samedi, 02 avril 2011
Buller...
Définition : a) - Buller : v. transitif 1er groupe (conjugaison) /by.le/ Sceller d'une bulle. b) - buller intransitif 1er groupe (conjugaison) /by.le/ Présenter des bulles, des cloques : "Si on ne fait pas attention, le papier peint peut buller." c) - (Familier) Ne rien faire. "J'ai passé mes vacances à buller sur la plage". Synonymes : couniller (Familier), glander (Vulgaire), paresser... (Source Wiki)
Tu reviens d'un temps lumineux qui ne t'a rien enseigné. Tu as pris le funiculaire pour une colline. Tu as vu le fumier dans une télé s'échapper d'une centrale nucléaire. Tu as suivi la guerre.
Tu marchais dans une rue parallèle à la pente.
Tu as croisé un vieux qui ne pouvait plus marcher, tu as eu peur de lui ressembler. Tu as rêvé de neige. Tu as reconnu Courchevel sur une carte postale de Georges. Un long sol verglacé, un traineau et des traces de doigts suivant une fine traînée d'encre. Plus loin tu as été un peu déçu de lire, juste trois phrases : "on s'amuse bien, on a beau temps. Gros mimis à toi et Chantal. Signé "Georges". Tu as pensé à Georges comme il était avant, quand vous alliez tous deux à bicyclette dans la plaine africaine voir le dîner des éléphants. Tu t'es assis sur une chaise devant un bureau monté en kit, imitation chêne blond. Tu as posé un cahier de brouillon, devant toi. Tu as ouvert une nouvelle page. Tu as entendu la porte grincer. C'était Chantal de retour du Proxymarché qui venait voir si tu étais rentré. Elle a balayé la pièce du regard, puis elle t'a dit "Tu es rentré ?" Tu n'as pas répondu.
Tu voulais écrire un poème.
Un poème fleuve au sol doux des sommets, poser ta cheville sur un coussin, ta cheville foulée qui te fait boîter comme le président Nic, pas boîter. Tu claudiques, dans cette gaine noire au long cours de l'Emile Z. jusqu'à la petite maison de Cusset où la vieille fait pousser des pivoines. Tu as écrit "Pivoines", sur ton cahier. Ton poème s'appelerait "Pivoines" et tu as commencé : "D'un charme irrésistible ô pivoines arbustives ! ô pivoines herbassées !". Tu as cherché dans le dictionnaire comment s'écrivait le verbe herbasser. Tu n'as pas trouvé le dictionnaire tu es allé demander à Chantal où elle l'avait rangé. Tu as pensé que ça n'avait aucune importance, tu as pensé que Chantal était un peu pénible avec sa manie de tout ranger. Chantal t'a demandé "C'est pourquoi faire ?". Tu as répondu "c'est pour rien!". Tu as regardé par la fenêtre ta voisine tricoter. Tu as songé que ça faisait des années qu'elle tricotait devant la fenêtre des chaussons de laine pour des bébés. Tu appelé Bernard, ça sonnait occupé. Tu as rayé le mot "herbassées". Tu as songé aux pivoines de Cusset, plante magique tu as lu dans les internettes que la pivoine était entourée de rites insensés, tu as cliqué sur "citations" tu es tombé sur Théophraste qui menait à "pivoine: "Cette plante, que l'on appelle aussi glukusidê, doit être arrachée la nuit; si on l'arrache de jour, et que l'on est vu par un pivert en train de cueillir le fruit, on risque de perdre les yeux, et si on coupe la racine, on risque la procidence de l'anus".
Tu cueillais le fruit. Sur une branche un pivert t'observait.
Tu as eu mal aux yeux. Tu es allé chercher un verre dans la cuisine, n'importe lequel, un "Babar à la gare" de la série "Babar" des verres à moutarde Amora. Tu as rempli le verre d'eau tu as jeté un cachet de très haut, comme si tu t'y plongeais toi même ça a fait "spchlocksss !" et le bruit t'aura amusé; Tu as écouté les bulles te parler. Tu t'es enfermé dans la tienne.
Herbert Henck : "A l'ombre, près des fontaines de marbre"
Photo : Les génies de l'industrie, de l'agriculture, qu'en sais je ? Ont décidé de ne rien faire (comme si des statues décidaient, mais enfin, avec un peu d'imagination...). Génies de la paresse de certains jours, photographiés place Morand (ou Lyautey) à Lyon, par un printemps des plus d'(a)out. © Frb 2011
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mercredi, 30 mars 2011
Nid d'amour
L’amour est patient, il est plein de bonté ; l’amour n’est point envieux ; l’amour ne se vante point, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne périra jamais.
Extrait de la lettre de ST PAUL aux Corinthiens, chap. 13
Parfois quand on ouvre la fenêtre, on entend une petite musique...
.J'ai vécu là, plusieurs années, je connais tout par coeur, derrière ces fenêtres, pour moi, pas de secret. Je connais tous les locataires. Il y en a beaucoup, trois par palier sur cinq étages, au rez de chaussée il y a les concierges Monsieur et madame Grenada. Madame surtout qui s'occupe du bon fonctionnement de l'immeuble. Chaque année pour jour de l'an avec Murielle, on lui donne une petite étrenne, avec un mot gentil: "Puisse cette nouvelle année vous être favorable, chère madame Grenada, ainsi qu'à votre époux". Quand j'y pense ! Ils savent tout. Même plus que ce que nous supposons savoir nous-mêmes sur nos propres allées et venues, enfin "propres"... Comme lorsque Muriel reçût ce monsieur, tandis que j'étais en voyage d'affaire. Tous les jours le monsieur venait, à 5h00 de l'après midi, il restait jusqu'à 7H00 (du soir). c'est comme ça que j'appris l'existence du monsieur, par Madame Grenada, le jour même de mon retour, le dernier. Elle me dit l'air de ne pas y penser "Bien contente de vous retrouver monsieur Chandon, enfin votre dame, n'était pas trop toute seule, votre frère est venue lui tenir compagnie tous les après midi entre 5 et 7 heures" ... "Ah bon ? Mon frère ?" Et madame Grenada prenant l'air gêné de la confidente qui s'en veut d'avoir trop parlé, (non sans éprouver cette satisfaction de méchanceté intérieure qui sied tant aux vilaines personnes). -"Ah ? Ce n'est pas votre frère ? Comme il vous ressemblait, j'ai pensé que...". Alors je bredouillais -"Mais si ! bien sûr que si ! c'est mon frère ! Madame Grenada, mon frère jumeau, même ! c'est vrai que je n'aime pas savoir Murielle toute seule quand je pars en voyage, mais de là à ce que mon frère passe tous les jours ! il est vraiment serviable, j'en suis presque gêné, en même temps, vous m'en trouvez si agréablement surpris" - "en tout cas..." - (crût-elle bon d'ajouter) - Madame Grenada ponctuait souvent la conversation par cette expression - "en tout cas" - qui permet de dériver à peu près sur tous les sujets, "... Votre frère, il a bien veillé sur elle". Cette dernière phrase me glaça. Qu'est ce qu'elle voulait dire au juste par "il a bien veillé sur elle" ? J'étais furieux. Il me semblait que si je ne montais pas en quatrième vitesse, tout de suite, là, urgemment, tous les étages qui me séparaient de Murielle, j'allais faire subir à cette femme un de ces sorts qui la priverait de ses cordes vocales pour toujours. Les doigts me démangeaient. J'essayais de prendre congé poliment. "Bon, madame Grenada, ce n'est pas le tout, je vais monter. Murielle m'attend." Et pour faire bonne figure je rajoutais un léger point qui me parût fort malin, pour me défaire de cette conversation qui aurait fini comme toujours sur la météo, et la maladie de coeur de son mari : "Madame Grenada, dites moi, euh... comme j'arrive à l'instant je ne suis pas encore passé chez mon frère, il n'aurait pas laissé un petit mot pour moi, par hasard ?". Qu'allais je donc inventer ? C'était lâche et absurde ! le ton n'y était pas, mais allons ! tant qu'à faire ! Et si cette pauvre femme avait su combien j'avais souffert d'être fils unique, elle en aurait rajouté, alors bon, il valait mieux enfoncer le clou, valider copieusement l'existence de ce frère qui m'avait jadis tant manqué, dissiper tout malentendu, en finir et monter. Ensuite, j'aurais ouvert la porte, notre porte d'entrée. Dans notre long couloir, je t'aurais vue, Murielle, radieuse comme à chacun de mes retours. Murielle, je t'aurais embrassée et puis je t'aurais dit, "Murielle, il faut que je te parle, Murielle, c'est important, il faut qu'on parle tous les deux, là, maintenant !". Et Muriel m'aurait écouté, elle aurait ri de mes soupçons, elle m'aurait rassuré. Muriel elle aime bien quand je suis inquiet, elle me rassure, elle me passe la main dans les cheveux, elle m'appelle "son chouchou", ça m'apporte une certaine stabilité même au bureau, quand j'ai des inquiétudes, il suffit que je pense à Muriel, à notre nid douillet, et je suis moins nerveux. A chaque retour de déplacements, c'est plus fort que moi je crains le pire. "Et si Muriel rencontrait quelqu'un d'autre ?"... Quand j'y pense, j'en souffre horriblement, moralement, physiquement, j'ai des crampes d'estomac, les mains qui brûlent. Rien que d'imaginer Murielle dînant au restaurant avec un autre, me rend fou, oui, je sais, je suis jaloux. Mais Murielle elle est pas comme les autres, elle est fidèle, elle me connaît, elle sait apaiser mes tourments, depuis le temps ! je la connais aussi très bien de mon côté, je suis un homme chanceux. C'est incroyable, tout ce qu'il y a d'harmonie entre nous. C'est quelquechose d'unique. Elle me devine, souvent, elle anticipe. Murielle, elle m'aime sans conditions. Quand j'ai peur, elle le voit tout de suite. Elle rigole, elle me dit :" oh Chouchou ! tu es jaloux ! il est jaloux ! il a peur que je m'en aille, mais ça c'est trop mignon, je t'aime trop, mon chouchou !"... Sauf que Madame Grenada me répondit qu'effectivement, mon frère avait laissé un mot pour moi, et même une grande enveloppe qu'elle me tendit avec un de ses sourires beaucoup trop attendri pour être honnête. "Enfin, je ne sais pas si c'est votre frère qui a écrit, mais il y a une lettre à l'intérieur...". Je tatais docilement... Il y avait bien une lettre à l'intérieur. Je n'avais pas encore ouvert l'enveloppe que madame Grenada murmura d'un ton triste, si triste que j'eus envie de pleurer. "En tout cas, monsieur Chandon, on va bien vous regretter, vous allez faire un sacré vide dans cette maison". Je regardai longtemps cette petite femme voûtée avec son gros grain de beauté beige sur le menton, sa médaille de Sainte Vierge qui pendait au dessus de la collerette d'un corsage sur lequel étaient imprimés des coeurs bleus, ses seins énormes, ses grosses hanches, son tablier à fleurs, ses jambes maigres plantées sur d'énormes pantoufles en pilou rose bonbon. C'est la dernière image qu'il me reste de notre nid d'amour d'où je me suis enfui sans jamais avoir lu la lettre.
Photo : Nid d'Amour et plus anonymement, une jolie façade rose vue du côté de la place Carnot, au niveau du métro Ampère-Victor Hugo entre les deux incontournables gare de Perrache et Place Bellecour photographiée à la fin de l'hiver, à Lyon.
Lyon II © Frb 2011.
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lundi, 14 février 2011
Ready (re)made for Valentine : le Porte-foulard
de hasard
il n'y a
"The Creative Act" by M.Duchamp
La citation est de Paul Eluard.
Le porte foulard ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval.
Le porte-foulard se porte aussi sans foulard. (Voir ici).
Sans porte, et sans foulard, on irait vers où ?
Ready remade's nota : Pour la Saint Valentin, chers Valentins, offrez un Porte-foulard à l'élue de votre coeur Pratique, pas cher, gage d'une tendresse infinie, le Porte-foulard est à la fois une preuve d'amour originale et un meuble épatant. Plus fiable qu'un bracelet, moins superflu qu'un pendentif, offrir un porte-foulard est vraiment l'occasion rêvée de vous rendre à jamais inoubliable. Osez ! payez vous d'audace ! puisque l'amour ne saurait exister sans preuves, qu'attendez vous ? La rue Camille Jordan vous le donne et certains jours vous le vend (à bon prix)(*). Plus une seconde à perdre ! vous pouvez envoyer vos dons (sans bouger de votre fauteuil), dès aujourd'hui à: "Certains jours, "spécial St Valentin (retardataires 2011 et Valentins d'avant-garde 2012") au 1 rue Centrale 69, Lyon-cedex, ou téléphoner au Babylone 36-36 (demandez Marcel à l'accueil). En tapant sur la touche étoile, de votre taxiphone peut être serez vous parmi les heureux lauréats de notre grand tirage au sort qui vous permettra de gagner un Porte-torchons à deux battants. Profitez ! le jour des amoureux, c'est aussi le moment d'équiper la maison ! La St Valentin se fête certains jours mais elle se prépare chaque jour de la vie, (on n'est jamais trop prudent(e). © Frb 2011.
(*) Sous réserve des stocks disponibles, 499, 92 euros pièce le porte-foulard (foulard non fourni, 78,84 euros pièce, supplément porte-foulard mélaminé 345,87 euros le mètre, transport des foulards 800, 59 euros seulement, (avec option 156 euros/ heure, le ponçage ) renseignement frais de livraison tapez 36-15 porte-foulard cet appel vous sera facturé 7,89 euros/mn. Possibilité de crédit à 4,%à payable en 10 fois, sur présentation d'une fiche de paye. Le porte foulard existe en plusieurs coloris .Carte sénior acceptée.
samedi, 12 février 2011
Presqu'île (flottante)
Quant à moi ma résolution est prise, je vais aller quelques temps à Tahiti, une petite île d'Océanie où la vie matérielle peut se passer de l'argent. Je veux oublier tout le mauvais du passé et mourir là bas, ignoré d'ici, libre de peindre sans gloire aucune pour les autres.
PAUL GAUGUIN, extr. "Oviri, écrits d'un sauvage" (texte choisis et présentés par Daniel Guérin), éditions Gallimard, 1989
Tous les oiseaux exotiques de Lyon presqu'île se trouveront bien en chatouillant l'image.
Un tête à tête de vieux marins et de joyeux lurons aux tables des buvettes longeant les quais comme une histoire ancienne qui se répète. à l'infini. Des rues peuplées de femmes ordinaires et d'autres plus mystérieuses, rondes ou minces commes des statuettes elles se promènent pour le shopping, grandes têtes sur des tiges, plâtres sculptés aux hanches marquées, minces ou rondes, belles Botérisées en robes printanières grandes bringues classieuses accompagnées ou non, blotties dans des manteaux épais, étudiantes genre british en blazer à boutons dorés qu'on croirait fraîchement revenues de Londres, paupières peintes, couleurs vives, oeil avec ou sans chien, bras qui balancent le long des corps, avant, arrière les sacs de nos marques préférées. Inanité de la rue de la Ré, Lyon presqu'île sort de son labeur, c'est le moment des pauses, un trop plein de vie, un très grand petit monde s'éparpille sans cacher ses fringales, en heure de flemme, chacun s'ouvre au plaisir du museau vinaigrette, des mâchons au Garet ou ailleurs... Les tabliers de sapeur, l'andouillette à Bobosse connu pour sa gueule de tonton flingueur avec, dit-on, "une andouillette à la place du flingue", sabodet et groins d'âne ou bavette crépitant aux fenêtres basses des cuisines, odeurs de viandes grillées dans les impasses tièdes, les exotismes jouent la concurrence la quenelle quotidienne à force, aura lassé son monde, doublée par les lampions rouges kitsch qui roulent des nems dans les feuilles de menthe fraîche, et la faune hype and chic s'entichera des sushis-shop et des sushis-makis.
Il est midi, à Lyon Presqu'île. L'heure de grâce qui nous flaire et nous flâne, nous affiche complets aux terrasses ou dans les bouchons surchauffés avec les tables bien mises, les nappes en tissu à carreaux épais rouges et blancs, (sinon où serait le charme ?) la bonne franquette servie avec la bonhommie, et ce petit côte du Rhône surnommé (à juste titre), "boit sans soif", assuré à prix modéré sous les lampes rondes, rétros, lunaires de la Manille, notre bistro préféré, en presqu'île sur la Tupin, exactement. Tupin encore, on lit avec une pointe de nostalgie l'avis de fermeture définitive de la pharmacie je ne sais quoi qui fusionne avec la pharmacie je ne sais qui, et déménagera bientôt on ne sait où, (on sait, mais je ne m'en souviens pas), on regrettera parce qu'elle avait des beaux rayons de bois ouvragés à l'ancienne, décorés de bocaux anciens en céramique comme ceux de l'apothicaire, le vrai pas le vrai faux ancien, et on se demande qu'est ce qu'ils vont devenir ces beaux rayons en bois et ces bocaux à plantes. A la Tupin, encore quartier chaud autrefois, on regardera les cartes postales-fantaisie, les beaux stylos qui brillent à la vitrine d'une papeterie. On tournera par les rues, jadis infréquentables, queue de paons, queue de pies s'impatientent à la boulangerie de la Ferrandière pour y trouver les pains anciens cuits au vrai bois avec du vrai feu, dans un vrai four à bois. Le citadin aime le vrai, qu'on lui en montre, même si c'est du faux vrai, du presque vrai avec de la fausse preuve peu importe ! (Ferrandière c'est du vrai, je crois) tout tapera l'oeil si possible, mais les pains de la Ferrandière ne seront ni meilleurs ni plus authentiques que chez le boulanger Rodrigue, notre chouchou à nous moins tape à l'oeil et plus charmant pas loin de la rue de Brest, (qui n'est pas la rue Lebouteux, mais presque) là où la boulangère d'une prévenance d'un autre temps, est peut être la plus belle actrice, du dernier film que Rohmer ne tournera jamais. Chez Don Rodrigue tout va si gentiment que l'on sait (en causant d'un peu tout, trois fois rien), pourquoi la vie vaut quand même d'être vécue au delà des plus noitres (ou noirtes) trous noirs, ou gris désarrois.
J'irai là bas de l'autre côté du pont, à St Jean puis St Georges y chercher l'Italie, les vieux pavés en pierre et aux pralines (le pavé aux pralines étant au gourmand ce que le Galibier est au coureur cycliste, pour l'attaquer il faut être sûr de sa mâchoire, avoir des crocs pas des dents, enfin bref) et les glaces rhum-raisin, mais pas tout de suite... lci à Lyon presqu'île à midi il est bon de traîner et je traîne, longeant la Saône avec vue sur la rive florentine une rive droite et bancale qui descend jusqu'à Vaise avec ses façades pâles, multicolores, mouillées dans les reflets plus avenants que les reflets du Rhône. La Saône comme un ravin entre les parkings de rive droite décompose par temps clair la cathédrale St Jean (mi roman, mi gothique) qui s'y noit, troublée d'un vol de mouettes et en dessus dessous, (on ne sait plus trop), il y aura la Sainte Vierge qui domine la colline, prie pour nous avec des grenouilles cachéees dans des couvents et si on tend l'oreille, on devinera, là haut, à quelques mètres, la colline qui apprend la musique, pas loin des ruines gallo-romaines vers St Just, loin comme à la campagne. Juste autour de midi, la Saône comme un ravin est une parenthèse qui s'enchante de miettes, de mouettes, une valse de mondes flottants un peu entre les hommes et puis toute cette eau qui instille une espèce de joie démodée décalant l'hyper-nerf d'une ville. On se laisse attraper comme toujours. C'est l'heure de l'oubli des horaires, un temps de l'entre deux qui revient chaque jour, si patent, à la fin de l'hiver et la demi-saison nourrit les collections d'oiseaux, quand les mots tournent à vide chacun assis sur son muret, peut manger le froissement de l'aile d'un étourneau vivant presque dans sa main. Il y a l'air du printemps qui convie déjà le "langage des fleurs", les premiers mimosas (?) longeant les bancs des fleuristes du marché St Antoine, (pas loin de la buvette du même nom) les mimosas ne sont pas de Lyon mais ils inspirent des chants forains, tout à l'impro. D'autres bancs affichent le fromage vert étrange revenu d'une époque où la terre était bleue, on n'en doute pas, comme une orange. Un petite pause en passant du côté chez Paul pas les quatre Paul du choeur aimé de certains jours (faites entrer l'aimé quatuor : Verlaine, Valéry, Cézanne, et Gauguin), non, l'autre Paul, le collègue au Dédé, vous savez bien...)
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours ... (*)
Foin de la parenthèse des pouèmes, le temps d'une dégustation de fromage vert : "yes it is cheese, and yes it is green ! But it is not bad. It's better than nothing". J'ai appris en causant avec le forain ardéchois, (bien sympathique), que c'était du fromage hollandais au pesto, (fabriqué en Ardèche !), il volera la vedette (pas le forain, le fromage vert, (quoique le forain, ô ma faiblesse ! ayant les yeux aussi verts que son fromage on ne rechignera pas à poursuivre la dégustation, quitte à braver l'odieuse et rustre cancaillotte, enfin bref...) aux rangées sages de bleus (rangés comme des oranges) et des Mimolettes oranges (sans orange comme le bleu).
A midi, c'est l'heure des silences où revient la belle vie, quelque chose qui ressemble vaguement à la vacance, (en Italie, de préférence), un petit bateau gronde, il n'ira pas plus loin que l'île Barbe."Insula Barbara, Prévert ne l'aura pas connue, (ni volée, ah mais tant pis pour lui !), Insula Barbara, il ne pleuvait pas sur Lyon ce jour là, le toponyme signifie "île sauvage" une autre baie des anges, (ou des mésanges) pour le temps où les messieurs-dames à chapeaux couraient aux guinguettes le dimanche loin des encastrements de maisons. Prendre le vert, où bientôt à tête d'Or, côté rive gauche on ressortira les embarcations pour voguer entre les canards et les canetons, (parfois les cygnes) jusqu'à ce que le disque use sa plage et que la chanson n'en finisse plus de boucler sa ronde sur le sable invisible, de Lyon-plage en presqu'île, le grain du sable grondant en dedans de nous à jeter les pépites d'or de Don Rodrigue, tout en marchant le long des quais entourés d'une nuée d'oiseaux qui suivraient le grain des semeurs (ou semeuses) de pépites jusqu'au bout du monde. Nous y sommes, et je pense à Gauguin, quittant Paris pour Tahiti, avec un seul désir :
Composer au plus simple ne plus créer que de l'art simple.
Il y a des jours où tout paraît si évident, à Lyon Presqu'île ou dans les îles du Pacifique, entre les deux une navette ferait des allers retour Lyon-Papeete. Nous acheminant... (It is not bad. It's better than nothing) comme rien...
Nota (*) : "La terre est bleue comme une orange Jamais une erreur les mots ne mentent pas" ces vers programmatiques sont extraits du recueil "L'amour la poésie" de Paul Eluard (1895-1952), paru en 1929, Eluard tenait "le flot de la rivière comme un violon", nous tiendrons très modestement, les flots du fleuve comme une mandoline ce ne sera pas un défi que nous ferons à Eluard, mais peut-être à son camarade Dédé, puisque l'on sait que ce dernier n'appréciait pas la musique mais les flots ne s'opposeront pas, même si ce sur ce coup là je laisserai très volontiers la main à Eluard (et son violon magique)...
Photo : Lyon presqu'île, vue sur la Saône côté rive droite photographié du quai de la Pêcherie qui est aussi le quai des bouquiniste, le samedi et dimanche. © Frb 2011.
23:17 Publié dans Balades, Certains jours ..., De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Pépites | Lien permanent
samedi, 01 janvier 2011
2011 sauts de biche
Le temps ressemble […] à un instant irrésistible, et le présent à un écueil, contre lequel le flot se brise, mais sans l'emporter
ARTHUR SCHOPENHAUER "Le monde comme volonté et représentation", traduit par A.Burdeau, PUF, 1966.
J'avais d'abord pensé réunir 2011 élans et fêter ainsi dans les fastes le passage de l'an 10 à l'an 11, comme l'an dernier, mais l'an dernier je n'avais réussi à vous ramener qu'un seul élan, (plus faux que vrai) et il avait fallu pour camoufler la précarité de notre entreprise, que je gonfle (ou gonflâ) mon discours, de superlatifs rien qu'optimistes afin d'assurer avec un semblant de prestige, l'entrée dans 2010. Voilà chose faite (fût faite et déjà dépassée). Cette année je tiens à présenter mes voeux avec plus de sérieux d'une façon vraie de vraie en restant simple, alors qu'au fond de moi même se joue un dilemme cornélien, qui ne vient pas de corne (de biche ou d'élan) mais de corneille, oiseau très sombre, ce dilemme concerne le vrai faux, le faux vrai et le vrai-vrai. Comment choisir ? C'est compliqué parfois de trier le bon grain de l'ivraie, pour ce qui est du vrai-vrai, j'avoue, par une supersition idiote que je crains le jour de l'an comme la peste, j'ai peur que le changement de chiffre nous ramène des tas de cataclysmes avec des conséquences épouvantables. Alors dans ces cas là, mon passage, j'aimerais l'effectuer discrètement, à lire tranquille cachée sous la table, recroquevillée dans un placard un livre d'Arthur Schopenhauer, prononcer = [ˈartʊr ʃoːpʰœnhoːwøʁ], un truc qui parlerait de la volonté nulle part en aucun temps et qui dirait par exemple que la fin de l'année et le début de l'autre ça n'existe pas, qu'il y aurait mettons toutes sortes d'années qui seraient résumées ou pas résumées dans l'instant voire qu'il n'existerait aucune sorte d'année mais que ça serait en un point qui serait ici ou là et qui ferait que seul le présent existerait et pas le reste. Extrait :
Avant tout, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la forme propre de la manifestation du vouloir […], c'est l'instant, le présent seul (sans référence au passé et à l'avenir - la notion d'instant est plus appropriée) , non l'avenir, ni le passé ; ceux-ci ne doivent pas être appréhendés comme existence mais seulement comme expression de "la Volonté", relativement à une connaissance qui obéit au principe de raison suffisante.
Tout pourrait s'éclairer, et justifier logiquement qu'en 2011, les sauts de biche arrivent (arrivassent) par ici quatre jours après le jour officiel, mais restent (restâssent) symboliquement, très investies dans le jour J. Pour le quatrième jour, ce serait déjà moins intimidant, on aurait laissé aller les autres devant, en éclaireurs aux premiers temps du jour J, vérifier s'il n'y a pas de danger et on arriverait juste après, comme des fleurs au premier jour d'un quatrième instant (ou le contraire) avec un faux semblant d'avance je veux dire de jeunesse, c'est même ce que j'appelerai "l'avant garde de l'instant", si on regarde le temps comme le fait le roi Arthur ʃoːpʰœnhoːwøʁ]...
C'est sur cette réflexion très intéressante que je vous remercie lectrices z'et lecteurs (z'adorés) d'avoir été nombreux à venir lire, commenter et encourager ce petit blog en 2010. Je vous souhaite à toutes et à tous une majestueuse année 2011, au rythme doux d'un saut de biche, je rate mon projet de magnificence (2011 élans c'était un peu présomptueux) mais je peux vous assurer et jurer sur la tête de Melle Pugeolles, que cette année point de faux vrai, la biche sera plus vraie que vraie et comme le disait Camille St Saëns à Georges Orwell lors d'un bal costumé donné en l'honneur des bêtes d'Angleterre et d'Irlande. (je cite) :
Mieux vaut un petit saut de vraie biche qu'un pas de géant de faux élan.
En attendant de prochaines mises à jour, le situ Raoul Vaneigem me soufflera le mot de la fin ou du début. Une Cerise sur 2011 sauts de biche. A méditer bien sûr.
Pour un monde de jouissances à gagner, nous n'avons à perdre que l'ennui.
Soyez heureux en 2011, autant qu'il vous sera permis.
Ne visez pas moins que l'excellence et l'année passera comme un rêve...
Photo : Premier saut de la vraie biche sur l'immaculée année 11, photographié au Parc de la tête d'Or en Décembre à Lyon © Frb 2010
vendredi, 31 décembre 2010
Jour de blanc
Or ne trouverent ilz point là, sur l'heure, de croye ou de terre blanche pour marquer, à raison de quoy ilz prirent de la farine.
BEN KAMEN : "Clouds and snow"
Le monde est tellement blanc qu'on se croirait presque au jour de l'an. On pourrait même se souhaiter une bonne année si on osait... Mais je crois qu'on va attendre le retour des animaux... (A suivre)
Photo: Un léger saupoudrage. Neige et fonte des neiges au jardin du Marquis. Nabirosina. Dernier jour de December. © Frb 2010
04:55 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, Certains jours ..., De la musique avant toute chose, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 27 octobre 2010
Nuit et jour (Part I)
Derrière le monde dans lequel nous vivons, loin à l'arrière-plan, se trouve un autre monde; leur rapport réciproque ressemble à celui qui existe entre les deux scènes qu'on voit parfois au théâtre, l'une derrière l'autre.
SOREN KIERKEGAARD extr. "Le Journal du séducteur" (1843), éditions Folio 1990.
Pour lire la partie II de "Nuit et jour" vous pouvez cliquer sur l'image
La nuit confond tous les langages. L'éloge et la pagaille qui vient après la fantaisie quand l'animal se rhabille en vitesse et va se consoler à la boulangerie, pour goûter dans la rue, le quignon d'une banette "Moissons". October précise l'avalanche. Toutes les villes grondent et je suis partout, à la fois, à Paris, à Brighton ou à Lyon, cherchant les brumes, je promène mon esprit sur un damier usé, beau comme un palimpseste. Je lis une lettre fauve ivre du grand secret, postée d'une tour endormie.
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s’étonne, on s'étonne
Et on vous regarde ...
Je compte et je recompte, plus de mille et un jours, tant d'âmes se sont noircies. Les passions immobiles rendent leur brumes à l'aube ; sur elles les coucous pondent des théories issues des grandes industries. Les vrais professionnels ont horreur de la poésie. Un monstre habituel ouvre ce ventre et fouille dans nos petites horloges, piqué comme un monument de sottises, sucrant nos fraises juste après les émeutes. Plus haut sur la colline, un monde englouti de guimauve, butine un boulevard rongé de transes, on y croise parfois des vieillards, portant tous la même gabardine, assis sur des bancs, ils récitent avec des voix d'enfants l'alphabet à l'envers, disent cent fois le même souvenir. Les autres dans la maison du "quatrième âge", ("L'Hermitage" qu'elle s'appelle), ordonnent bien patiemment les syllabes d'un jeu, sur des tables disposées en rond et se gardent pour la bonne bouche le panier en osier, les violettes en papier crêpon. Le désordre des esprits est une splendeur à moudre, plus personne ne peut jouir tranquille, (même dans son coin), de toutes sortes de déréglements. Le monde est droit. On m'apprivoise. Plus personne ne pourrait trouver les rages du Cobra et des fauves au coeur de l'uniformité qui vient. Nous sommes codés mais pas encore détruits. En quête du dernier mot, nous tentons d'en sortir, tous-un-chacun conscients des ruines, et nul encore ne songe à recourir à l'alchimie : amalgame philosophique, aimant des sages, transmutation...
Le jour brûle et c'est un peu triste de penser à ce temps qui vient. Triste comme la jachère, nous nous appliquons à la tâche malgré tout et selon. Maintenir nos acquis puis dire "Je suis comme ça, il n'y a rien à y faire, pardi !", avec nos têtes de rats, nos têtes de chiens, d'oiseaux genre canaris ou vautours tapant du poing, beaux sur nos pattes, avec nos têtes de fouines, nos têtes de lapins blancs planqués dans des capuchons molletonnés, nos têtes de mort de ta race infidèle, nos têtes raides et fières, têtes d'eskimos glacés à la sortie du "Titanic" fondant bêtes comme chou pour une histoire d'amour qui finit mal ou bien, nos têtes à demi-notres sur des corps couverts de réclames. Nos bouches sont rouges de la colère, et du gloss des city-marchés, crachant des noyaux de cerise pour ces temps bousculés par les catastrophes présentes, par la tronche du Cribe et de la grosse Trischine qui s'en va déclarer à la télé sans le moindre sentiment de honte "je suis un être humain, j'ai un coeur comme tout le monde".
Le jour brûle, embrase tout, portant au poème un cuivre érodé par l'automne, quelques feuilles sur les ponts au dessus des fleuves et le feu prend juste entre les deux, tout en haut des tours éveillées, endormies, selon les heures, jour et nuit enfin liés par la note pincée d'une gigue sur une corde de luth nommée "chanterelle". Et le hasard m'attache aux choses infimes, en elles, j'espère être annulée. Je me balade sans rien penser puis je tombe sous l'enseigne de monsieur Chr. Rodrigue (il a du coeur, vous le saurez), par cette minuscule ruelle, courte et droite qui part de la rue de Brest atterrit à Mercière, en perpendiculaire avec vue sur la Saône et ses baigneuses lascives (j'exagère ! qui pourrait croire une chose pareille ?). J'achète un petit pain viennois constellé de pépites, j'interroge la marchande sur la texture du pain. Je lui dis que les oeuvres de Rodrigue m'intéressent, et soudain je me trouve transportée devant un four à pain. J'écoute le poème de la commerçante (la mie de Rodrigue ?), qui me chante avec des mots simples comment ce pain est fabriqué, "blanc comme la peau d'un nouveau né, onctueux à merveille, et croustillant autour ". Combien de nuits à transpirer pour mettre au point la dite texture ? Elle le dit, la marchande : "ce pain est fabuleux !". Elle fait sonner les adjectifs dans sa bouche, les alanguit, forçant mon air blasé, jusqu'à ce que mon entendement s'y soumette, me voilà désarmée, prête à livrer combat pour la mie tendre, la croûte dorée à point de ce "pain fabuleux". J'opine et je dis "oui !". Enfin, la boulangère ne peut dissimuler sa joie, elle m'emballe avec des gestes tendres, le pain dans un beau papier blanc, où Rodrigue a écrit, on dirait, de sa main, en fines lettres dorées des bribes d'une fable de La Fontaine "par l'odeur alléchée", jouxtant l'histoire de la "Banette", et sur cette note guillerette en caractères gothiques on peut lire au sommet : "Artisan boulanger". Ainsi, ma journée se trouve embellie et dans mon imagination envoûtée par l'endroit, je me surprends à transposer la tendresse infinie de la marchande et de son boulanger à 6,793 milliards d'êtres humains ; ce qui produit sur moi un effet quasi hallucinatoire démésurément empathique. Je sais bien que c'est une niaiserie, mais cette niaiserie suffit à faire de moi un être différent, entièrement pétri d'amour, pour quelques heures au moins...
Photo : L'enseigne et son poème, plans de vies parallèles, la vitrine de la boulangerie de monsieur Rodrigue, et juste derrière un autre monde moulé dans celui-ci. Photographié fin Octobre, sur la presqu'île dans le 2em arrondissement de Lyon. © Frb 2010.
mardi, 26 octobre 2010
Une heure à la Manille
Une petite fantaisie me prend, de créer une nouvelle rubrique, qui consisterait à m'installer une heure ou plus, de temps en temps, (certains jours, donc !), dans un café de Lyon (ou d'autres villes) et d'y laisser trainer une oreille, avec ou sans dictaphone. Au hasard de balades je choisirai les cafés qui me semblent les plus accueillants ou les plus insolites, tout cela laissé à l'appréciation du moment. Le café de "La Manille", est un très vieux bistro de Lyon, et ce n'est certes pas un choix de hasard, je l'adore entre tous, et j'augure la rubrique par mon quasi préféré, il est situé rue Tupin, au niveau "Cordeliers", pas très loin du vacherin, sur la presqu'île de Lyon, la clientèle y est variée, très sympathique, elle va du d'jeun à demi-looké, au papy rutilant, en passant par tous styles d'âges et de gens. La déco depuis plus vingt ans n'a pas changé. L'accueil y est vraiment extra, on pourrait même dire carrément "bonne franquette". C'est un lieu ordinaire à vue de nez, et plutôt extraordinaire, mine de rien, quand on le connaît bien. Un endroit où il fait bon lire, écrire, vivre (et laisser vivre), enfin bref ...
Situation :
La rue Tupin est calme, les gens assis à la terrasse discutent des évènements, chacun semble assez détendu, l'ambiance générale est sereine malgré la gueule de bois de la ville toute cassée encore par endroits surtout dans le 2em arrondissement. Rien ne pourrait faire penser au voyageur tombé là par hasard, que la semaine dernière Lyon, fût à feu et à sang. Je lis le journal que Manille nous prête collé au bout d'un grand bâton presque aussi long qu'une canne à pêche. Deux femmes arrivent, s'installent, il s'agit d'un couple de femmes, l'une ressemble à Eva Joly, je me dis que c'est peut-être elle ?... L'autre plus pulpeuse a un côté variété 70, une sorte de Michèle Torr, en plus light, (donc ce n'est pas elle) elle a une belle voix grave et commande deux cafés. Dix minutes après la serveuse revient avec les cafés, elle s'excuse elle dit que le service a pris du retard. Les gens de la table à côté s'en vont, je reste seule, je regarde passer les Vélov' qui grincent et ralentissent devant la pizzeria d'en face et de longues minutes passent...
Mise en bouche :
Deux hommes d'affaire discutent en sortant du café-restaurant :
- Je serai fixé sur mon sort dans une heure.
Il serre la main à un autre monsieur plus vieux que lui mais qui lui ressemble (le même, donc, en plus étoffé)
- Et si ça ne marche pas, qu'est ce que tu vas faire ?
- Ce que je vais faire ? Oh ben tu sais ça j'en sais rien, je ferai comme tout le monde, j'irai à Pôle-Emploi. (Ils rient).
Deux hommes s'installent à la table jusqu'à côté de moi (les tables se touchent presque ainsi puis je entendre parfaitement la conversation comme si j'étais attablée avec eux, j'enclenche le dictaphone, pour le plaisir de la lo-fi :
Conversation :
- 32000 tu te rends compte ! les charges c'est 10%, tu te rends compte ? Ca fait des sommes énormes, payables avant 30 jours, je prends ça comme une sommation
- C'est pas possible, Patrick, il faut que tu les fasses patienter
- Tu rigoles ! avant c'était 4000 et comme c'était un gros dossier, j'ai déjà obtenu une ristourne...
(Silence)
- He ben ...
(Un homme qu'ils semblent bien connaitre passe rue Tupin, il hurle)
- Alors les deux jojos ! ils z'ont pas fini leur causerie et ils prennent leurs cafés dehors comme deux pachas !
celui qui disait "he ben!" répond et du tac au tac :
- Crie plus fort, Dominique, tant qu'à faire, prends un porte -voix ! tu veux t'asseoire ? Viens dont boire le jus avec nous !
- Non, non ! je vous laisse j'ai rendez vous, je suis pas en avance ! (il s'en va)
Les deux hommes continuent la conversation :
- Tu te rends compte 32000 !
- Mouais ! à ce compte là vaut mieux travailler dans le bâtiment.
- Dans le bâtiment ? Mon pauv' vieux ! j'y crois pas moi au bâtiment !
- 32000 merde ! tu te rends compte les charges ! Pour St Rambert, tu te rends compte !
- Ouais, bon, pour St Rambert c'est pas tellement quoique si tu payes que 20 euros ton appartement, ça vaut le coup de refaire le calcul...
- Ouais si je paye le loyer avec le budget de la communauté, mais ça va pas le faire, c'est trop risqué, je préfère aller à Ambérieu dans l'Ain, je gagnerai moins mais au moins je serai libre, et puis ce serait une tranquillité, rien ne passera sous la table, tu comprends Martin, il est sympa mais c'est un gros filou et moi j'ai des comptes à rendre au conseil régional, d'ailleurs Tournier a piqué une colère l'autre jour, une colère monstrueuse, parce que Martin c'est peut être un énarque mais il marche trop sur les plates bandes des autres, sans compter tout le fric qu'il pique dans les caisses de la collectivité
- Merde ! à ce point ?
- Tu parles ! il se démerde comme un politique, mais c'est un parfumeur
- Ah bon ? il est parfumeur ?
- Mais non ! c'est une métaphore, je veux dire qu'il embrume tous ses partenaires
(Silence) les deux hommes plongent chacun dans leur café et leurs pensées... Cela dure de longues minutes. L'autre reprend.
- Les vitriers vont faire fortune.
- C'est sûr, c'est fait ! tu as vu ce massacre, jeudi, rue Victor Hugo ?
- Ouais mais Hortefeux a promis une enveloppe, il a donné 80 000 euros pour la bijouterie, le magasin de chaussures et le magasin vidéo, il va sûrement donner l'enveloppe au préfet
- Ouais, ouais ouais ! au préfet !
Ils se regardent et éclatent de rire
- Tu penses à ce que je pense ?
- Ouais, ouais ! faudra qu'on en reparle dans deux mois de c'histoire là, tu paries un restau ?
- Ouais ! d'accord ! (ils se tapent dans la main)
- Je vais te dire que Jean-Jacques il va asticoter son gamin, il était parmi les casseurs
- Tu parles ! ah ! ah! un gosse de riche ! ah ! ah ! ah ! c'est trop marrant. C'est comme en 68 !
- De toute façon il n'y aura pas de nouveau 68, en 68, il y avait le pognon, on avait du boulot, y'avait tout, c'était juste un problème tout autre, on l'a fait à cause des mentalités, c'était d'un archaïque !
- Ouais (dubitatif) la France De Gaulle, c'était mortel !
- N'empêche que moi, je maintiens les quatre ans où je n'ai pas voté, je ne voulais pas voter pour des blaireaux et c'est tout !
- T'as peut être au raison, moi j'ai voté Ségolène par dépit, mais je pense que le PS a tout laissé passer et c'est inadmissible, et regarde maintenant où en on est !
- Des blaireaux j'te dis ! non mais t'as vu ? Après tu vois Nicolas Sarkozy, un mec comme ça qui se retrouve au pouvoir c'est quand même pas possible !
- Après les français, ils peuvent choisir Fillon, il sera plus large d'épaule...
- Tu déconnes ? Fillon large d'épaule, ah ! ah ! ah! non, merde ! faut pas pousser ! il a pas le charisme ! Balladur n'avait pas assez d'ambition et Juppé il a trop de casseroles, Sarko je suis navré de te le dire comme ça mais il l'a lui, le charisme ! il est malin, il s'est servi de Balladur, il s'est fait propulser...
- Et y'avait l'autre là, tu sais le zigue à Chirac sorti de nulle-part, celui qu'a une tête d'oiseau...
- Ah ! Raffarin ! ouais bof ! bien placé, mais vraiment trop sorti de nulle part ! ce mec là c'est un prof il a donné des cours au Québec, c'est Juppé qui lui a passé le tuyau !
- Merde alors ! ces gars là c'est vraiment des polichinelles
- Ouais ! mais c'est des polichinelles qui tiennent la route. Ils resteront.
- Tu plaisantes ?
- Mais oui, bien sûr que je plaisante ! ah ah ah, Ducon, je t'ai bien eu !
(ils se lèvent et s'en vont en pouffant)
Fin du premier acte. La suite bientôt mais dans un autre café de Lyon (ou d'ailleurs) ...
Photo : L'enseigne, du beau café de 1860. "Cadre simple", dit-on "rétro" mais pas si "branché" que ça. On y boit et même qu'on y mange pas mal, pas cher, (plat du jour 8.70 €, formule déjeuner 11.70 €). "La Manille" est située au 32 rue Tupin dans le 2em à Lyon elle est ouverte du lundi au samedi de 7H00 à 20H30, avec terrasse et véranda chauffée en hiver. Que demande le peuple ? Aurait-il besoin d'autre chose ? Frb© 2010.
samedi, 14 août 2010
Crève-coeur
Ah ! jusqu'à ce que la nature soit bien bonne, - Moi je veux vivre monotone.
JULES LAFORGUE, extr. "Complainte d'un certain dimanche" in "Complaintes" (1885).
La musique est toujours dans les fleurs, il suffit de cliquer sur l'image...
Le besoin de beauté nous aura transformés en monstres chagrinés. Nous agitons nos parchemins dans la brume, petits pieds, petites têtes, le flou de l'écrivain, les volutes du poète, une cuillère pour Verlaine, une cuillère pour Virgile. Nous sommes très bucoliques dans nos chemises à fleurs avec nos pâleurs émouvantes, ce léger rose qui monte aux joues quand certains mots sont prononcés devant nous, des mots comme "toison", "écume", "harangue" ou les vers du vieux Paul : "Quand les feuilles éparses tremblent commencent à fuir". C'est la fin de l'été. Cette nuit l'orage a tout cassé. Il n'y a plus de jardin. Le domaine est en ruine et je pleure à genoux sur les cendres de mon chien. C'est la fin de l'été, le commencement de rien.
Photo : L'hortensia (du brocanteur de mon village), un peu rompu par un orage de fin d'été. (pas le brocanteur, l'hortensia !). Photo prise le lendemain. Nabirosina. Août 2010. © Frb.
23:20 Publié dans Balades, Certains jours ..., De la musique avant toute chose, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 11 juin 2010
Une semaine de catas (thema part I)
"Quelle force, quelle cuirasse faut-il avoir pour encaisser tous les coups de griffes que l'on va recevoir ?"
HENRY MILLER, extr de "Henry Miller, rocher heureux", par Brassaï.
Si vous n'avez pas de feu sur vous, vous pouvez cliquer sur l'image
La nature ment. L'aise émerveille. Le monde est là, l'outrage nous charme. L'effort s'y heurte puis la voix se promène sur les heures, les balaye. Elles se dévident sans cesse. Est ce lui qui vient ? Craque des allumettes, s'enfuit devant le feu qui dévore l'envoilure puis essaye à pas lent de chiffonner les toits ? Dans l'ennui passe l'ennui. Les œuvres tombent en ruine, nous exilent loin des Dieux. Au premier jour qui vient tous les coeurs s'illuminent, le lendemain un autre se lamente en regardant l'anthère d'une fleur arrachée sous la touche du piano secoué d'impatiences et raconte à qui veut bien l'entendre, que sa bonté fût flouée par indifférence. Les rôles sont inversés si aisément ! toute cruauté bien travestie et convulsée de pleurs restera émouvante, un vibrato chéri envoûtera la littérature. Plus tard, en effeuillant un livre qui parle de bombe atomique (au Japon, ou ailleurs), on tombera sur une page si blanche où la méprise à ce jour impossible, paraîtra demain évidente. Tant de gâchis pour rien. Avec quoi pourrions nous l'effacer ?
L'inexorable excite un venin malséant. Tu le vois, le moineau-migrateur à ta porte ? Soufflé par de minuscules guerres, et frissonnant à l'aube ? Quand l'éboueur dépose la tête de ton aimée, sur un paillasson impeccable, lèvres closes. Enfin muette. La voie est libre. Le temps dévore l'acier, soulage un four incandescent, hameçonne au désert à lent terme le dépassement et d'autres choses effritent l'âme terrienne. Les beaux débats secoués d'infâmie, la trahison qui prend de jolis airs de fête et mille faux semblants épuisent la splendeur des épithalames. Tout gêne. Il y a ces toits chiffonnés que j'essore dans la mer où pullulent des petites algues mortes. Il y a des reniement si laids, que l'alphabet entier refuserait d'y prêter les angles (obtus) ou les courbes (qu'on dit sensuelles), d'une seule lettre, pour leur donner un nom, (ne prêterait ni A, ni E, ni N, ni I ni U et encore moins le M) ... Il y a des parenthèses qui se referment à l'envers sur six milliards virgule sept cent quatre vingt treize créatures humaines parmi lesquelles il est impossible de retrouver sa moitié. Tout blesse. Je suis à l'ouest. Des margraves veillent sur mon sommeil, ils portent d'azur, à l'aigle échiquetée d'argent et de gueules, becquée, languée, membrée, couronnée d'or. Quand je ferme les yeux tout s'empresse, pleure, ou disparaît. Je suis dans le Grand Nord, sur une presqu'île presque déserte, assise à la terrasse d'un café somptueux. Et maintenant par dépit, je regarde un garçon danser.
Comme il est beau ce fêtard triste et chevelu !
Est ce lui qui broute sur de secrètes bestioles ? Damne son poulpe étourdi d'amusettes, jette des tubéreuses sur la méchante époque et les mêle à l'acide qui va en ce jardin, saccager les beaux entretiens. Demain nous serre, tristement sous son aile, barde le monsieur qui se rince au bar. Sa déroute amusera. Est-ce lui qui vient ? Administre à pas lourds des châtiments encore pour rien ? Les enclos minent la providence, de belles paronomases arrêtent l'été, hélas ! "amantes sunt amentes", les amants sont ils fous ? Se piquent de vanités près desquelles on s'endort, tandis que le pas se poursuit hantant les anciens parallèles. Est ce lui qui étreint les fadaises et se crève les yeux à toujours vouloir surplomber l'humain ? Lui qui se vante encore de glisser à la fosse, l'élégant baise-main ? Lui que l'ennui a jeté dans l'adoration tant des étoiles que des ténèbres, de l'exaltation au dédain, abhorrant aujourd'hui, son amie de la veille. A tant rapiner les émois, chassés dans les jungles éphémères, on se noierait à marée basse. L'extase est vil, l'humus est là. Il étouffera tous les mignons. Dans l'ennui, j'aime ce monstre et l'ange qui porte le sommeil au milieu de l'après-midi. Le jour nous pare de muselières. La nuit nous ferons mijoter des amanites solitaires avec les amanites blanches mortelles. Il n'y aura peut-être aucun survivant. Des éléphants sommeillent sur des cadavres tièdes.
Ici les biquets se déhanchent.
CATACLYSME.
http://www.deezer.com/listen-3848070
Photo : Image extr du film de Anton Corbijn: "Control", (2007).
22:26 Publié dans ???????????, Certains jours ..., Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 15 mars 2010
Comme un lundi avec une grosse valise rouge
Tous, un, chacun, les mêmes, mais sans la valise rouge, à lire : ICI
03:59 Publié dans Art contemporain sauvage, Certains jours ..., De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective, Transports | Lien permanent
lundi, 30 novembre 2009
Tous, un, chacun
Hier à l'heure la plus silencieuse le sol m'a manqué : le rêve commença. L'aiguille s'avançait, l'horloge de ma vie respirait, jamais je n'ai entendu un tel silence autour de moi : en sorte que mon cœur s'en effrayait [...]
FREDERIC NIETZSCHE : "Ainsi parlait Zarathoustra" (1). Editions Flammarion 1996.
Lundi, dix neuf heures trente. Nous sommes chaque jour plus sûrs de nous. Dans un monde plein d'images, la notre est dépourvue. Une procession de silencieux sous les "Bose" invisibles. Dissolution en tissus mous des ailes d'ange. Une empreinte animale dans un mouchoir en soie, de l'achat sur les murs et des fleurs fraîches dans les bras de Monique Vandroux, (voir notre photo : troisième personne au fond à droite) à côté de monsieur (assis en face). Et tous ces gens, bacaroulés, le nez dans les pistils safrans d'un bouquet sidérant.
Première merveille du monde : venir à eux sans hésiter, venir à eux, c'est tout, et savoir leur parler. Toute l'innocence des cordes vocales, dans un "je vous en prie, s'il vous plaît". C'est une station longue, atonale. Un crépuscule minier. De la tourbe et beaucoup de sable dans ce chariot achalandé de chairs pures et véritables. Des lèvres pourpres. Des poitrines gonflées. Ici des paniers de salade, là un luminaire empaqueté. A terre quelques publicités en forme de cylindre. Quelques minutes d'un seul tenant, sans jamais respirer. Et l'odeur de la pluie répand, celle du vieux chimpanzé.
Chaque souci dans son enclave. Au signal assuré, à station Foch, le riche est là, Philibert de Saint B. (Cinquième personne à gauche), ensemble tweed, manteau de cuir blanc pour la star Vanessa Coco (styliste cool, assise au bord). Une place à part à son spectacle, Melle Branche (hors champ), qui n'aime pas bien les étrangers, entend chanter a capella "svalutation", par des arabes : "Ils mettent LEURS pieds sur NOS fauteuils, c'est NOUS qu'on paie, quelle déchéance !" et sans cesser de tricoter, jette un oeil sur monsieur Grenier (debout, au centre, en blouson beige) qui baille en moue de vieil enfant. "S'il avait voulu, seulement...". Rêves de jeunes filles. Fiel d'ingrate. Il n'y a que mailles... Des bras s'emparent. Un monsieur à son avantage frotte un genou ingénu contre la cuisse d'une dame d'un âge. La mode est à la bigarade.
Perdus au fond, Juliette et Gilles, (le nez contre la vitre hors champ) en tandem ipodés, découvrent "Diamonds are forever" dans une reprise d'Arctic Monkeys. A l'extase stéréophonique, Monsieur Broix, professeur de lettres, recopie sur un bloc rhodia (16), une note rapide de Jacques Vaché traversant le ciel de la guerre, avec une hâte catastrophique puis s'anéantit doucement, fondu au comité des sucres du réseau TCL, une voix d'hôtesse à cajoler, énumère chaque station juste avant l'ouverture des portes, (automatiques, on s'en doutait) : Hôtel de ville-Louis Pradel, Foch, Masséna puis Villeurbanne-Charpennes, correspondance pour Jean Macé, l'ancien terminus de la ligne B, une sortie en vue imprenable sur la rue Elie Rochette pas loin d'Athènes et des trois pierres. Ou, mettons, prenons le sens inverse : Charpennes-Villeurbanne, Masséna, Foch, Hôtel de Ville-Louis Pradel, correspondance Croix-Rousse, Hénon, Cuire. Là, on emprunterait l'escalier déroulant un traité de bave (sans même une trace d'éternité), mais à discrépances variées. Deux minutes de descente, à retomber dans un cul de sac, pour courir après une ficelle. A cet instant, je règle ma vie sur ton pas, camarade ! et je cours, (court, toujours !), une tortue à cet horizon qui se restreint et m'exacerbe. Madame Lantier avec sa canne (a refusé de figurer). Il m'importe de ne pas louper l'aérienne Croix-paquet, ("cruci-paquet" pour les intimes), station de charme, une forêt de courants d'airs et de chaises alignées. La radio collective abreuve ses passagers, un coup de jet dans les pavillons. Souchon, Voulzy, Cloclo, Maurane. Le plan d'urgence est abordé : ipodage immédiat. Jean-Luc Béraud, (arrière petit cousin de...) pose un oeil consterné sur le corps bleu de ma prothèse. Le tunnel se coltrane. Monsieur Broix, ferme son cartable. Jacques Vaché, pose une grenade sous un drôle de stylo. Monsieur Broix salue monsieur Guy. Et le jeu recommence. Dix neuf heures cinquante six.
Nous étions vingt, nous voici trente. Nous étions des milliers, nous voici vingt ou cent. Ils étaient trois garçons, nous étions deux amants. Vingt cent mille ânes. Et cent-vingt rois. Ils étaient des millions. Six mille huit cent quatre vingt huit milliards. Nous étions trois petits chats...
[...] Soudain j'entendis l'Autre qui me disait sans voix : "Tu le sais Zarathoustra." —
Et je criais d'effroi à ce murmure, et le sang refluait de mon visage, mais je me tus.
Alors l'Autre reprit sans voix : "Tu le sais, Zarathoustra, mais tu ne le dis pas !" —
Et je répondis enfin, avec un air de défi : "Oui, je le sais, mais je ne veux pas le dire !"
Alors l'Autre reprit sans voix : "Tu ne veux pas, Zarathoustra ? Est-ce vrai ? Ne te cache pas derrière cet air de défi !" —
Et moi de pleurer et de trembler comme un enfant et de dire : "Hélas ! je voudrais bien, mais comment le puis-je ? Fais-moi grâce de cela ! C'est au-dessus de mes forces !"
Alors l'Autre repris sans voix : "Qu'importe de toi, Zarathoustra ? Dis ta parole et brise-toi !"
F. NIETZSCHE. "Ainsi parlait Zarathoustra".(2)
Photo : Comme un lundi à l'assaut d'une rame. Métro Lyon, (je ne sais plus précisément où. Ici ou là, dans une rame c'est toujours un petit peu pareil, non ?). Novembre 2009. Dernière.© Frb.
23:32 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, Certains jours ..., Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective, Transports | Lien permanent
mercredi, 07 octobre 2009
Les crocs d'Icare
Comme un mercredi, sur le grand manège...
Reprenons l'étude aux bruits d'une vogue qui convulse et rassemble, paraît aussi jeter au ciel quelques aventuriers, bien décidés à se trouver pendus, tête à l'envers, jambes pendantes (et réciproquement), sous nos visages levés, nos bras ballants (et pas réciproquement)... Une machine paradoxale. La plus métaphysique sans doute de cette vogue. Un de ces engins qui aurait bien pu inspirer un SCHOPENHAUER ?
"On n'est libre qu'en étant seul " (in "Ma vogue avec Schopenhauer"). Editions Plon 2009.
un CIORAN ?
"Au zoo toutes ces bêtes ont une tenue décente, hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin." in "Le manège à Mimile". Editions du néant, 2004.
ou plus certainement un MONTAIGNE :
"Tout ce qui branle ne tombe pas", in "Montaigne saute à l'élastique". Edition Ushuaïa 1984.
Un Univers de "cons flambloyants" (dont je suis, et, pardonnez-moi, dont nous serions tous un peu, selon mon chien aussi, inclus n'est ce pas ? A qui je rends un hommage mérité en passant, ainsi qu'à tous les autres)... Un de ces mondes comme on en rêve depuis qu'on est resté enfant, et dont on ne s'arracherait pas si aisèment pour partir sur une île déserte avec son bouquin préféré (Nathalie SARRAUTE ? "L'ère du soupçon" ?) ou "sa" petite musique préférée (Michel Fugain ? (en minuscules) "Fais comme l'oiseau" ? (Je vous mets le lien ? Allez ! juste pour les costumes, la vie est courte ! soyons fous !). Plus jamais d'île déserte, que nenni ! on est mieux là, assis par terre (pas attaché sur le manège ! vous n'y pensez pas, malheureux !). Juste là. Ras les pâquerettes. A faire Zazen comme des petits bouddhas dissipés, à respirer ce merveilleux pralin d'humanité qui va et vient tout au milieu du ciel et qui nous met les tripes à l'air, rien qu'à le regarder.
Voilà un manège qui fascine sans doute parce qu'il dévore ses gens, qu'il broie menu, sangle les membres de ses passagers, (tous consentants, la camisole de force au milieu de la fête, c'est encore un mystère), avant de les monter un peu plus haut que les toits, dans le fracas assourdissant des overbass du pire dancefloor de la terre. Adrénaline, chocottes totales à ceux du ciel. Pour ceux du bas le plaisir est immense. Surtout quand le forain stoppe toute sa machinerie. Et laisse de longues minutes ses otages immobiles, attachés tout en en haut. Interminable apesanteur ou pesanteur, au choix. S'ensuit alors un suspens insoutenable où le temps entre en expansion, et peut-être l'univers aussi...
A écouter "le courage des oiseaux" : ICI
A voir le mouvement de la petite histoire : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/11/05/la...
Et pour un manège plus "humain", plus enfantin, disons, c'est juste à l'étage au dessous..
Photo : le manège le plus insensé de la vogue et peut-être le plus technoïde, installé sur une petite place pas loin de la Mairie (Sorry, j'ai oublié le nom,), longeant le boulevard de la Croix-Rousse, vu avec ses volontaires en pleine partie de jambes en l'air, (pas du tout ce que vous croyez, messieurs-dames !). "Vogue aux marrons" encore et toujours à l'heure d'été, en presque début de roisée. Lyon. Octobre 2009. © Frb.
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mercredi, 30 septembre 2009
Impossible - possible
Jamais
Quand bien même lancé dans des circonstances
éternelles
du fond d'un naufrage ...
STEPHANE MALLARME : extr. "Un coup de dés"...
Connaissez vous DIODORE CRONOS (ou Kronos) ? philosophe à peu près contemporain d'ARISTOTE, de l'école mégarique, celui là même qui nia l'existence d'un possible qui ne se réaliserait pas, et fit observer "qu'un possible qui ne deviendrait jamais réel serait contradictoirement impossible." DIODORE CRONOS se situe dans la tradition éléate et cherche comme ZENON (d'Elée) à nier dialectiquement l'existence du mouvement. En effet, si on admet l'existence d'atomes (indivisibles), ces atomes se trouveront en des lieux mêmes indivisibles et ne pourront se mouvoir ni dans le lieu où ils se trouvent (puisqu'ils le remplissent), ni dans un lieu différent (puisqu'ils n'y seront pas encore. Il n'y a donc pas de mouvement mais une mutation. Ou succession d'instantanés. Le même refus de la notion de virtualité ou de possibilité se retrouve dans un autre argument tout aussi fameux élaboré par DIODORE CRONOS qu'on appelle "argument du dominateur" : cette aporie veut prouver qu'il n'y a que du nécessaire ou de l'impossible, et elle fût en son temps approuvée par les anciens. A leurs yeux elle démontrait l'incompatibilité de plusieurs principes dont on s'accorde à trouver la présence dans les conditions d'un acte libre et que le "bon sens "est spontanément porté à tenir pour "vrais". Grosso modo en voici les 3 + 1 principes :
1) Le passé étant irrévocable, seul un événement futur peut être possible.
2) Un impossible ne peut pas être la conséquence logique d’un possible.
3) Il y a un possible dont la réalisation n’a jamais lieu, ni dans le présent, ni dans le futur.
4) Ce qui est, est nécessairement pendant qu’il est.
En réponse à cette question qui est celle de la nécessité ou de la contingence, les philosophes antiques ont donc élaboré plusieurs solutions mutuellement exclusives en procédant comme on fait en mathématique lorsqu'il s'agit d'accommoder un système d'axiomes démontrés incohérents. ils ont sacrifié l'un d'eux pour montrer ce qui leur paraissait imperturbable.
Il faut bien admettre que ce domaine est aride parce qu'il est celui de l'abstraction pure. Or si ces quatre principes lus séparément ne poseront pas le moindre problème à son lecteur, DIODORE, en parfait coupeur de cheveux en quatre des 3 + 1 principes, démontrera encore que ceux ci ne sont en réalité pas compatibles entre eux, leurs conséquences se détruisant les unes les autres. Donc pour sauver la cohérence de l'énoncé, il faudra renoncer à un de ces principes, au choix. Et là, où la démo de philo deviendra amusante c'est qu'une fois qu'on aura rejeté l'un des principes, on aboutira à des systèmes compétement différents. Certains de ces systèmes, il en est, dont ceux des Stoïciens, qui reviennent à affirmer une sorte de nécessitarisme universel dans lequel la contingence n'aurait plus aucune place ; entendez par contingence, la liberté humaine au sens usuel du terme. Dans d'autres solutions (celle d'ARISTOTE, d'EPICURE ou celle des sceptiques grecs), cette notion de contingence, de liberté humaine est réintroduite mais au prix du sacrifice d'évidentes règles logiques. Résultat des cogitations, d'un côté comme de l'autre, la pensée humaine est invitée à découvrir sa finitude.
Pour ceux qui seraient très curieux de n'en pas rester à la version édulcorée de "certains jours", il y a un livre d'où sont tirées ces minces notes, que je conseille à ceux qui ont assez de temps pour s'y pencher (l'écriture en est limpide mais la lecture un peu difficile) ; il s'agit de "Nécessité et contingence" de Jules VUILLEMIN paru aux éditions de Minuit en 1984. Et pour corser un peu l'affaire, nous finirons par des questions (un peu à la manière du koan zen, mais sans la position zazen, plutôt dans une posture pseudo-néogrecque (???), c'est à dire la tête haute mais dans les mains (???), après quoi il sera écrit que la colline ouvrira sa vogue aux marrons, où nous irons oublier tout cela, en sucrant goulûment les fraises dans la barbe à papa).
Mais avant la récréation, révisitons une dernière fois "l'argument du dominateur", le passé est irrévocable affirme-t-il, or, parmi les évènements passés, on peut se demander quelle considération particulière porter sur l'inattendu lorqu'il est advenu ? s'agissait-t-il d'un possible mal déterminé avant qu'il n'arrive (manque de jugement, de connaissance ?) ou bien d'un évènement impossible à prévoir qui n'avait aucun statut modal lié à la possibilité ? réponse au cas par cas sans doute, je vous laisse méditer tout ça, au frais. Certes, nous avons généralement tendance à estimer les évènements passés comme nécessaires, s'ils sont advenus n'est il pas qu'ils devaient nécessairement advenir ? Question. Seul peut-être notre manque de lucidité pourrait expliquer que nous n'aurions pas saisi, à ce moment là, la nécessité de telle ou telle occurrence évènementielle lorsqu'elle est survenue... Bref et puisque il ne s'agit que de jouer, lançons encore un dé. Si celui-ci marque le six, le coup ne cesse pas d'avoir été aléatoire. La proposition qui affirmerait que notre six sorti au dé est nécessaire ne serait pas tout à fait juste, mais l'évènement semblerait bien irrévocable. Et pourtant rien n'indique que ce même évènement ait été contingent. Imaginez mainenant, que ce dé se mette à rouler sous la table : Comment prouver qu'un tel imprévu aurait pu ne pas arriver ?
Sur ce je tire ma révérence, le dernier Jean-louis MURAT est sorti depuis quelques jours, c'est évidemment une pure merveille, qui a pour titre "Le cours ordinaire des choses", (Ah ! ah ! quelle ironie !). Adieu Diodore ! Bonjour Jean Louis. "Falling in love again".
Tout le reste étant littérature...
Photo : Autre question sous les pas, doublée d'un pochoir lumineux, arrachée dans la marche, en remontant la colline du côté de la rue de Flesselles. Pas très loin de l'immeuble aux 365 fenêtres, dont pas une, a dit DIODORE n'a été posée par hasard. Vue à Lyon par une nuit ordinaire de Septembre 2009. © Frb.
23:18 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, Certains jours ..., De visu, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 14 septembre 2009
Que votre ombre grandisse...
Comme un lundi place Tabareau.
En cette dérive enfin consentie, la légéreté tient du miracle. La lumière de Septembre pose à la fin de l'été les conditions de la couleur. L'anthracite roule sur la "tabareuse" des étoiles, aux iris châtaignes. Un semblant d' immobilité, offert à ces glaneuses, donne à lire une saison de vies. Les rousses arrivent. Un sillon d'or tracé entre la nuit et la journée. Sous la semelle, d'onctueuses rainures craquent des allumettes. Ici, un projet de brasier, là, quatre feux follets. Du bruissement léger sous le pas des bourreaux, à l'écrasant pied du bouliste portant ses lunes argentées, courtisées par un cochonnet ; nul ne songera un instant à s'immoler dans ces pépites. Il y aura pourtant une foule, penchée sur les sorcières, quelques bonnes fées aussi... Tous ces trésors échappés du fenier de l'Alceste, révèleront un tracé luisant comme la monnaie, ni sonnante ni trébuchante, mais légèrement ombrée quand le soir nous saisit. Si la lumière trébuche aux sillons de la rousse il ne faut pas douter que notre ombre grandira. Tout comme il est écrit (quelquepart, dans le ciel, probablement) que les éphélides hermaphrodites se reproduisent par milliers. Il est certain que d'ici quelques semaines, ou quelques jours à peine, elles recouvriront toute la terre.
Photo : Les premières rousses, posant place Tabareau dans un après-midi de fin d'été. Photographiées à Lyon, sur le plateau de la Croix-Rousse, Septembre 2009. © Frb.
23:12 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, Certains jours ..., De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 13 septembre 2009
Comme un dimanche
"A peine eût-il descendu dans la cave, qu'on le vit agité par des mouvements convulsifs"
FELIX VICQ D'AZYR, (1748-1794). "Le danger des sépultures", cité par PHILIPPE ARIES in "Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen-Age à nos jours". Editions Seuil 1975.
Avant-propos : Ce billet est une suite, (pas tout à fait chronologique) tout autant qu'une variation sur un même thème, si vous avez loupé le début, vous le trouverez sur le billet "Comme un dimanche" daté du 06/09/2009.
On sait maintenant que dans la seconde moitié du XVIIIem s. l'opinion s'est émue des "dangers des sépultures", c'est même le titre d'un essai paru en 1778, écrit par F. VICQ D'AZYR, médecin bien connu aujourd'hui des historiens. Un recueil de faits divers qui démontrent le pouvoir d'infestation contagieuse des cadavres et décrivent aussi ces foyers de gaz toxiques qui se formaient dans les tombes. Certains enterrements célèbres dans les annales de ces premiers hygiénistes tournèrent à l'hécatombe.
Ainsi un jour chaud du mois d'Août 1744, un portefaix s'effondra, ouvrant le caveau des pénitents blancs de Montpellier, à peine eût il descendu à la cave, qu'il fût pris d'un malaise brutal, le frère pénitent qui voulût lui porter secours échappa de justesse au danger. "A peine eût-il saisi l'habit de portefaix qu'il perdit la respiration". On le retira à demi-mort. Bientôt il reprit ses sens mais il lui resta une espèce de vertige et d'étourdissement, signes avant-coureurs des mouvements et des défaillances qui se manifestèrent un quart d'heure plus tard. "Ses troubles heureusement disparurent par le moyen d'une saignée et de quelques cordiaux, mais il fût longtemps pâle et défiguré et il porta depuis, dans toute la ville, le nom de ressucité". Deux autres pénitents tentèrent de sauver le malheureux portefaix qui était toujours au fond de la cave, inanimé. Le premier pénitent se sentant suffoquer eût le temps de faire signe qu'on le retirât. Le deuxième, plus robuste fût victime de sa force et de son audace : "Il mourût presque aussitôt qu'il fût descendu [...] chacun alors comprit, à quoi il s'exposait et personne ne désirât plus se risquer à une telle tentative malgré les exhortations les plus pressantes du clergé".
Source : Philippe ARIES "Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen-Age à nos jours".
Même lien, à props de Philippe ARIES : http://bruegel.pieter.free.fr/aries.htm
Photo : Est-il mort ou tente t-il doucement de revenir à la vie ? ce Christ couché à nos pieds et dépouillé de sa croix. Etrangement mis à terre, bras clouées à la pierre, poings rageusement serrés. A terre encore, se trouve, presque à l'endroit de la blessure, et glissant tout le long du corps, une mousse tellement improbable qu'on la croirait miraculeuse, (s'il nous venait encore la certitude de quelques miracles sur terre...). Le temps d'une seconde, l'illusion trouble un peu, et nous surprend encore en flagrant-délit de superstition... Cela comme la feuille noire gisant sur un bitume hanté par les vivants, tout aussi bâtés qu'insoucieux. Ces choses porteront simplement le doux nom de mystère. Je ne saurai rien vous dire de plus. Photographié au Cimetière de Bois Ste Marie, au milieu de l'été 2009. © Frb
19:26 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, Certains jours ..., De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent