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vendredi, 01 octobre 2010

Nuit et jour (Part II)

Voici des cerveaux voici des coeurs
Voici des paquets sanglants
Et des larmes vaines et des cris
Des mains retournées
Voici tout le reste pêle-mêle

PHILIPPE SOUPAULT  extr. "Une heure" in "Georgia-Epitaphes-Chansons et autres poèmes", éditions poésie Gallimard, 1984.

Night and day en musique c'est possible ! si tu cliquesOCTOBER0025.JPG tout devient possible, ah mais!

Le jour brûle chaque seconde. Du haut des vieilles tours, le pied sur un téléphérique suspendu entre les nuages, des coupe-vent ensorcellent les mouvements sur les places. On regarde des campements abstraitement du sommet des collines. Toutes les étoiles de mer sont entrées dans la ville avec les ventouses de la pieuvre, des venins de serpents, des paroles gluantes s'invitent sur le petit écran, créent des objets pour la souffrance du peuple. Les merles moqueurs sifflent pavane, décomplexion, en habits d'outre tombe. Le soir m'attache à des heures lentes, au mal qu'inventa un poète médecin dans la lumière brumeuse des marécages devenus lac au fond duquel une tête dort. J'entre dans le quatrième monde trainant au cul des plumes d'indiens comme autant de bris de casseroles. J'entre dans la piscine d'une rue noire de monde, toutes les étoiles de mer rient des tubas, et mes palmes me font une démarche embarrassante. Le soir m'attache à des heures lourdes et me prive des apéritifs en plein ciel au onzième étage circulaire d'une demeure accueillante où les bambous touchent le ciel, j'y croise un ami de longtemps et ses femmes folles de plumes, acousmatisées par une grande machine à Cythère, je monte tous les étages à pieds, redoutant les pannes d'ascenseur, recolle, dans la solitude le O au E pour qu'une banalité fasse Œuvre. Je me prive de ces apéros pétillants de champagne teinté de grenadine que nous prenions à la même heure qui marquait minuit en plein jour et midi aux nocturnes d'une fête médiévale du côté de la Grosnes. Déjà s'enfuit la grâce par les volutes informes, un consumé léger de cigarettes longues. Les arômes du tabac un peu roux, virginien, le taux de nicotine et de goudrons m'effacent. Ces volutes effleurent les affiches où se courbent des silhouettes parfumées de Coco, armes de séduction massives, les phéromones de Calvin Klein, l'ylang ylang, la guerlinade aphrodisiaque devenue synthètique ; les femmes sont vêtues de velours sous lequel la peau saigne, on taguerait là, une fine entaille, pour la fragilité du nu. Le jour brûle la petite caissière de l'hyper-Rion de Vaise. Une porte claque, à peine prononcerions-nous une phrase, que l'on nous accuserait de tout. La même porte re-claque sans cesse. La caissière mange son Bromazépam en cinq minutes de pause comme autant de petits bonbons dont la saveur absente rendrait la douleur de l'agneau, par de beaux cris d'égorgements bien douce en doublure de manteau. La nuit dépose juste à côté des pyjamas à rayures en pilou, de la guêpière affriolante ; les panoplies de Tarzan,et de Jane, et des tenues de combat puissantes, des collections de sabres, les amoureux s'escrimeraient, estoc et taille, vertu martiale, chaque phase d'arme tuerait l'un et l'autre un peu plus chaque jour. Le jour suivant les voix seraient roses comme des fleurs, nous ne parlerions que de la pluie et du beau temps. Et j'irai slalomer sur les places avec une bicyclette d'enfant entre les beaux manifestants qui refusent à l'autre la démence de sacrifier leur vie à la valeur travail. La nuit brûle un à un, chaque meuble dans chaque maison. Des lits rouleaux s'enroulant sur eux mêmes se transforment en lit papillons. Quelques amants se brûlent les ailes à trop s'y attarder. Des têtes roulent tout comme au temps de la terreur et on les porte en haut d'un pique. Toutes nos vies se trouvent à louer, les plus douces à brûler ou à pendre. Le soleil décline doucement. Il y a toujours dans la journée, un moment où tout meurt. Le moment où il nous plairait de croire en tout bouleversement est davantage celui de nos fatigues, ou bien est ce le sentiment que tout disparaît quoiqu'on fasse. Une gomme au bout d'un crayon, un doigt frôlant la touche "Erase" et voici la disparition sous un ciel gris, on avance sur les vacances de la Toussaint qui bientôt refleuriront les tombes. Le soleil s'éteint trop tôt, écrasé des poumons malades d'October et d'anciennes tuberculoses de Tristan, et de son batracien


- Un crapaud ! - Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue... - Horreur ! -


Tout près d'ici les brésars font l'Icare, le vent écaille l'écorce aux branches des platanes d'un jardin public où des enfants un peu crétins râclent leur fond de culotte sur de ridicules balançoire en plastique très ergonomiques, sous l'oeil mou de parents mutés en larbins d'angelots. Ici on ressent le danger d'appartenir au monde, on lit des feuilles aux devantures de mille bureaux immobiliers, l'ulcérant sourire au gardol de l'agent du siècle 21, on ressent l'insécurité des pavillons à vendre, ces affaires à saisir à proximité des périphéries avec vue sur des raffineries en grève, et on reste songeur devant le tampon rouge qui tamponne la chose comme "Vendue". Rouge sang, toute vendue comme nous. On ressent le danger, on se prend quasi frêle à remuer ces boites où gisent de vieilles photos de parents jadis amoureux se tenant par la taille devant les tamponneuses. Le vent court dans nos cheveux, sans chapeau ça travaille, et du chapeau quand même. Si, un jour nous allions sans vélo, ce qui est bien sur inadmissible, des petit vélos noirs nous aguicheraient quand même et nous les laisserions tourner dans nos têtes noires jusqu'à la débandade. Un mécanisme infernal tout caché ferait dériver un manège et tout cela porterait encore un nom de maladie. Le jour brûle les souterrains. Un monsieur fait la sérénade à une dame dans une jonque sur le fleuve Rhône jaune et noir comme les amours de ce mal aimé de Corbière, comme la syntaxe chaotique du batracien, ce boiteux qui hurle à la lune avec 4 rimes au lieu des 2 traditionnelles. EL(e) - OA - IER 2 tercets avec rime suivie ER + 2 rimes embrassées OMBR(e) - IF. Œuvre au Œ accolé mais sans âme sŒur.

Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre ...
Un chant ; comme un écho, tout vif,
Enterré, là, sous le massif...
- Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre..."


Photo : Le petit cheval blanc et le chevalier blanc, à la conquête des jours et des nuits, parcours étoilés de l'automne. Vu en fin d'après-midi du côté tonkinois de la cité de Villeurbanne au jour 1 d'October. © Frb 2010

vendredi, 03 septembre 2010

Locomo, locomo... (by HK/RL)

Tout le monde va descendre
Dans la gare divine,
Dans la gare divine ....

Hozan KEBO VS Claude NOUGARO, ( Extr; "Locomo, locomo"  P. 1, traduit en français par ROGER LAHU). Edition Tchous, 2010) 

 Pour voir comment ça sera quand la loco elle sera partie, il suffit de cliquer sur l'image 

locomotive d'or.jpg

Afin de mieux apprécier les voyages locaux "loco" et les rythmes chauds de "la Divine", il suffit de monter le volume juste : ICI

La photo n'est pas signée Kenny Clarke (qui a pourtant été chef de gare aux Bois d'Oingt et de Vaux, comme chacun sait, avant de battre grand train sous le surnom de "Klook" dérivé de l'onomatopée inventée par lui même, "the klook-a-mop", mais je m'égare... La photo est signée Hozan KEBO qui est le dernier homme sur cette terre, à affirmer que les trains font encore "tchou tchou", et on serait bien pauvre d'esprit si on ne croyait pas à cette vermeilleuse théorie, car il y a des preuves et celles-ci ne mentent pas ! (il manquerait plus que ça que les preuves mentent !). Cette photo a été réalisée sans trucage. La légende est de Roger LAHU. Les décors sont de Roger... (comment s'appelle -il déjà ?). Les bénéfices de ce billet seront reversés au profit de la SNCF SIDGL, ("Société internationale des divines gares et locomos") qui permettra à notre "bac à rouler" préféré de se requinquer et de nous promener par delà monts et vallées, (même bien au delà), à lutter contre les trains à grande vitesse  qui défigurent nos paysages et arriveront un jour ou l'autre, à rayer de la surface de nos quais ces êtres pleins de tendresse que sont les chefs de gare. Or certains jours, on aime les chefs de gare, particulièrement celui de "la gare divine" qui mérite notre admiration autant que ce vibrant hommage. Le design incomparable signé HK/RL a reçu le prix "Georges Méliès" lors du 34em festival d'Art contemporain sauvage (ARCS) de Saint Germain aux Mont d'Or, et le premier prix des "Trains fleuris de la Grosnes et l'Azergues", avec les félicitations du MARC (Musée d'art rural contemporain). Septembre 2010.

dimanche, 01 août 2010

Poisons

Ma commère, il faut vous purger
Avec quatre grains d'ellébore.

JEAN DE LA FONTAINE "Le lièvre et la tortue"

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Il y avait l'inouï à portée, le sable sur les dunes, les arbres et la beauté, la transformation pure biffée sur un trait d'ombres. Il y avait la douleur présente et la douceur passée, les tortures à venir, des gens dans des musées s'étonnant d'art absurde devant des têtes réduites baignant dans du formol. Il y avait mille choses, des guillotines, des fouets et des chaises électriques, des autocars pleins à craquer d'artistes venus des grandes villes pour piquer le jus de la forêt. Il y avait l'exil, la peur des lendemains, il y avait ta mine de plomb au milieu d'un grand pré qui me faisait manger des digitales pourpres. Il y avait cinq pétales soudés. Inclinée vers le sol, une corolle bordée de blanc de couleur rose foncée parsemée à l'intérieur de petites taches sombres, il y avait des capsules de fruits mûrs et poilus, des pétioles, des sessiles, au dessus de nos têtes il y avait des insectes qui butinaient des particules de pollen, et nous piquaient les mains. Il y avait Marie Madeleine Dreux D'Aubray dite Marquise de Brinvilliers, ou bien "Marquise des ombres" vivant à l'époque de la fronde, violée par un domestique à l'âge de sept ans, devenue "joli brin" qui dansait entre les massifs avec un air d'innocence émouvant. Il y avait Godin de Sainte Croix et l'empoisonneur Exili. Les jardins, l'alchimie, l'arsenic. Il y avait le charme des vénéneuses, l'aconit, la cigüe, l'if, et ses petits fruits ronds comme des myrtilles qui n'ont pas mauvais goût. Il y avait l'herbe du diable, les poisons végétaux, tous les alcaloïdes. Il y avait ma tête souriant au milieu d'un grand pré, couronnée de lauriers roses que tu cueillais pour moi exprès afin de varier les plaisirs. Il y avait des portiques, des pergolas, des balançoires et encore ces vieux fruits arrivés à maturité qui se glissaient tels des reptiles entre les murailles presque en ruine. Il y avait des peines capitales, d'arbitraires exécutions par la grâce des "consolantes" ou la disgrâce des mêmes vireuses solanacées. Il y avait des onguents magiques, des philtres d'amour, le breuvage des Sabbats qui invitait à "voir le Diable". Il y avait l'héllébore blanc ancien poison de flêche. Il y avait la rose de Noël, et La liane-réglisse du Jequirity avec ses jolies graines rouges vifs marquées d'une drôle de tache noire à la base. Il y avait des fièvres intolérables venues de petits arbres de la forêt humide. Il y avait les nuances du savant Paracelse qui remisait l'ordre du monde :

"La dose seule fait qu'une chose n'est pas un poison"


SUN RA : "Angels and demons at play"
podcast



Photo : Melle Laronce posant pour certains jours dans son habit de plante méchante. Mais méfions nous des imitations. Testée pour vous, elle griffe et elle s'accroche mais ne délivre aucun poison (sinon la mûre, encore faut-il, que les plus benêts s'y laissent prendre...), Nabirosina. Dernier jour de Juillet 2010. © Frb

mercredi, 28 juillet 2010

Dead souls

L'idée d'inspiration, si l'on se tient à cette image naïve d'un souffle étranger, ou d'une âme toute puissante, substituée, tout à coup pour un temps à la nôtre, peut suffire à la mythologie ordinaire des choses de l'esprit. Presque tous les poètes s'en contentent. Bien plutôt, ils n'en veulent point souffrir d'autre. Mais je ne puis arriver à comprendre que l'on ne cherche pas à descendre dans soi-même le plus profondément qu'il soit possible.

PAUL VALERY : extrait d'une lettre écrite en 1918, publiée dans la revue "Le Capitole", en 1926 (La pléiade, I, p. 1654).

forêt II.JPG

Les serments nous dévident. Au soleil, nous disparaissons. Incapables de choisir entre le bien et le mal, nous prenons dans l'épreuve le lot de faux plaisirs, l'enrobons du contentement des sots. Nous sommes calmes, avenants, marchons les bras chargés de fleurs, des choses nous illuminent, nous les nommons, leur donnons vie, par mégarde elles nous sont reprises. On les emporte au loin. Au loin est un lieu impossible, déjà l'imposture nous fait autres. Les regrets s'éternisent. Des passagers descendent, d'autres montent. Le cochet fouette des chevaux blancs. Le carosse a des airs de train de marchandises ou de charrette à bras portée par quelques monstres. Qui se douterait que ce beau véhicule aura déjà servi, toujours à l'identique ? Des tas de gens tous identiques, absorbés par l'azur auront traversé ce même lieu tous, indifféremment et s'y seront perdus à convoiter l'âme promise, jusqu'au mal le plus vif, au mouvement brut, des bris de là, tout au bord d'un sentier, entre les pierres sculptées, le calcaire d'une église au tympan martellé, dentelle d'apocalypse et de Christ adoré.

Le paysage nous prend et déchire nos chemises. Les oracles prédisent des temps à venir périlleux, ensuite, peut-être éblouissants. Ce serait tout comme à l'origine. Un endroit féerique né d'un péché puissant. A terre gît l'écorce éclatée d'un arbre centenaire, une sève figée, blanche et terne, de belle opacité, un point ultrasensible au centre d'un sillon qui semble se fermer à vue d'oeil, en s'approchant, on sait qu'il s'ouvre sur des mondes. Alceste qui s'y connaît, dit que les arbres ne meurent pas. Il faut les tuer, pour qu'ils tombent. S'il l'on écoute on peut entendre une plainte en écho. Un chant, des turpitudes attendrissent les dunes. Rares sont ceux qui le savent. Quelque chose cède à l'embarras, plus fort que toute vélléité d'accéder aux limites. On a beau croire que la douceur s'annule comme rien, au milieu de tout ça, l'humain chute, et cette chute fait encore peine à voir, on le regarde s'agripper à la haie du chemin, la tête noire comme un mûron: rumex, rumicis, ruberraspberry, blackberry, cloudberry, dewberry, salmonberry, nagoonberry, thimbleberry, jusqu'à l'explosion des fruits rouges. Les lèvres imitant le baiser, lèchant le jus sombre, et le suc. Si délectables, enfin.

Rien ne dissipe le muet battement qui ravive la nuit. Les chants de ces rapaces aux yeux frontaux existent bien à l'écart du monde.

"Leur attitude au sage enseigne / Qu'il faut en ce monde qu'il craigne / Le tumulte et le mouvement;" (1)

Leurs cris semblent montrer la figure souveraine, le chemin des grandes terres, et du soleil couchant. Toute crainte terrestre s'en trouve remuée, mais rien jamais ne peut si aisément se rompre. Nous accueillons la vanité et nous cachons ce vierge, ce muet en nous même, qui nous plie, nous allonge sur un fil, et lie les univers les uns aux autres, un seul ressort si mystérieux qu'on ne sait déjouer. L'effroi succède aux tumultes, aux mouvements, les aveux magnifiques se taisent.

Tout était lumineux, et tout nous enchantait. Nos pavanes ne sont plus que bredouillements de gêne. Nous cherchons l'absolu ou l'oubli ou les deux et la nuit nous pleurons. La nuit ça continue, ne viennent que subterfuges, et les vains substituts. Quand l'heure est dépassée, on se rentre en citrouille. Toutes ces grâces enfantines n'en finissent plus de nous hanter et ces folles entreprises, tours de main, tour de cour, et ce rire de l'humain, noyant dans l'excès d'encre, les belles exhumées. Toutes ces grâces vont échues en petites notes éparses, pages blanches, cahiers reliés de cuir, ratures, effets de style à découvrir sous la lame du coupe-papier, tous ces ratés monumentaux dont on voudrait faire oeuvre ; tous ces paradis personnels, solitaires, déjà déchus. La main n'atteindra pas le coeur de la forêt. Et les songes inouis, trop criants, finiront par nous rendre sourds.

Nous dormions innocents sur un lit de bleuets. Mais par la main du diable, la création nourrit aussi les ânes, singe la sève et l'arbre. Les ardentes couleurs de nos petits succès, nous font maintenant pâlir de honte : ronds de jambes, jus de framboise, à tu à toi, je mute en rimes qu'on fait moisir confinées, mains absurdes caressant les pistils soyeux, hymen à déchirer dans un joli fourré, bouches en cul de poule, trous de guingois, le mucus libère ses toxines, des hiboux perroquets nous recouvrent de plumes, on prend des airs échevelés, concupiscence, excès. Voici l'éternité. L'ombrage est sans limite et les réveils sont durs. Pourquoi se réveiller ?

 

 

Nota : (1) ces vers sont extrait du poème de Charles Baudelaire : "Les hiboux".

Photo : Ma forêt en Nabirosina. Juillet 2010. Frb©

vendredi, 11 juin 2010

Une semaine de catas (thema part I)

"Quelle force, quelle cuirasse faut-il avoir pour encaisser tous les coups de griffes que l'on va recevoir ?"

HENRY MILLER, extr de "Henry Miller, rocher heureux", par Brassaï.

Si vous n'avez pas de feu sur vous, vous pouvez cliquer sur l'imagecataclysme.png

Lundi.

La nature ment. L'aise émerveille. Le monde est là, l'outrage nous charme. L'effort s'y heurte puis la voix se promène sur les heures, les balaye. Elles se dévident sans cesse. Est ce lui qui vient ? Craque des allumettes, s'enfuit devant le feu qui dévore l'envoilure puis essaye à pas lent de chiffonner les toits ? Dans l'ennui passe l'ennui. Les œuvres tombent en ruine, nous exilent loin des Dieux. Au premier jour qui vient tous les coeurs s'illuminent, le lendemain un autre se lamente en regardant l'anthère d'une fleur arrachée sous la touche du piano secoué d'impatiences et raconte à qui veut bien l'entendre, que sa bonté fût flouée par indifférence. Les rôles sont inversés si aisément ! toute cruauté bien travestie et convulsée de pleurs restera émouvante, un vibrato chéri envoûtera la littérature. Plus tard, en effeuillant un livre qui parle de bombe atomique (au Japon, ou ailleurs), on tombera sur une page si blanche où la méprise à ce jour impossible, paraîtra demain évidente. Tant de gâchis pour rien. Avec quoi pourrions nous l'effacer ?

L'inexorable excite un venin malséant. Tu le vois, le moineau-migrateur à ta porte ? Soufflé par de minuscules guerres, et frissonnant à l'aube ? Quand l'éboueur dépose la tête de ton aimée, sur un paillasson impeccable, lèvres closes. Enfin muette. La voie est libre. Le temps dévore l'acier, soulage un four incandescent, hameçonne au désert à lent terme le dépassement et d'autres choses effritent l'âme terrienne. Les beaux débats secoués d'infâmie, la trahison qui prend de jolis airs de fête et mille faux semblants épuisent la splendeur des épithalames. Tout gêne. Il y a ces toits chiffonnés que j'essore dans la mer où pullulent des petites algues mortes. Il y a des reniement si laids, que l'alphabet entier refuserait d'y prêter les angles (obtus) ou les courbes (qu'on dit sensuelles), d'une seule lettre, pour leur donner un nom, (ne prêterait ni A, ni E, ni N, ni I ni U et encore moins le M) ...  Il y a des parenthèses qui se referment à l'envers sur six milliards virgule sept cent quatre vingt treize créatures humaines parmi lesquelles il est impossible de retrouver sa moitié. Tout blesse. Je suis à l'ouest. Des margraves veillent sur mon sommeil, ils portent d'azur, à l'aigle échiquetée d'argent et de gueules, becquée, languée, membrée, couronnée d'or. Quand je ferme les yeux tout s'empresse, pleure, ou disparaît. Je suis dans le Grand Nord, sur une presqu'île presque déserte, assise à la terrasse d'un café somptueux. Et maintenant par dépit, je regarde un garçon danser.

Comme il est beau ce fêtard triste et chevelu !

Est ce lui qui broute sur de secrètes bestioles ? Damne son poulpe étourdi d'amusettes, jette des tubéreuses sur la méchante époque et les mêle à l'acide qui va en ce jardin, saccager les beaux entretiens. Demain nous serre, tristement sous son aile, barde le monsieur qui se rince au bar. Sa déroute amusera. Est-ce lui qui vient ? Administre à pas lourds des châtiments encore pour rien ? Les enclos minent la providence, de belles paronomases arrêtent l'été, hélas ! "amantes sunt amentes", les amants sont ils fous ? Se piquent de vanités près desquelles on s'endort, tandis que le pas se poursuit hantant les anciens parallèles. Est ce lui qui étreint les fadaises et se crève les yeux à toujours vouloir surplomber l'humain ? Lui qui se vante encore de glisser à la fosse, l'élégant baise-main ? Lui que l'ennui a jeté dans l'adoration tant des étoiles que des ténèbres, de l'exaltation au dédain, abhorrant aujourd'hui, son amie de la veille. A tant rapiner les émois, chassés dans les jungles éphémères, on se noierait à marée basse. L'extase est vil, l'humus est là. Il étouffera tous les mignons. Dans l'ennui, j'aime ce monstre et l'ange qui porte le sommeil au milieu de l'après-midi. Le jour nous pare de muselières. La nuit nous ferons mijoter des amanites solitaires avec les amanites blanches mortelles. Il n'y aura peut-être aucun survivant. Des éléphants sommeillent sur des cadavres tièdes.

Ici les biquets se déhanchent.

CATACLYSME.

http://www.deezer.com/listen-3848070

Photo : Image extr du film de Anton Corbijn: "Control", (2007).

dimanche, 23 mai 2010

Le livre tangue

"Je veux être un éléphant qui pisse dans le cirque quand tout n’est pas beau… "

BERTOLT BRECHT in "Baal". Edition Arche 1997.

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RIMBAUD dit de l'ivresse qu'elle procure cette eau de vie verdâtre "Qu'elle est le plus délicat et le plus tremblant des habits". Affirmer que l'ivresse, est pour le poète un habit reviendrait à la classer parmi les accessoires qui lui sont nécessaires pour paraître en société. On sait que jadis, les bourgeois s'étaient fait un devoir de rompre avec les excentricités de l'aristocratie, et de porter les tenues les plus neutres possibles, des costumes de coupes sobres dans des tons éteints gris anthracite, chapeaux sombres, ensembles bleus marine ou noirs. Le vêtement bourgeois dissimulait la chair et renvoyait l'image sinon d'un homme utilitaire, au pire celle d'un automate fonctionnel.
Au contraire le corps ivre s'élance, erre à tâtons. Il commet toutes les maladresses et on ne peut le mettre à la chaîne, il est en quelque sorte perdu pour toute utilité sociale.

RIMBAUD dit encore que le poète doit "faire l'âme monstre" (cf. "La lettre du voyant"). Le poète doit apprendre à voir, à éprouver toutes les formes d'amour. "Etre voyant", c'est aussi refuser de passer inaperçu. Et "faire l'âme monstre" est la grande ambiton du dandy, dont l'extravagance  se trouve, (c'est sans doute préférable), très souvent incomprise. Si être écrivain et alcoolique n'a rien d'exceptionnel, le mélange parfois n'offre pas la compensation espérée. Et ces deux passions réunies dans une même personnalité comportent un risque d'entrave. On connaît ici et là des destins avortés, de talents, qui se sont lentement, inexorablement gâchés dans l'alcool, sans réussir à offrir une oeuvre disons, à la postérité, ni même une simple oeuvrette. Ces parcours fort nombreux, on les retrouve souvent dans le sillage des grands mouvements artistiques autour du Dadaïsme ou du Surréalisme, du Situationnisme etc... Dans l'entourage de personnalités fascinantes comme Francis BACON, Andy WARHOL, pour n'en citer que deux... Ainsi toujours dans ce sillage évoluaient des faunes d'artistes potentiels parmi lesquels très peu d'élus. Beaucoup se sont noyés, comme dans un bain voluptueux ainsi on ne compte plus le nombre de génies inconnus. Et il s'agit toujours de l'itinéraire très classique qui n'est pas à juger, de l'artiste qui boit son talent au lieu de mener à bien son oeuvre.

C'est un peu le schéma de "Baal "de Bertold BRECHT (dont GUILLEVIC a donné une merveilleuse version française). Le schéma de "Baal" est un cas limite. Nul ne pourra savoir si l'homme qui se détruit plutôt que de faire carrière est un minable ou bien encore une sorte d'artiste supérieur qui achève sa carrière non sur le plan pratique mais dans un élan mystique ou peut- être indéfinissable. C'est pourquoi décider de la valeur de l'existence de "Baal "est une absurdité car le fond de cette existence sera toujours inaccessible à un observateur extérieur. "Baal" chemine seul, il serait vain de vouloir l'accompagner, l'encourager ou le comprendre. D'autrepart "Baal" était la divinité tyrannique à laquelle les époux carthaginois sacrifiaient en des temps oubliés, l'aîné de leurs enfants, c'est à dire le meilleur de leur peuple.

Pour en revenir à l'histoire de "Baal" même, BRECHT raconte celle d'un poète qui se perd, une sorte d'"archirimbaud" dont aucun texte n'aurait été conservé. "Baal" chante ses compositions dans une taverne de charretiers située près d'une rivière. Il envoûte son public. Il ressemble à VERLAINE en plus indécent. Un riche négociant entend parler de lui et propose de l'éditer, un patron de presse veut le lancer. Mais "Baal" refuse avec orgueil, toutes propositions mercantiles. La seule chose qui l'intéresse est de boire, et puis boire et boire encore, (du schnapps), courir les filles, faire bonne pitance et dormir à la belle étoile. "Baal" est l'incarnation de la force poétique brute. Peu à peu tous ses bienfaiteurs se lassent, ses amis, irrités par son inconstance, l'abandonnent. "Baal" se brouille avec le tenancier de la taverne où il se produit et se met à errer misérablement. Il achèvera ses jours sur un grabas miteux dans une cabane au fond d'une forêt. Les bûcherons de passage le tournent en dérision et lui crachent dessus. A la veille de sa mort il a encore le ressort de leur lancer le reproche étrangement poignant :

"Vous n'aimeriez pas mourir seul, messieurs !".

Il est trop tard plus personne n'écoute le déchet humain qui s'exprime.

http://www.deezer.com/listen-3360225

Source : Les notes qui composent ce billet ont été largement inspirées par le livre d'Alexandre LACROIX : "Se noyer dans l'alcool ?". Dont le blog de Bartleby dit très justement qu'il donne envie de lire et qu'il donne soif. (lien ci-dessous)

http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/10/boire-...

Nota : Le sujet des multiples relations entre l'art et l'alcool étant aussi inépuisable que fascinant, j'espère pouvoir très prochainement vous livrer quelques autres facettes, à travers d'autres auteurs, et d'autres manières toutes différentes de s'enivrer. A défaut de noyer son lecteur (adoré) je distillerai (tel l'alchimiste chaldéen, et allez donc !), les billets sur ce thème au compte goutte (ce qui est un comble) et dans le désordre le plus imprévisible (toujours des promesses !)

Photo: Nécessaire d'énivrés, photographié  à la terrasse du "Vin § Ko", (bientôt rebaptisé "Le Mondrian" à l'occasion de la reprise du café restaurant par le talentueux artiste cuisinier Michel Piet et son équipe d'adorables), un lieu situé au 1 quai Claude Bernard dans le 7em arrondissement à Lyon, et qui est déjà  vivement recommandé par la maison. De cela je reparlerai un certain jour, car l'endroit est si chaleureux et le mojito si extra qu'il serait bien dommage de passer l'été sans aller s'y lover et s'y prélasser des soirées entières sous les arbres. A suivre donc. photographié en Juin 2010 à Lyon (En juin ? alors que nous ne sommes que fin Mai ? pensera le lecteur plein de sagacité. Mais oui ! l'alcool nous f(i)loute, voguez voyants! ... Livrez l'ivresse !...)

samedi, 20 mars 2010

Dans la roue de Charles-Albert

"Je ne veux surtout pas qu'on dise de moi que j'ai de l'entrain, ni qu'on me compare avec ceux qui ont ou qui n'ont pas de l'entrain (j'emmerde l'entrain)."

CHARLES-ALBERT CINGRIA in  "La grande Ourse". Editions Gallimard 2000

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J'habite à l'écart, pas loin du bosquet de la colline, et devant les vitrines de la rue commerçante il m'arrive d'admirer les jolies assiettes à dessert en porcelaine de je ne sais où. Des scènes de chasses à courre défilent sous mon sorbet, je traverse la ville à vélo, finissant en roulant sans les mains, ma friandise, une petite cuillère en argent dans la bouche, ou dans la tête. Et je pense à CINGRIA, qui prenait de bonne heure sa bicyclette. (En route! Un vent léger, la vie est courte), à ses intitulés qu'on disait déroutants : "Eloge de ce qui existe tout simplement".

Une adresse à Paris, 59, rue Bonaparte tout près de Saint Sulpice, dans deux pièces à écrire des machins inclassables. L'idée de bâtir une oeuvre ne lui est jamais vraiment venue à l'esprit, la liberté de CINGRIA pour certains paraît une énigme. CINGRIA est parti en balade.

"Cependant, la bicyclette c'est un cheval" (cf. tranches de route")

Monsieur CINGRIA sera quelques jours injoignable, le voici au bord de la Loire :

"C'est si agréable que se réalise exactement ce que vous aviez prévu, si agréable de faire un petit goûter ainsi et puis de rêvasser modiquement sans fin sans être importuné par personne!".

Je respire l'air épais du Rhône, c'est si agréable de chercher en roulant un terreau généreux du côté de l'enclos des biches. Je jette des heures entières des croutons vieux d'un mois aux bêtes avenantes qui se mettent à m'aimer d'un amour authentique, leurs grands yeux en amandes tombés en servitude (pour l'âme magnanime et les beaux yeux de moi), m'offrent la douceur même. L'émotion des jours désoeuvrés de l'enfance prévoit des teintes crèmes irisées de verts pâles somptueux... Les yeux des biches, sont maintenant la seule chose qui ait de l'importance sur terre.

CINGRIA est à Berne, au buffet de la gare, toujours premier sur le motif, à saisir les point de possibles, juste au moment et par mille angles différents, de l'infiniment petit jusqu'au palpitant qui surplombe. Liberté de l'espace et liberté du temps. Il pédale en molletières, s'enivre de chants grégoriens et dégotte en souriant de vieilles chroniques enluminées, il se rêverait réincarné en copiste de monastère. Car Charles Albert est érudit et n'en fait pas tant étalage.

Je retrouve le chapiteau triste, où son bavard est dévoré "éternellement" par quelques drôles de bêtes. Des plantes glissent sur les pierres piquetées de jaune, les secondes s'éternisent polymorphes et calcaires. En ville, un passant encombré, promène sa vie entière dans une lourde valise qui semble grossir à mesure que l'homme la tire, tout l'espace s'amenuise. Une valise prise au délit de gigantisme, dont les roulettes minuscules émettent ce bruit des bétaillères qui vont aux prés et se dévissent de l'intérieur par une grande mâchoire métallique. Un ogre à cinq ou six wagons, nous entasse, et délivre nos âmes de la tentation des dérives.

CINGRIA devient membre actif de l'amicale des piétons de la capitale, on y retrouve Léon-Paul FARGUE. Confrérie de "Rois fainéants" qui croque les scènes de rues, avides de vieux pigeons... Toujours pas loin de Saint Sulpice. Les yeux décrochent les faits divers :

"Qu'est-ce qu'il y avait ensuite dans le journal suspendu aux grilles du métro Invalides ? Il y avait qu'un dépôt de bananes avait sourdement éclaté [...] Comme c'est Paris ça aussi".

Pas loin, non plus à cet instant, on aperçoit André DHOTEL,  à l'effeuillage de l'écrivain, il loue bien haut "son art de parler d'autre chose". Des plus nantis, ou des jaloux, le trouvent médiocre, le disent même "piètre fantaisiste". Mais de chroniques badines en papiers assassins, CINGRIA prend plaisir à cogner dans ce qui se veut neuf, déplorant tous "les talents veules et les mystiques à l'eau de Javelle".

Dans une petite rue de presqu'île, chez Fernand Cingria père et fils, (négociants en vin, depuis 1883), l'enquêteur montre une vieille photo au patron, debout, large ossature, un béret vissé sur le crâne. L'homme regarde la photo celle qui montre un autre gars avec le même béret, aussi bien vissé que le sien. On lui demande : - "Vous êtes sûr que c'est pas votre frère ? ou peut être est ce votre cousin ?" - "Comment que vous dites ? Charles-Albert CINGRIA ? Ah ben, non, désolé ! Charles Albert CINGRIA ! ce nom là ne me dit rien !".

Ce nom dit rien ? Pourtant dehors assis par terre, Charles Albert fait des inventaires. Comme un gamin classerait ses billes, ses petites autos dans des boites en fer déglinguées. Presque pas vu, à peine connu. Certains jours, certaines gens disent l'avoir croisé ici ou là. De plus rares autres affirment qu'il se baladait rue de Nuits en plein jour. On le croise c'est à peu près sûr peut être tous les jours ici ou là. En vérité, CINGRIA , grimpe en danseuse, en molletières sur la plus belle colline du monde, vire d'un coup de tête un caillou. Puis comme toujours, re- disparaît.

CINGRIA était suisse, né en 1883 à Genève , il mourra en 1954, dans la même ville. CINGRIA bouffait le temps qui passait vite. Il laisse une malle qu'on ouvre bourrée à craquer de boîtes à clous, papillons de jour, et parmi des chiffons, un bazar sans message particulier. "Le bitume est exquis", "L'herbe est divinement tendre". C'est un jour merveilleux, CINGRIA, est passé chez nous.

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NOTA : Le portrait de CINGRIA est ici très incomplet, un petit peu adapté, mais pas trop. Ce billet n'est donc pas représentatif de toute l'oeuvre et la vie de ce cher auteur encore trop méconnu. Le lecteur, (adoré), dont la sagacité n'est plus à encenser, (sans flagornerie, uh ! uh) aura compris que par tous les liens, il trouvera quelques chemins pour mieux découvrir ou redécouvrir le poète.

Photo 1 : Ceci n'est pas la bicyclette de Charles-Albert CINGRIA, mais c'est peut être sa sacoche... ? Ou celle de Fernand Cingria ?  Photographiée juste en face du bordel Opéra. (La vélosophie à la rencontre des grands orchestres). Lyon attaché à ses créatures mécaniques. (celle-ci n'est pas tant non plus un vélo D'amour).

Photo 2 : Ce monsieur n'est pas René Char, ni  Arthur Cravan, ni André Breton, ni Jean Dubuffet. Ce n'est (oh que non !) pas Louis Aragon, ni Jean Paul Sartre, et encore moins Gustave ou Alphonse. Il n'a même pas, bien qu'à l'aise, les bonnes grolles du père Blaise. Alors qui ? (Question à six sous messieurs dames). Indice complèmentaire : il ne veut pas qu'on dise de lui qu'il a de l'entrain. Si vous ne trouvez pas, retournez à la case départ. Si vous trouvez, vous gagnerez un tour de lyon à vélo d'une valeur inestimable à l'arrière de mon porte-bagage, (quand j'en aurait installé un) c'est à dire un certain jour, plus les félicitations de la maison. Vu à Lyon, juste en face de Morand Pont. Lyon. Mars 2010.© Frb.

jeudi, 11 mars 2010

Albatros et pigeons

J'avais de la grandeur, ô cher Missisipi
Par mépris des poètes, gastéropode amer;
Je partais mais quel amour dans les gares et quel sport sur la mer
Record ! j'avais six ans (aurore des ventres et fraîcheur du pipi !)
Et ce matin à dix heures dix le rapide
qui flottait sur les rails croisait des trains limpides
Et me jetait dans l'air, toboggan en plongeon
C'était le cent à l'heure et malgré la rumeur
Le charme des journaux enivrait les fumeurs [...]

ARTHUR CRAVAN  extr "Langueur d'éléphant" in "J'étais cigare". Editions Losfeld- Le terrain vague. 1971.

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Tous sont revenus ravis de la classe de neige. Ils ont posé leurs moufles, leurs bonnets à pompons, pour amener le printemps au point le plus fondant, albatros et pigeons, du Placebo dans la prothèse, passeront le pont jusqu'aux arbres encore faibles de la forêt Morand, où près du square, en îlots verts occupés par l'interflora faussement passeïste, des amants en chemises bleu blanc beige, achètent les premiers bouquets de jonquilles pour qui là haut les guettent sur la plus haute branche du parc de la Tordette. Mésanges, bergeronnettes. Attendri par les premiers chants qui firent glisser les neiges, partout un solitaire se meurt dans les pollens. Partout des vieilles pies devisent du printemps, partout de la jeunesse couchée déjà dans l'herbe, (ô pelouses interdites !)  se roule des gamelles et des pétards à la peau de banane sèche aux sorties des cours de physique. Melle Pugeolles s'en retourne à l'heure qui est l'heure dans sa petite 2CV violette, corriger son tas de copies, l'analyse d'un poème de VERLAINE. "Les Saturniens", aubaine ! "je vous distribue les enfants, ce polycope bleu, vert, rose ! que veut dire saturnien dans le poème ?" "les ingénues", soleils couchants. Rossignols. Des souvenirs, une promenade obsessionnelle... "Que me veux tu, mémoire ?" VERLAINE plié, poltron, "son chant d'amour est un chant de printemps", les cheveux, les pensées, tout est soumis au vent. Albatros et pigeons font l'école buissonnière. Dans ma tour, ce donjon en mode cadet rousselle, je m'entiche de BUFFON ou COMTE GEORGES LOUIS LECLERC DE.. toute l'histoire naturelle se grave dans la chair blanche et JEAN DORST moud du grain près des cloches.

« La vieille et toujours jeune histoire naturelle n'est pas morte, bien au contraire elle a encore de beaux jours devant elle. Il nous reste encore beaucoup à apprendre avec une paire de jumelles et une loupe, surtout avec nos yeux ! [...]

Voilà nos yeux qui pêlent sous le coucher de soleil vaguement florentin quand les péniches tanguent molles sur le fleuve menteur lèchant les quais du côté du sixième, du sixième sens peut être. Ainsi albatros et pigeons, pourquoi pas hiboux ou corbeaux ? s'éprendront d'un bateau, de 1869, treizième poème des "Fêtes galantes". L'eau reste sombre la pythie de Lugdumum donne des soirées crépusculaires, l'indécision des passagers cède à la flemme. "Arrête de rêver et travaille!" crie mademoiselle Pugeolles, tout en haut de l'estrade où poussent des champs de tulipes rouges et des vivaces hybrides, des pivoines arbusives des pivoines herbacées aux étamines fines "tiges grêles supportant l'anthère, forme aplatie comme un limbe de feuilles" ô Nymphaea ! Voilà que le bateau s'enivre...

"Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais".

ARTHUR CRAVAN prend la relève. Le taureau par les cornes. Le printemps sera intranquille. J'ai des Fortuna bleues en poche ainsi je m'échappe parée. ARTHUR CRAVAN va sous les jupes des filles, renifle, printanier, de son nez aristocratique, puis éclaire ma lanterne mieux que dix soleil d'Août "Chaque fleur me transforme en papillon". Je cours sur la haute route, ce jour est jour de joie, le colosse revient des Caraïbes. Cela fait des mois je l'attends. Albatros et Corbeau vadrouillés de Boeing, traversent le pont Morand. Aux pas pesants, leurs grosses bottines épousent un goudron solidaire sur lequel tous mentalement ne cessent de s'envoyer en l'air.

Entraîneur aimantant albatros et pigeons,
à cette allure folle, l'express m'avait bercé
Mes idées blondissaient, les blés étaient superbes,
Les herbivores broutaient dans le vert voyou des près
J'étais fou d'être boxeur en souriant à l'herbe.

Un grand type inquiétant, bûcheron dans les forêts trace à grands pas la buissonière : " Dans la nature, je me sens feuillu, mes cheveux sont verts". Je suis ... Je suis. L'autre Arthur, qui trace la ville, malade de ne pas être plus loin à chevaucher peut être, des girafes et des éléphants, ou tout simplement, la donzelle, Madame DELAUNAY en personne épouse de...

"Je ne prétends pas que je ne forniquerai une fois madame DELAUNAY, puisqu'avec la grande majorité des hommes je suis né collectionneur [...]"

"Ah nom de Dieu ! quel temps et quel printemps !"

Photo : Pigeons ou albatros longeant le bordel-Opéra et ses loupiottes venimeuses (hors champ) ; juste avant de passer le grand fleuve sur un(e) mode jeune à l'éveil du printemps. Photographiés en Mars 2010 à Lyon. © Frb

dimanche, 07 mars 2010

Singerie du Mail

Les fleurs ouvrent leurs corolles
Dans le ciel un oiseau-souris
Le soleil fait son parasol
la Denise nettoie ses tapis
Le cyclamen, la renoncule
Font la roue dans le jardinet
Il y a des froids qui s'en reculent
Et des chaleurs qu'on sent monter
On met du rose sur sa figure
Et du bleu et puis du violet
Pour plaire et avoir fière allure
Car le printemps sera très gai.

MADELEINE LACROIX : Extr : "Le fardeau ivre". Préfacé par Guy Dubord (PDG de la Scala de Vaise). Editions Dupanier. Vaise 2009.

singerie.JPGA noter que le 20 Mars à 15H30, Madeleine LACROIX récitera ses poèmes salle Rosemonde Gérard, au 8 allée Jean Rochefort dans le 9em arrondissement de Vaise (Prendre troisième rue à droite, juste après l'Hyper Rion Géant, face à la station essence Esso). Madeleine LACROIX sera accompagnée par la Denise à la flûte traversière. Le récital sera suivi d'une séance de réflexion et d'un débat animé par Guy Dubord sur le thème "Quelle place pour le printemps en 2010 ?". Cette animation-réflexion sera elle même suivie puis précédée d'une soirée de gala intitulée "le grand bal du Printemps 2010", animée par l'orchestre pop "Décontraction". Un mini-bus emmènera les participants à la Scala de Vaise pour une soirée prestigieuse. Venez nombreux. Inscription gratuite auprès du syndicat d'initiative de Vaise, (demandez Marie-Claude à l'accueil).

Prix d'entrée : Cent vingt deux francs cinquante. Les bénéficiaires de la brioche et des boissons seront reversés au club de gymnastique poétique "Les gymnapoésies" qui donneront une séance de démonstration sur des poèmes d'Aragon le 22 Avril 2019 à 20H00, au N° 3 avenue Yves Rocher à Dardilly dans les locaux des magasins "Phildar Rhône-Alpes". Mais je vous en reparlerai... Faites moi penser, si j'oublie.

Photo : A quelques jours du printemps, on a croisé les demoiselles de la colline (Melle Lacroix et Melle Pinturault rudement sacochées) en grand péché de coquetterie, flagrant délit, et tentations, rêvant devant des robes chasubles, toutes autres folies vraiment olé olé, débardeurs en jersey (sans manches oh ! my god !). Oseront-elles ? Photographiées, on va dire au hasard, rue du Mail, (toujours imitée jamais égalée), en plein coeur de la Croix-Rousse à Lyon,par le Riri et son instamatic Kodak en Mars 2010. © Le Riri (avec l'aimable participation de la maison kodak).

vendredi, 05 mars 2010

Bang Bang

Je n'ai jamais désiré de quitter le lieu où je vivais, et j'ai toujours désiré que le présent, quel qu'il fût, perdurât. Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps . Elle est en désaccord si formel avec le sentiment de mon identité qu'elle est la source même de ma poésie. J'aime les hommes, non pour ce qu'il les unit, mais pour ce qui les divise et, des coeurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge.

GUILLAUME APOLLINAIRE.

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J’écluse tout vers le silence des tombes. De La Salle à Loyasse, le désert est si vaste. Et sans cesse absorbée par l’étrangeté du monde, je m’attache aux devoirs du petit quotidien. Il me reste quelques lettres à poster. Les choses sont disposées: “chaque chose à sa place et puis un temps pour tout”. Le rêve que l’existence soit d’une autre manière devient très déplacé, on y mettrait du sien. On promet, rien ne tient, il faut qu'on s'en arrange. Et l’on s'en va traîner jusqu'à ce que la machine nargue et nous dépossède. A parfois s’annuler, à faire la bonne figure, politesses, simagrées, sourires et volte-face, des soupes à la grimace, des ronds de jambes négociant des bricoles usant jour après jour. Le jeu particulier dévoue au collectif, en veux-tu en voilà, l’originalité pour tous, l’absence de vrais tracas, la bonne pogne carriériste où s'intrique le surhomme. Ailleurs, l'auge se remplit, la gloriole qui nous cible chacun à son loisir, petits sacs, agenda, applis, mémo, là bas, les numéros du cirque, un monstre en équilibre sur ses quatre ou six mains. le garnement prépare l'opus à son désir, il hésiterait encore entre l'allée centrale du plus grand magasin et quelques restaurants coquets en centre-ville. Est ce qu’une ceinture à franges ocrées ou une paire de mules andalouses pourraient consoler, réchauffer ? Prendras tu le menu-plaisir d'une grosse truffe à la mangue, ou une pièce montée à t'en barbouiller le museau de chocolat au lait ?

Auge sournoise, climatise. La chaleur, on la sent, elle nous est diffusée tout d’abord par les pieds, et plus haut, un avenir surplombe l'écran plasma ; la météo prévue pour les trois prochains jours, te dit: le temps qui est, le temps qui vient, on suit les horoscopes, les conjonctions subtiles, de vierge en capricorne via l'année du lapin, l’amour, le beau travail, la santé, le voyage dans les îles, sponsorisé par la baleine, le sel marin, et les poulies des chalutiers qui feraient couler le bateau si d’autres modernes, (baleines aussi), charitables, futuristes, ne veillaient pas au gain, à l’ivraie, le grain-grain, aux singeries des uns et des autres et aux miennes du même grain de folie qui nous  fonde, qui veut l'alternative, ou l'ivresse famélique, ou la geôle. Les deux parfois offertes. l'alternance. Une même prothèse pour tous conviendrait aussi bien. Ma chemise pour une chèvre. Est ce que tout cela nous vient ? Te plaît ? S'en va, revient ? Ceci vous convient -il ? - Oui, bien sûr, par la force des choses, un beau jour, tout convient. “Pas de Lézard ! et que vive le grand huit, vertige d'Ourobouros !" comme le racontait dire Jim, vieux voisin, feu éteint, un peintre ésotérique mort dans les couleurs dingues d'une palette riche et pauvre, enflammée de carmin et de belles maîtresses roses. On pourrait se noyer, re-boucler le tympan sur l'orgue de Manzarek. La vie sauvage foulée dans des sandales indiennes piétinant un tapis de bain, trois feuilles vert pomme d'un palmier nain, au pied d'une baignoire rock n'roll en forme de licorne remplie de cigarettes blondes écrasées à moitié. Un peu de cendre pour le bain.

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J'écluse et les formes m'absorbent dans les murs écaillés. Une fissure s'épuiserait aux parois recouvertes de calcite blanche, un taureau noir de jais en tapisserait le fond, ou l'iris lamenté pour quelques notes de tête, bouquetins et aurochs, ours, félins, bisons... Cette nuit je redécouvre quelque part, le décor, sous mon nez, des peintures rupestres, là où la ville exige des murs blancs et muets. Les nettoyeurs s’agitent, demain ils viendront recouvrir à la chaux le délit, les sentences amoureuses, et puis la nuit prochaine, les graffeurs magnifiques retourneront au délit, et puis toutes les nuits effacer au matin, délit et ainsi de suite...

Je retiens le décret qu'il est mieux d'accepter ses chagrins que d'empaler l'amour avec des cris de haine. Ensuite, il serait doux de se noyer tout court dans n'importe quel poème ou de courir le monde et fuir les arcs en ciel et les couchers de soleil, se lover sous les voûtes d'un grain photographique dans l'oeil de la Dumenge. Retrouver chez Raymond le courage d'être pur, et ne céder en rien.

Il est des êtres humains qui ont la force des glaciers, déplacent à la surface de quelques mètres carrés les montagnes sacrées. Fumer des cigarettes, boire dans des gobelets blancs, le rosé ou le punch, oser la grenadine. Oublier les fureurs. Se glisser lentement dans la vraie vie pénétrante. Oublier les replis, les chatoiements instables, l'orgueil, la jalousie (cette affreuse preuve d'amour) se rendre à l'entrepôt nuire aux petits calculs qui ne disent pas leur prix, s'accordant toutes les aises à briser les collègues. "Rien n'est sincère, honnêtement" disait ce camarade (de grande classe) dont l'amie (une dindonne, de mon genre assez paradoxal) remâchant la philosophie druckerienne répondait par le terme:

 - "ça ! ouais, ouais !... et ce qu'il nous manque à nous, à notre époque, c'est que la sincérité, elle soille vraie j'veux dire encore plus vraie!",

c'est parfois si confus, qu'il faudrait préciser ...  S'imaginer au fond, que tout ça finira bien, au nom de la raison, de la tranquillité, que les amis de Georges se chargeront de balayer d'un bon gros rire blasé. 

Dieu s'en mêle, les adages annoncent la décadence, tôt ou tard, un revers, il faut anticiper. Les horizons sont tels qu'on voit bien que le Bon Dieu est en train de se barrer avec les cacahuètes laissant là le gourmet sur sa faim. Fin des fins. On va s'en tartiner. On échange des belles phrases, devant trois oeuvres iniques, sculpture contemporaine à base de crottes de biques posée sur des parpaings, plateformes mélaminées exhibant une série de bombyx, pilés menus, entrés dans un pot rempli d'acry fluo, on meurt pour un triptyque où sont collés trois pous posés sur des manches à balai, le tout signé du sang de l'artiste. Puis l'on se souviendra un peu de Georges, prince lointain, (dont la femme supérieure hiérarchique dans une boîte de cages à lapins) n'était jamais à la maison, la nuit. Du désordre...

On le croise quinze ans plus tard, pâmé dans son habit tout cuir, avec sa grande tête piriforme, un visage sec, et tournant sur lui même, homme-toupie, fier de son devenir. Ensuite viendra le conte (de fées et ses antécédents), + de fadaises encore et des formules pétantes, qui font tourner la tête. On se prendrait presque pour l'autre, l'illuminé mythique qui partit autrefois du temps de sa folie, imposer à l'Espagne la véracité des chimères. Nul ne peut ignorer la tristesse de l'histoire. Et la gueule du lendemain tirera leçon du sage.

A force de prendre les tire bottes pour des lyres, on mourrait presque en queue de poisson. A présent, peut-être les portes s'ouvrent munies de vannes ou de ventelles. Je fais mienne la phrase de Brummel "Il vaut mieux étonner que plaire", ou ne rien dire, programme: le flegme et la parure. Mille traits pour éviter que le ciel dans sa traîne s'unisse aux terres lointaines. Trouver un tas de machins et des consolations comme goûter la saveur d'un beau nu étendu dans l'herbe, là bas juste au milieu du zoo. Une tête d'or à couvrir de baisers pour fêter le printemps qui vient, mille chevelures à coudre ensemble sur un grand lit de perce-neige, un regard de biche abuserait des rêvasseries quotidiennes. La flemme aguichant un instant le bleu turquoise du ciel avant qu'on en vienne à l'écluse, toujours accouplée d'un barrage qui ferme la page d'écriture, une sentence pour la guigne: "chaque chose à sa place, une place pour chaque chose". Et comme on n'est pas difficile, on y trouverait sûrement encore un petit agrément.

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Photos 1 + 2 : Flous artistiques voyageurs et vaguement noctambules.

Photo 3 : Le monde en marche, une anonyme avec des bottines (d'à peine sept lieues). Lyon. Nuit.

 

Ailleurs © Frb 2009

vendredi, 12 février 2010

Le miroir des simples âmes

"Hadewijch d'Anvers chante "ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu". Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique "sans cause", douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite ?"

MICHEL DE CERTEAU texte de présentation des "Ecrits mystiques des Béguines" de HADEWIJCH D'ANVERS. Editions Seuil 1954.

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Peu de gens connaissent HADEWIJCH, l'auteur des "Poèmes spirituels". son oeuvre est souvent citée pour illuster les tendances au XIIIem siècle du mouvement béguinal. Peut être faudrait il énoncer plus précisément ce qu'était une béguine.

A la fin du XIIem siècle, début du XIIIem s., de nombreux témoignages attestent à la fois le nombre et l'enthousiasme des femmes pieuses souvent affectées de phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres, bien que souvent en étroite relation avec eux, d'abord en petits groupes, puis s'organisant lentement et finissant dans la deuxième moitié du XIIIem siècle, par constituer de nouvelles communautés religieuses (au sens impropre cependant puisqu'elles ne prononcent point de voeux même si elles sont guidées par quelques règles écrites). Nous savons aussi que ces femmes étaient nombreuses dans le nord ouest de l'Europe, spécialement en Brabant. L'histoire indique que ces âmes avides de sacrifice, (qui regardaient le monde comme un ennemi, femmes du grand mouvement extatique), assiégèrent en effet les cloîtres pour se ranger sous leurs lois sacrées. Plusieurs d'entre elles passèrent même leur vie sous l'habit cistercien ou du moins la terminèrent dans un cloître après avoir appartenu au mouvement des béguines. Mais la plupart se virent écartées des ordres, on redoutait sans doute, que l'afflux de vocations féminines compromît l'équilibre et la paix. Il leur fallût alors se grouper, s'organiser, cherchant en elles l'encouragement, la doctrine, le conseil, non sans se soumettre à la direction de quelques prêtre régulier (ou séculier) mais dans une autonomie et une liberté à laquelle les sociétés religieuses féminines d'alors, n'étaient pas du tout accoutumées. Un souffle de liberté est très perceptible parmi les béguines. Il semblerait que bon nombre de ces âmes n'étaient pas faites pour la vie claustrale et se trouvèrent, jouissant d'une indépendance relative parce qu'elles suivaient une vocation différente et devaient remplir une autre mission.

L'époque où paraissent les béguines, n'est pas celle de l'affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la dame, qui devait en vérité former l'âme de l'Occident et fixer définitivement le trait de sa culture. Au XIIIem siècle, la révolution spirituelle passe par une conscience nouvelle de la solitude de l'âme avec Dieu, de sa noblesse divine, de sa liberté intangible. Cela fût en grande partie l'oeuvre des vierges extatiques, qui  par ailleurs pût emprunter ses expressions dans une étrange mesure, à la littérature courtoise, dont la dignité féminine était l'objet tout autant que l'inspiratrice. Les plus naïves, protégées par une précieuse ignorance, plus patientes, plus dévouées au sacrifice,insufflèrent un élan nouveau. Ainsi, nous verrons les béguines créer une langue pour traduire toute la passion d'une expérience; chercher avec Dieu une conjonction plus immédiate, totale, et proclamer une exigence nouvelle de l'éternel amour.

l'invincible amour déroute l'esprit :
il est proche de qui s'égare
et loin de qui le saisit.
Sa paix ne laisse point de paix
Ô paix du pur amour
seul qui fait sienne sa nature
boira ce lait consolateur !
C'est par lui même que l'on gagne l'amour.

Nota : Les écrits hadewigiens composés de visions, de lettres et de poèmes, après une longue période d'oubli, furent imprimés pour la première fois de 1875 à 1885, comme une curiosité philologique et n'attirèrent l'attention des historiens de la spiritualité qu'à la suite des travaux de R.P. Van Mierlo.

A lire, HADEWIJCH toujours (à propos du film de Bruno Dumont) : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/had...

Photo : Un lien puissant et éternel, sculpté dans la pierre romane. Vu sur la façade extérieure bordant la porte de l'entrée principale de la basilique du Sacré-Coeur, à Paray le Monial. Nabirosina. Hiver 2009. © Frb.

samedi, 16 janvier 2010

Mes nuits sans Georges

"Nous avions trop bu de bourgogne nous bûmes du champagne nature"

ROBERT DESNOS "Voyage en Bourgogne". Editions Roblot 1975

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Georges passait toutes ses nuits auprès de mes amies.
C’était au prix de telles frayeurs qu'on pouvait se sentir en vie. Tout cela semblait peu de chose. Une saveur sur un faisan bleu. Un peu de mercure sur la langue. Et, moi avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux, pour commander des vins d’Alsace ou de Bourgogne. Les bonnes compagnies usurpaient ce que l’être (parfaitement spongieux), absorbait d’empathie. Il nous venait sans y songer, un brin de vague à l’âme. Libres, enfin sans soucis, nous picorions jusqu’à l’aurore, des moitiés de glaçons dans de grands verres aux reflets sombres et des vitraux vermeils tombaient sur la rigole. Nous plongions là, nos lèvres entre les flammes d’une bougie pour humer sur les terres du hameau de Brouilly tout le fruit du vignoble.

Georges passait toutes ses nuits à jouer au frisbee.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux pour casser le frisbee de Georges, le transformer en confettis.
Il y avait là, des musiciens qui nous tapaient dans l’oeil et des machines affreuses soudain reprenaient vie. Des Nagras, des poulies, et des marteaux piqueurs nous broyaient gentiment en déterrant nos morts quoique depuis longtemps ils fussent portés au loin. Il nous venait encore sous ces moulures d’or, l’idée qu’il n’était pas vain de jeter, une fois, un dernier dé, avant demain.

Georges passait toutes ses nuits à lire Maïakovski.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je jouais à la coinche sous la frisette ornée de décalcomanies dans un pub irlandais à trois villes de chez Georges. Les regards d’autrefois qui nous accompagnaient n’aimaient plus la splendeur du monde, et les penchants secrets, suppliaient sous la lune : "que la brume de Janvier nous transforme en toupies !". Nous étions mécontents des bonnes compagnies, et l’arcane manquant au jeu de l’imagier, nous l’avions remplacé sans la moindre vergogne. Titubant sur les planches et entre les tapis, je tombais dans les bras de Lancelot et D’Hector en rêvant d’Alexandre et pour l’amour de Georges.

Georges passait toutes ses nuit à prendre des taxis.
Et moi avec tous les amis de Georges, je croquais des olives et puis des cornichons affalée sur une sorte de lit à tête d'ange. La télé diffusait des extraits d'explosion. Par terre, la vie s'empressait sur les coeurs, les yeux fermés dans la bouclette, nous embrassions des nus idiots, des têtes de chats, des rouflaquettes, et en relief, les épais croisillons des revêtements de sol tatouaient notre peau. Ces douceurs me semblaient d’autant plus éprouvantes qu’elles m’étaient infligées par Georges. Dans la cuisine, sans electricité, valsaient des casseroles qui ressemblaient, on aurait dit, à des petits bateaux .

Georges passait toutes ses nuits à écouter Claude Debussy.
Et moi, avec tous les amis de Georges, j’allais finir aux caves de l'Opéra Mundi ou à la Scala de Vaise. Les estampes, les danseuses de Delphes hantaient les touches du piano. Les cornes de brumes des caravelles qui revenaient de l’île barbe sonnaient aigues comme des crécelles. Pour dix euros on avait mis la liqueur en bonbonne, qu’on blottissait dans les bras des vieux beaux, qui payaient tout et nous emmenaient en auto, jusqu’au bord de la mer. Nous donnions dans le sable des petits coups de pelles, qui faisaient rire les mouettes, et les vagues moussaient sur nous comme du champagne chanté par des baleines.

Photo : La valise à remonter le temps. Photographiée dans une vitrine de la rue Terme, très exactement. Lyon. Janvier 2010.© Frb.

mardi, 12 janvier 2010

Dans la nuit mince et blanche

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Dans la nuit mince et blanche, dorment les grands connaisseurs de la réalité, qui forment en rêve à leur image le derniers fils de la famille, pour mieux le noyer au matin.

Dans la nuit mince et blanche, je me lie à Vitrac au dessus d’un bordel de fringues
 ou le corps pris sur l’étendage, un hamac laid comme une filoche pendu sur un bec de mésange.

Dans la nuit mince et blanche, j'effeuille un almanach, datant de la fin des années 30, "la maison du papier gommé", un article documenté sur la vie du scaphandrier. Plus loin, en d'autres pages, (une revue de 1960), il y a des cathédrales vivantes, le détail d’une voûte romane, l’énoncé d’un paquet de chocos. Des palets d’or rampent sur les plinthes, l’engagement (Lu) du "sachet-fraîcheur" avec une pointe de sucre roux et 3,0 gr. d’amidon. Tout ça court sur la croûte terrestre en brulant longtemps les étapes: la Perse, l ’Assyrie et Byzance, jusqu’aux formes octogonales qui se combinent dans les absides désordonnées d'un pur style hybride ogival du genre pré-Nabirosinais.

Dans la nuit mince et blanche de gigues et de pavanes, j’accepte la place offerte.
 Par la voix tonnante de l’ancêtre qui illumine à coups de bêche, ce coeur qui se trouve sous ton pied.

Dans la nuit mince, je mange. Et goûte aux vins d'Etienne, à la faveur des jours qui passent, quand d’un paradis entrevu de l’autre côté du vitrail, nous ne glissons plus que des neiges fondues sous un coin d'oreiller. (Or la petite souris qui n’est pas dupe, ni plus folle que la guêpe, continue de nous tarauder), et nous trinquons à sa santé :

"A la tienne Etienne, à la tienne mon vieux !" .

Dans la nuit blanche, j’en pince pour les boiseries poncées mais je hais la frisette à teindre. J’y décloue ta mèche obsolète, tôt remplacée par l’accroche coeur d’un joli moniteur de luge.

Dans la nuit mince et blanche, le lis amer réinjecte son trac, naît ou meurt selon. Pénètrant le sillon, un tourne-disque carossé tombe dans la SPX. Il ne restera plus qu'à tirer les cordes du piano, à les frotter longtemps, au papier à musique. J’aime l'art acousmatique : John Cage dévoré des limaces, la flêche de Denis l'endrômé, Michel, qui n'arrête plus le regret et les doigts du grand Luc caressant les étoiles. Plus tard, les autres viendraient, (des bons copains aussi), avec d'étranges boîtes...

Dans la nuit mince et blanche, une masse de bouc a siphoné ma plume de paon ou de dindon, et je ne m’en porte pas plus mal. "Mieux vaut dindons que paons" a dit le Duxo Yaka Charmillon. Et nous revoilà une fois encore sur "le chemin des poneys !" mon talon d'archimidinette, se tort un peu sur les cailloux mais s'il retombe dans les fougères, il sait s'en contenter. "Un rien, Madame, vous rend si belle". (Giroflées, trèfles doux, émouvantes noisettes). Dix balles de billes à faire rouler sur le toit d'une chapelle, l’éclat doré du solitaire comme une chiure de coucher de soleil épousant les tonalités des grands yeux fendus en amandes de l'élandin.

Dans la nuit mince et blanche, Lord Jim erre de port en port. Et je me demande si je ne préfère pas les braves types aux grands seigneurs. Si je ne préfère pas le sanglier au porc, si je ne préfère pas le modillon au Sacré Coeur. Et s'il fallait vraiment choisir (quelle connerie, cette supposition), pourquoi choisir "entre les choses", pourquoi ne pas choisir "un peu de tout" ?

Dans la nuit blanche, pyramidale, je ris seule parmi des objets d'une stupidité qui m'agrée et de nombreuses soucoupes volantes portent plus loin les présomptions. Orné de trois pépins d'orange et d'une bonne quinzaine de mégots, l'oeil-bouton de l'ours Pitou tiendra bien jusqu'à demain soir. Un grain perdu au centre d'un pot (dont je n’arriverai jamais à calculer la circonférence avant l’aube). Soudain, j'ai  besoin de vacance, (se pourrait-il d'absence ?), ou de disparitio...

Dans la nuit mince et blanche, j’entends les perroquets et la belle de Croisset qui écarte les jambes. Le voyou qui fuyait son petit chien me relance. tout ce que j'ai à lui dire tient sur un tas de cendres au fond d'une boîte à thé.

Dans la nuit mince et blanche, je me surprends à aimer Jack Palance. Et Brigitte qui s’envole dans les bras d’un idiot, de Capri vers la mort, après, quand c’est fini, on retrouve le silence. Puis à 6 h00, reviennent les camions des poubelles, la nuit qu'on cambriole, la fin des haricots. Les dés sont rejetés. Alors naît l'envie folle de construire une pirogue. Ou de partir en catastrophe dans une petite auto.

Du genre Rolls Royce.

IMG_0262.JPGPhoto 1 : La neige blanche et mince photographiée la nuit entre la route qui mène au Mont St Cyr, et le "Chemin des Poneys"...

Photo 2 : Un drôle d'être humain dans une drôle de petite auto. Vu au petit jour, sur le chemin  dit de la "Grande Terre" ou de la "Belle Neige". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

jeudi, 10 décembre 2009

Se consumer... (Interlude)

Oui, ce monde est bien plat ; quant à l'autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes [...]

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Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m'endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques.

Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cœur plein d'une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.

JULES LAFORGUE : "La cigarette". Extr. "Le Sanglot de la terre" (1901), in "Oeuvres complètes". Editions Mercure de France.

Juste le temps de s'en griller une, (pour de vrai), entre deux billets (sur le pouce, si j'ose dire), de l'ami Jules, dont les carnets sont enfumés de manière si insoutenable que je propose à qui voudra s'y coller de remplacer, tout ce qui pourrait s'approcher de près ou de loin à une pipe, cigarette ou cigare (tourniquette ?), par le mot ou l'expression qui lui sembleront les moins nocifs pour la santé (évitez s'il vous plaît, les sucreries, le nougat, le surimi, les matières grasses, le glutamate, le boissons gazeuses etc... (Les fruits et légumes sont évidemment bienvenus).

Extrait d'un agenda de JULES LAFORGUE couvert par endroits de notes et manuscrits (imprimés par Charpentier, avec textes et dessins datant de 1883), elles datent du séjour de J. LAFORGUE en Allemagne où il occupait les fonctions de lecteur auprès de l'impératrice Augusta. L'auteur est alors âgé de 23 ans, il mourra quatre ans après les avoir écrites.

Ici seules quelques allusions à  la cigarette-ont été sélectionnées, j'espére que les Laforguiens inconditionnels me pardonneront ces coupes scandaleuses qui en diront peut être aussi (un peu) sur ce qu'il advient d'une oeuvre quand des malins, pour la bonne cause, s'amusent à l'amputer. Là n'est certes pas mon intention, (j'ai cisaillé à l'envers, pour ma bonne cause évidemment), souligner une substance qui se glisse dans les notes comme une nécessité (et allons donc !) mais c'est sérieux. La "fumerie" étant l'interlude idéal pour J. LAFORGUE entre l'ennui, les sorties mondaines, les promenades, elle s'impose très naturellement comme la plus précieuse des ponctuations voire des aérations. (Les lecteurs fumeurs comprendront...)

Le texte intégral est disponible ICI et les extraits de "tabagies" only, ci dessous :

Samedi 31 Janvier : "Dîners sommaires pipes nombreuses [...]"

Mardi 17 Avril : Départ sous des cigarettes Butterbrod [...] Vaste chambre au premier fumé au balcon couché causé panthéisme [...] Renoncement jusqu'à minuit en fumant."

Mercredi 18 Avril : Levé 8H00 en fr, fumé sur le balcon devant la caserne [...] mangé à l'Hotel de France, terrasse café, fumé rôdé plein le dos musée ethnographique anthropologique spleen fumé rôdé gare. Embêtements éreintés rôdé en voiture départs folie fumée sentimentalité

Lundi 30 Avril : (notes) [...] Reçu la revue pris le thé cigares. A Bade les journées passent [...] On mange trop bien on fume trop [...]

Mardi 1er Mai : Avec R. tendresse cigares le salon là bas [...]

Mercredi 2 mai : [...] Promenades éternelles bons repas cigares [...]

Jeudi 3 Mai : [...] Fêtes spleen cigares prairies hannetons [...]

Mercredi 16 Mai : Cigares promenades accoutumées [...]

Samedi 19 Mai : Rien, l'arrivée de la vie moderne je me roule des cigarettes tabac conservé au frais dans mon huître bronze chinois."

Photo : De fines cigarettes avec une grosse fumée (presque dans le nez des dieux). Vue un beau Décembre 2009. © Frb.

mercredi, 11 novembre 2009

Approximations

les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées
partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent
sans raison un peu secs un peu durs sévères
pain nourriture plus de pain qui accompagne
la chanson savoureuse sur la gamme de la langue
les couleurs déposent leur poids et pensent
et pensent ou crient et restent et se nourrissent
de fruits légers comme la fumée planent
qui pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous
[...]

TRISTAN TZARA  (1896-1963): Extr: "L'homme approximatif". Editions Gallimard 2007.

ho approximatif.JPG Les cloches sonnent sans raison. Nous ingérons mollement un peu de tout et son contraire. Tony troque son rêve d'enfant pour un nécessaire à prison. TZARA croise Tony, une seconde à peine. Les deux ont sans doute pleuré longtemps sur la route, une valise à la main. Le temps d'arracher à la camionnette sa béance pour quelques biftons. De broyer les rouages du monde, d'en extraire l'acier, de renverser la dette de la renvoyer muette, à son acte de contrition. Peu importe si l'histoire est fausse. La rumeur est lancée. Elle deviendra légende. L'anti banque frôlera l'anti-art. Les fulgurances sont éternelles, c'est à peu près tout ce qu'on en sait.

Ailleurs, Tristan trie les coupures, des papiers durs, des papiers doux. Il pose sur sa tête, un entonnoir volé au brigadier Hugo, chef des fanfares au cabaret. Des fantômes glissent à l'embouchure. On en fera des tire-bouchons, un entonnoir, plus strident qu'une trompette, plus sourd que la corne de chasse. Au fond des bois, l'auteur deviendra étranger, sciant la branche qui le porta. Soufflant à nous ensucrer les muqueuses dans un pipeau en chocolat.

Une fable poursuit le poète, cassée par des sonorités cruelles, pas d'antidote pour l'anti tête, qui raffole des portraits sépia. La caravane abonde, un convoi mis à nu visant le Dchilolo Mgabati Bailunda. Les chiens de bonne famille aboient. TZARA parle tout seul. Il fracture les coffres aux soirées folles où l'on trempe les amuse gueules dans les petits suisses, jusqu'à l'effritement de la harpe à Dada, tout s'ébauche sans peine à Zurich, là où la guerre (14-18), (c'est décidé), n'existe pas. Tout retourne au désert, sur des sables branligotants, des oasis mis à l'envers sont balayés par le courant. On jase encore des nuits entières dans le dos de monsieur bleu bleu, tout sautera dans la bétaillère avant qu'un nouvel ordre enchaîne. La poésie mangeant les cheveux de ses ancêtres avec les doigts. Sur la stèle écrasée de lettres, Dada glisse son piège à rats. Ainsi toute une bande de pouêts, embrasés, dans la joie, posera son cul à la fenêtre pour rien. Juste comme ça.

Un feu rapide pulvérise ses proies. Un autre temps, inédit se précise par le verbe chauffé à blanc, les proies se noient, brûlant des vie de jeunes fauves aux bûchers tendrement. Quelques réjouissances éphémères sur un sourire fondu en sang, et recraché dans le Grand verre. TZARA  épuisera sa pudeur à dénuder des souveraines que le royaume n'intéresse pas. Au cabaret Voltaire, le pseudo, étripe sans cesse les formules incontrôlables le fatum, l' ironie du sort. Le prénom juif de Samuel, se fera wagnérien.

Dada compose de l'art plastures de la littératique. Partout, ailleurs des hommes tombent. On pleure. On creuse. On cautérise. Dada la boucle, Dada fait mine. Des alphabets pierreux s'érigent, les paysans comptent les corps. Des filles hurlent d'horreur, aux vues de leurs fiancés, des soldats valeureux revenus de très loin, avec des gueules cassées. Pendant ce temps, Tristan coule son or en fourbis dans toutes les fissures. Par ce bel évasement s'échapperont des oxymores :

"Ainsi fûmes-nous désignés à prendre comme objet de nos attaques les fondements même de la société, le langage en tant qu'agent de communication entre les individus et la logique qui en était le ciment."

L'être humain se désarticule. Au cabaret déboulent les monstres de Léonard. On fermera les portes du lieu 6 mois plus tard pour tapage nocturne et tapage moral. Mais peu importe ! un épandage planétaire aura eu lieu. Irréversiblement. A la queue des belles lettres, à leurs pleins et déliés, s'aggrippent à jamais au bout d'une ficelle, la sangsue et le staphylin guettant le verbe invertébré. Tout le décor du monde n'y pourra rien changer, ni biffer l'unité de mesure vouée aux cartons d'emballage. L'alexandrin se meurt sur des crocs de bouchers. Le parnasse survivra pour la pérennité mais de sa bouche exsangue ne sortiront que des voyelles déjà sciées sur l'établi du prophète ardennais qui avait entendu, bien avant que ne se gonflent tous ces coussins d'oiseaux, le murmure de monsieur Cri Cri en de lointaines incantations. Appliqués à toute chose, les déchets s'élaborent dans le photomontage. Kurt Schwitters à Postdam éructe l'Ursonate. Bientôt une autre guerre. Entre les deux trappes mondiales, la phonétique attaque le temps... Et enfin, "La main passe"...

"Marié aux larges masses d'insoumis, brassé dans l'universel attroupement des choses, livré aux dénicheurs de graves tourments, aux radicelles humaines figées dans le recueillement et la complicité des jaloux, tu te regardes accomplir les gestes quotidiens dans les limites serrées des souples branches. Au désir de papier buvard, tu t'opposes, tu t'agites sous le vent d'un sillage toujours en fleurs. Que je n'arrive pas à distinguer des choses les fantômes des parties qui ont aidé à leur épanchement hors de moi, cela est dû à la continuité de leur action médiatrice entre le monde et mon adolescence. Et, désormais soumis à un sentiment, morcelé et étranger, de gouffre, pouvais-je, sinon subir avec terreur leur désertique et ferrugineux appel? Tout l'espace terreux se cabrait sous les bancs de nuages. Je me suis entouré d'hivernages fragiles, de forces desséchantes. Que reste-t-il d'humain sur les glabres visages tannés par les lectures et les astreingeantes politesses des dossiers dont je me suis constitué un décor famélique? Coutumière faiblesse il sera dit un jour de révolte que les yeux qu'on a cherchés étaient vides de la joie des hommes. Et les hommes et la joie, j'ai toujours essayé de me mêler à eux, à défaut de la féroce fusion promise que l'on trouve cependant encore vivante au fond résiduel des contes, parmi les germes de froid et les portes parsemées d'enfances."

Tristan TZARA . La Main passe - 1935 -

Photo : De "l'anti-art", à "l'anti-banque", le courant passe. Les mains sont vides et les sacs toujours pleins.  Tandis que TZARA reste toujours introuvable,  C.J. retrouve la trace de Tony Musulin (de dos) déguisé en détective privé pourvu de faux diplômes du passeur doux vaguement notaire. Vu il y a quelques jours, avant la réddition. Et un peu plus de trois ans avant nos épousailles. Lyon, rue Gentil. Novembre 2009.© Frb

mardi, 08 septembre 2009

Princesse

"Un prince était vexé de ne s'être employé jamais qu'à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d'étonnantes révolutions de l'amour et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l'heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété. Il voulût. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain... Toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté ! Sous le sabre elles bénirent. Il n'en commanda point de nouvelles. Les femmes réapparurent."

ARTHUR RIMBAUD "Conte" in "Illuminations". "Poésies". Librairie générale française 1984

la femme.JPGIncognito, une princesse, tente la traversée des grands rectangles blancs. l'étoffe flotte légère, parfois s'immobilise. A suivre on dirait presque un dessin à l'encre de chine. La princesse trottine sur ses sandales à brides tout au dessus des immondices et des dalles pourtant parées du revêtement gris tourterelle. Une princesse parmi d'autres, allant presque pieds nus, livrer sa peau blanche, (une rareté en cette fin d'été) aux crasses ordinaires et autres remuements d'espaces : odeurs d'essence, particules fines...

Une fois les rectangles traversés, elle ira s'asseoir sur un banc pas loin de la forêt Morand, et tout près des éclaboussures d'un lion inoffensif, ignorée des lointains génies de l'industrie ou de l'agriculture, elle ouvrira un livre : "Under Milk Wood" et silencieusement rêvera de partir.

"Départ dans l'affection et les bruits neufs"

Photo : Du presque noir et blanc. Marche légère d'une passante aux lignes claires ignorant sa beauté. Eloge de la pâleur et de l'ingénuité quand toutes reviennent bronzées et très sûres de leurs charmes. Nous appelerons cette lyonnaise (?) "la princesse aux blancs-pieds". Juste un peu de candeur. La douceur désuète dans un monde d'arrivistes et de "revenus". Passage clouté pas très loin de l'opéra, juste avant le pont Morand. Lyon. Rentrée 2009. © Frb.