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mercredi, 12 janvier 2011

Vues de nuit

Pour qui s'enfonce sans peur dans ces labytinthes ténébreux, la nuit est pleine de retraites inconnues, de territoires vierges. Au gré de l'imagination des créatures qui l'habitent se révèlent soudain avec sur leurs corps, les traces mystérieuses de leurs pérégrinations. Il n'appartient pas à tout le monde de s'enfoncer d'un pas ferme dans ces solitudes...

ROBERT DESNOS, extr "Les trois solitaires", (longtemps après hier etc...), éditions les 13 épis, 1947.

Pour voir une autre nuit, il suffit de cliquer dans la nuitby night.JPG

Je les vois, près des zincs se mêler aux danseurs, ceux qui trinquent à minuit font trêve et davantage, se réjouissent dans le bruit, aspirent à l'essentiel laissent le soin à d'autres d'arroser leur chemin. Dans la crainte d'abord, d'être absorbés par les battements d'une horloge qui rétrécit leur monde, ils l'emballent avec eux au guet des ombres, jusqu'à ce que son mouvement s'arrête. Aussi compréhensifs que les amants, ils franchissent les portes, trainent sur eux les traboules puis ils flanent, unis en grappes sûres mais toujours seuls.

Je les vois sur les quais, le long des fleuves adorer les scintillements, et criant dans le souffle asséché de l'hiver des injures à nul autre qu'eux mêmes. Cette liquidation dont librement ils s'acquittent, semble filtrer encore le mauvais sang des jours qui ont précédé. Ils se scellent au ciment, contemplent les péniches, les terrasses des restaurants, dans l'éclat du rissolement des poulardes ou les odeurs de poissons frits. Ils réecrivent chaque nuit, la même histoire, tradition urbaine et orale, la préface d'un conte braille ou l'écho d'un chant né dans la hâte d'en finir puis d'éparpiller toute l'intensité inhérente à la joie de s'anéantir. Je les vois, seuls, trinquer avec tous leurs amis d'une heure, ils ne doutent pas qu'ils peuvent se lier éternellement, veiller à ne jamais laisser d'autres les perdre dans la plus abondante réserve de mots, de promesses. Ce tintamarre... Je les retrouve plus loin, plus gais, ils fanfaronnent plus saouls aussi, à d'autres zincs mais émus de la même façon à la vue d'une horloge qui vient de s'arrêter. Je les vois dans ma rue, titubant endormis près d'une villa bordée de bergenias sans fleurs, pendant que leurs amis, les quittent déjà, s'en vont mener un autre slow sur "Valentine" près des fausses cariatides du bar d'un hôtel chic.

Toutes ces processions en marche sur la terre, nous observent impassibles, rient en coin de nos rythmes. On pourrait soupçonner que l'arrêt d'une horloge irait enamourer tout le reste du monde. La nuit vante l'avantage de se brûler à ces amours qui n'espèrent pas, n'offrent rien en retour. Un sang commun circule dans leurs veines, ils embrassent comme rien des filles qui leur déplaisent. Elles attendent sur des strapontins. Elles sont même là pour ça. Le deal est simple, ça reste honnête. Eux, ils restent au fond de l'aquarium avec leurs yeux ronds leurs barbillons de poissons-chats, longeant les serres ou traversés d'icebergs, de mondes flottants sucrés, givrés, peu importe là, partout, ils ont le pied marin, la colère des grands capitaines, et de belles euphories pour claquer les chagrins. Cette liquidation, toujours la même les tient en équilibre entre deux fleuves, le coeur tâtant du vide au sommet des falaises, les pare d'arc et de flêches, d'un nom de plume vaguement mexicaine.

Je vois nos emplacements se déplacer comme eux, courir derrière l'ivresse, rejoindre les collines à la recherche de plantes vénéneuses, comme l'herbe de bisons, dans sa grande bouteille verte, ils entament avec elle, la tristesse d'un coup de barre, puis vers quatre heures, ils ressucitent.

Je les vois transformer les fleuves en bord de mer, admirer rue de l'Alma au loin les caravelles, je les retrouve à cinq heures, affalés sur des bancs, et toujours le ciment, pour eux méconnaissable se transforme en lit de camp ou en échasses obliques pas plus hautes qu'une  allumette à craquer dans la nuit, pour tout ce qui embrase, et qu'un feu brassant l'air, provoque l'incendie sur la ville. Un lever de soleil, les ramène avec le premier bus bondé de gens, dans un champ de savons, là où ils ne savent plus, à cause de la lumière, exactement par quel chemin retrouver leur maison.

Photo : Berges du Rhône by night vu d'un vélo garé sur un pont entre rive gauche et Presqu'île à Lyon, photographié au mois de Janvier, un certain jour. © Frb 2011

dimanche, 02 janvier 2011

Snow-fumeur

 Ou 23 secondes de délit 100% naturel


vendredi, 31 décembre 2010

Jour de blanc

 Or ne trouverent ilz point là, sur l'heure, de croye ou de terre blanche pour marquer, à raison de quoy ilz prirent de la farine.

JACQUES AMYOT 

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BEN KAMEN : "Clouds and snow"

podcast

 

Le monde est tellement blanc qu'on se croirait presque au jour de l'an. On pourrait même se souhaiter une bonne année si on osait... Mais je crois qu'on va attendre le retour des animaux... (A suivre)

Photo: Un léger saupoudrage. Neige et fonte des neiges au jardin du Marquis. Nabirosina. Dernier jour de December. © Frb 2010

samedi, 11 décembre 2010

Un léger décalage...

Connais le prix des circonstances le perce-neige lui doit son charme.

PYTHAGORE

fleur et neige se cachent peut être derrière l'image, pour le savoir il faut chercher...serres2481.JPG

Perdu dans le pays de neige, sa ville qu'il ne reconnaît pas, le promeneur (urbain) ne comprend pas pourquoi il n'y a pas de perce-neige au jardin, mais sans doute aura-t-il oublié de se répérer dans le calendrier floral, auquel cas il aurait su que "perce neige" n'arrivera que le 2 Février, (violette de la chandeleur"). Le promeneur déçu aura rêvé trop tôt le printemps, pour ne pas se désespérer à la perspective d'une attente longue, peut-être incertaine, il refermera son herbier se glissera avec légereté dans la légende (dite allemande) à propos de la neige et de la fleur.

"Quand Dieu fit toutes choses sur la terre, il demanda à la neige d'aller vers les fleurs et de se procurer un peu de couleur de leur part. Une par une les fleurs refusèrent. Alors, très affligée, la neige demanda au perce-neige de lui donner un peu de sa couleur et le perce-neige accepta. En remerciement, la neige lui permet de fleurir le premier chaque fois que le printemps se montre." 

Patience....

Photo :  Ceci n'est pas un arbre à perce-neige. introuvable, perce-neige... Pas vu, mais vu le Parc de la Tête D'Or, (sous un ciel sombre) du côté des serres, méconnaissables, enneigées, et ensauvagées comme jamais, (ou  rarement). Lyon, Décember. © Frb 2010

mercredi, 01 décembre 2010

Sur le banc de neige

Viens
allons voir la neige
jusqu’à nous ensevelir !

BASHÔ, extr: "Haïku. Anthologie du poème court japonais",
Gallimard, 2002.

Si ce banc vous déplaît en cliquant sur l'image, vous gagnerez sûrement un autre banc. banc de neige647 b.jpg

 Sur le banc de neige je me suis allongée ce matin pour y dormir jusqu'au lendemain. Le banc avait des airs d'ermitage alcestien, quand je m'y suis réveillée, le froid m'engourdissait les mains alors j'ai pris la position du penseur (de Rodin), pour penser à des tas de trucs, à tout un tas de machins. Sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux journées à la mer, au bord des lacs et des rivières, aux trouées du vieux Blaise sur des feuilles luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé qu'on pourrait monter la route en lacets sur des bottes luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé aux tours carrées des villes qui vues de loin paraissent rondes, j'ai pensé que nous regardons les jours diminuer tandis que les nuits deviennent longues, j'ai pensé à ces hommes célèbres qui ne sont pas encore nés, à ces talents ignorés, cette multitude d'artistes pourtant doués qui mourront sans avoir connu un quart d'heure de célébrité, j'ai pensé aux ateliers culinaires de Jean Luc Rabanel, sur le banc de neige, j'ai pensé aux îles flottantes, aux dé-collages d'Asger Jorn, à la taille prodigieuse d'une force dépassant tout ce qu'on peut imaginer, j'ai pensé à Ariane dans l'île de Naxos, gémissant sur l'abandon et l'ingratitude de Thésée, j'ai pensé à la vérité du monde qui n'est pas notre vérité, sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux rochers suspendus au dessus de la mer éternellement rongés par le sel de ses eaux, aux corps qui ne semblent pas connaître l'érosion, aux âmes sans agitations, aux esprits qui renversent tout à la moindre contrariété, sur le banc de neige j'ai pensé à la porte de Saint Ouen, au prince de Monaco, et au Panathénées. J'ai pensé aux machines à polir et culotter les grains de cafés, au grallator, au térébinthe, sur le banc de neige j'ai pensé au visage de ce nègre qu'on crût longtemps barbouillé d'encre et aux joues gonflées du père Louis faisant corps avec sa trompette. J'ai pensé aux amants qui n'auront le droit de s'épouser qu'en 2797, au tracé rectiligne qui coupe la forêt Morand jusqu'à ces feuilles géantes qu'on espérait de bananier mais qui portent un nom trop savant pour un effet assez médiocre,  j'ai pensé au lac de Saint Point envahi par les crustacés, au grallator fuyant le térébinthe. Sur le banc de neige j'ai pensé que l'on fondrait peut être à la place de la neige si on avait la certitude qu'elle ne fonde plus jamais, j'ai pensé aux amis malheureux qui cherchent à tout se dire, et ne trouvent pas moyen. J'ai pensé à "l'heure bleue", à "la petite robe noire" de Delphine Jelk, à ces notes de coeur citronnées, de tête au macaron framboise, à cette note de fond au thé fumé, j'ai pensé  à des volets qui s'ouvrent, dans une auberge de Méditerranée avec vue imprenable sur un verger d'agrumes,  j'ai pensé aux formules poétiques courtes mais de grande densité, à l'interminable haiku d'ISSA :

Être là,
tout simplement,
au milieu de la neige qui tombe.

Aux questions imprudentes de SHIKI (Masaoka)

Il y a bien longtemps,
je l'interrogeais sur
la profondeur sans fond de la neige.

Sur le banc de neige, j'ai pensé aux diverses déformations de la volonté jusqu'à l'exaltation ou l'excentricité puis à toutes les craintes qu'elles inspirent, j'ai pensé aux éternels hivers d'hyperborée, à l'humidité qui attaque le bas des murs, aux moisissures qui se glissent entre les poils d'un col de ragondin, et aux paupières tristes comme des pétales fanés de ceux qui ne savent pas où aller. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'au lieu de penser sur un banc on pourrait tout autant penser la même chose sur une luge, qu'il suffirait peut être de décoller le banc et puis le bricoler de façon à le rendre plus mobile. J'ai pensé que ce banc ne serait beau que blanc, qu'il nous le faudrait blanc tout le temps mais que ce serait absurde de peindre la neige en blanc du fait qu'on aurait peine à trouver le même blanc et qu'il serait d'ores et déjà vain de s'évertuer à chercher un rendu plus fondant. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'on penserait peut être différemment si l'on était bercé par les jeux vocaux des inuits, qui battraient la mesure en tapant sur le banc, mais ça n'empêcherait pas de penser aux mêmes trucs, et aux mêmes tas de machins, et que, moralité:  il n'est pas possible de battre le banc sans abîmer la neige. Sur le banc de neige j'ai pensé.

 

INUIT- Throat-Singing

 



podcast

 

Photo : Le banc de neige, longeant les berges du Rhône quelquepart entre le pont De Lattre de Tassigny et le Parc de la Tête d'Or à Lyon. Photographié dans les premières et volumineuses neiges du premier jour de December.© Frb 2010.

mardi, 30 novembre 2010

Tous givrés

Ce matin, (qui n'est pas à la date d'aujourd'hui, à 48 h00 près), le paysage aura changé. Pour la première fois dans la ville, on voit des gens aller à la boulangerie sur des skis, d'autres disparaissent dans un glacier, une solidarité très spontanée réchauffe les esprits par la grâce du froid tôt revenu, des choses qu'un journaliste à la télévision a qualifié de "cauchemardesques" comme si le monde n'appartenait qu'aux automobilistes. Nous, les piétons, les cyclistes, skieurs de fond, ou fantaisistes à trottinettes, à raquettes, à bonnets (avec ou sans pompons), nous dérapons jusqu'à l'insignifiance, ralentis dans tous nos projets ou parfois, immobilisés, nous goûtons à cette expérience enfantine, assez délicieuse, qui consiste à improviser, à défaut de pouvoir déployer nos ailes, nous patinons merveilleusement...

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Pour le plaisir (infime) de la lo-fi, vous trouverez ci dessous 44 secondes de pas pressés dans la neige urbaine, la neige rurale, est infiniment plus veloutée et invite à des gestes plus lents, dit-on. La neige des villes on l'appelle en milieu de journée, "la gadoue", "la bouillasse" ou "la gabouille" ce dernier mot m'a été soufflé par un vieux monsieur très loquace croisé dans la folklorique ficelle à crémaillère qui remonte au village (ou plateau de la Croix-Rousse). Ici, l'extrait est à deux ou quatre pieds seulement, je vous ai épargné le tintamarre de la journée, quelques milliers de pieds craquant la neige et pas mal de gamelles, plus quelques sirènes de pompiers... (Qui a dit que la neige était silencieuse ?)



podcast

Ceux qui n'aiment pas les pieds ni la neige de la ville, trouveront peut être satisfaction avec des tronches de neige à la campagne...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/01/13/tr...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/01/12/sn...

A suivre des photos de Lyon sous la neige peut-être un certain jour en décalé et quand tout sera fondu.

Lien utile : http://www.lyon.fr/vdl/sections/fr/evenements/alerte_mete...

Photos : Hommes, femmes, enfants, chaudement fagotés, surpris un matin par presque 20 cm de neige. Photographiés au parc de la Tête d'Or (Photo 1 et 5), près du tunnel de Fourvière (photo 4), sur les quais du Rhône (Photo 3) à Lyon et place Charles Hernu à Villeurbanne (Photo 2 et 6). Certains jours toujours en décalage avec le calendrier ordinaire, a "croqué" les six petites balades au premier jour de December. © Frb 2010

mercredi, 17 novembre 2010

Nous semblons insensés les uns aux autres, disait autrefois Saint Jérôme

cluny0107 nb2.jpgLes ponts bougent dans la nuit se déplacent tels des radeaux à la dérive, avec les lumières qui traversent les âges. Des jeunes filles s'y attardent portant l'amour aux inconnus qui vont sur elles à nouveau, sans histoire. Ils ne demandent rien d'autre, chaque nuit, qu'un peu de considération, c'est toujours la même chose, il suffirait de presque rien. Ensuite le soleil se lèverait. Et chacun serait séparé jusqu'au soir. Puis les nuits qui suivraient, on verrait encore les ponts bouger un peu, rassembler entre les rives opposées, des passeurs invisibles qui inventeraient un mot nouveau pour chaque nuit et ainsi de suite...

Tout cela ne s'unirait jamais au petit jour, tout invisiblement, se balancerait entre les ponts, contre l'assaut des aiguilleurs qui assiégent la ville, portent les hématomes, la sanction pour qui dépasse la ligne, jusqu'à ce que les premières neiges assourdissent l'écho de tous ces combats éperdus.

Il y aurait ceux qui vendent les fleurs, avenantes sur les marchés et laissent des grands bouquets de lis (ou lilium candidum) un peu défraîchis, aux balayeurs. Il y aurait des vieilles qui se traînent à genoux dans des églises priant on ne sait qui.

Il y aurait la satiété dans les grands restaurants, et des phrases à rallonge pour présenter une simple entrecôte pincée de gros sel sous sa noisette de beurre, accompagnée de pommes dauphine. Il y aurait pour chaque dessert dans ce même restaurant les tartes au citron meringuées ou au choix, les pommes cuites au four servies avec du caramel, des éventails de biscuits parfumés de cannelle en forme de petits doigts coupés et la crème chantilly, pour le modeste supplément de 1,58 euros.

Il y aurait les buveurs de Gueuse-cerise, la mort subite aux terrasses, et des hommes d'âge mûr aux fonctions importantes, soudain pris de panique à l'idée de mourir d'un infarctus, au volant de leur voiture entre deux déplacements.

Il y aurait des femmes de ménage trouvant des lettres compromettantes au fond d'une corbeille à papiers, et des secrétaires aux cheveux défaits par la brutalité d'une étreinte un peu forcée, submergées par l'amour au milieu d'un parking. Elles soupireraient peut-être d'une joie, d'une honte de ne pouvoir bien jouir qu'au coeur de la saleté.

Il y aurait des enfants qui rentreraient gaiement de l'école sans savoir que leurs parents se déchirent.

Il y aurait des fadaises pour cette petite employée de maison, des amants en dépit couvrant de ridicule le sexe et la façon d'aimer d'anciennes péronnelles, au zinc du café des artistes.

Il y aurait la trahison, permettant à chacun de se mettre en valeur au détriment de l'autre. Il y aurait des chiens écrasés, pour de vrai, pour de faux, des visages tristes croisés dans une rame de métro, et qui pour la journée inverseraient le cours des choses.

Il y aurait des amitiés furtives, les liens dépossédés, les bonnes et les mauvaises manières, cette haine contenue dans des formules de politesse, abusant de l'espace public pour démanteler les saloperies humaines, qui viennent des autres, évidemment.

Il y aurait le reniement de soi consenti comme une évidence qui pourrait garantir à chacun et chacune autant l'illusion de son libre arbitre qu'une crédibilité incorruptible aux yeux du monde.

Puis, il y aurait les yeux du monde, à l'affût de nos faiblesses, aveuglés des sentences de la bonne et mauvaise conscience ; derrière chaque acte délictueux, il y aurait l'ignorance du code civil, les petites procédures intimes et des hommes en robe noire et collerette blanche, qui défendraient l'innocence ou le crime tout cela au même tarif, des remises de peine, des années de prison avec sursis, le bureau des greffes surchargé, des audiences ajournées et des procès qui se termineraient par une pire injustice dont les conséquences désastreuses n'intéresseraient personne.

Il y aurait des gens dans des téléphériques qui suivraient des yeux le mouvement des oiseaux migrateurs, rêvant de ne plus jamais interrompre le voyage qui les porte et constitue leur seul moyen de tenir debout, désormais, les pieds sur terre en apparence. Il y aurait la reproduction la mue, la migration de tous de nos entretiens.

Un coucou geai tombé du ciel, dont on ramasserait le corps au cap nord suite à un déréglement de sa boussole interne ; il y aurait les insectivores à la recherche du refuge de l'Alceste qui regarde en silence toute saison comme le prolongement de l'hiver.

Il y aurait les cigognes noires, le sterne arctique et le rouge gorge, tous ces oiseaux qu'on invente qui passent en grillant nos cervelles, ou couverts des louanges des fruits de fin d'été délivrant en automne les poisons du vérâtre blanc.

Il y aurait le pluvier doré qui survole l'océan pacifique sur 3 300 km pour rejoindre les îles Hawaï, le souci de la nourriture disponible, de la tranquillité, et cette indifférence au comptage des ornithologues.

Les ponts bougent dans la nuit, se déplacent tels des radeaux à la dérive, avec les lumières et tous les artifices dans tous les estuaires, dix mille huîtriers-pies en stationnement sur les vasières ; l'impuissance des granivores, et les prédateurs en sommeil, réveillés par les oies cendrées qui déplient le plan à l'envers en modifiant très lentement la composition de l'atmosphère.

Il y aurait des hypothèses à l'approche du danger, des captures imperceptibles après la découverte de pinsons dans des plats préparés. Il y aurait la peur d'être contaminé ; de grands élans d'amour, de solidarité, quand la nuit reviendrait qui déplacerait ses ponts à l'avantage des uns au détriment des autres. Il y aurait la Veuve Clicquot au cul trempé dans un seau d'eau glacée, accompagnant des toasts tièdes tartinés d'un pâté d'hirondelle. Chaque nuit apporterait sa joie nouvelle avant que le jour revienne mettre les choses en ordre, jusqu'au soir, et ainsi de suite...

 

Extr de "Genre humain" à écouter : ICI

 

Nota : Le titre de ce billet est une phrase empruntée aux "Sermons" de Bossuet.

Photo : Un animal étrange perché entre deux rosaces : un fragment de chapiteau médiéval datant du X em siècle, photographié lors d'une exposition splendide à l'abbaye bénédictine de Cluny (jadis, le plus grand édifice de la chrétienté avant St Pierre de Rome) et visité, à l'occasion du onzième centenaire de l'abbaye, au mois d'août l'été dernier. © Frb 2010.

lundi, 08 novembre 2010

Reflection

Je pense que si je retombais
Sur terre, je m’effriterais ;
C’est si triste et beau
C’est le tremblement d’un rêve.

DYLAN THOMAS (1914-1953) extrait du recueil : "Ce monde est mon partage et celui du démon", éditions Points. Ecouter le poète ICI

autist0078.pngA la fin tu sors épuisé de ces mondes mais quelque chose encore resplendit que tu ne sais pas. On dit que les autres voient cela quand ils te croisent. Ils ne voient qu'en deça. Tu as si longtemps fait figure d'exemple. Lassé de vivre parmi leurs compliments qui t'attachaient encore, tu as usé ton esprit à écouter, des heures entières, toutes leurs conversations, tu as fait semblant d'y participer, tu as tourné des pages de magazines de sport, de mode, ou d'actualité. Tu resservais dans les dîners, toutes les phrases que tu y lisais, "les apéritifs dinatoires" qu'ils disaient ! et puis, tu t'es lassé, tu as pris des trains, tu t'es perdu dans des villes sans jamais sortir du pays. Tu as croisé des foules enragées, des esclaves dans des défilés, ou dans des bars, tu as laissé des personnages t'arroser d'alcool fort, te renvoyer une sale image. Tu t'es fondu aux steppes, aux lacs tout bleus, tout gris, pris entre l'horreur de tes pensées et la profondeur adorable d'autres nuits. Pendant que les Dieux impuissants de tes anciennes vies essayaient de te consoler, tu as désaxé ta pensée jusqu'à t'empaler aux limites, tout raisonnable que tu étais. Tu as raccordé ton corps à ton âme. Tu as chinoisé sur quelques détails. La jalousie te revenait. Engrangeant des rixes et des drames, les beaux corps te rendaient malade. Tu as dû voyager partout, peut-être, assis sur une banquette de deuxième classe côté fenêtres, dans le dernier wagon fumeur qui existait sur terre. Tu as fumé cigarette sur cigarette, tu as rempli le cendrier, tu as traversé un domaine ni familier ni étranger, tu t'es retrouvé longtemps l'esprit entre deux paysages, des kilomètres interminables sur un viaduc qui s'effondrait, tu t'es penché par la fenêtre, la dernière fenêtre qui s'ouvrait, de ce train qui irait à la casse, après toi, après ton ultime traversée, c'était écrit d'avance, du moins à cet instant, il te fût bon de l'ignorer, ou bon d'ignorer que ce mal te serait ensuite profitable. Tu as pris la mesure des battements de ton coeur en te penchant sur les ruines du viaduc qui tremblait pendant que le train prenait de la vitesse, tu as pleuré comme un enfant submergé par l'angoisse dans une chambre sans lumière, tu as eu peur à cet instant que le viaduc ne puisse pas supporter le poids du train, ton propre poids, coupable de ce déséquilibre, tu as eu peur de regarder ta mort en face tu l'as vue et tu l'as ressentie dans ton corps pendant que ta vie entière défilait, te revenaient les images imbéciles de vacances à Romorantin, le souvenir du corsage à pois blancs d'une cousine que tu détestais. Pendant ce temps le train aura passé l'obstacle, le viaduc derrière toi sera loin, en l'oubliant il deviendra comme réparé, tu oublieras avec le temps, tu te retrouveras dans la neige, un paysage immaculé, recouvrant ta mémoire ancienne, tu rencontreras celle qui mène ta vie au degré le plus pur d'immaturité. Une source de rayonnement stellaire, un peu de sucre cristallisé semé en une infinités de manières, le grain fin de cet allègement te donnera un air souverain. Plus tard, tout seul, avec ta pelle, ton rateau, tes outils d'enfant, tu tenteras dans le sable aussi fin que la neige de construire un vrai château avec des oubliettes pour deux. Tu te dis que tous deux réfugiés dans un coin, il ne pourra rien t'arriver, elle ne saurait aisément t'échapper, tu auras jour et nuit l'oeil sur elle, et sans même savoir si elle consent à te suivre, tu iras la chercher, tu forceras sa porte, et l'emmèneras très loin. Loin de ses amis, loin de tes chaînes. Tu feras le vide autour d'elle. Tu seras épuisé peut être, mais c'est cela qui resplendit, comme si le déplacement de ces vies t'amenait à un certain flou, toi, unique au milieu de tes constructions, tu contempleras une figure, au contour estompé, marquée par un regard immense uni à ta propre terreur, aux créatures que tu inventes pour les glisser en elle, rêvées incessamment crayonnées dans la peine, comme si la netteté de toutes les expériences, la même expérience à chaque fois, devait se découper en milliers de petits lambeaux tous identiques, recousus à la perfection. Et ce don se reflète en toi, te dédouble ou te multiplie, tandis que l'autre, elle disparaît, couchée sur ta peau de chagrin.  Elle ne pourra jamais retourner d'où elle vient. Tu veilles au grain. C'est bien la seule histoire possible. Une création fabriquée  pour en rêver la vie entière qui exige en retour un très grand sacrifice humain afin d'apaiser la terreur de ce jour où tu te vis mort, englouti sous les pierres d'un viaduc, repoussé au dehors, glissant dans l'espace glissant éternellement, ton esprit dans l'espace et ton corps qu'on ramasse à la petite cuillère entre des rails, ton apaisement, tu lui donnes un autre nom, c'est l'amour, comme si tous ces souvenirs que tu couvres de fanfreluches avaient trop longtemps affamé cette histoire, plus floue dans le monde alentour, tu regardes tout cela comme un phénomène étranger à toi, un principe d'irréalité, ta vie entière est noyée d'encre, cette vague qui toujours te revient, désintègre ta réflexion ; à mesure que tu réalises  et mets à jour tes songes, tu vois grossir la peau de chagrin et tu ne peux plus arrêter cela, malgré ta volonté, ce cauchemar inversé qui condense ton amour en ce point minuscule, résumé, ou perdu au milieu d'un tapis, le dessin de plus en plus volumineux refermera l'espace, il suivra vaguement le trajet d'une ligne disparue, les arcs tendres, délabrés, d'un viaduc accroché au flanc de la montagne, mais tu as beau chercher, faire marche arrière, cela ne te rappelle rien de précis, rien que tu aies jamais connu.

 

 

 



Photo : Jeux de pluie entre deux mondes tout comme figés, le ciel à terre se transforme en peinture de fleuve ou d'autre chose. photographiés après l'ondée, dans une ruelle sinistre pas loin du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, début Novembre.© Frb 2010.

vendredi, 29 octobre 2010

Peindre au travers

Peindre d'après nature, ce n'est pas copier l'objectif, c'est réaliser ses sensations.

PAUL CEZANNE 

zoom feuilles0908 B.jpgCe climat est le mien. J'avance avec toi, sur la route, pour faire effraction. Je peux voir le ciel qui s'étend nous satisfait à la minute. Je prends le petit jour à coeur, et je suis autrement ton oeuvre. Nous ne pouvons que rester seul à seul. Tous deux serons unis encore autant que séparés, et je me chauffe à toi, nous secouons les grilles pour rentrer dans tous les salons. Je porte les grenades et les épices de la forêt. Nous aimons nous suspendre aux lustres, aux branches ; je porte les baies empoisonnées, tous ces mensonges et nos douleurs. L'eau froide tombe du ciel qui s'étend au loin. Les grilles blessent un peu, ces gens t'ouvrent leur demeure, tu caresses leur vaisselle, tu explores les greniers et la cave où sont cachés des manuscrits à fendre à l'âme.

Il y a trop de monde dans ces salons, on distribue du café noir et des figues à moitié ouvertes sont éparpillées sur la table. On convoite un grand framboisier sur lequel nous déposerons des baisers, nous aurons les mains baladeuses, en toute impunité, nous abuserons de tout sans peine. Nos fruits ont la sauvagerie de ces chats qui se faufilent entre les brumes écorchant le vernis des tableaux, bientôt nous en ferons le deuil ; nous les délaisserons dans un parc entre les feuilles rousses, irisées de l'automne. November ramènera par sacs entiers les feuilles et ces pommes qu'un peintre croqua autrefois chaussé de ses pantoufles, dans le rai de lumière d'un atelier. A quelques pas de là, à peine plus loin, toute la lumière change, et l'on aperçoit dans l'allée d'un jardin, quelque beauté antique organiser les courses :

De mon mieux, j'ai envoyé à mon amant chéri dix pommes d'or cueillies sur l'arbre de la forêt, et en enverrai autant demain

Des corbeilles de fruits pourris avec les étranges pépins, et ces tiges au cul de la pomme, nous aimons celle qui porte un nom de chanteuse de jazz oubliée, la Granny Smith. Son goût acidulé, ses reflets parfois roses. Nous aimons aussi les poires difformes, "Red William" ou "d'Anjou" nous les mangeons sans trop penser à la misère du monde, un rien nous comble. Nous glissons les épluchures dans nos poches et cela nous fait des trésors dégoûtants. Le vent ici est caressant, doucement il s'impose. Et puis il y a des graffitis sur les bancs et des journées qui ne s'étirent plus tout à fait comme avant.

Cent tubes de gouache pressés avec ces couleurs fauves, elles giclent sous le ciel qui s'étend au loin, fardent la part brute d'une toile sur laquelle l'autre peint encore des oiseaux et des serpents plein de noeuds, sur des pentes la blancheur lunaire bat dans l'encadrement, déplace la courbure des formes qui magnifient les fruits et les sens. Ce climat est le tien, il érode les murailles, dévergonde nos cailloux pour s'empaler sur des roches vierges. Ca fait des semaines qu'Eros dort le jour sous les arbres et la nuit il s'amuse comme un écureuil avec des noisettes et des glands.

Du haut en bas, un grain de folie saisonnière roussit la page si lentement, tu peux voir comme l'heure à présent changée nous délave. Ce que je dis, tu le vois les yeux clos et l'approuve. Tout ce qu'on dilapide va par monts et par vaux, même dans le parcours des bécasseaux, leurs cris font en réalité "tchirrip, tchrrii" et nous nous attardons à regarder bouger leurs pattes sur des fils electriques. Tous ces mensonges dans la douceur bordent l'hiver des impatiences, un caprice hors-saison qui vient avec  le goût de la reine-Claude, ou de la mirabelle, (bellamira, miragrande), croquée par Virgile au vers 53 des "Bucoliques":

J’ajouterai des prunes couleur de cire : ce fruit sera, lui aussi, à l'honneur.

J'ajouterai des grains de génévrier, nous titrerons : "Aiguilles piquantes sur feuillage écaillé", des grosses touffes chaudes comme la laine, ces épis pour les dames seront notre fierté, les messieurs en auront presque le rose aux joues puis après ce sucre onctueux, tout fondu dans nos ombres, adviendra en nous l'abstraction.

Tu peux voir l'improvisation, la folie des grandeurs et la rondeur des jours comme un point qui va de bout en bout répandre sa résine rouge, les déliés du terrain, un fourrage de cailloux, près des plantes cultivées,  plates, ou éperonées, qu'on appelle "impatiens hybrides".

Ce climat est le notre uni à l'eau qui dort sous un autre pays gentiment affublé de gri-gris, de poupées pincées d'épingle à linge, ces tissus sèchent à l'écart au nid où pondent les flamants roses, et les chamois toujours les mêmes, tu les décris sur mes carnets et tu es autrement mon oeuvre.

Savais tu qu'autrefois les chamois pondaient des oeufs au mois d'Octobre ronds comme ceux de l'élandin ? Et cela faisait, à ceux qui les regardaient longtemps, des yeux gros comme un poème monstre.

Photo : Zoom juste après l'ondée. Une vue caramélisée de quelques feuilles mortes issues du charmant  parc René Dumont qui illustre à merveille, une nouvelle tendances de parcs dans nos villes : pas d'allées à la française, juste la végétation naturelle poussant à la manière sauvage... Photographiée à Villeurbanne aux derniers jours d'October.© Frb 2010.

vendredi, 01 octobre 2010

Nuit et jour (Part II)

Voici des cerveaux voici des coeurs
Voici des paquets sanglants
Et des larmes vaines et des cris
Des mains retournées
Voici tout le reste pêle-mêle

PHILIPPE SOUPAULT  extr. "Une heure" in "Georgia-Epitaphes-Chansons et autres poèmes", éditions poésie Gallimard, 1984.

Night and day en musique c'est possible ! si tu cliquesOCTOBER0025.JPG tout devient possible, ah mais!

Le jour brûle chaque seconde. Du haut des vieilles tours, le pied sur un téléphérique suspendu entre les nuages, des coupe-vent ensorcellent les mouvements sur les places. On regarde des campements abstraitement du sommet des collines. Toutes les étoiles de mer sont entrées dans la ville avec les ventouses de la pieuvre, des venins de serpents, des paroles gluantes s'invitent sur le petit écran, créent des objets pour la souffrance du peuple. Les merles moqueurs sifflent pavane, décomplexion, en habits d'outre tombe. Le soir m'attache à des heures lentes, au mal qu'inventa un poète médecin dans la lumière brumeuse des marécages devenus lac au fond duquel une tête dort. J'entre dans le quatrième monde trainant au cul des plumes d'indiens comme autant de bris de casseroles. J'entre dans la piscine d'une rue noire de monde, toutes les étoiles de mer rient des tubas, et mes palmes me font une démarche embarrassante. Le soir m'attache à des heures lourdes et me prive des apéritifs en plein ciel au onzième étage circulaire d'une demeure accueillante où les bambous touchent le ciel, j'y croise un ami de longtemps et ses femmes folles de plumes, acousmatisées par une grande machine à Cythère, je monte tous les étages à pieds, redoutant les pannes d'ascenseur, recolle, dans la solitude le O au E pour qu'une banalité fasse Œuvre. Je me prive de ces apéros pétillants de champagne teinté de grenadine que nous prenions à la même heure qui marquait minuit en plein jour et midi aux nocturnes d'une fête médiévale du côté de la Grosnes. Déjà s'enfuit la grâce par les volutes informes, un consumé léger de cigarettes longues. Les arômes du tabac un peu roux, virginien, le taux de nicotine et de goudrons m'effacent. Ces volutes effleurent les affiches où se courbent des silhouettes parfumées de Coco, armes de séduction massives, les phéromones de Calvin Klein, l'ylang ylang, la guerlinade aphrodisiaque devenue synthètique ; les femmes sont vêtues de velours sous lequel la peau saigne, on taguerait là, une fine entaille, pour la fragilité du nu. Le jour brûle la petite caissière de l'hyper-Rion de Vaise. Une porte claque, à peine prononcerions-nous une phrase, que l'on nous accuserait de tout. La même porte re-claque sans cesse. La caissière mange son Bromazépam en cinq minutes de pause comme autant de petits bonbons dont la saveur absente rendrait la douleur de l'agneau, par de beaux cris d'égorgements bien douce en doublure de manteau. La nuit dépose juste à côté des pyjamas à rayures en pilou, de la guêpière affriolante ; les panoplies de Tarzan,et de Jane, et des tenues de combat puissantes, des collections de sabres, les amoureux s'escrimeraient, estoc et taille, vertu martiale, chaque phase d'arme tuerait l'un et l'autre un peu plus chaque jour. Le jour suivant les voix seraient roses comme des fleurs, nous ne parlerions que de la pluie et du beau temps. Et j'irai slalomer sur les places avec une bicyclette d'enfant entre les beaux manifestants qui refusent à l'autre la démence de sacrifier leur vie à la valeur travail. La nuit brûle un à un, chaque meuble dans chaque maison. Des lits rouleaux s'enroulant sur eux mêmes se transforment en lit papillons. Quelques amants se brûlent les ailes à trop s'y attarder. Des têtes roulent tout comme au temps de la terreur et on les porte en haut d'un pique. Toutes nos vies se trouvent à louer, les plus douces à brûler ou à pendre. Le soleil décline doucement. Il y a toujours dans la journée, un moment où tout meurt. Le moment où il nous plairait de croire en tout bouleversement est davantage celui de nos fatigues, ou bien est ce le sentiment que tout disparaît quoiqu'on fasse. Une gomme au bout d'un crayon, un doigt frôlant la touche "Erase" et voici la disparition sous un ciel gris, on avance sur les vacances de la Toussaint qui bientôt refleuriront les tombes. Le soleil s'éteint trop tôt, écrasé des poumons malades d'October et d'anciennes tuberculoses de Tristan, et de son batracien


- Un crapaud ! - Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue... - Horreur ! -


Tout près d'ici les brésars font l'Icare, le vent écaille l'écorce aux branches des platanes d'un jardin public où des enfants un peu crétins râclent leur fond de culotte sur de ridicules balançoire en plastique très ergonomiques, sous l'oeil mou de parents mutés en larbins d'angelots. Ici on ressent le danger d'appartenir au monde, on lit des feuilles aux devantures de mille bureaux immobiliers, l'ulcérant sourire au gardol de l'agent du siècle 21, on ressent l'insécurité des pavillons à vendre, ces affaires à saisir à proximité des périphéries avec vue sur des raffineries en grève, et on reste songeur devant le tampon rouge qui tamponne la chose comme "Vendue". Rouge sang, toute vendue comme nous. On ressent le danger, on se prend quasi frêle à remuer ces boites où gisent de vieilles photos de parents jadis amoureux se tenant par la taille devant les tamponneuses. Le vent court dans nos cheveux, sans chapeau ça travaille, et du chapeau quand même. Si, un jour nous allions sans vélo, ce qui est bien sur inadmissible, des petit vélos noirs nous aguicheraient quand même et nous les laisserions tourner dans nos têtes noires jusqu'à la débandade. Un mécanisme infernal tout caché ferait dériver un manège et tout cela porterait encore un nom de maladie. Le jour brûle les souterrains. Un monsieur fait la sérénade à une dame dans une jonque sur le fleuve Rhône jaune et noir comme les amours de ce mal aimé de Corbière, comme la syntaxe chaotique du batracien, ce boiteux qui hurle à la lune avec 4 rimes au lieu des 2 traditionnelles. EL(e) - OA - IER 2 tercets avec rime suivie ER + 2 rimes embrassées OMBR(e) - IF. Œuvre au Œ accolé mais sans âme sŒur.

Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre ...
Un chant ; comme un écho, tout vif,
Enterré, là, sous le massif...
- Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre..."


Photo : Le petit cheval blanc et le chevalier blanc, à la conquête des jours et des nuits, parcours étoilés de l'automne. Vu en fin d'après-midi du côté tonkinois de la cité de Villeurbanne au jour 1 d'October. © Frb 2010

jeudi, 30 septembre 2010

Le premier mouvement de la vogue

  Ô mes humains, consolons-nous les uns les autres [...]

JULES LAFORGUE extr. "Complainte d'un certain dimanche"

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Je ne sais pourquoi les vogues, les fêtes foraines, les manèges tournoyants m'ont toujours fait cet effet de merveille triste, et depuis très longtemps il me semble qu'il me manque quelque chose comme une case peut-être, dans laquelle glisser une forme de joie qui m'est tout à fait étrangère, qui serait celle de ces fêtes populaires obligatoires comme si je descendais nouvellement d'une de ces soucoupes volantes du petit manège des quatre à huit ans, mais sans la joie. Enfin, si c'est la joie ça serait une joie pas pareille comme celle des gens qui prennent des fous rires seuls aux enterrements, une joie nerveuse, où on se met à avoir une tête qui sourit tout en serrant les dents, on sait, cette tête ce n'est pas notre tête à nous c'est la tête de tout le monde, la tête des gens dans les tamponneuses, la tête des gens qui marchent le coeur léger avec des gaufres et cette tête ne va pas avec ce qu'il y a dedans. C'est comme si on mettait son autre tête qui se balancerait au bout d'un mousqueton dans sa poche avec le mouchoir dessus, une tête d'enterrement sous un tout petit linceul jetable en papier blanc du style Kleenex.

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Nous revoilà gaiement avec une barbe à papa encombrante qui nous rentre dans les dents, nos doigts gluants, collés de sucre nous feraient redouter de rencontrer par hasard une vague connaissance, par exemple un ancien professeur de philosophie intimidant, ou même monsieur Marcel Rivière (homme d'excellence), pour conjurer le sort de cet éventuel serrage (serrement ?) de main collée collante, on se dit en croisant d'autres gens, avec des pommes d'amour ou des gaufres qu'on aurait dû choisir les pommes d'amour ou les gaufres toutes ces choses que mangent les autres gens, on voudrait les manger aussi dans la vogue dévorante de sucettes en tourbillons pour l'humeur qui part en sucette par les tourbillons de bonbecs et pour le tour en tourbillon d'une machine high tech qui monte dans le ciel sur une musique de geek. A mesure que l'on s'approche d'un autre manège synthétisant le charme (ou l'horreur) des sixties, il y  Elvis Presley qui clignote de l'oeil pour raccoler le pelerin sur des espèces d'autos qui tournent au milieu de Las Vegas sur Rhône, Las Vegas sur "colline qui travaille", ou Las Vegas sur "Gros caillou" version science fiction plutôt d'époque Cosmos 1999 avec un petit côté "Temps X" pour l'insoutenable laideur de l'ensemble. Ceux qui croyaient que la vogue était tout aux marrons (tel est son nom à l'origine) et peut être toute bercée de flonflons, y trouveront un grand décalage, mais que voulez ma bonne dame comme disait le Pépé Dylan "The Times they are a changin".

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Il y a des gens qui paient une fortune pour s'installer dans des machines dont le seul but est de les retourner à l'envers, (pas les machines, les gens, enfin les deux), il y a la musique de Radio Ener(v)gie pour leur donner envie de vomir, (enfin pas la musique, les gens, mais la musique aussi). Parce que la vogue elle est comme ça, funky, techno, disco, très boite de nuit toute plantée sur les USA dans un esprit Macumba de Palavas les flots. Depuis que la grande roue est en bas, (fût en bas ? c'est que nous du gens du plateau, on descend peu en ville), et qu'il n'y a plus de chenille "Papillon" ou alors je ne l'ai pas vue. La vogue elle est surtout américaine, avec des machine à foison, tellement de machines, qui font des bruits de marteaux piqueurs, de forge, de presse, tellement industrielles qu'on se croirait à l'usine des metallos mais ce serait l'usine en même temps que la sortie de plusieurs usines, sans oublier les ateliers de Chamallow et de fraises Tagada. enfin bref !

vogue0083.JPGQuand j'étais petite je me souviens que j'avais honte sur mon manège et du manège j'en faisais un peu pour faire plaisir à mes parents qui me disaient "Va t'amuser !", et j'avais honte que mes parents ils m'attendent sur une chaise comme dans une salle d'attente, non pas que j'avais honte de mes parents, (ces choses arrivent plus tard) mais je crois qu'il m'était désolant du haut de mon petit âne à poils blanc surmonté d'un diadème, de voir que mes parents me regardaient tourner en rond pour mon seul bon plaisir, sans qu'aucun d'entre nous n'en ressente aucune gêne. Mais ce n'était pas les même manèges, en Nabirosina, il n'y avait pas de soucoupes volantes, ni de machines tonitruantes venues d'une autre planète, et quand le tour de manège était fini, mon père il me donnait 1 francs pour aller tirer des lézards ou des porte-clefs en plastique dans des petites machines à la con, et plus mes parents me disaient "Va t'amuser !", plus j'avais envie de rentrer à la maison, finir mon "Oui-Oui et la gomme magique" tranquillement assise sur les escaliers de la cave. J'ai toujours été rabat- joie de toute façon, dès qu'on me demande de m'amuser, je ne sais pas pourquoi, ça m'énerve, je n'ai plus envie, et là, ce samedi surpeuplé sur la colline, j'ai remarqué une petite fille avec des bas violets qui trainait les pieds à la vogue, on aurait dit que tout le plateau de la Croix-Rousse, l'intéressait, tout sauf la vogue, alors que durant ce mois, le plateau de la Croix Rousse n'existe pas, il devient une fois par an, le plateau de la vogue voire même le paradis des enfants-rois, et la petite fille ce qui l'intéressait sur le plateau de la vogue, c'était justement celui de la Croix-Rousse, avec le café des écoles tout orange, c'était la statue du vénérable Jacquard mangée par les enseignes des stands et les grosses ampoules clignotantes du bazar de l'oiseau vogueur, c'était l'arrêt de bus qui met des flêches dans tous les sens et les huîtres toutes fraîches du "café des Voyageurs" ou du "Jutard", c'était le "Gros Caillou". Et ses parents ils lui disaient à la petite fille aux bas violets "vas t'amuser ! amuse toi voyons !" comme dans la pièce de Michel CHION je ne sais plus si c'est "La ronde" ou bien "On n'arrête pas le regret" , inspirée plus ou moins de Jacques TATI, peu importe que ce soit "La ronde" ou bien "On n'arrête pas le regret", puisqu'il se trouve qu'il n'y a pas grand monde qui connait Michel CHION, peut être que dans le cadre d'une vogue, "On n'arrête pas le regret" ou bien "La ronde", c'est un petit peu pareil...

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Bonus : Pour le plaisir du lo-fi tout au dictaphone je vous ai ramené 43 secondes du son d'un forain de la vogue en train de gonfler des ballons. A noter que ces ballons seront tirés à la carabine l'instant suivant, le forain passant sa journée à gonfler des ballons, des ballons et encore des ballons...


podcast

 

Photo 1 : Le plafond du petit manège (4 à 6 ans) sur la grande place de la Croix Rousse. Adorable, en guise de reste de la vraie vogue disons d'une vogue bon enfant comme on aime...(Aimait ?)

Photo 2 : Au stand de la pêche aux canards. Je n'ai jamais trop compris le principe mais les enfants le comprennent, donc c'est ici que je prends des cours de pêche aux canards, offerts gratuitement par les enfants, du haut d'une chaire (ou d'une chair) celle des braves pères un peu neuneus pour l'occasion, dont certains ne manquent pas de charme, comme celui-ci, dont le visage épanoui (le droit à l'image m'interdit de le révéler ici) me donnerait presque envie d'être à la place de la petite fille, mais enfin, mon papa était bien joli aussi à l'époque où j'avais moi aussi des baskets à la mode avec des collants blancs, faudrait pas croire que la pêche aux canards soit une invention de la Fée Technologie, non mais !

Photo 3 : Les images parlent d'elles mêmes mais j'aime assez la mélancolie des tigres (surtout du blanc aux yeux bleus) qu'on peut donc gagner dans des tirs de bidules et de machins à la carabine dont je ne saurai pas trop vous expliquer les tenants, ni les aboutissants.

Photo 4 : Du côté des plus grands, là où c'est l'Amérique, je ne sais pas trop ce qu'on fabrique, mais ça m'a l'air d'être des histoires de grands, des histoires d'hommes un peu dans l'esprit du poker, mais il faudra que j'y retourne...

Photo 5 : Finalement, pour les joies du reportage j'ai cédé à la tentation de faire un petit tour dans une rutilante Barbie-mobile, n'ayant pas le permis de conduire, vous comprendrez qu'il y avait surement au fond, le plaisir de mêler l'utile à l'agréable tout en m'offrant (je ne me refuse rien), le deuxième frisson de ma vie, puisque la dernière fois que j'ai conduit j'ai embouti joyeusement la Ken-mobile d'un ami dans un arbre, alors autant prendre le moindre risque quoique sur ce coup là de la vogue, la chance n'étant pas avec moi, j'ai dû tourner des heures dans des embouteillages, et comme on dit à Lyon, "c'est plus fort que jouer au bouchon" mais je ne désespère pas, j'irai faire de la Barbie-mobile à une autre heure, peut être pourrais je la piloter par delà les pentes jusqu'au Parc de la tête d'Or ?  Puisqu'on dit que l'avenir appartient aux audacieux... Lyon, Croix-Rousse, l'éternelle vogue et cette année encore... © Frb 2010

lundi, 06 septembre 2010

Le dernier mouvement de l'été

Puis ça s'apaise
Et s'apprivoise,
En larmes niaises,
Bien sans cause...

JULES LAFORGUE, extr. de "Solutions d'automne" (1882)

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"Le premier mouvement de l'automne", est déjà en lien ci-dessous :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/08/29/le...

Nota : On ne doit pas seulement "Le dernier mouvement de l'été" aux "Quatre saisons" de Vivaldi, je cite pour le plaisir des correspondances, trois lignes de l'été ("L'estate"), "presto", pas si éloignées d'une étrange toile de Paul Delvaux, quand on y pense...

Ah, ses craintes n'étaient que trop vraies,
Le ciel tonne et fulmine et la grêle
Coupe les têtes des épis et des tiges.

On doit aussi ce "dernier mouvement de l'été" à un très beau court métrage, le premier, que Bruno Podalydès réalisa dans sa jeunesse, avec peu de moyens et une virtuosité surprenante. Le sujet souvent délicat à traiter au cinéma se transforme lentement en pur envoûtement poètique, et je ne saurais que vous conseiller de voir ce petit film, (il ne parle pas de fleurs mais c'est tout comme). Opus rare, et précieux, quelques notes glanées chez Eurêka, vous en diront davantage ci-dessous:

http://silencio.unblog.fr/2009/10/08/le-dernier-mouvement...

 

The Zombies : "time of the season"
podcast


Photos :  L'automne n'étant pas encore proclamé, le dernier mouvement de l'été sera presque muet. C'est la saison où tout flanche, où tout se penche, jusqu'à l'année nouvelle. Nous poursuivrons encore la petite histoire à travers villes, peut être à travers champs. Il reste bien quelques jours avant les premières neiges. Dernier été, dernier souffle du soleil recueillis au jardin, ou volés ça et là, non loin des bois du "Divin" Marquis de Montrouan et partout alentour. Nabirosina, Septembre 2010.© Frb

vendredi, 03 septembre 2010

Locomo, locomo... (by HK/RL)

Tout le monde va descendre
Dans la gare divine,
Dans la gare divine ....

Hozan KEBO VS Claude NOUGARO, ( Extr; "Locomo, locomo"  P. 1, traduit en français par ROGER LAHU). Edition Tchous, 2010) 

 Pour voir comment ça sera quand la loco elle sera partie, il suffit de cliquer sur l'image 

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Afin de mieux apprécier les voyages locaux "loco" et les rythmes chauds de "la Divine", il suffit de monter le volume juste : ICI

La photo n'est pas signée Kenny Clarke (qui a pourtant été chef de gare aux Bois d'Oingt et de Vaux, comme chacun sait, avant de battre grand train sous le surnom de "Klook" dérivé de l'onomatopée inventée par lui même, "the klook-a-mop", mais je m'égare... La photo est signée Hozan KEBO qui est le dernier homme sur cette terre, à affirmer que les trains font encore "tchou tchou", et on serait bien pauvre d'esprit si on ne croyait pas à cette vermeilleuse théorie, car il y a des preuves et celles-ci ne mentent pas ! (il manquerait plus que ça que les preuves mentent !). Cette photo a été réalisée sans trucage. La légende est de Roger LAHU. Les décors sont de Roger... (comment s'appelle -il déjà ?). Les bénéfices de ce billet seront reversés au profit de la SNCF SIDGL, ("Société internationale des divines gares et locomos") qui permettra à notre "bac à rouler" préféré de se requinquer et de nous promener par delà monts et vallées, (même bien au delà), à lutter contre les trains à grande vitesse  qui défigurent nos paysages et arriveront un jour ou l'autre, à rayer de la surface de nos quais ces êtres pleins de tendresse que sont les chefs de gare. Or certains jours, on aime les chefs de gare, particulièrement celui de "la gare divine" qui mérite notre admiration autant que ce vibrant hommage. Le design incomparable signé HK/RL a reçu le prix "Georges Méliès" lors du 34em festival d'Art contemporain sauvage (ARCS) de Saint Germain aux Mont d'Or, et le premier prix des "Trains fleuris de la Grosnes et l'Azergues", avec les félicitations du MARC (Musée d'art rural contemporain). Septembre 2010.

jeudi, 26 août 2010

Où ça ?

Aussi loin de moi-même que je puisse me trouver, je n'aurais jamais l'impression d'être ailleurs que là où je ne suis pas.

P.Y. MILLOT

L'arbre cache la forêt. Pour savoir où est la forêt il suffit de cliquer sur l'arbre.IMG_0053.JPG

J'ouvre la route à celui qui revient des pays du gamelan. (Prononcer gam'lane). Des petits cristaux étincellent autour de nous, pistils d'or et pétales irisés. Un ciel bleu, un vent de fin d'été, à peine chaud, juste frais, absorbe notre présence, l'entraîne près d'un vieux douglas (surnommé "géant cocotier" par les cueilleurs de mûres), qui fût longtemps le plus grand et le plus ancien refuge alcestien de toute la région, avant qu'un autre plus grand et plus impressionnant ne soit découvert par hasard, touchant le ciel encore plus loin. Depuis que l'autre a été révélé on a oublié celui-ci. Le sentier encore dégagé se prend au milieu de la forêt, sur la droite à partir d'un chemin, il faut connaître, sinon on passe à côté sans se douter qu'ici règne sans doute l'arbre le plus majestueux de tous les environs. Des sinuosités bordées de ronces, de fougères qu'il faut d'abord enjamber, puis dégager, nous y emmène. L'aventure est légère jusqu'à ce qu'un petit banc composé d'une branche posée à l'état naturel sur quatre autres branches maigres, (peut-être s'agit-il de pattes d'animaux ?) nous convie, juste là, à contempler le monstre, Sir Douglas, (gaélique Dúbhglas), dont cinq bras d'homme ne pourraient faire le tour, (cinq bras d'hommes vous paraîtra sans doute d'une logique aussi peu probable qu'exagérée, mais c'est notre mesure, on ne peut la contester). Ailleurs, nous écoutons des hommes faire ronfler les camions qui porteront en plusieurs voyages, quelques autres forêts de douglas plus petits et des épicéas en nombre qu'ils viennent tout simplement d'abattre. Deux déserts lumineux découvrent une dune chauve, une clairière dévastée, où ne subsistent que des brindilles et des tiges de plantes écrasées. Nous haïssons ces hommes.

Entre les deux hameaux du Nabirosina au point oublié de nulle part, il y a Bali et l'île de Java. Les sons graves et lents sur les troncs, les sons aigus, rapides, sur les feuilles et les fleurs. Le parfum de la pluie qui viendra cet automne, la clarté de la lune troublant le sommeil et l'esprit la nuit prochaine. Cette rencontre nourrit encore la terre et le ciel entre les branches, et ce tronc battu sans souci par le promeneur ou la chute des palais de bronze dans l'océan, tournant comme un petit vélo dans la tête d'un voyageur ami, tôt revenu d'Indonésie. Le battement est au coeur du gamelan, au coeur de la forêt enchevêtrant ses rythmes et ses cycles éternels, tout comme ici, ailleurs, des îlots délaissés et pulsés d'une beauté absurde portent les coups avec autant d'exubérance que l'éclat des cristaux, ou les pistils d'or, les pétales irisés de nos fleurs. A Bali, ici ou là, on croirait que le sculpteur est devenu fou, à moins qu'il nous rende fous. Rien qu'en regardant l'oeuvre, on en perçoit les sons ; les géographies se confondent, nous fondent au métal ou nous gravent dans le bois. Le rythme vient de partout. Nous sommes seuls ou en nombre pris dans l'éternité du vent, des feuilles, de tous les éléments à percuter encore, de végétaux en végétaux... Les racines fouettent l'écorce. Des tambours en peau de buffle donnent le tempo. Tout cela pourrait-il servir à faire de la musique ?

 

Gamelan extrait

podcast


Détours pour peut-être s'instruire, à voir surtout entendre :

http://www.youtube.com/watch?v=wqH_L7uZkqA&feature=re...

http://www.youtube.com/watch?v=zq2lGxCi9rw

En savoir plus :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Gamelan

 http://www.gamelan.fr/blog-hommage-sapto

 

Photo : une vue partielle du tronc de Sir douglas l'ancêtre quasi mythique, et déjà répudié, photographié dans la forêt nommée du Clos botteret, on ne sait où. Je crois qu'il est préférable pour notre vénérable de garder le point précis du domaine au secret. Je dédie en passant ce billet à un certain illuminé et ami de toujours (il se reconnaîtra) qui dort ces jours dans les forêts puis s'en repart à l'aube, pour remonter jusqu'à la capitale par un détour à Bali, Java, j'en oublie, et le tout, à vélo bien sûr ! (ou presque le tout) ce qui vaut tout de même un petit hommage sonore, légèrement arboré. (Que ceux qui n'arrivent pas à suivre se rassurent, moi non plus, c'est normal. Captation: Nabirosina. Fin Août 2010.© Frb

mardi, 24 août 2010

Le premier mouvement de l'automne

Avant de nous promener sur les routes, il nous faut nous envelopper d'éternel.

ANDRE DHÔTEL,  extr. "La chronique fabuleuse", éditions Mercure de France (2000)

 

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BELA KAROLI : "Summertime" (cover)


podcast



Photos : Avant première. L'automne n'étant pas encore proclamé le premier mouvement sera sans légende, (pour l'instant), mais nous tâcherons de suivre la petite histoire de très près, au fil des jours et des mois à venir. Photographié à travers les bois du marquis et les champs de la princesse entre les hameau de Montrouan et Vicelaire, non loin du Mont St Cyr. Nabirosina. Fin Août 2010.© Frb.

vendredi, 20 août 2010

Credo des anciens jours

Si Dun était sur Dunet
Les portes de Rome on verrait

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Hier, Je suis allée me promener sur la montagne de Dun. Lieu riche en souvenirs, mais de son passé historique, nous ne trouvons pour l'instant rien de très net, rien de très précis. (J'ai bien dit pour l'instant)... Quelques pans de murs restent debouts mais tous les principaux édifices ont été dévastés. Des fondements se retrouvent bien dans le sol, mais on se demande qui pourrait satisfaire notre curiosité en racontant de source sûre le passé de ces monuments détruits ? Il y a bien de vagues traditions, de fabuleuses légendes, transmises de génération en génération en guise d'annales et de chroniques et des auteurs qui ont un peu abordé la question historique mais leurs recherches s'avèrent d'une briéveté désolante. Est ce à dire que le silence des tombeaux se soit fait sur ses ruines et que les tentatives ébauchées pour redire le passé demeurent une oeuvre inutile ? Ou une oeuvre toute entière composée d'hypothèses et de rêveries ? N'est il pas possible de découvrir une partie de la vérité et de l'affirmer avec certitude ? Lorqu'une catastrophe épouvantable a frappé une région, il reste bien sûr une mémoire de cette catastrophe et c'est comme une fumée qui planerait longtemps sur la place d'un vaste incendie. La génération contemporaine dit à la génération suivante ce qu'elle a vu, puis de génération en génération, on peut se faire une idée (grosso modo) de ce qui s'est passé. Au fil du temps, le récit passe de bouche en bouche se déforme puis s'altère. Des légendes incroyables se greffent alors sur la vraie tradition qui elle même nous revient voilée. Dans ces récits tout se confond, les années, les lieux, les peuples et les héros et voilà le beau dunois confondu avec Charlemagne, ou le chanteur Roland. Dans ces récits, ces traditions fourrées d'anachronismes, il y a souvent pourtant quelque chose de réel: l'ombre d'une vérité...

Les enfants des écoles de la région alentour connaissent bien cette montagne charollaise, et la visitent tous sans exception, de génération en génération. Cela fait partie du programme de la discipline dite de "Plein air" et surtout des incontournables sorties de fin d'année avec celle du "bois des acacias", (un jour on vous le montrera), qui mène jusqu'à la Chapelle St Avoye. Et nous voilà, vingt mômes de 6 à 8 ans, trottant en file indienne docilement derrière Melle Pugeolles qui mène le cortège d'une main de fer (sans gant de velours) ; et nous passons par ici et nous repassons par là, nous y sommes, tout en haut à 721 mètres d'altitude, enfin presque, il faut grimper un petit chemin, minuscule, jusqu'à cette vue imprenable sur l'église d'abord, et puis ensuite, nous irons découvrir le panorama. Nous courons un petit peu avec nos gourdes en bandoulière, nos bobs ou nos casquettes autour des groseillers sauvages. Ce jour là fait époque. Ce sera à jamais, le premier plus beau jour de notre vie. Debout en demi cercle, nous tâchons de compter les clochers des églises environnantes que l'on peut distinguer à l'horizon (interminable). Nous nous familiarisons (est-ce une seconde possible ?) pour la première fois de notre vie, à l'idée encore un peu trouble, tout à fait indicible, de l'infini...

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Dans un bois dégagé tout près, un peu à la redescente, une vieille assise sur un caillou garde trois chèvres. Melle Pugeolles lui pose tout un tas de questions. La vieille est toute grise et toute sèche, elle ressemble un petit peu à ses chèvres. Nous fixons sur elle des paires d'yeux enchantés. La vieille raconte à sa manière l'histoire de Dun, sa destruction. A un moment elle s'arrête. Elle répète "Oui, mais y'a longtemps de ça ! du temps où la ville de Mâcon était perchée sur la montagne de Dun". Melle Pugeolles se raidit comme un piquet, elle tente d'autres questions: "Et après ?", "Après, répond la vieille, des ennemis sont venus, il y avait un château fort à cet endroit, là où c'était  Mâcon (elle fait une croix par terre avec son doigt) il y avait aussi de jolies maisons. L'ennemi a tout détruit", nous écoutons, une petite voix s'élève - "Mais madame de quel ennemi vous parlez ?" -"Ah ben, les autres ! ils v'naient de là haut ! de la montagne du Dunet, c'est là qu'ils avaient placé leur canon pour bombarder la ville et depuis ce temps y'a c'trou plein de pierres qu'on appelle le pote, le pote c'est le trou, le trou de l'ennemi, celui que vous voyez là". Elle tend à nouveau son bras, elle nous montre, "regardez ce chemin, et ben, figurez vous que c'est par là que l'ennemi est monté pour saccager la ville". Nous écoutons de plus en plus assidûment. Melle Pugeolles insiste encore un peu, - "Et il y a longtemps de ça ?" "Ouh ben ! j'y sais pas. Peut être ben plus de mille ans." Melle Pugeolles ne lâche pas le morceau - "Mais qui vous a raconté ça ?" - "Tout le monde y sait ! j'y ai toujours entendu dire comme ça, ma foi, et c'est la vérité ! tout le monde vous le dira, même monsieur le maire." La réponse est catégorique. Le visage de la vieille se referme. Il n'y aura plus rien à tirer d'elle. Melle Pugeolles donne un petit coup de sifflet qui veut dire "récréation". Nous avons enfin le droit de nous asseoire dans l'herbe pour manger nos bananes. Pourtant, quelque chose ne va pas. On dirait que Melle Pugeolles est préoccupée, elle tourne autour de la croix que la vieille a tracé dans la terre, elle tourne longtemps, regarde la croix comme si cette croix était mal dessinée. Elle gratte un peu autour pour dégager l'herbe, se relève, fouille dans son sac à dos, s'énerve, en sort un document qu'elle déplie, le lit de long en large, le relit, s'agenouille dans l'herbe pour gratter encore un petit peu. On l'entend marmonner toute seule: "C'est pas possible, c'est pas possible ! Ah non ! jamais de la vie ! ça ne se peut pas ! Mâcon sur la montagne de Dun, faut quand même pas exagérer !".

Nota : Evidemment, pour ne pas faire mentir tout à fait ce billet, je dirais qu'il existe aujourd'hui des ouvrages très bien documentés, où l'histoire de Dun se précise, se fait moins brève, pas du tout désolante. Je remercie P. Muguet, H. Mouterde et J. Virey, d'avoir conçu un livre passionnant abondamment documenté, une vraie "mine", comme on dit,  qui a pour titre "Dun, autrefois, aujourd'hui", et dont je me suis inspirée (un peu) pour écrire ce billet.

Photo : Un aperçu des façades d'inspiration romane (restaurée) de la splendide petite église de Dun qui était en ruine encore il n'y a pas si longtemps. Il existe des clichés des ruines de la chapelle ancienne, qui sont impressionnants tant il ne reste presque rien de cet édifice. L'église fût restaurée de manière raffinée sur initiative du Comte de Rambuteau au siècle dernier mais on évalue son origine à la seconde moitié du XIIem siècle. Vue sur la Montagne de Dun. Nabirosina. Août 2010. © Frb.