, que R. DOISNEAU évoque, (insiste même), sur cet interêt porté au son. WILLY RONIS voulait être musicien, il apprit le violon, l'harmonie puis devint Photographe, mieux que cela, photographe à l'écoute de ce qu'il regardait. Ne dit-on pas de la musique qu'elle possède une couleur ? Et puis, fulgurants, tous ces noirs, ces blancs, cette composition. "Le bon moment des choses". L'engagement aussi. Et quelques compromis sans jamais de compromissions. Ce coeur à gauche qui ne céda jamais, irréductible intégrité au prix d'une vie plus difficile, un certain prix. Un leg, pour nous, inestimable.

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W.R. n'aimait pas les rues vides. Mon ami A.G, lui, n'aimait pas les maisons vides. L'un était connu, l'autre pas, mais tous deux se ressemblaient un peu, au fond. Incapables de méchanceté, empathiques par nature, non par devoir. Hommes sans grimaces, créant toujours. Avec cette autre qualité venant aux intelligences rares : une certaine simplicité. Des bienveillants, que Septembre (mois le plus tendre ?) troquera encore contre une feuille noire, poussée un peu plus loin emportant des secrets au plus près, pas si loin, qui se cueilleront peut-être un jour, à mille lieues du gloomy friday...

Liens utiles : WILLY RONIS, biographie et parcours : http://fr.wikipedia.org/wiki/Willy_Ronis

Photographies : http://monsieurphoto.free.fr/index.php?menu=1&Id=3&am...

Entretien illustré ("les nus secrets") : http://bibliobs.nouvelobs.com/20090912/9338/revoir-les-nu...

Amour, enfance, révolte. (W.R. vu par ...) : http://solko.hautetfort.com/archive/2009/09/12/mort-de-wi...

mardi, 08 septembre 2009

Princesse

"Un prince était vexé de ne s'être employé jamais qu'à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d'étonnantes révolutions de l'amour et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l'heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété. Il voulût. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain... Toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté ! Sous le sabre elles bénirent. Il n'en commanda point de nouvelles. Les femmes réapparurent."

ARTHUR RIMBAUD "Conte" in "Illuminations". "Poésies". Librairie générale française 1984

la femme.JPGIncognito, une princesse, tente la traversée des grands rectangles blancs. l'étoffe flotte légère, parfois s'immobilise. A suivre on dirait presque un dessin à l'encre de chine. La princesse trottine sur ses sandales à brides tout au dessus des immondices et des dalles pourtant parées du revêtement gris tourterelle. Une princesse parmi d'autres, allant presque pieds nus, livrer sa peau blanche, (une rareté en cette fin d'été) aux crasses ordinaires et autres remuements d'espaces : odeurs d'essence, particules fines...

Une fois les rectangles traversés, elle ira s'asseoir sur un banc pas loin de la forêt Morand, et tout près des éclaboussures d'un lion inoffensif, ignorée des lointains génies de l'industrie ou de l'agriculture, elle ouvrira un livre : "Under Milk Wood" et silencieusement rêvera de partir.

"Départ dans l'affection et les bruits neufs"

Photo : Du presque noir et blanc. Marche légère d'une passante aux lignes claires ignorant sa beauté. Eloge de la pâleur et de l'ingénuité quand toutes reviennent bronzées et très sûres de leurs charmes. Nous appelerons cette lyonnaise (?) "la princesse aux blancs-pieds". Juste un peu de candeur. La douceur désuète dans un monde d'arrivistes et de "revenus". Passage clouté pas très loin de l'opéra, juste avant le pont Morand. Lyon. Rentrée 2009. © Frb.

mercredi, 19 août 2009

Vermillon

Je décolle souvent et voyage toujours
pour voir si le lieu du leurre
ne se confond pas
avec celui de ma main

NICOLAS DE STAËL à René CHAR, lettre du 12 novembre 1953.

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NICOLAS de STAËL dédia cette phrase à René CHAR en 1953. Deux ans avant sa mort, deux ans après que René CHAR ne le solllicite pour illustrer un livre luxueux avec les textes du "poème pulvérisé". Les deux hommes se rencontrent en 1951 grâce à Georges DUTHUIT qui publie dans les "Cahiers d'art", un article sur N. de STAËL, et sait que celui ci souhaiterait illustrer le poète. Dès le départ, la relation est évidente. Les deux hommes sont entiers, à la fois larges d'idées et chatouilleux, cultivés et sauvages. L'art est pour eux, le combat d'une vie. Tous deux sont aussi chacun engagés dans leur oeuvre, à corps perdu, peut-on dire. Pour R. CHAR, N. de STAËL, (né à St Petersbourg en 1914) vient d'un autre monde, il est : "L'enfant de l'étoile polaire dont Orion s'est épris sur son parcours". Dans l'exergue du poème "Libera II", il compare même leur amitié à celle d'Achille et de Patrocle. Achille le poète s'extasie sur les sons qu'il tire de sa lyre, tandis Patrocle, le peintre l'écoute, silencieux. Le livre qu'ils envisagent de réaliser ensemble se composera de 12 pièces issues du "poème pulvérisé", de 14 bois en noir et d'une lithographie en couleurs. N. de STAËL s'attache à ce travail, avec fougue, il lui consacre les mois d'été 1951, conseillé discrètement par R. CHAR. Dans son atelier parisien, Nicolas DE STAËL choisit la technique du bois gravé et tente d'instaurer un dialogue dans ce rapport des gouges et du bois, avec les écrits de René CHAR. Ce travail commun intitulé "Poèmes" sera exposé le 12 décembre 1951 à la galerie Jacques Dubourg à Paris où seront présents tous les écrivains à la mode : A. CAMUS, M. LEIRIS, G. BATAILLE... N. de STAËL est fier de ce premier livre et s'enthousiasme à l'idée d'en publier d'autres. "Bois de Staël" est la première étude que R. CHAR consacre à la peinture de STAËL. Sa vision des gravures sur bois est celle "d'empreintes de l'homme des neiges"... Ecrira- t-il.

Ce travail commun fût nourri d'une très belle correspondance entre les deux hommes, leur l'amitié fût infrangible. On sait que René CHAR accordait à l'amitié une place immense, il fût fidèle à d'autres très connus, sans démenti, tels BRAQUE, ELUARD, GIACOMETTI, A. CAMUS, mais cette amitié  envers N. de STAËL était exceptionnelle, un sommet, un grand signal qui toucha l'essentiel, non seulement humainement, mais aussi pour la compréhension de leurs oeuvres. Tout cela demeure encore dans ces nombreuses lettres échangées : besoin de rassurer, d'être rassurés, d'exprimer des saturations personnelles et des fragilités. L'échange est absolu, d'une sincérité absolue. N. de STAËL a réduit la peinture aux formes élémentaires comme René CHAR l'a fait pour la poésie, et ces traces font rêver car en proposant une lecture figurative des peinture de N. DE STAËL, René CHAR anticipera le virage que prendra son ami pour amplifier son oeuvre. Il est à noter que cette rencontre réunissait deux géants, tant par l'engagement artistique, que par la taille. Deux solitaires "En exil à la fois dans le ciel et sur la terre". R. CHAR parlait d'un "couple d'êtres", de "Deux passants des cimes". Ce texte sur N. de STAËL sera le point de départ d'une nouvelle entreprise, dans laquelle le peintre et le poète prennent encore engagement : la création d'un ballet dont R. CHAR écrit l'argument tandis que N. de STAËL ébauche des idées de costumes et de décors. Ce sera "L'abominable homme des neiges", un rêve irréalisé, faute de compositeurs. DALLAPICCOLA, STRAVINSKY et MESSIAEN se récusent. Le projet restera sans suite. En 1953, une revue de Montevideo ("Entregas de la licorne" où N. de STAËL a exposé en 1948), publie un texte de R. CHAR intitulé "Nicolas De Staël", il a été inséré dans "recherche de la base et du sommet", entre "bois de STAËL" et "Il nous a dotés...". Tandis que N. de STAËL s'éloigne de la réalité palpable, CHAR nous y ramène. Les pavés des tableaux redeviennent rochers, et les toiles, "des chemises qui claquent au vent". Mais ni le peintre ni le poète ne peindront ce qu'ils voient.

Autre collaboration de René CHAR avec les peintres → ICI

A suivre / ... Des extraits de la correspondance de Nicolas de STAEL et René CHAR. Dans un billet que vous trouverez exactement en dessous de celui-ci.

Photo : Un monde, précédant la palette, les cimes et les cimaises. Nous avons pressé tous les tubes, nous sommes sortis de l'atelier, une couleur approximative a pris le ciel par une fantaisie (fantasy ?) légèrement trafiquée. Après le vermillon, la rouille, et juste avant le bleu cassé, nous n'avons pas trouvé cette couleur idoine. Ce vermillon parfait. Un ciel trop rouge étant un leurre, nous l'avons donc désaturé . Nabirosina. Juillet 2009. © Frb.