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samedi, 30 avril 2011

Retenue

La vérité ne peut presque jamais se dire quand il s'agit d'êtres humains, car elle ne peut engendrer que douleur, tristesse et destruction.

ERNESTO SABATO : (24 Juin 1911- 30 Avril 2011) extr."Alejandra" (1961), éditions du Seuil (Point) 1982.

Pour voler plus haut et plus loin. Il suffit de bousculer un peu les oiseauxcerfs volants1723.JPG.

Toutes ces choses qu'on devine, brûlent la langue. Des chapes redessinent nos contours, toutes ces gommes au bout des crayons, un cratère visité de lunes, romancées au brouillon, qui précèdent un livre. On l'écrirait volontiers, si seulement...

Devant les choses de la nature, l'âme honnête, exhibant toujours ce qu'elle n'a pas, louera la beauté des jonquilles, les clochettes d'Avril, fétus de paille sur un fleuve innocent cerné de passerelles fragiles. On pleure aussi de temps en temps devant les kiosques à musique. Tant de choses qui ne sont plus à dire. Le contenu sous la gaze, étoufferait mais visiblement on se dompte. Des écrans diminuent la part humaine en la multipliant, misent par défaut l'aventure aux calculs, j'ai mille amis et des miroirs sans tain dont on sait qu'ils ne réfléchissent qu'une partie de la lumière.

Un rayon incident en deux flux lumineux, l'un réfléchi, l'autre réfracté (la partie diffusée, de plus faible quantité étant négligeable). (1)

J'ajouterai si j'avais le courage, un peu de vérité à tout ça, pour finir, j'unirai les faisceaux. J'écrirai une page. Je verserai l'encre dessus, l'encre coulerait à flots. Si j'avais le courage, au final, je pourrais tout dire. Je pourrais. Mais j'ai peur du courage. Alors, non.

Je m'allongerai dans un désert, peuplé de téléscopes qui détectent les rayons X émis par les étoiles pour essayer de me défaire d'à peu près tout. Une illusion ne crée pas un royaume. Demi-tour donc, jusqu'aux boulevards peuplés de dames, près desquelles je me fonds, elles passeront sans bruit aux salons d'essayage, marcheront par mégarde sur des brides de lingeries fines, elles tenteront d'assortir leurs visages aux guipures piquées d'argyronètes. J'ois le bruissement des étoffes dans la musique d'ameublement. J'ois la chute d'un porte manteau et le son du métal éclaté. Je vois les bris irréparables. Les carrelages blancs imitaient le marbre, je soulève, j'y découvre un coeur noir griffé d'ongles méchants. Un mystère génétique fait monter le mercure. Ce brassement personnel, historique, retenu, et la chape, on aura oublié de la détruire. Tout est net dans mes souvenirs. Ce que j'ai vu est sous la peau. Ce qu'on peut lire entre les lignes modifie le cerveau. Les manuscrits penchés fascinent, les biffures, et les signatures au dos des cartes voraces, des faire-parts à crédit en accordéon dans des poches plaquées impeccables. Pris sous ce joug quelque chose d'inhumain attire. C'est toujours des façons, d'infinies précautions, ces cache-coeurs ne cachent plus rien qu'un penchant somptueux au désir. Et la nuit éclaire nos cachettes. Ogres bavards sous les jupes, la solitude, mâle ou femelle portant l'infâmie à nos lèvres, nous sommes tendres mais nos promesses ne tiennent pas debout. L'idée du cosmos nous délivre. Après quoi on n'irait pas se perdre en confidences, à moins d'être complètement idiot, sûrs d'oublier ce qui doit suivre. L'Amour est un silence. Oui mais, comment en être sûr ? Un silence serait beau. Impossible d'être sûr. Alors, non.

Tant de choses ne se disent, un sourire mis en gage pour la vie domestique. Au dedans une pluie de satellites, la sécurité à ton monde, et des amortisseurs contre l'impatience, la rage plâtrée de Gaviscon, les vies sécables. Un cachet, un verre d'eau, pour l'oubli des images d'hier. Tous les absents nous rongent. Encre et Brandy, soirs d'Absolute, des amuse-gueule sur un plateau, les solutions savantes, pas un phénomène émouvant n'arracherait un verbe à la foule, pas même une réaction ? On voudrait réagir. On voudrait on voudrait. Et puis, non.

J'ois l'aubaine d'une conversation et le printemps chasse l'hiver aux corps à corps mal défendus, l'orgueil jouant avec le temps et malgré l'abandon, aussi fou que la rage contre laquelle nous sommes vaccinés, tous. Les grandes destinations reviennent plus inexplorées qu'autrefois. Je t'encombre de mon air affable, entre nous c'est amène. Ces politesses couvent un malaise dont on ne parle pas. Il y a trop de divertissements pour les rois et les reines, pas assez de royaumes, nous broutons comme autant de bêtes reluquant le ciel insolent. Nous visons le cosmos qui a un oeil partout nous sommes gourds mais sûrs de nos aises. Amoindris, à bout de songes, intenables, avec des joies torpides, nous suçons dans la nuit les bulbes d'un narcisse conçu pour tous. Le jour vient, rien ne change. Nous sommes si aplatis qu'à force on serait craintif de tout. Prudence apaise qui cache nos faces, lisse le pli vagabond, cloue le lierre aux façades. Prudent, on tournera la page. On cracherait bien sur les visages. Mais avant on racontera tout. Tout ce qu'on sait, ce qu'on a vu, ce qu'on sait que tu sais qu'on sait tous, ce qu'on devine, on balancera le paquet. La geôle qui fait poids, l'huis au gond de la grille, nos allégeances. Un pavé à la face du monde, on crachera sur tous les visages s'il nous plaît, on le fera. On fera ce qui nous plaît, ce qui urge on va le faire. Il est temps. On ira dans la rue, la bouche pleine de salive, la première tête venue, la première tête qui ne nous revient pas, la première créature, on lui crachera à la figure. On crachera sur ceux à qui on a à dire, depuis longtemps. On leur dira. On crachera ? Vous êtes sûrs ? Ca serait bon, oui. Mais non.

Nota (1) : La définition du "Miroir sans tain" est extraite du Wiki

Photo :  Toujours plus haut ? On pourrait monter haut. Bien plus haut, ça c'est sûr, mais si on tombait... Si on tombait ? Alors c'est non. Le dire avec les mouettes. Elles volent bas, côté Saône, photographiées Quai Saint Antoine sur la Presqu'île à Lyon. © Frb 2011.

jeudi, 28 avril 2011

Les printanières...

Sur une musique très courte.

Si vous avez loupé l'épisode précédent il vous suffit de cliquer sur la première image.printemps9821.JPG

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printemps4800.JPGle printemps qui vient_0070.JPGle printemps0217.JPG

 

Photos : Les Printanières sont de retour, elles se baladent entre Presqu'île, et colline (qui fait travailler les maris, c'est bien normal), photographiées par un très bel après-midi d'Avril à Lyon comme en été.

© Frb 2011.

mardi, 12 avril 2011

Le retour du printemps

Ce que je suis en train de voir n'est pas ce que j'ai vu.

MINOR WHITE

Minor White aurait t-il raison? Pour savoir, il suffit de cliquer sur les images.

printemps0203.jpg"L'homme est un un être doué de saison" me disait un oiseau de Lyon revenu des Amériques, quand goûtant une oisiveté (relative), j'eus la joie de me taire (enfin !), puis surtout d'écouter. Je traversais les champs de graminées (toxiques) du Parc de la Tête d'Or, un livre d'Abeille sous le bras (pourtant ce n'était pas l'été), et puis c'est sous les yeux un livre que ça met, pas sous les bras (quoique celui de Téléf(é)ric Levèrfe peut rester sous les bras, il est aussi bien pratique pour caler les chaises à trois pieds, ça marche extra, j'ai essayé) mais je m'égare, de trames en tram' j'abordais mentalement les peintures d'Avril (Armand) me soufflant sa jeunesse éternelle tandis que je cherchais la mienne et qu'Avril me disait avec la douceur du sorcier et l'accent des Charpennes : "surtout petite ! cours pas après le succès, fais ce qui te plait, prends ton temps"... Un grand voyage à bicyclette sans bouger de mon banc, de Bonnières (sur Seine) au Mont st Clair en passant par la Croix-Paquet, remonter les escaliers de la Colbert, bifurquer sur la Vaucanson, trouver les micocouliers (de Provence) un petit peu maigrichons sur le boulevard de la Croix-Rousse en guise de platanes centenaires, (Lyon n'est pas la Provence, he non !), s'apitoyer sur les pensées (petit bac vers la pharmacie pas loin de la Place des tapis) elles ont l'air tellement moribondes ces pensées, qu'on dirait des soucis, (de Lyon, sont les soucis, comme on dit chez la mère Brazier, comprend qui peut). Dans ma rue il y avait des glycines qui pendaient là, comme tous les ans sur un petit mur séparant le jardin de melle C professeur de piano (rue Denfer), de ma petite cour sur la colline. Sept ans, de lettres à Elise... Et pas une à la perfection, malgré des heures et des heures de patience qui s'écoulaient au métronome. Une petite fille en robe blanche sortait penaude de la leçon. Pendant ce temps là à l'autre bout de la France, printemps toujours...

Sophie, (j'ose, le bon mot) = "empruntant" le plus beau tee shirt du monde superbement porté par un boy de la Mère Castor, Sophie toujours peignant des tas de girafes, tandis que j'enfilais des perles (de pluie ?) en rêveries automnales venues d'un pays où pour mon grand malheur, il ne pleut pas, il ne pleut plus, (Pourquoi il ne pleut pas ? Pleuvra-t-il ? La pluie aurait-elle disparu pour toujours ?). Je me demandais ce qu'elle avait fait (toujours Sophie) de sa grenouille ? vestale d'une TBB (très belle bibliothèque) au secret des archives que je ne retrouve plus. C'est mon jour de promenades dans les très belles bibliothèques, je vais chez les gens, je surveille les livres (ordre du président ! patrouilleuse, un métier d'avenir), ça faisait longtemps que je rêvais de chourrer un escabeau, j'en trouve un qui me tente un appel, puis révélation : dans un petit salon, apparition du plus bel escabeau dans l'univers d'Hozan Kebo, sorry, je n'arrive pas à le lier, il se cache aux lieux dits, l'escabeau, dans les pages du Roger (Lahu sans T !) en cherchant bien, le lecteur adoré (et malin) le retrouvera sûrement (ce sera notre petit jeu de printemps)... Formidable escabeau derrière lequel dansaient de mystérieux lutins à bonnets rouges (Hozan, éclairez moi, qui sont ces gens ?). Digression : Je me demande pourquoi il y autant de possesseurs de livres sur cette terre? Y'en a des, qui rangent certains livres à l'horizontale alors qu'il y aurait tout à fait la place de les poser à la verticale pourquoi certains livres sont à l'horizontale et pas les autres ? Pourquoi tout le monde ne range-t-il pas ses livres bien comme il faut ? Mais encore, je m'égare... Roger et son dessin beau comme une plage aux pastels frêles versées dans le fleuve Grosne, mares de Bourgogne et gnôle pour bigarreaux, à deux pas, on s'allonge sous des voûtes romanes. Plus loin Jean me remuait encore l'esprit avec sa Polonaise, (Ne me demandez pas si c'est une fille, allez donc lire vous même). Iron Ikunst, épuisant les atlas et les dictionnaires se cueillait du lilas mauve et blanc pour lui même et devant ma question (stupide, j'avoue) "Pour quoi  faire ?" me répondait, sans hésiter : "parce que les fleurs c'est joli et que ça sent bon" (une telle réponse ça vous coupe le sifflet tout de même). J'en suis restée comme deux ronds de flan, d'une évidence à en décoiffer un Jacques Brel. L'autre garçon qui s'offrait des fleurs à lui même (c'est assez rare pour être souligné) c'était mon voisin de palier, un peintre étroclite vivant à la Modi, avec des couleurs et des chats (son dernier, égyptien ressemblait à Néfertiti, et portait un petit nom évoquant à la fois le temple de Bubastis et le bruit du train dans un film de Kurosawa). Il s'offrait des lys blanc (pas le chat,le peintre !) des lys blancs et incas "Alstromeria" ou "martagons" il en plantait partout dans des vases transparents. Et même qu'il m'en donnait. Parfois, la nuit ça illuminait notre immeuble sur deux étages, éblouissant ! ils sont partis (le chat, le peintre et les lys blancs) sans dire au revoir, un jour où moi-même je n'y était plus. Allers-retours ? Printemps toujours, là où je ne suis pas. Et mes excuses pour le silence.

fleur0052.JPG Au cours d'Avril toujours, j'appris qu'il y avait des figuiers dans le sud de la France, et aussi qu'Angoulême n'était pas en Bretagne, (on nous cache on nous dit rien) quand soudain, un lapin avec des grandes oreilles comme celles de feu Paranthoën (dont je reparlerai un jour) déboula d'un pré des Ardennes, c'était un lapin qui faisait du porte à porte, (en free style), un lapin qui ne se posait pas, un lapin avec des antennes et des airs échappés des horloges, il avait le béguin pour moi, le lapin (je vous en prie, chers lecteurs, vérifiez, faudrait pas tout gober non plus, bloguer est une fanfaronnade) ; c'est vraiment pas ma veine, moi qui n'ai d'yeux que pour Murat, pas le maréchal d'Empire, très bien aussi mais je préfére l'autre, (marié, père de famille, hélas ! hélas!) mais quel artiste ! Beau comme un vrai coureur cycliste, avec des mains larges, mille palettes qui plantent des cordes de guitares au jardin, glissent aux fourrés une tige d'or picorée d'oiselles, l'oxymore à la sève et des pétales de myosotis voltigeraient dans le coeur des filles. Ce serait ça ou rien...

On apprend de ces nouvelles... Pendant que Dieu créait la femme, (et rendait de plus en plus irresistibles tous les Jean-Louis), Michèle (qui n'avait pas attendu Dieu) inventa la TGBP : la très grande bibliothèque Pambrunique, autant dire qu'à côté, Babel s'effondrait comme un vacherin de chez Tricatel. A la TGBP, je découvrais (non sans surprise) mes propres livres, enluminés à l'or fin, à lire au coupe-papier dans la collection "Rouge et Or Souveraine", illustrés par Julien Doré ou Gustave ! c'est pareil - on n'est pas fille pour rien - pourvu que ce soit doré - ! mille ouvrages (pas moins) en bonne place à côté de Beckett et Cioran, (Michèle ! vous êtes inrcoribrilge ! (je suis sûre que si on vous confiait notre pays, vous feriez chanter "Madame rêve" à tous nos soldats). Certains mots ne lâchent pas, et me voilà à reprendre du service, devant la grande pointeuse (pointilleuse ?) de certains jours, j'ai ma trousse, ma gomme, le carnet d'esquisses, les herbiers brodés d'étamines (ou bordés, comme il vous plaira)... Détraboulage de vélo, jusqu'aux berges du Rhône, en doublant les vélos d'amour (V lov'!). Sur les quais je feuilletais un livre "Comment choisir un rosier sans se tromper ?", "à qui offrir des fleurs ?" (sélection sur dossier). Je pensais à "La rhétorique fabuleuse" mais non ! dans ce contexte la rhétorique, c'est pas un mot bien compliqué, signée Dhôtel (André) maître des balades hasardeuses, entre "Le grand rêve des floraisons" et "Le Vrai mystère des champignons", l'histoire de Stanislas Peucédan et l'improbable belle de onze heures... Je ne résume pas (minute papillon) je n'ai pas fini le livre...

Et moi Stanislas Peucédan, je dis qu'inconcevable à jamais et surnaturel, c'est du pareil au même.

Le postulat est à la fois scientifiquement invérifiable, métaphysiquement vrai. Elles ont un sacré toupet toutes ces fleurs et confirment à nos sens (médusés ?), la présence d'un "rêve impossible avec une évidence insoutenable".

Lve in8.JPGLe promeneur rêverait t-il la même chose que sa fleur ? Au retour du printemps, il y a toi, il y a moi, il y a le monde aberrant, nous sommes ailleurs, dans les fleurs et, pareils aux oiseaux de Thaïlande qui ne meurent pas dans la légende" (comme chacun sait) nous roulerons dans l'herbe molle, et sous nos doigts les coeurs de Marie rougiront comme des jupes espagnoles, après quoi, ne devrait surgir que l'éblouissement de l'amour absolu (et ses préludes émouvants). On s'émerveillera par avance sachant pourtant ce qu'il en coûte, couché sur de grandes vénéneuses, (mais non, ce n'est pas ce que vous croyez) titillements, vrille chercheuse des pois, antennes et reflets d'abdomen, tout cela pourrait nous faire songer à ces êtres qu'on ne nommera pas, aux alchimies secrètes qui attirent les abeilles et nous respirent (faites entrer : messieurs les abeilles, en costume traditionnel. Virez moi ce bourdon (qui ne meurt pas après avoir piqué), ce frelon (et ses grosses mandibules), ces guêpes laborieuses.

"Abusés, par tant de beautés les abeilles se poseront sur les coeurs, pour copuler".

C'est écrit dans le ciel. On rit de ce malheur, on en pleure, (c'est ça les filles, ça rit, ça pleure !), ô pernicieux printemps ! que de beautés et dire soeur Anne, que je ne voyais rien venir ! fus-je, (fussé-je) donc si aveugle ? Ne jurant que par le vent d'Octobre, par le spleen anglais de monsieur Paul, on oubliera les roux voltigeurs de Septembre, pour une fois... Fleurs en coeurs du tilleul, cordifronts, vous m'en direz ! pas une seule des fleurs en photo ne sera clairement nommée. Si vous humez, vous humerez...  On m'annonce que la note expire. Dommage ! juste au moment où j'allais vous faire découvrir le monde secret des exsudats, vous dessiner l'humus, vous traduire, en latin charmillon tout le langage des fleurs, (d'après le livre de Madame Charlotte de la Tour), mais j'ai mieux... Dandelion, euphorbia, black tulip etc ...

"A thousand flowerettes in the sky just for you." Enjoy !

Photos : Au doux langage des fleurs.

photo 1 : Ceci n'est pas une pinte de coucou, La belle jaune à houpette a sûrement quelque chose à nous dire... Ca a l'air compliqué. Ou sinon une idée de coiffure de printemps ? (Espoir)

Photo 2 : Timide comme la violette bleue, mais ceci n'est pas une violette bleue, ou de l'inconvénient des slows avec les haricots. Trop grands pour elle. (Chagrin).

Photo 3 : Ce que vous voyez est-il ce que j'ai vu ? Mais peut-être pas ? (Persévérance ) ...

© Frb 2011.

mercredi, 06 avril 2011

Et puis...

On aurait comme les freins serrés à bloc. Et me sentant soudain envahi d'une grande fatigue, malgré l'heure qui était celle de ma vitalité maxima. Je rejetai la bicyclette dans le buisson et me couchai par terre.

SAMUEL BECKETT "Molloy", éditions de minuit 1951

DSCF4277.JPG

Les mots vous lâchent, il est des moments où même eux vous lâchent" (S.B.)

 

 Les mots entrent en collision avec les personnages, ceux crées par Beckett se définissent d'abord par la parole, jusqu'à l'épuisement, jusqu'au dernier souffle. Ces voix n'ont rien à dire, et pourtant elles le disent, et du fait qu’elles n’ont rien à dire, elles ne semblent jamais épuiser un sujet qui, s'il a existé, s'est épuisé dès le début. La voix pourrait se taire, laisser place au silence mais ce serait abandonner avant d’avoir tenté d’épuiser toutes les issues...

 



Le poème qui suit est le dernier texte que Beckett écrivit en français environ un an avant sa mort, ultime expression du sentiment de l’absurdité de l'existence, et peut être même absurdité de l'expression ?

 

Folie —
folie que de —
que de —
comment dire —
folie que de ce —
depuis —
folie depuis ce —
donné —
folie donné ce que de —
vu —
folie vu ce —
ce —
comment dire —
ceci —
ce ceci —
ceci-ci —
tout ce ceci-ci —
folie donné tout ce —
vu —
folie vu tout ce ceci-ci que de —
que de —
comment dire —
voir —
entrevoir —
croire entrevoir —
vouloir croire entrevoir —
folie que de vouloir croire entrevoir quoi —
quoi —
comment dire —
et où —
que de vouloir croire entrevoir quoi où —
où —
comment dire —
là —
là-bas —
loin —
loin là là-bas —
à peine —
loin là là-bas à peine quoi —
quoi —
comment dire —
vu tout ceci —
tout ce ceci-ci —
folie que de voir quoi —
entrevoir —
croire entrevoir —
vouloir croire entrevoir —
loin là là-bas à peine quoi —
folie que d’y vouloir croire entrevoir quoi —
quoi —
comment dire —


comment dire

 

A speciale dédicace : à JEA, pour une lettre précieuse qui tient encore le fil, pour cette courte échelle avec vue sur chemins. Contre les murs qui réduisent l'écriture à rien. Pour les métamorphoses à venir, je ne sais pas. Peut-être...

Photo : Juste une image. © Frb 2011.

mardi, 29 mars 2011

Des fourmis plein la tête (part 1)

A propos de quelques questions recueillies au hasard dans les livres et dans les magazines...

Pour consulter la part 2 des fourmis plein la tête vous pouvez cliquer sur l'image.Fourmis T0041.JPG

Qui suis je la nuit ? Pourquoi le chaos est-il si fascinant ? Est-il nécessaire d'être attentif ? Est ce que tout compte ? S'adapter mais à quoi ? Si 38 allumettes forment 15 carrés, en retirant 6 allumettes comment procéder pour obtenir 9 carrés ? Qui fait quoi, dans la maison ? Jean Mallot sera-t-il  le prochain président des français ? A quoi servent les passions si on ne peut les dire ? Que fait cette dame dans mon manteau ? L'outrance est-elle drôle ? Etes-vous informés sur le ptz ? Etes vous chat, tigre ou chien ? Qu'est ce que le polyphème ? Connaissez-vous le jeu de triominos ? Y-a-t-il parmi les lecteurs un garçon bricoleur qui s'y connaitrait en plomberie ? Doit-on s'en remettre à l'absurde ? Etes vous jaloux ? Pour ou contre le thermalisme ? Est ce qu'on peut se battre correctement à l'intérieur d'un système qu'on dénonce ? Qui coupera la tarte ? Quel est le compte qui ne peut jamais avoir un solde créditeur ? La mémoire peut-elle se contenter du travail de l'historien ? Comment faire pour qu'on ne me pique pas  l'homme que j'aime ?  L'art nous détourne-t-il du réel ? Qui me donnera la preuve que j'existe ? Pourquoi les léopards ont-ils des tâches ? Ecrire quoi ? Etes vous candidat au coup de foudre ? Suis je plus visible qu'audible ? Si vous étiez une pomme de terre, laquelle seriez vous ? Qu'est ce qu'une corne de gatte ? Sachant  que pour écrire les numéros de pages d'un journal qui a 12 pages on utilse 15 chiffres, Combien utilise-t-on de chiffres pour écrire les numéros de pages d'un livre de 1001 pages ? Comment apprivoiser l'ennui ? Met-on un trait d'union à sens dessus dessous ? Comment faire pour faire chauffer les chapatis si l'on n'a pas de gaz ? L'ai-je assez aimé ? Pourquoi les anglo-saxons mettent-ils des majuscules partout ? Faut-il rattacher l'enfant majeur étudiant au foyer fiscal ou déduire une pension alimentaire ? Peut-on se passer du nucléaire ? Le bruit blanc véhicule-il un sens ? A partir de quel âge est-on vieux ? Le rap et le tag peuvent-ils être de l'art ? Connaissez-vous la recette du "Piof" ? Que devient mon poing lorsque ma main est ouverte ? Existe-t-il des êtres qui pensent ailleurs que sur la terre ? Les gens moqueurs sont-ils méchants ? Quelle est la différence entre l'ebe et l'ebidta ? Le dégoût est-il une forme d'attirance ? Peut-on aimer toute la vie quelqu'un qui ne vous aimera jamais ? Le néant est il toujours absolu ? Les rillettes sont-elles des fruits ou des légumes ? Doit-on revoir ses ex ? Qui sont les "vrais gens" ? Les idées chevillées au corps viennent-elles du cerveau ou du corps ? Qu'est ce qu'un transcendant satrape ? Où finit le système solaire ? Doit-on dire "je vous serai gré" ou "je vous saurai gré" ? L'épithélium 26 est-il bon pour le capiton plantaire ? La nature est-elle dégoûtante ? Faut-il obligatoirement agir pour se sentir utile ? Comment dessaler une poitrine de porc ? Que pensez vous apporter à notre société ? En quel honneur la femme pourrait-elle se prétendre l'égale de l'homme ? Aimeriez vous vivre au val d'Aoste ? Les vérités mathématiques constituent-elles le modèle de toute vérité ? Si je viens en voiture est-il possible de me garer sur la place ? Qu'est ce qu'une illusion populaire ? Pourquoi malgré toute ma bonne volonté je n'arrive pas à me téléporter ? Quelle est la valeur d'un franc en euro ? Qu'est ce qu'une question philosophique ? La cravate est-elle démodée ? Le seïsme japonais a-t-il modifié la durée du jour ? Quand vous souriez en téléphonant, vous téléphonez à qui ? Où va l'eau ? Pour ou contre la télé-médecine ? Avez-vous une démarche ? Peut-on refaire sa vie à 65 ans ? Que font-ils de notre argent ? Comment appliquer un syllogisme à la vie pratique ? Pourrait-on espérer des moments meilleurs si on ne les avait pas perdus ?  Existe-t-il une théorie générale des questions ? Oui ? Non ? Pourquoi ? What else ?

Photos : Des bestioles sur fond gris rasent les pâquerettes (hors champ ou hors-chant) quelque part (je ne sais plus où exactement) du côté de la forêt Morand, dans le 6em arrondissement de Lyon. Pas sûr que les nettoyeurs aient laissé vivre les deux castors. Seules resteront les questions. Pourquoi certains jours les fourmis ressemblent à des castors ? Pourquoi ne dit-on pas des castors plein la tête ? Etc.. Etc...

©Frb 2011.

dimanche, 27 mars 2011

Prélude aux secrets de la création

Je fais mon oeuvre comme je dois, comme je puis, voilà tout ce que je peux vous dire.

Claude DEBUSSY  (mais ceci n'est pas une oeuvre de Claude Debussy)


 

 

vendredi, 25 mars 2011

Les secrets de la création

Je me lève à 9H00 du matin, je me couche à minuit et entre temps, je suis éveillé.

Extr de la biographie de DAVID SHRIGLEY

ombres0142.JPGOn voudrait le miracle ou se faire une place au soleil avec des mots qui portent l'ombre. On nouera sans crainte des noeuds faciles à fabriquer, sur la corde raide dans la musique de variété. Jusqu'à la création d'un noeud de coeur assurant le second de cordée contre tout accident. Parfois le noeud glisse, on poursuit seul. Il y aurait un malaise à regarder de près les artifices. Contre eux, on trouverait quelques lois, des entraves à la liberté: un milieu avec ses côtés, ses pointillés prêts pour le découpage, et des correcteurs d'orthographe automatiques moins doués pour le système D que le"Tippex" ou la colle "Cléopâtre" avec son goût de pâte d'amande qu'on mange dans le plus grand secret. On s'entiche dans la joie du pliage des cocottes en papiers pour les yeux d'un coco à la côte d'amour, un instant. On voudrait ouvrir un dialogue avec des personnages, on les coupe de moitié. Pour nous c'est la réalité, on enregistre des conversations avec les oiseaux sur des balcons, on se roule dans les pigeonniers, une fiole d'encre renversée sur ces tables à tréteaux que l'on nomme écritoires, parce qu'on n'en finira jamais avec la création, on collera sans fin, ligne après ligne des impressions recoupées les unes sur les autres afin d'en préserver la trace pour on ne sait qui, comme on regarde le vin mûrir dans des fûts à l'obscurité. Puis on en rira avec d'autres qu'on connait, vivant en nous, loin ou plus près, au milieu des "ah!" et des "oh !" dans les clairettes d'un vernissage, tous ces accents pointus au printemps des salons, à l'hiver, et ces caves, chez ceux qui ne trouvent pas leur place, et qui peuvent en mourir un jour. On abusera des hauteurs de la gamme pour s'enticher encore : "l'art ! l'art ! l'art !".

Sérieux, n'est-ce pas ?
Sérieux, sérieux, sérieux jusqu'à la mort.

on dira qu'on fait l'art, qu'on est l'art, lardés, larbins, lardons. On applique au final, une tête normale qui en bave et s'usage à la cinquième saison pour un verbe monumental, jusqu'à dégommer la syntaxe. L'illusion, serait-elle l'unique point d'amarrage ? Il nous hante, ce rêve ancien d'où vint la joie inaltérable, où le phénix pleure et meurt puis se régale aux secrets de la création, au degré zéro de l'art pendable, au point G de l'amour monstre, au point N de l'amour fou qui fait patiner dans les graves des rimes pour incendier nos ombres sur une pente qui perd le nord et débride les points cardinaux. On ne saura pas dans quel sens lire les déclarations. Le mystère des affinités offre un goût de nectar au poison et le droit d'abolir l'espace est notre don.

Nul ne nous invitera à grimper sur l'échelle du vieil amiral. Nul fondement, nul évènement, ni passé ni futur ne pourraient servir de leçon, peu importe ! voilà qu'aujourd'hui, on s'absente, si jeune, déjà mort quelque part, toujours prêt à renaître, étranger en sa propre fiction. Saurait-on faire autre chose que bricoler notre mémoire ? Valider tout un tintamarre entruqué par des rubis doux. Ces plumes d'autruche sur ton pelage se conjuguent à la perfection avec un mot dont il est temps de connaître le nom. Tu en fais des perles que je porte pour la joie qui est rare. Une plage sur un caillou, des vers luisants dans le bois de Bellegrange, on ne voudra plus chercher ailleurs la divine proportion, on ne pourra plus s'imaginer vivre sans. Il n'y aura pas d'autre choix, pour nous mener plus haut ; et ce peu nous attache. Le vide de nos conversations amusera. Enfin, ce ricanement qui va sur tout, équilibre un peu la maldonne, nous éloigne du grappin d'un monde qui n'est pas fait pour nous. Nous barbouillons ensemble les panthéons dans ces couleurs crépusculaires, le sabordage est notre divine solution, infidèle à l'originale, il nous tarde d'en jouir, tellement nous l'attendions.

On poserait sans y penser les pieds sur une étoile, ailleurs tous les voeux armeraient d'opiniâtreté, les hommes empressés d'arriver. "Arriver" est un drôle de mot, qui ne dit pas la solitude mille fois écrite ou filmée parfaitement, illustrée par le grand Emile, reprise par quantités d'escrocs qui balaient nos songes, volent la route, se pavanent comme des majorettes font tourner des bâtons dans des foires, avec le nom de "saltimbanques" en titre. Les voilà prenant des grands airs garants de la vie de bohème, "saltimbanques", "gens du métier" autant d'artistes... Nous sommes tous des Michel Drucker. Ils disent avec solennité : "pour réussir, l'artiste doit aller charbon, que le charbon c'est un métier, et quel métier ! diable et misère !" Que savent-ils du charbon et de la misère ces escrocs, qui ne sauraient sacrifier ni enfant ni épouse, ni le canapé du salon, pour vivre peut-être mal, mais libres ?

Ailleurs, un coureur ouvrage les fusibles dans l'alchimie brutale du feu de l'eau, de la terre et du vent qui tournent. Il ne saurait s'occuper de charbon. Il s'accroche, puis il se déprave. Il effeuille les jours et les jours, sans souci des révélations ; que l'art soit mineur, ou majeur, là n'est pas la question. On s'étonne dans les pages sur une ligne fébrile qui glisse par accident dans la ligne d'un autre, il se peut qu'elle révèle, là, le point d'amarrage, ici un grand désir de versifier le monde. Juste après le néant, il y aurait encore un fil. C'est autant de foulées au dédale où l'on compte et recompte les morts, à se coucher à vie au milieu des oeillets dont le rouge ouvre à la passion, on partagerait le fil d'Ariane en suivant le fil des saisons. Certains charment les tombes ou caressent les craquelures d'une toile, ils y retrouvent l'origine presque intacte, les pas foulant une route qui ne s'arrête jamais, une planche dans une mare ne servirait de pont que pour peindre des nénuphars. Et l'autre, à tête barbouillée de charbon, viserait un chemin qui déraille du côté de la nébuleuse d'Orion, aveuglé, cherchant le soleil, ses doigts peignent des cheveux d'anges sous la lune renversée. Une avalanche de boules de neige, des biquets sortis d'un chapeau dériveraient loin des faussaires qui bradent à la criée des perles en plastique au marché où l'on vend des mensonges.

Le temps passerait. Un siècle plus tard, réveillé par un baiser de légende, on voudrait que cet embrassement déplace tout. Il serait beau de croire qu'être seuls à plusieurs est encore un secret de la création. Aux yeux de ces communs du lot, les montagnes deviendraient des pipelines pour achalander l'hyper-Rion. Elles n'accoucheraient même pas d'une souris. Les communs, (ceux du lot), ils ont d'autres occupations. Ils achètent et ils vendent, plus souvent ils shoppinguent. Ils tripotent dans les bricoland, les antennes et les paraboles qui brouillent nos émissions. Nous les croisons parfois, ils sont dignement pourvus de leurs points de vie : ils travaillent "moi monsieur", ils nous toisent, parfois ils nous conseillent ils nous parlent du bonheur, nous offrent la recette ; insolents de santé comme une tête de Mickey riant sur le dos d'un tee shirt.

Photo : Un endroit où on ne peut plus aller et qui ne sera plus jamais tout à fait tel. Ombres et lumières dans un bel escalier au hasard d'une balade à l'intérieur de l'Hôtel-Dieu aujourd'hui livré aux mains des renégats... Photographié un jour d'hiver à Lyon. © Frb 2011.

mardi, 22 mars 2011

Court circuit

Toujours... Toujours il faut que j'aille dans les rues... Et je sens toujours quelqu'un derrière moi... C'est moi même... Et il me suit.

PETER LORRE dans "M le Maudit" de FRITZ LANG, 1931

ombres002.JPGIl est riche de ses actes, il écrit son nom il l'accole aux gens qu'il croise, et cela est sans conséquences, il ne va pas, il ne se contente pas du peu. Il ne prend pas la page blanche pour le début, c'est sa fin, il l'arrange, s'y rajoute, continue l'existence jusqu'à cette stabilité qui l'insupporte, un monde imaginé par tous ceux qui ont précédé, semblables à ceux qui suivent, des tas de gens, des têtes dont il n'a rien à dire. Un niveau machinal, des relations interchangeables à l'infini, il compose à ce jeu un grattage, il ne gratte pas, il se déchire.

Vu de loin, cela contraste avec la notion pour lui, incompréhensible de sympathie. Il élabore des figures qui de près ou de loin l'obsèdent par leur monotonie, il gratte et enterre tout dans son jardin, il rature des pages et des pages jusqu'à l'avènement d'une oeuvre d'art blanche, oeuvre purgée du sentiment, art de s'absorber dans l'espace, de recomposer le désordre avec les éléments. Il se met dans la peau d'un autre qui se trouve déjà dispersé. Le plus sûr de son initiative a déjà échoué. Il voit d'avance, une page qui manque juste au milieu du livre, une morsure au coeur de la toile, les fourches dans les cheveux des filles, un concentré déjà détruit qui contient à lui seul toute l'histoire du monde, celle des hommes et son destin à lui. Dans cette absence, il y a la voie lactée, la conquête de l'espace et l'embrassement d'une fusée avec une étoile filante, la réalité confondue dont il est pure trace,  reliant au ciel sa glaise, son fleuve et son métal, une situation de danger au terme d'un lent acharnement sans aucun but défini à l'avance.

Le cours du temps passe dans l'élasticité de journées indolentes. Aux aguets d'un langage détruit, entre les corps, des bêtes à grosse carapace ont promené sur leur dos, les dépouilles des hommes et des femmes, ceux qui n'ont pu survivre, le résultat grosso modo de toutes les guerres visibles ou invisibles, il ajoute un peu de son corps, qui meurt parfois petitement dans l'amour, se voudrait inspiré, goûtant une telle offrande, prêtant sa chair qui délivre du mal aux baisers de l'éphéméride. Il pourrait avoir honte à se faire aimer trop, sans pouvoir aimer trop lui même, ou aimant trop sa solitude qu'on dit incompatible avec l'amour. Ce on dit, est encore une foutaise. La petite idée se forme dans sa tête qui le taraude pour brûler ce qu'il reste d'obsession à oeuvrer, il voudrait contempler les petits matins, dans la joie de la course à pied, du basket ball, des descentes à vélo sans les mains, tout seul des jours entiers il joue entre des marques tracées sur le sol à la craie, et court sous un panier à essayer de réussir des doubles pas, à s'encourager dans le dribble, les mains apprenant la dextérité en compagnie de joueurs invincibles, qu'il imagine et qui n'existeront jamais. Chaque jour, lui vient de plus en plus d'adresse pour en finir avec le besoin de dextérité. Cela n'est qu'un mouvement dans l'espace juste pour oublier que la pensée peut fondre comme une savonnette. Il est cet enfant souple glissant sur une rampe d'escalier. Il parade le jour. La nuit, il pleure ce que le jour lui a volé.

Des guerres ravagent son écriture, cela engendre une sorte de poème héroïque, avec des idées monstrueuses qui chevauchent des idées sublimes, tous les mots il les plie à sa volonté dans le goût capiteux de répandre l'épuisement sur la terre, l'épuisement des êtres et des lieux jusqu'à qu'il n'en reste rien, ni dedans ni dehors, et la douceur va dans son regard, dans ses yeux bleus ou gris qui pleurent et cela fait comme une pluie de météorites plus loin, ailleurs, il verse l'alcool à brûler dans des fioles d'encre bleue ou grise, un petit feu court sur toute la surface d'une nappe, du genre toile cirée, juste au milieu, il y a un ilôt de cendre qui brille, il y voit une peau de chagrin grosse comme un pois cassé. "Pois cassé", les deux mots roulent entre ses doigts. Existe t-il encore une chose au monde qui ne puisse pas se casser? "Pois cassé", rien à faire, comment casser ce rien ? Les plus petits obstacles sont toujours les plus vains, il devra désormais lutter contre cette chose minuscule qui résiste, dont chaque jour il essaye de s'acquitter au mieux. Le combat à l'oeil nu paraît pourtant facile. Chaque jour il s'applique et chaque jour ayant échoué, après des heures passées, en bras de fer qui l'auront épuisé, il regardera le soleil se coucher, et se dira : "et merde !".

Photo: Une ombre demesurée qui précède ou qui suit on ne sait quoi, on ne sait qui, prise en flagrant délit sur les pavés aux alentours de la bibliothèque de la part-Dieu à Lyon. © Frb 2011.

dimanche, 20 mars 2011

L'étranger

Le ridicule de nos sentiments ne change rien à leur authenticité.

MILAN KUNDERA : "Une rencontre", éditions Gallimard 2009.

leçon de musiquePG.JPGIl s'était longtemps figuré vivre ainsi seul sur la terre. Il avait fait de tous les autres les objets d'une cour qui le déplaçaient au gré des circonstances entre les tables d'un banquet, sur des chaises, partout, et cela lui était étrange. Bien qu'il eût l'air d'être toujours ailleurs, nous lui prêtions des qualités si attentives que nous étions persuadés de ne pouvoir vivre sans lui. Dans un espace serré, sans obstacle et indifféremment peuplé, les autres l'ordonnaient à leur guise, il semblait satisfait affichant une figure ni triste ni gaie. Toute chose l'indifférait, les genres humains plus encore. Il prônait cette indifférence avec style si bien que chacun pouvait imaginer devenir son meilleur disciple, lui, rien ne l'effleurait. Il ne se frottait à rien qui pût risquer d'égarer son âme. Sa présence, était devenue un tel objet d'exaltation et de discorde entre nous, que pour ne pas nous déchirer, nous avions cessé d'en parler. Ce silence entre nous excitait notre dévouement. Son indifférence nous happait. Nous en ressentions une grande déception qui parfois nous embarrassait. Nous voulions à tout prix qu'il nous aime, la raison seule ne pouvait l'expliquer, chacun à notre tour, nous voulions devenir à ses yeux, quelqu'un d'autre, le "rare" qui sortirait du lot. Nous étions subjugués. On aurait dit qu'il occupait tout l'espace. Tout ce qu'il regardait pouvait accentuer en nous le désir de l'aimer, nos sens s'en trouvaient désaxés. Lui, il semblait ignorer notre goût pour la servitude qui avait pris l'aspect d'un concours insensé, chacun désirant être le premier à gagner son estime, le coeur froid de cet étranger nous chauffait l'âme et notre adoration peu à peu rongeait les amitiés. Lui, Il passait d'une personne à une autre, avec la même désinvolture, un ton distrait, à peine juste un sourire et cet air d'être à mille lieues de là où notre esprit l'attendait, déraciné, totalement libre, il voyait plus loin que nos yeux, plus loin que le bout de notre champ, et nous aurions voulu savoir ce qu'il cachait de plus que nous. Mais il n'avait pas nos manières, il passait, ne restait jamais. Etait-ce juste par hâte d'en finir avec l'un, passer encore plus vite à l'autre. En finir sans jamais terminer ? Il était souvent forcé de redire à l'un ce qu'il disait l'autre et cela voulait toujours dire que rien ne s'était déroulé comme on l'espérait. Chaque instant qui suivait annulait tous les autres, notre grâce était d'ignorer qu'il ne resterait rien de ce peu qu'il parviendrait sans vraiment le  faire exprès, à peut-être nous accorder. Il ne nous donnait rien en réalité. Nous étions tous désespérément traités à égalité. Il portait un vague interêt aux coutumes qui étaient les notres, n'affectant pas d'égard particulier, il ne regardait ni les uns, ni les autres cela éveillait en nous cette velleïté de nous réduire à le charmer jusqu'à ce qu'il montre un jour une préférence, pour quelqu'un en particulier, qui parviendrait à l'émouvoir, peut être alors, se risquerait-il à nous dévoiler quelque chose ? Ce serait pour nous, un grand moment d'espoir... Aucune de ses répétitions ne nous paraissait dire les choses à l'identique, ce vide, cette économie de mots, ponctuée de silences, ces phrases qui s'arrêtaient au moment où tout pouvait nous pousser à croire que son sentiment pour nous grandissait ; jusqu'à sa nonchalance, tout en lui, paraissait d'une telle intensité que nous avions fini par croire que sa pensée transportait des mondes qui ne seraient jamais à notre portée. Sa réserve cachait d'autres mondes, les fantômes de son passé étaient devenus les notres, et ses créatures enchantées comme ces lianes qui poussaient au coeur de nos forêts, ces plantes carnivores aplaties dans l'herbier, cette prudence qu'il préconisait, tout cela en jetait ; tant il est vrai, que pendus en grappes à ses paroles et rampant à ses pieds, nous manquions d'imagination.

(A suivre, peut être...)

 

 

Photo : Ceci n'est pas le joueur de flûte de Hamelin, mais le joueur de pipeau, du jardin du Palais St Pierre dit jardin du musée, photographié à Lyon, presqu'île en Mars de cette année là.

© Frb 2011 

jeudi, 17 mars 2011

L'hiver s'en va

 Sur l'air d'une chanson de Jean Sablon 

av derniermo1341.JPGav der mov4046.JPGav der mov1324.JPGl'hiver s'en va,le monde en marche,vieillir,filature,ritournelle,irreversibilité,saisons,le temps qui passe,le temps qui reste,humanités,lot commun,hier,lucien du plateau,croix-rousse,aujourd'hui,demain,destinée,cruautéretraités de la X rousse 2.JPG Photos : L'hiver qui s'en va vu par Lucien Duplateau, Photographe officiel du"café des artistes" à la Croix-Rousse (from Lyon, since 1946).

© Lucien Duplateau 2011.

(tout droit de reproduction interdit sous peine de suppression des internettes) 

mardi, 15 mars 2011

Fallen angel

- A quoi passez-vous votre temps ?
- Le plus clair de mon temps, dit Colin, je le passe à l'obscurcir.
- Pourquoi ? demanda plus bas le directeur.
- Parce que la lumière me gène, dit Colin.

 BORIS VIAN in "L'écume des jours",éditions, le livre de poche, 1987

Colline0129.JPGPetit plan d'une ville à saisir, dans les motifs des portails de la rue Denfer, sur la mosaïque d'une façade qui jouxte une villa de taille idéale près du jardin de l'ancien presbytère ; ici, se trouve un homme penché, qui vomit sur les escaliers, plus loin, j'aperçois la chevelure blonde d'une femme qui s'éloigne. Ensuite je ne vois plus que des chevilles, entre les ronces enchevêtrées, de longues tiges bordées d'épines cachées par l'ombre. C'est la fin du jour, c'est la nuit. Loin d'une terrasse où l'on s'allume, sur une place, un couple se dispute  ; deux silhouette longilignes appuyées contre la portière d'une 206. Une planète engloutie, des millions de figures embarrassées de songes, un château Margaux pour l'oubli, des hommes penchés sur des figures, des fugues ignorées et des êtres qui cherchent leur moitié parmi les détritus. On voit même parfois le courage revenir grâce aux bitures, et le silence nous garde de ces forces actives qui nous auront nommés misérables. Tourbillon, escalade, chute cernée d'engrenages. Le vieux terme maritime dit : "lovage en biture" qui signifie : "ranger un bout ou une chaîne en formant des huit pour éviter la formation de tours", il évoque dit-on peut-être la marche de l’homme ivre. Des bitures pour les peines, les mêmes, pour le courage, qui commencent dans la fête, se terminent en sucettes en citrate et charbon. On rentre à la maison. L'homme s'est relevé, il frappe du poing contre l'escalier il crie "conasse !". La femme revient sur ses pas, vite. Elle trotte et le bruit de ses talons joue sa petite réverbération contre les murs d'une cour d'école. Elle parle à l'homme. Lui, il se noie et continue de taper du poing violemment sur le sol. J'entends un peu la femme qui essaie de discuter. "Je sais pas pourquoi  les femmes, elles veulent toujours discuter", lui il pense qu'elles sont folles ou chiantes le plus souvent, c'est les deux. Elle lui dit gentiment "T'avais qu'à..." "T'avais qu'à pas..." Puis des injures, "Regarde moi ce con !" "T'es vraiment qu'une pauvre merde, Christian... ". Elle s'éloigne, il essaie de répondre les yeux fixés sur son vomi, il répond il ne sait plus à qui, il balbutie : "tu comprends rien" mais trop loin d'elle. Elle ne peut plus entendre. "Elles sont comme ça les femmes elles veulent, les femmes, elles veulent, toujours discuter. Elles veulent on ne sait pas quoi. Est ce qu'elles mêmes elles le savent ?". Discuter, il y a un temps pour ça. Un temps qui passe et après, discuter, elles veulent pas. Le bitume claque encore sur le passage d'un groupe de gens qui cherchent un restaurant, On voit les bottines à la mode, à petits talons en daim, des écharpes à motifs indiens, des blazers anglais, des parkas, des dizaines de parkas achetés au stock américain, hors de ce défilé de mode mi-hiver, mi-printemps on sent Mai et ses fêtes enrober les heures ternes et les premiers bourgeons minuscules, au bout de branches sèches comme soudées sur des arbres morts et ces foules cet aplomb de ces galops qui claquent, un écho de talon qui s'approche puis s'éloigne, etc.. L'homme s'effraie de l'état des lieux, il a vomi sur sa cravate, il a frappé, il a pleuré; maintenant il pue; quelqu'un dit "ça pue la vinasse". Agenouillé devant la porte, face à la rue, les yeux fuyant un halo de lune masquée par un nuage, les mains tendues vers l'escalier, il y a de la beauté dans la forme de ses mains qui ne savent plus où s'aggripper. La femme est partie de l'autre côté, disparue dans l'allée d'un n°8, parallèle à la rue d'Ivry.

Au matin l'homme se réveille, sur le même escalier, il aura dormi habillé sur des dalles de l'église St Augustin. St Valentin ? Il ne sait plus. L'aube fera resplendir ailleurs des corps absents dans d'autres chambres. La femme, elle se réveille aussi, au N°8 sous une grande couette à fleurs hybrides jaunes et violettes hideuses près d'un corps qu'elle ne connait pas mais suivant le bout de ses doigts elle en connaît, dira-t-elle "les grandes lignes". Elle pense : "les grandes lignes c'est n'importe quoi !. Elle est libre, elle l'a si souvent dit, "libre et prête à n'importe quoi", mais surtout, pas, "non, quand même pas !" elle ne va pas prendre son café avec cet homme ni beau ni laid. Elle prendra le café quand même avec cet homme, ni beau, ni rien, au caractère juste agréable, pour la forme, dont la nuque sent la savonnette, le senbon de chez Séphora, un truc de goût, genre "Eau sauvage", ou "Kouros" un parfum qui sent l'homme, qui pue sur le tissu la glande de chevrotain, avec un petit fond de pisse de chat. Elle jette un oeil sur son portable. Elle cherche Christian, elle ne voit pas. L'autre, il est dans la salle de bain, il arrange sa coiffure en brosse avec son peigne, il reste des heures, elle pense "Est ce qu'il aurait pas plus vite fait d'arranger sa coiffure en brosse avec ses mains ?". Il va dans le salon, glisse un cd dans un bidule, un vieux tube de Moby, elle pense "Merde ! Moby, il manquait plus que Moby!". Elle regarde encore son portable, elle a très chaud aux mains, elle vérifie les numéros, Christian encore. Christian n'a pas laissé de message, pas d'appel de Christian, "pourquoi Christian il l'appelle pas ?". Elle pense qu'il ne doit pas aller bien que peut être il aura besoin d'elle. ? Puis elle pense le contraire : "ce connard n'en vaut pas la peine". L'autre, il revient, avec sa coupe en brosse, des épis impeccables aplatis par le Petrol Hahn, du senbon sur les mains, il lui caresse les seins, elle ne trouve ça ni mal ni bien, elle se dit "après tout, pourquoi pas ? A mon âge, il faut que j'en profite avant que plus personne ne veuille de moi, c'est vrai, quoi ! qu'est ce que j'ai à perdre ?".

coline0050_2.JPG

La nuit croise le jour à l'heure où tout vient à nouveau, comme hier, comme un premier jour après une première nuit d'amour qui ressemble à une nuit ordinaire. Il y a d'abord ceux des labeurs matinaux puis une foule qui dynamise les petits couloirs de la ficelle. Station Croix-Rousse, Hénon, Caluire et Cuire. Le soleil éclaire le caillou sans éclat tel un diamant brut qui culmine à 254 mètres sur un échantillon de soie, sous l'auguste des étourneaux font un de ces baroufs, il y a des forains sous les arbres qui transportent des cageots. Il y a des taxis qui patientent devant la marbrerie, de La rue de La Salle. L'homme aura attendu longtemps en longeant le parc à vélos (vélo'v qu'ils nous disent, traduction intégrale = vélos d'amour) entre le Clos Jouve et le "café Jutard", il commence sa journée comme ça, avec deux ou trois verres de blanc. Et de quatre !  "Et hop ! un dernier pour la route ! Partout il voit des sosies de blondes qui font claquer les mêmes talons c'est la charge d'une cavalerie lourde, défilé de guerrières sur Mars. Partout il entend des femmes blondes lui dire "t'es vraiment qu'une pauvre merde, Christian"... Partout il voit des brunes en body lamé qui se couchent sur sa peau, lui chuchotent à l'oreille "Que tu es beau, Christian !". Au bout du cinquième verre il finit par y croire vraiment, il mate dans la rue les brunes et les blondes et les rousses moins souvent . Elles disparaissent, toutes de la même façon, dans des coins de rues, dans des traboules. C'est une malédiction, dont il n'a qu'une image, ces femmes qui le pulvérisent dans des coins, à coups de bombe. La seule image qui le console c'est quand il pense à elle; avant hier, il se souvient dans la petite cuisine en soupente, d'un petit appartement rue de l'Alma elle lavait la vaisselle il l'essuyait et ils causaient d'un peu de tout à peine, sans se prendre le chou, et c'était bien comme ça. Il cherche dans sa poche, le portable, où il est ? Et ses clefs ? Il faudrait qu'il refasse tout le trajet d'hier, alors qu'il ignore d'où il vient, qu'il aille au commissariat le plus proche faire une déclaration de vol, de perte, il va entre les portes de ces longs corridors et son oreille se colle sur la vitre d'entrée noire du nouveau glacier où gît la dépouille de l'ancien Lutin Bleu, le magasin des petits enfants en pyjama devenus méchants, à force. Une danse gourde porte son corps sur des passés sans gloire, des jeux de mains, qui ont fondu comme neige ou vogue, pendant que des cristaux multicolores éparpillent sa tête sur un comptoir doux c'est un traversin. Il tente dans un demi-sommeil, de reconstituer la trame des évènements, qu'il reproduit sans cesse à l'identique quelle que soit la personne rencontrée. Qu'a t-il vécu avant pour que tous ces visages au final n'en forment plus qu'un ? Le plus inaccessible, toujours le plus absent. Dans les miroirs du bar il voit son reflet prenant des airs d'homme de demain, ses gestes de chevalier d'avant, au temps de la grande époque, quand tous ses combats étaient nobles, ses étreintes sûres et fortes, toute cause valait qu'il risque gros. Les filles disaient: "Christian il est pas comme les autres", ils s'aimaient et après ils se quittaient copain-copain, il n'y avait pas de drame, pas de biture, pas de vomi sur les cravates. Et Christian, il est là, comme les autres, au milieu d'une bande de gueulards, des poivrots, des vantards, des grands minces avec des gros bides, des petits rougeauds en salopette, qui rigolent à propos de rien, ils sont tous là et ils rigolent, à charrier la serveuse, ses lolos et son popotin. Lui, il retrouve ces vieilles gueules du vieux monde, sa sale gueule qui ne s'accorde pas avec ce qu'il est, ce qu'il voudrait montrer, nul ne le voit. Il aimerait bien appeler sa blonde au téléphone il se dit (comme ces gens qui se disent "tu" à eux mêmes), il se dit "ça suffit, Christian, en ce moment tu déconnes, t'as assez déconné, maintenant tu rentres chez toi", la serveuse elle l'observe elle se dit "celui là, il est pas comme les autres", elle le tient déjà sous sa robe, dans ses bras,  sous son aile et dans son lit, tu crois ? Moins rougeaud moins poivrot que les autres, elle se dit du  pauvre gars qu'elle pourrait s'en occuper "bien", elle lui demande "Et le joli monsieur, il est tout triste, il va bien reprendre une petite rincette ? Je vous en remets un pareil ?" Il pense à cette chanson de Nino Ferrer "Rondeau". Il se dit que cette chanson c'est toute sa vie ou c'est la vie de tout le monde. Au fond, les chansons et la vie, il s'en fout. Il émet un grognement qui veut dire "va pour une petite rincette". Il se dit, "après tout. Pourquoi pas ? Un peu plus, un peu moins..."

  

Photos : Passage clouté sur le boulevard plus un mot glissant comme la soie. Colline comme ailleurs. Entre la grande artère et petite rue d'Alma. © Frb 2010.

lundi, 14 mars 2011

Dans l'épaisseur des images, on ne sait où. (part 1)

 Si l'on ne trouve pas surnaturel l'ordinaire, à quoi bon poursuivre ?

CHARLES ALBERT CINGRIA

image_0271.JPGCes derniers jours sont ralentis par des évènements incompréhensibles. Pour  tenter de m'en dessaisir, je traîne dans une bibliothèque qui ressemble à une salle de bain avec des serviettes en papiers impeccables, toutes reliées, rangées par ordre alphabétique de "Crime et Châtiment" à "l'Ombilic des limbes", pas une page de travers, pas même une trace de doigt, nul dépôt d'encre, ni bavure, ni poussière, ne troubleront ce papier blanc, jauni parfois, à peine, aux polices raffinées dissimulant par la grâce d'un travail consciencieux, la sueur ou les drames personnels des auteurs tous pareils alignés.

Ici, je traine encore des heures à l'entresol pas loin, dans une cafeteria qui ressemble encore à une salle de bain, conçue pour tous, d'un goût moyen, au décor sans  aspérité. Des familles, des collègues de bureau, ou des couples, du genre illégitimes s'y retrouvent et déjeunent ensemble. "Ensemble" est un mot impossible. Juste un éclat. Je poursuis mon vol à l'étal dans cet espace climatisé qui m'offre toutes sortes de livres, dont certains à jamais prisonniers du silo. "Les oiseaux" pas très loin des "Métamorphoses", au rayon étranger, près d'Ovide en exil, je suis enfin chez moi. Je pille et je repille les modernes, les classiques. L'image inspire autant les sons, les couleurs apocalyptiques des bruits de Russolo, et les troupeaux Dada qui vont jouer pas loin du rayon "bonne cuisine", les revers d'un naufrage passé à la postérité :

Buvez du lait d'oiseaux
Lavez vos chocolats 
Mangez du veau 

Cette chose finira bien par nous anéantir, comme Dada, au nez des artistes, n'avait cessé de l'espérer. Ailleurs, parodiant le décompte des passions impossibles, une trame lourde tient ces mondes à la botte de la correction. L'amour et le désert qui l'accompagne, les secrets bafoués et les exhibitions ; cette normalisation qui suit l'extase, c'est cela le désastre. Il n'effleure pas l'esprit des naufragés déclinés au carré, anguleux comme des tombes, où la poésie ne crache plus. Un minimum vital de poison, survit un peu, détaché des abus, une sève diluée dans une solution tiéde, étouffée de soupirs aux semblants soulagés comme nous pleurons l'absence, bercés sur des jonques colorées de flonflons qui plaisent à peu près à tout le monde. Ensuite vient aux index, un ajoût sérieux de notes appliquées, des numérotations interminables. L'abondance suffirait-elle à conjurer un manque qui en cache d'autres ?

Nous sommes nombreux, penchés religieusement sur les pages, dans les allées sournoises de ces caissons d'isolation. On entend un bruissement, un son rassurant d'effeuillage. Que cherchons nous ? Le processus s'enclenche, le domaine écope l'eau ; jaune et noir comme le Rhône qui draîne ses corps sous des bateaux où chaque soir on danse dans les reflets des ponts jusqu'au lever du jour. Chacun chorégraphié en dépit des mouvements de son être, happé par l'obsession d'une partie qui expliquerait le tout. Ce qu'il reste à savoir est un grand poème fleuve, assiégé de vers fous voués à l'irrévérence. On plongerait dans ce flux, la saleté des remous, un déferlement de phrases qui ne diront jamais assez tout le mal d'être au monde, l'oubli, et  les reflux, le déni, le re-flou. Là, des couleurs sépias au souvenir du Valois :

 Il parlait de celles de ce temps-là sans doute !  mais il m'avait raconté tant d'histoires de ses illusions, de ses déceptions, et montré tant de portraits sur ivoire, médaillons charmants qu'il utilisait depuis à parer des tabatières, tant de billets jaunis, tant de faveurs fanées, en m'en faisant l'histoire et le compte définitif, que je m'étais habitué à penser mal de toutes sans tenir compte de l'ordre des temps.

Ici la paysanne et la vierge "Aurélia" :

Puis les monstres changeaient de forme, dépouillant leurs premières peaux, se dressaient puissants sur des pattes gigantesques ; l'énorme de leurs corps brisait les branches et les herbages, dans le désordre de la nature, ils se livraient combats auxquels je prenais part moi-même, j'avais un corps aussi étrange que les leurs. Tout à coup une singulière harmonie résonna dans nos solitudes, et il semblait que les cris, les rugissements, les sifflements confus des êtres primitifs se modulassent désormais sur cet air divin. Les variations se succédaient à l'infini, la planète s'éclairait peu à peu, formes divines se dessinaient sur la verdure et sur les profondeurs des bocages, et, désormais domptés, les monstres que j'avais vus dépouillaient leurs formes bizarres et devenaient hommes et femmes ; d'autres revêtaient, dans leurs transformations, la figure des bêtes sauvages, des poissons et des oiseaux.

Ailleurs, des figures doubles dépourvues d'ombre, des femmes assoupies, des muses grimées en vouivre, traverseraient nos villes sur un nuages de cendre. Il se peut qu'on rêvasse et la nuit en pillant les archives glissées entre les pierres des monuments, il se peut que reviennent des pans de vies anciennes miraculeusement préservées, hâtant la joie sereine des affinités mystérieuses qui exigent l'anéantissement, peut-être... On se jetterait à distance vous et moi, d'un balcon à un autre en saluant les princes qui passent lentement dans des fiacres sous de vieux luminaires, vous et moi aspirant à cueillir quelques bourgeons de roses, dans la beauté du leurre, à confondre, les locataires qui vivent là où jadis habitaient les Dieux, avec les Dieux eux mêmes. On nouerait au passage, le souvenir d'un songe à des formes plus lointaines. Les monstres des bestiaires monteraient jusqu'à nos fronts y coller l'escarboucle, un troisième oeil étincelant légué par des visionnaires revenus déposer le ciel à nos pieds. La lumière se fait rare, nous resterons au piège d'un débit de conversation qui n'est plus à nous mêmes et qui revient sans cesse, déformé par l'image animant un rocher, sorti du ventre de la terre : une carcasse d'archéoptéryx qu'on n'aura même pas le droit de caresser.

"Je marchais péniblement à travers les ronces, comme pour saisir l’ombre agrandie qui m’échappait : mais je me heurtai à un pan de mur dégradé, au pied duquel gisait un buste de femme. En le relevant, j’eus la persuasion que c’était le sien... Je reconnus des traits chéris, et, portant les yeux autour de moi, je vis que le jardin avait pris l’aspect d’un cimetière. Des voix disaient : “L’Univers est dans la nuit !"

   CLAUDE LE JEUNE : "Que je porte d'envie" (pour 4 voix, 4 violes) 

podcast  

Lien : "dans l'épaisseur des images on ne sait où" (2) Lire ICI

Photo : Géante rouge traversant la Tupin en aveugle, dans l'apparente tranquillité d'un jour de Mars.

© Frb 2010.

vendredi, 04 mars 2011

Le tour du bois

Le bon bois ne pousse pas dans la facilité (eh non !)

PROVERBE CHINOIS (traduction Félicie Dubois)

Même à l'envers, "pourtant il marche" (cf. lecture pour tous) cliquez-y dessus pour voir...  bois0357.JPG

Bois capétien "bosc" ou buisson  broglios, bois humide, tour de haie, clos du Marquis, toponyme, Breuil le vert, Breuil  bois Robert,  portail du bois, "sève brute, grosse tige", bois de bout, jeunes pousses, moelle spongieuse, duramen bois parfait, cernes anciennes, écorce et cambium libéro-ligneux, sève élaborée du liber, protection du suber et de la subérine, méristème secondaire entre liber et suber, cambium subero phellodermique grand producteur de phelloderme et de suber, bois de printemps, vaisseaux, tendre vaisseaux riches, bois d'été, dense, résistant, essences du bois, hétérogène comme "chêne", bois homogène comme "hêtre", cernes résultant de l'alternance des saisons, résineux gymnospermes, bois hétéroxylés, feuillus angiospermes, parenchymes, vaisseaux et leurs motifs particuliers, rayons ligneux ou médulaires à parois épaissies lignifiées, orientation transversale rayonnante, maillure caractéristique du "niangon", carbone, oxygène, hydrogène, azote, cendre, eau libre, bois vert, eau liée composant les fibres, bois flottant par les vides composant sa structure, bois qui dure: cèdre, robinier, châtaignier, chêne, bois qui dure pas : hêtre, peuplier, tilleul, épicéa. Champignons entrant dans sa blessure, résineux bleuissants exposés aux intempéries, lignivores, pourriture cubique, fibreuse, pourriture molle, ennemi qui vient : mérule pleureuse, tache duvetée blanche sur sols humides, xylophages attaquant  les grumes, larves qui creusent des galeries dans les bois, géométrie des vermoulures, capricorne des maisons, vrillettes, lyctus, invasion des termites, défauts du bois : roulure, gélivure, cadranure, coloration du coeur, noir pour frêne, rouge pour chêne, fil ondulé et torse à l'entre-écorce, bois madré ou ronceux, broussins, loupes, poteaux, rondelles, sciages, refente, charbon de bois et pellet, granulé de bois, bois d'oeuvre scié dans les grumes, bois empilé, maisons, charpentes, bois rabotés, bordés, pièces de quille, échafaudages, palettes, lambris, parquets, tranches plus fines, emballages, lamelles ou cabane en rondins, trituration, laine de bois, particules, contreplaqués, merrains ou bardeaux de toitures, bois cintrés, tabouret, manches à outils, pâte à papiers, marqueterie, sculpture, peinture à tempera, huiles essentielles gommes, résines, latex, pousses de bambou, ocarina, pipeau, flûte, "le souffle d'air s'y fend", anche simple vibrant, anche double sur le vieux principe du ballon, tuyaux cylindriques: flûte de pan (plus le tube est court plus la note est aigue), hautbois de perce cônique, bombarde en ébène, chalémies (de la renaissance), duduk (d'Arménie ou du nord), cornemuse à bourdons (de Galice), hichiriki, zurnas, zamr et karamouzas, surnajs, le biniou cause, veules veuzes tonalité du do en buis, cromornes au bois des écuries, fibres de buis, poirier, bois de rose, cocobolo bois de grenadille, poudre d'ébène au bois philarmonique, au bois d'amour, au bois baryton, dendrométrie, cubage et carton de la chute : "dragon molto orribile e spaventoso", peint sur bois de figuier, char en bois, bouclier, Première fringue du figuier, fruit du bois, bois de ta peine, prions pourSaint Amand, drus l'abattant sous le règne de John D. copeaux, allumettes, cure-dents, rognures...

 

BOWERBIRDS: "Beneath Your Tree"

podcast

 

Photo : Le tour du bois (vite fait) derrière chez moi, (ou devant chez vous) assise (hors champ) sur la dernière branche de l'hiver au clos bôteret pas très loin du château du Marquis. Dernière balade alcestienne avant de solder l'hiver, et de s'en retourner clopin-clopant à l'éternel printemps, (quelle horreur !).

© Frb 2011.

mardi, 01 mars 2011

Le dernier mouvement de l'hiver

Toute connaissance de l'intimité des choses est immédiatement un poème.

GASTON BACHELARD
: "La terre et les rêveries du repos", éditions José Corti - "Les massicotés", 1948.

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DIE SCHWINDLINGE: "What A B what a beauty"
podcast

Photos : On parle toujours des feuilles d'automne, jamais des feuilles d'hiver. Nous rendons justice aujourd'hui. Le dernier mouvement de l'hiver, ouvre  un Mars retardataire avant le premier mouvement du printemps, à suivre... Photographies from Nabirosina. © Frb 2011.

samedi, 26 février 2011

Entre les lignes, (remix by Hozan Kebo)

Entre les lignes, si on les fait trembler...

D'un texte écrit entre les lignes, (voir ICI), perplexité, on ne peut rien en dire, ni rien en expliquer. Hozan Kebo comprend alors qu'il faudra peut-être faire trembler quelque chose (les lignes, par exemple !) pour toucher le coeur du sujet mais pour l'heure, on n'en dévoilera pas la fin. 


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Scotty Mc Kay Quintet: "Train kept a' rollin"
podcast

Illustration : Hozan Kebo Fevrier 2011.

jeudi, 24 février 2011

Entre les lignes

Accommodé avec un regard et un sourire appropriés, le silence peut donner d'excellents résultats.

JEAN ECHENOZ, extr. "Je m'en vais" éditions de Minuit, 1999

entre les lignes,partir,interférences,étrangeté,intervalle,silence,mots,entretemps,entre deux,pérégrinations,humanités,voyages,lignes,effacement,voie ferrée,rêverie,nuit,jour,suspension,jean echenozUn système désastreux s'installe. On souhaiterait le cacher dans les interférences pour ajouter aux sensations élaguer la parole. Hier encore, il semblait simple de marcher en silence, la pureté de l'air, nous  allégeait, un peu. Nous avions découvert une  parfaite nébuleuse par réflexion, comme l'étoile Antarés possède un compagnon. Une paire d'étoiles en orbite mutuelle tournant chacune autour de l'autre, formant un double optique, alignées par hasard, nous retournions à ce hasard, qui par défaut, neutralisait. Un jour, on ouvrirait les yeux aux semblants d'échos machinés dans les vernis de l'emballage qui reviennent d'un vague à l'âme vieux comme le monde et se perdent en toutes saisons. On voulait ne faire qu'un avec le plus grand nombre, on désirait l'élévation, mais c'est encore la mort qui rôde dans les maisons, blesse les animaux et humilie leurs maîtres quand la nuit vient, ils perdent leur charme soumis aux travaux ménagers, ils remettent en place les objets pour le lendemain, ils se heurtent à huis clos, cultivent le métal contre l'or lentement fondu et gâché, le métal tourmente, prend forme humaine, ils vont la nuit, les bras chargés de sacs mystérieux, griffés par une bruine qui ferait fondre les paysages mais pas la geôle, le bruit du tonnerre au milieu de l'hiver plus tard, inviterait à disparaître et l'on disparaîtrait dans l'espoir de renaître, un jour, ou deux, pour d'autres.

Ensuite vient l'aube, et ses teintes douceâtres, qu'on avait cru si vives ou mauves à force de regarder des images à l'aérographe et de croire que dans un poème on trouverait le nouveau monde. Mais rien ne tient, le soleil brille, et le silence jamais ne décape les geôles. Pour le noctambule, l'aube s'ouvre encore sur la nuit noire. Aux terrasses quand chacun se dore, des pages entières s'effacent, plus rien ne vient cueillir en rêve l'allégement, l'escalade aux sommets. On descend, ça ne prévient pas. Pour parer, on invente des enluminure aux pastels gras contre l'encre sèche, sèchant sur le sujet curieux d'une quête située à peu près nulle part avec presque personne, on dirait pire : ça décrète sans penser, ça pisse froid sous la douche écossaise ça reprend tout ce qui était donné, et le reste fantômatique, qu'il n'aurait pas fallu toucher. On ne devrait pas laisser le hasard à ce point nous déposséder. Il reste encore le vent, ni chaud ni froid et tout le luxe des vagues de la mer qui pénètrent dans des buvards où dorment d'hallucinants corsaires hantés par le chant des baleines.

Il reste des lettres pliées en petits morceaux, jetées, au loin dans des bouteilles reculant les limites. On s'éloigne, tout s'échoue à la claque sur des grèves. C'est chaque jour le retour à zéro, ce temps de grand bien être à n'être rien ou ne plus être dans ce monde qu'un guetteur en vacance. Comme il est doux ! ce rien. Il ne resterait plus qu'à retrouver la trace originale du premier homme qui fît le tour de la terre en Alpha Roméo, et ne claquer sa poésie qu'avec les hippies chics dans les fêtes légères, à rire avec les mouette aux jardins d'une villa en bord de Saône, décorée à l'antique pareille à la Villa Romaine, où nous vîmes autrefois, au milieu d'un salon mi jardin mi partouze, l'après-midi bleu pâle virer en soirées pourpres, où venaient les stridences du violon de Tuxedomoon, à en oublier les hommes ordinaires qui ploient sous le conditionnel, parmi des tableaux de conjugaisons livrent des verbes inconjugables à des otages privés d'amour, l'alphabet en lambeaux, ils voulaient le prendre à bras le corps, dans le but d'en relier les courbes pour fabriquer un mot exprès imprononçable. Tout cela resterait brouillé dans le traducteur des gougles charriant le staccato aussi vain que les nébuleuses enfermées dans une cage à poule.

On déplacera les personnages, de la réalité à la fiction puis on sommera le tout d'attirer l'oeil, l'intelligence, les appareils-photo, on ajoutera le son, peut-être des micros. Pendant ce temps nous mangerons des glaces sur le quai St Antoine, cédant à toutes les tentations, nous remonterons le temps, par la grande rue qui mène à la grande gare. Ou bien plus loin la nuit, nous irons chercher sur les pentes, un banc de square, je mettrai une radio portative sur mes genoux, la molette coincée entre le pouce et l'index, nous tournerons jusqu'à Varsovie et Moscou, au code secret d'un vieux message, qui balayerait la terre entière par d'autres voix inoffensives, des faisceaux lumineux éblouissant les ombres à la manière d'un phare, qui s'étendrait des heures au dessus de la ville. Ce halo avale la nuit noire où les noctambules s'illuminent, et tous les mensonges leur reviennnent à la première clarté du jour mais entretemps, nous aurons changé de ville...

Il faudrait tout quitter comme on s'envoûte progressivement du va-et vient  des vagues, puis revenir et repartir, mourir un peu, revivre etc ... A se sentir porté par un mouvement passant de chaud à froid puis de froid à glacé, d'une glace qui brûle la vérité au milieu du système, dans une histoire écrite par d'autres, ils n'en veulent rien céder, et sans impunité nous déplacent sans cesse, dans ce continuum sur les parallèles compliquées, sans jamais nous solliciter. Un jour, la trame, heurterait de plein fouet quelque chose en dedans qui devrait imploser sans prévenir ou bien on laisserait tout aller avec ce qui renonce, une bribe de chanson annulée par l'épais brouillage des ondes courtes, masquerait pareil au secret, le premier, ou le dernier mot du langage oublié, précédant le silence qu'un long train à l'arrêt ne pourrait interrompre.

Photo : Aiguillages entre ciel et terre et des pilônes tagués de signaux sans mystère mais encore incompréhensibles. Vus d'un train à l'arrêt quelque part dans un no man's land, entre Lyon et Orléans. © Frb 2011.