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dimanche, 14 août 2011

Ronde des immortels

Et d'un coup, nous voici jetés dans les nues en plein ciel. Les esprits soufflent et règnent partout. Ceci est la peinture des esprits.

VICTOR SEGALEN, extr. "Peintures magiques" in "Peintures", éditions Gallimard/ L'imaginaire, 1983.

forme ho oreillesF1969.JPGL'homme aux oreilles qui fument 

formeF1972.JPG

Le pianiste endormi sur le dos du grand tamanoir.

DSCF1969.JPG

Le souffleur de Nimbostratus.

cochon chienSCF1967.JPG

La Jeune fille et le caniche à groin.

 

 

Sur cette dernière image je tiens particulièrement à remercier Fernand Chocapic qui a judicieusement remarqué qu'il ne s'agissait pas exactement d'une jeune fille avec un caniche à groin mais bien d'un lapin Duracell avec cymbale et salopette, il en a rapporté une preuve incontestable que vous pouvez encore contempler en cliquant ICI-MÊME. Toutes autres propositions seront accueillies avec bienveillance et seront ajoutées ici...

Photos :  Figures libres... Regarder tous ces personnages attise ma fascination. L'étranger n'est pas loin, il suffit de frôler chaque image pour trouver vos correspondances, c'est peut-être écrit dans le ciel furtivement mais vous n'êtes pas obligés de voir ce que j'ai vu...

© Frb 2011.

mercredi, 20 juillet 2011

Modernes Baleines

para tigre8134.JPG

Un petit coin de paratigre, (ah non, je rectifie : pas de tigre de léopard !) on entre dans la saison des pluies, fins contrastes, élégants ocelles traversent nos esprits d'une rythmique africaine comme celle des boubous dorés et musique de King Sunny Ade. ("Mori keke kan, tere ajalu bale tere opobi pobi, ori po lo bi", so sweet !)


parapluioeF8135.JPGQuadricolore pastel généreux il marque son territoire en tout temps et tous lieux, le parapluie mégalomane il peut abriter les voisins, les amis, la famille, sans même le faire exprès il peut servir de parasol de parachute, (ULM, toile de tente etc...), bref, un gros coin de parapluie,  pour ne pas dire une petite maison portative.

 

paraCF8130.JPG"La barotte et le parapluie", ce n'est pas une fable de la Fontaine; mais de la fontaine peut-être ? Si ? (umour-umour) un petit peu de fantaisie dans ce monde chargé mais pointronenfo la fantaisie reste sobre dans l'esprit de la cravate à Gilbert (Bécots), ça nous donnerait presque des idées. Un petit pois de parapluie donc...

 

para wilsonF8132.JPGParapluie dépressif, gros karma, un physique qui raconte une histoire ("les parapluies c'est comme les gens" a dit Homère) celui là il a sûrement fait toutes les guerres, et il est là. "Vieux Pataud" version parapluie. Fidèle compagnon d'une vie pour le meilleur et déjà pour le pire.

 

parapluieF8147.JPGLes dames du bois de Wilson conversent avec des interphones. Il semblerait qu'on retrouve notre fameux quadricolore généreux, (l'a t-elle chapardé au monsieur, la vilaine ?) et, (détail incongru), on verra l'autre parapluie (le sombre) coiffé d'un mystérieux chapeau,  est ce qu'il serait là pour protéger le parapluie de la pluie ? Le chapeau ? A t-on déjà vu chose pareille ?

 

Photos  : Festival de parapluies à Wilsons Place. Filature un jour de marché, de Juillet et de pluie (ça, vous l'aviez compris :)

 

Villeurbanne © Frb 2011.

mercredi, 18 mai 2011

Obscuritudes

Nous savons pourtant le prix de la douleur
les ailes de l’oubli et les forages infinis
à fleur de vie
les paroles qui n’arrivent à se saisir des faits
à peine pour s’en servir pour rire

TRISTAN TZARA, extr. "Sur le chemin des étoiles de mer" dédié à Frederico Garcia Lorca.

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"Vous êtes menacé de tomber victime d'une ruse infernale"

Achille traîne à son char le corps inanimé d'Hector. Pénélope est devenue à force, cet oiseau qui fait de la couture. L'agriculteur repose sous le talisman de la lune.

"Malédiction"

Une famille pleure. La carte est triste pour le fort comme pour le faible. Celui qui triomphait hier est aujourd'hui abattu. Celui qui est aujourd'hui à terre ne sait s'il se relèvera demain. L'artiste introduit de la matière brute dans l'oeuf philosophique. La transmutation n'a pas eu lieu. Une jeune fille refuse les avances d'un ouvrier métallurgiste. Elle se croit aimée d'un homme riche, elle compte sur ses promesses. Il l'oublie. Elle part en Amérique, elle le revoit, puis on la perd de vue. On se réjouit d'une maternité sous des roses bâtardes. L'artiste vendra ses propres faux pour payer la note d'électricité. Le Grand Oeuvre est remis à plus tard. Une épouse bafouée passe dans un trou de souris juste au milieu d'un disque noir.

"Possible tromperie."

Des énergies puissantes sont mobilisées en vue d'un travail constructif. Un cheval à bascule entre sous la porte de Scée, suivi de troupes. L'évènement s'annonce désastreux. Des hommes à cheval tentent de voler le Talisman de la lune. Heureuse fatalité.

"Vous souffrirez de l'effet d'une discorde qui n'est point de votre faute."

Un homme tue sa famille. On le croise dans le sud de la France avec une femme, mangeant des glaces à la vanille sur une plage. Le talisman de la lune peut vous sauver par le cercle de magie blanche dont l'effacement s'effectue grâce à un balai. Le Centaure ne veut pas mourir ; la flêche qui l'a blessé est à côté de lui, Pénélope reprisera son passé avec du fil de fer, il ne meurt pas, il est métamorphosé en lapin et peaufine des enluminures dans la nuit.

"Mollesses et ingratitudes dominent."

Avec de grandes connaissances, nous resterons sans avenir. Un homme à tête grise, un bracelet à la cheville se heurte à des entraves insurmontables. Un chasseur sans gibier. Un ami joue au frère. C'est un personnage de malheur, nul succès ne peut l'atteindre. Le jour vient. Le même journal est distribué à tout le monde. Cupidon décochera quelques flêches avec plus ou moins de force dès qu'il en recevra le signal. Une femme recouvre la ville du regard bleu de l'amour insensé, visage de la douleur, garder l'honneur est favorable. Le monstre typhonien armé d'un trident renverse une région dans un pays très loin. Une manivelle donne le branle. On parle du retour d'un nuage de cendres. Etc...

  

Photo : Un crépuscule sur "Le répit de l'Agriculteur", sculpture créee par l'artiste Jules Pandariès (1862-1933), photographiée un soir d'orage, entre le cours Emile Zola et l'Avenue Henri Barbusse, dans le quartier des Gratte Ciel à Villeurbanne.

 

Photo : © Frb 2011.

mardi, 10 mai 2011

Cependant

Me retournant sur la plage
Même les traces de mes pas
ont disparu

ISSA,  "Et pourtant, et pourtant", (1), éditions Moundarren 1991.

night parc.JPGRien de quoi s'accrocher. Trop de volonté, si peu naturelle, en somme. Il faudra bien laisser couler ce qu'il reste de temps hors du monde. Entre le printemps et l'été, il y aura une cinquième saison, comme le nouvel an au Japon. Une saison des pluies, la mousson, des mélodies pour cordes en terrain gadouilleux, ce sera aussi un no man's land. On entrera en barbarie avec soi, juste avant le règne des fleurs. On cherchera son pays hors des corps familiers, un passage au milieu des autres entre les saules et les broutilles. On s'arrêtera là. On ira trouver les saisons, la sixième, la septième, celle du quatrième monde, retraverser ces temps où les hommes et les animaux parlaient le même langage jusqu'à en éblouir la nuit.

Des étoiles s'allument nous allument nous éteignent. Voici l'écho au chapitre de l'illusion ; un coucher sans soleil sur le lac, poumon liquide gris bleu; où hier, d'anciens marécages servaient d'exutoire au fleuve Rhône. Sous le lac, peut être enfouie, une tête de Christ en or. Plus loin, l'île des cygnes, un monument aux morts de la guerre de 14-18. Et là bas, le long des berges, on voit des bancs, des barques, des amants enlacés sous les arbres. L'importance des petits insectes aux ailes translucides nous feraient oublier les grands hommes qui oeuvrent en secret au contenu des bibliothèques de demain. On deviendra épisodique, épiphénomènal, épis, épi, fil blanc d'un verset de sutra (du lotus du diamant, ou de l'arbre), pour l'oubli, le renouvellement. On rejoindra son ermitage entre les sauges, sur un caillou. On sera dans la soustraction, délesté pour un bref instant de tout ce qui nous appartient, nous retient, nous posséde. Une illusion à tête humaine, la bouche en peau de banane, fera le zouave en équilibre entre l'eau et la barque.

Ce qui peine peut mourir encore. Rien de quoi s'accrocher de manière permanente, brièveté maximale, un au-delà flottant, à peine indifférent mené par sa balade, dans cette espèce de deshérence on regardera les oies sauvages et les canetons, s'écraser sur les flots. On goûtera, comme nous l'ont appris les peintres ou le marchand de cartes postales, on goûtera ce coucher de soleil sans soleil, après quoi de ce jour il ne restera rien.

"Une bulle dans un nuage de thé", un rêve de sons retournant le sol en tous sens, l'absence de temps qui passe de temps qui vient, l'absence des temps du souvenir, un cendrier rond peu profond frôlé par les volutes et les petits papiers qu'on déchire, numéros de téléphone, des notes d'une musique expirée, fêtes galantes, onctuosités, harmonie du soir au lac miniature, une plage immense près d'un gigantesque cendrier rempli à ras bord d'une eau pure... Par temps clair on y voit flotter deux belles grues griffées de lettres et de ratures, elles ont l'air bête, elles nous ressemblent. Déjà pliées, t'en souviens-tu ? Joies de l'origami.

 

Nota (1) : Kobayashi ISSA (1763-1828), nom de plume ISSA (signifiant "Tasse-de-thé") est un poète japonais de la fin de la période Edo, auteur d'environ 20 000 Haïkus, il en a aussi modernisé la forme et le propos, avec subtilité, il est (à mon sens) l'un des plus grands avec BASHÔ, BUSON l'un des plus fins. Vous pouvez visiter les liens ci-dessous, ses poèmes sont absolument à découvrir. 

 

http://www.arfuyen.fr/html/ficheauteur.asp?id_aut=1058

http://nekojita.free.fr/NIHON/ISSA.html

http://haikuguy.com/issa/

 

Photo : Le lac du Parc de la Tête d'Or à Lyon, aux alentours de vingt et une heure, (et son ours vert endormi), photographié, au mois de Mai, juste après la pluie.

 

Frb © 2011

mercredi, 30 mars 2011

Nid d'amour

L’amour est patient, il est plein de bonté ; l’amour n’est point envieux ; l’amour ne se vante point, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne périra jamais.

Extrait de la lettre de ST PAUL aux Corinthiens, chap. 13

Parfois quand on ouvre la fenêtre, on entend une petite musique... nid d'amour,nouvelle,couple,illusions,amour,maison,façade,vivre ensemble,concierge,madame grenada,monsieur chandon,murielle,humanités,curiosité,infidélités,intrusions,histoire d'a,jalousie,fidélité,cachotteries

.J'ai vécu là, plusieurs années, je connais tout par coeur, derrière ces fenêtres, pour moi, pas de secret. Je connais tous les locataires. Il y en a beaucoup, trois par palier sur cinq étages, au rez de chaussée il y a les concierges Monsieur et madame Grenada. Madame surtout qui s'occupe du bon fonctionnement de l'immeuble. Chaque année pour jour de l'an avec Murielle, on lui donne une petite étrenne, avec un mot gentil: "Puisse cette nouvelle année vous être favorable, chère madame Grenada, ainsi qu'à votre époux". Quand j'y pense ! Ils savent tout. Même plus que ce que nous supposons savoir nous-mêmes sur nos propres allées et venues, enfin "propres"... Comme lorsque Muriel reçût ce monsieur, tandis que j'étais en voyage d'affaire. Tous les jours le monsieur venait, à 5h00 de l'après midi, il restait jusqu'à 7H00 (du soir). c'est comme ça que j'appris l'existence du monsieur, par Madame Grenada, le jour même de mon retour, le dernier. Elle me dit l'air de ne pas y penser "Bien contente de vous retrouver monsieur Chandon, enfin votre dame, n'était pas trop toute seule, votre frère est venue lui tenir compagnie tous les après midi entre 5 et 7 heures" ... "Ah bon ? Mon frère ?" Et madame Grenada prenant l'air gêné de la confidente qui s'en veut d'avoir trop parlé, (non sans éprouver cette satisfaction de méchanceté intérieure qui sied tant aux vilaines personnes). -"Ah ? Ce n'est pas votre frère ? Comme il vous ressemblait, j'ai pensé que...". Alors je bredouillais  -"Mais si ! bien sûr que si ! c'est mon frère ! Madame Grenada, mon frère jumeau, même ! c'est vrai que je n'aime pas savoir Murielle toute seule quand je pars en voyage, mais de là à ce que mon frère passe tous les jours ! il est vraiment serviable, j'en suis presque gêné, en même temps, vous m'en trouvez si agréablement surpris" - "en tout cas..." - (crût-elle bon d'ajouter) - Madame Grenada ponctuait souvent la conversation par cette expression - "en tout cas" - qui permet de dériver à peu près sur tous les sujets, "... Votre frère, il a bien veillé sur elle". Cette dernière phrase me glaça. Qu'est ce qu'elle voulait dire au juste par "il a bien veillé sur elle" ? J'étais furieux. Il me semblait que si je ne montais pas en quatrième vitesse, tout de suite, là, urgemment, tous les étages qui me séparaient de Murielle, j'allais faire subir à cette femme un de ces sorts qui la priverait de ses cordes vocales pour toujours. Les doigts me démangeaient. J'essayais de prendre congé poliment. "Bon, madame Grenada, ce n'est pas le tout, je vais monter. Murielle m'attend." Et pour faire bonne figure je rajoutais un léger point qui me parût fort malin, pour me défaire de cette conversation qui aurait fini comme toujours sur la météo, et la maladie de coeur de son mari : "Madame Grenada, dites moi, euh... comme j'arrive à l'instant je ne suis pas encore passé chez mon frère, il n'aurait pas laissé un petit mot pour moi, par hasard ?". Qu'allais je donc inventer ? C'était lâche et absurde ! le ton n'y était pas, mais allons ! tant qu'à faire ! Et si cette pauvre femme avait su combien j'avais souffert d'être fils unique, elle en aurait rajouté, alors bon, il valait mieux enfoncer le clou, valider copieusement l'existence de ce frère qui m'avait jadis tant manqué, dissiper tout malentendu, en finir et monter. Ensuite, j'aurais ouvert la porte, notre porte d'entrée. Dans notre long couloir, je t'aurais vue, Murielle, radieuse comme à chacun de mes retours. Murielle, je t'aurais embrassée et puis je t'aurais dit, "Murielle, il faut que je te parle, Murielle, c'est important, il faut qu'on parle tous les deux, là, maintenant !". Et Muriel m'aurait écouté, elle aurait ri de mes soupçons, elle m'aurait rassuré. Muriel elle aime bien quand je suis inquiet, elle me rassure, elle me passe la main dans les cheveux, elle m'appelle "son chouchou", ça m'apporte une certaine stabilité même au bureau, quand j'ai des inquiétudes, il suffit que je pense à Muriel, à notre nid douillet, et je suis moins nerveux. A chaque retour de déplacements, c'est plus fort que moi je crains le pire. "Et si Muriel rencontrait quelqu'un d'autre ?"... Quand j'y pense, j'en souffre horriblement, moralement, physiquement, j'ai des crampes d'estomac, les mains qui brûlent. Rien que d'imaginer Murielle dînant au restaurant avec un autre, me rend fou, oui, je sais, je suis jaloux. Mais Murielle elle est pas comme les autres, elle est fidèle, elle me connaît, elle sait apaiser mes tourments, depuis le temps ! je la connais aussi très bien de mon côté, je suis un homme chanceux. C'est incroyable, tout ce qu'il y a d'harmonie entre nous. C'est quelquechose d'unique. Elle me devine, souvent, elle anticipe. Murielle, elle m'aime sans conditions. Quand j'ai peur, elle le voit tout de suite. Elle rigole, elle me dit :" oh Chouchou ! tu es jaloux ! il est jaloux ! il a peur que je m'en aille, mais ça c'est trop mignon, je t'aime trop, mon chouchou !"... Sauf que Madame Grenada me répondit qu'effectivement, mon frère avait laissé un mot pour moi, et même une grande enveloppe qu'elle me tendit avec un de ses sourires beaucoup trop attendri pour être honnête. "Enfin, je ne sais pas si c'est votre frère qui a écrit, mais il y a une lettre à l'intérieur...". Je tatais docilement... Il y avait bien une lettre à l'intérieur. Je n'avais pas encore ouvert l'enveloppe que madame Grenada murmura d'un ton triste, si triste que j'eus envie de pleurer. "En tout cas, monsieur Chandon, on va bien vous regretter, vous allez faire un sacré vide dans cette maison". Je regardai longtemps cette petite femme voûtée avec son gros grain de beauté beige sur le menton, sa médaille de Sainte Vierge qui pendait au dessus de la collerette d'un corsage sur lequel étaient imprimés des coeurs bleus, ses seins énormes, ses grosses hanches, son tablier à fleurs, ses jambes maigres plantées sur d'énormes pantoufles en pilou rose bonbon. C'est la dernière image qu'il me reste de notre nid d'amour d'où je me suis enfui sans jamais avoir lu la lettre.

Photo : Nid d'Amour et plus anonymement, une jolie façade rose vue du côté de la place Carnot, au niveau du métro Ampère-Victor Hugo entre les deux incontournables gare de Perrache et Place Bellecour photographiée à la fin de l'hiver, à Lyon.

Lyon II © Frb 2011.

samedi, 12 mars 2011

Insubmersibles ?

Le premier grand cataclysme s'abattit sur la région d'Osaka à 5 heures 11, le 30 Avril. A 8 heures 03, la chaîne de montagnes Togakure explosa. Les regards du monde entier étaient fixés sur "la mort du dragon". Des dizaines d'avions appartenant à des télévisions de toutes les nationalités volaient au-dessus de l'archipel du Japon qui crachait du feu et des flammes.

 KOMATSU SAKYO : extr. "La submersion du Japon" (traduit par Masumi Shibata 1973) éditions Philippe Picquier, (coll. Picquier poche n° 128), janvier 2000.

Japan.JPGA propos du tremblement de terre du 11 Mars 2011 et du tsunami qui s'en suivit allant impitoyablement ravager les côtes de la région de Sendaï au Japon et meurtrir la population, je n'ai pu m'empêcher de songer au roman d'anticipation (très célèbre), datant de 1973, qui fît grand bruit à sa sortie et reçut même un prix. Le livre s'intitule (sans équivoque) "La submersion du Japon" il est signé Komatsu Sakyo. On ne sera guère surpris que le titre coïncide avec un drame récent, le Japon étant constamment menacé de séïsmes, l'histoire du pays si parsemée de catastrophes que même les enfants dès leur plus jeune âge sont éduqués à adopter certains comportements, face l'éventualité d'un désastre. Toute la culture japonaise est par ailleurs imprégnée de cette peur ancestrale de l'engloutissement. "La submersion du Japon" met en scène un Japon secoué par une recrudescence de tremblements de terre. Les températures deviennent anormales :

"Il avait fait si froid à la saison des pluies qu’on se serait cru en mars mais, aussitôt après, une chaleur intense apparut soudain et, ces jours derniers, on avait invariablement plus de 35°C. Des gens tombaient malades à Tokyo et à Osaka, et même certains succombaient. A cette chaleur extraordinaire s’ajoutait l’habituelle pénurie d’eau jamais résolue [...]"

Les volcans se réveillent, des fissures apparaissent au coeur des bâtiments, les secousses vont de plus en violemment accentuer la destruction. Pour ce qui est du récit même, nous suivrons au fil de ces pages, une équipe de scientifiques (géophysiciens), qui découvrent que certains îlots peu peuplés (ou pas du tout) ont complètement disparus, et pour cause ! ils ont été submergés. Les scientifiques enquêtent, plongent dans les fonds marins, et reviennent avec la conclusion, que le Japon sera englouti à très court terme. Alors que les derniers chercheurs étudient les probabilités d'une telle catastrophe, le gouvernement tente de sauver ce qui peut l'être encore. Ce scénario, déjà à l'époque, s'appuyait sur de nombreuses études scientifiques, les personnages y sont peu décrits, on ne s'attachera pas à leur psychologie, nulle intrigue spéciale ne tiendra le lecteur en haleine, aucun voyeurisme ne s'épanchera dans ce roman assez froid qui décrit des tractations entre politiciens et scientifiques, des manoeuvres secrètes, les doutes, les incrédulités, les prévisions pour évacuer la population, préserver la mémoire d'un peuple, sauver le patrimoine, l'évocation de toutes les négociations pour obtenir des territoires en Australie etc... Si le récit semble un peu traîner en longueurs, il abordait déjà des questions fort intéressantes.

- Qu'adviendrait-il si demain, le Japon (ou un autre pays) disparaissait ?

- Que deviendraient les habitants ?

- Comment procéder à l'évacuation de cent vingt millions de japonais ?

- Où les accueillerait-on ?

- Comment préserver la mémoire d'une culture si un pays se trouvait brutalement rayé de la carte et son peuple dispersé à travers le monde ?

"En dehors de cet archipel et de sa nature, de ces montagnes, de ces rivières, de ces forêts, de ces herbes... Les Japonais n'existent pas. Ils sont unis à eux. Ils ne font qu'un seul corps avec tout cela. Si cette nature délicate et les îles sont détruites et disparaissent, les Japonais n'existent plus [...]"

Les questions sont multiples et on s'apercevra qu'il n'y a pas de réponses préconçues qui tiennent, mais ce qui marque plus encore le roman, c'est "l'esprit japonais", avec le spectre omniprésent de l'engloutissement, mais aussi l'absence de figure héroïque, de sauveur se distinguant des autres par son courage (genre cow boy à l'américaine), au profit d'une action collective anonyme, l'absence de happy end, une organisation implacable. Là encore, on n'évitera pas quelque analogie avec le séïsme de 2011, devant le spectacle d'un chaos permanent, les images cataclysmiques incessantes qui pétrifient d'horreur le monde entier, le peuple japonais reste d'une dignité, qui force l'admiration, pas de pillage, pas de panique... Mais la "Submersion du Japon" n'est qu'un livre d'anticipation, qui n'a rien de si visionnaire, il possède son double sens abordant le thème du naufrage mais aussi celui du déclin du Japon, il faut le reconsidérer dans son époque, l'ouvrage a été rédigé durant la guerre froide au moment où le Japon (3ème puissance mondiale) cherchait à s'affirmer vis à vis des autres puissances. La métaphore semble assez évidente.

Dans ce récit, on ne trouvera aucun mystère : le Japon va couler. Il n'y aura aucune alternative à ce constat, (cf. le titre anglais "Japan sinks", voir également le film adapté du roman :"Nihon Chinbotsu", réalisé par Shinji Higuchi, entre autres, le best seller ayant été adapté plusieurs fois, tant au cinéma qu'en manga). On ne pourra s'empêcher de relier dans un tout autre style, le film "The day after tomorrow" de Roland Emmerich où des images s'ajusteront encore d'une façon invraisemblable à celle d'une réalité qui dépasse aujourd'hui autant la science que la fiction. Le critique (occidental) glané dans un quelconque magazine, des années 80's,  évoquant le roman de Komatsu Sakyo avait-il réellement saisi ce qu'une simple phrase (somme toute "vendeuse" et très banale) pourrait contenir d'effroi quelques années plus tard, lorsqu'il écrivait à l'époque aux lecteurs amateurs de récits de science fiction à propos de la "submersion du Japon" (je cite) : "Un best-seller pour ce livre d'anticipation" qui pourrait devenir réalité"...

 

 

Photo : Nuages de Mars. Sommes nous insubmersibles ? Question.

© Frb 2011.

dimanche, 14 novembre 2010

Plus loin

Ce texte part d'une variation antonymique du texte "Loin", que vous pouvez retrouver en cliquant sur l'image, autrement dit, une autre forme de fiction s'appuyant sur le détraquage du texte original, les procédés utilisés n'ont pas été strictement respectés, (loin s'en faut ) l'anticipation ayant pris le pas sur l'exercice de style, seule la trame narrative du texte "Loin" a servi d'ossature à ce texte "Plus loin"... (comprend qui peut :)

oxy0044.JPGElle regardait les tableaux d'une ville, les photos d'un tableau qui s'arrêtait ici même, peuplé de figures familières qu'elle semblait connaître depuis toujours. Il y avait les mêmes, ceux du désordre et du répit qui trahissaient leurs amitiés les plus récentes et ignoraient tout de la musique (des silences compliqués évoquaient la disparition, jusqu'aux silences des forêts, on avait supprimé bien sûr, l'usage des instruments à vent). Il y avait des bougies dans les chambres et des violons discrets, le programme, toutes ces cabanes en verre fumé fabriquées par les habitants et des jeux de lumière à venir, un peu sinistres. La terre ne donnait rien, sous le ciel uniforme nul ne semblait appartenir à l'univers. Il y avait des espaces inhabités à entretenir et des hommes, aucun Dieu, et pas de souvenir de ceux qui avaient précédé. Elle trouva dans le tableau le signe que des choses avaient dû exister avant. Le fleuve comme une grande mer d'huile, désolait la population, au pire, il finirait par s'assècher. Chaque vie tournait en rond dans un espace plat, horizontal, organisé par strates. Les strates servant à maintenir un climat tempéré, tout était divisé, achevé. Les strates hâtaient la mort de toute chose vouant leurs vertus à la ligne droite jusqu'à ce que survienne l'extinction .

Il y avait le monde vulgaire, les violons, les grelots, plus rarement, les banjos, cela générait chaque jour, des attroupements sur les places mais les hommes passaient rapidement, vite fatigués de ces mélodies à la mode. Elles étaient devenues trop simples pour attirer l'attention, la joie provoquée dans un premier temps, ne durait pas assez  et les grelots qui ne se mélangeaient pas à d'autres sons, étaient des signaux de cadence, utiles à la population, quoique très lancinants, à force... Parfois un orchestre, était invité et jouait des chansons accompagnées à la guitare ou au banjo, chacun pouvait assister au concert gratuitement par la grâce des écrans qu'on avait installé partout, et tout s'arrêtait là, passant avec le reste dans l'indifférence générale. L'homme désormais dépossédé de son esprit d'observation n'était plus maître de ce monde qui s'achevait lentement dans la résignation d'une majorité qui ne semblait ni contente, ni mécontente. Quand parfois, revenait le bruit, hormis les grelots qui tintaient toutes les heures, c'étaient des gémissements de vieillards égarés au milieu de la ville, ils demandaient de l'aide. Les jeunes mettaient longtemps à réagir, les vieux pouvaient rester des jours entiers, voire des semaines plantés, là au milieu du bruit, gémissant seuls, ignorés, livrés à ces flux trop rapides pour eux. Cette lenteur à réagir ne présageait plus aucun combat vraiment sérieux, pas la moindre vélléité de résister à l'extinction promise. En regardant cette cohue de petits vieux, on savait que ce n'était pas une danse macabre, mais plutôt son évitement, tout se feutrait et s'annulait dans le bruit des grelots, qui durait, puis enfin, revenait le silence imposé par des gens de bien et de bon sens qui s'occupaient à faire tourner les existences de chacun sans remous, toutes à leur avantage autour de valeurs pragmatiques, de divertissements adaptés aux besoins de chacun afin que tout le monde s'y retrouve. On les avait tous coupé de leur passé, tous ignoraient la valeur de génération, de transmission ou d'héritage, cela permettait au peuple d'aborder sans trop d'appréhension, le futur proche. Il n'était pas question de futur éloigné. Il y avait l'immobilité, qui veillait sur le bien de tous. Les êtres ne choisissaient plus grand chose. Il n'était plus permis de jouer ni de travestir à sa guise la réalité, l'art avait été mis de côté nul n'en souffrait, il suffisait de se divertir, pour cela il y avait les violons, et les grelots pouvaient remplir ce rôle, entre tout, le silence recouvrait un petit tableau qui s'arrêtait ici.

Elle, rien ne l'amusait. A la fin elle quittait sa chambre, sans même s'intéresser au devenir de son prochain qui malgré sa continuelle présence et tous les points de convergence désignés par des traits sur les places, ne lui disaient plus rien. Chacun promenait une grosse tête pleine de culture horizontale, jouait par coeur le violon devant ses maîtres aux semblants doux, attentionnés, qui en douce cultivaient la condescendance ou quelque sentiment honteux bien camouflé, laissant chacun seul à sa place. Il n'était pas permis que les rôles s'inversent. On attendait tranquillement le jour, où il n'y aurait plus rien à apprendre. Chacun dans sa vie devenait de plus en plus dépendant et maladroit pour la défendre. On imaginait qu'il y aurait dans les motivations prochaines, des cerveaux vierges de tout souvenir, attachés aux valeurs du jour, à l'effort du travail bien fait et quelques récompenses pourraient leur être attribuées, en fin d'année qu'on présenterait comme des cadeaux. On prévoyait  pour le futur proche que les corps ne bougeraient plus trop, et les esprits sans illusions, n'auraient même pas à en pâtir. Plus tard de cet effort qui tend vers le mouvement habituel et bienheureux du papier à musique, on s'arrangerait  avec les scientifiques pour que celui-ci devienne un élan naturel, tout pareil à l'inclinaison des âmes, chacun gérant son minuscule domaine, on s'occuperait  ensuite, d'apaiser ses humeurs négatives. C'était là, sur papier l'idéal, pour tenir jusqu'aux temps annoncés de l'extinction... Mais au fond, il y avait une faille. On sentait que déjà, nul ne tenait en place, tous rêvaient de débordement, du désalignement des strates, du démembrement des grelots. Les gens allaient, venaient, impavides entre des milliers de grelots, balayant le pays du nord au sud par des lignes d'organisation, le droit aux transports en commun, des assurances autos, pour les couches supérieures, l'abonnement gratuit aux revues distrayantes, hebdomataires ou mensuelles, pour les couches moyennes, la télévision sur les places assurait l'occupation du temps libre, tout autant que l'éducation manuelle et morale des couches les plus modestes.

Elle reprenait alors le livre du pays qui s'arrêtait là ; écoutait grincer dans la rue les grelots des tricycles ou le frottement des autoluges qui fermaient le jour en hiver. Des hommes remplissaient des poubelles, et c'était une grande communion, à la même heure, chacun vidant les mêmes ordures, dans des grands containers, c'était le seul moment où chacun trouvait de quoi se se relier à un autre. Le ciel était toujours parfaitement uniforme, la parole de chacun paraissait claire, compréhensible mais il n'en ressortait que des échanges de politesse gentils ou serviables, sans plus. Pour la première fois ils virent tous que la nuit n'était plus stratifiée mais dessinait un cercle, qui tournait sur lui même apportant des milliers de lettres, des paperasses ou prospectus comme tombés de la lune. Plus tard elle ne croisa pas le facteur sur son engin agrée par le centre des véhicules postaux de la Nation. L'engin pouvait se reconnaître à ses bruit de sirènes stridents comme ceux des fourgonnettes des fonctionnaires qui distribuaient toutes les bougies, le soir, dans les maisons. Pourtant elle avait bien reçu ses lettres, trop de lettres en une seule journée; elle se demanda qui les lui avait apportées. Elle crût voir là, le signe du dernier jour après quoi il n'y aurait plus d'attente possible, ce serait peut être la fin de tout, mais il n'y aurait pas de panique puisque depuis longtemps, c'est à cela qu'on les préparait.

Elle alla au centre de loisir pour ramasser les bons de loisirs qu'on lui devait, le stagiaire les distribuait toujours avec plaisir. Il aimait son métier. Elle marcha sur des strates amollies, eût presque honte de ressentir tout l'effet érogène d'un sol aussi doux sous ses pieds, les corps qui traversaient en même temps qu'elle, la grande place, d'ordinaire réservée aux fourgonnettes, ressentaient sous leurs pieds exactement le même effet. Elle entendit pour la première fois chanter ensemble l'anvette et l'aspireau. Les oiseaux n'avaient pas disparu comme on le racontait dans les livres. Et peut-être les oiseaux avaient-ils existé bien avant les grelots ? En réalité, elle n'en savait rien. Elle comprît que plus rien ne pourrait mourir désormais tel qu'on le lui avait appris dans le programme d'éducation pour filles de couche supérieure. Sous la peau il y avait un refrain qui semblait désarmer tous les êtres de l'intérieur. Partout des drôles de fleurs apparaissaient dans les esprits  et puis des fruits, comme ceux d'une vision ancienne dans un jardin où quelque chose s'était produit. Elle comprit que cette vision ouvrait sur un grand labyrinthe d'apparence merveilleux, mais il fallait se méfier, des conséquences, elle résista à la tentation d'entrer à l'intérieur, comme le faisaient les autres, elle se rendit d'abord rue de la Petite Monnaie dans les quartiers modestes, pour récupérer des papiers de grande valeur afin de partir au plus vite, cette parenthèse qu'elle devinait d'ores et déjà très brève, lui permettrait de s'exiler sur une autre planète, en offrant ses bons de loisirs, au pilote d'une fusée elle pourrait peut être dormir ce soir sur la base 7. Après quoi, elle serait en zone libre, tandis qu'elle esquissait quelque plan d'avenir, elle s'aperçût qu'elle ne se souvenait plus des calculs d'algorythmes qu'on lui avait enseigné au centre d'orientation pour décoder les numéros d'immatriculation exigés avec la signature sur des papiers qui permettent normalement de quitter son quartier en validant son code dans la machine. Impossible de rejoindre la base 7, sans doute les calculs d'algorythmes étaient  pure invention tout comme le reste, pour tous les retenir ici. Elle marcha un peu pour oublier que c'était sur la base 7 qu'on trouvait tous les livres, ceux qui disaient la vérité, la base 7 interdite, stockait les fichiers sur les origines certifiant les identités. Elle croisa des gens avec des corbeilles de fruits éclatés et juteux, d'autres soufflaient dans des ballons, mais toute cette euphorie, cette joie, malgré les expressions ravies, se faisait encore en silence. Elle s'aperçut que toutes les horloges dans la nuit s'étaient bizarrement déréglées, aucune d'elles n'indiquait l'heure exacte, et de cette horizontalité, ne subsistait que les ruines, les strates se décollaient plus rien n'était calé, plus d'heure pile, rien à sa place, pas même monsieur Jouvenot qu'elle rencontra plus loin à la place d'un autre qui devait se trouver là avant lui. Monsieur Jouvenot, assis à un autre bureau ne lui serra  même pas la main comme d'habitude, soulagée elle ne fût pas obligée de lui sourire, en retour,  telle la charte de bonne entente l'indiquait sur tous les panneaux dans les couloirs. En regardant au plafond pendre des fils, des  milliers de fils et des sphères métalliques débranchées, elle sut que l'heure était venue d'être enfin libre, de composer rapidement un nouveau paysage avec cette liberté, puis vivre. C'était l'occasion, ou jamais... Devant la débâcle imprévue au programme, on vit déserter tous les maîtres. Les gens désormais ne seraient plus surveillés. Leur joie très vive, pourtant restait encore muette.Tous auraient dû ensemble s'en réjouir depuis le temps qu'ils attendaient d'être libérés sans pouvoir se le dire à cause de ces yeux qui partout les suivaient, les dénonçaient. Ils pourraient entendre à leur guise le souffle des forêts, et puis autoriser peu à peu les instruments à vents à revenir, interdits formellement depuis que les grelots avaient pris le pouvoir sur la musique.

De retour, sans ses papiers, par le boulevard silencieux, alors qu'elle retrouvait l'espoir de faire peut être partie de l'élite, elle s'aperçut que rien n'avait changé et qu'il faudrait maintenant s'attendre à quelque chose de pire. N'ayant plus aucun maître afin de rassurer l'ensemble des habitants, chacun pour soi encore plus replié s'effrayait à présent de cet appel d'air trop vif. Dans le souvenir de l'odeur du maître, les plus forts décidèrent ensemble de bien organiser le temps qu'il leur restait à vivre. Il fût voté à l'unanimité que ce temps serait désormais employé, à réparer les caméras hypersensibles.

 



 

Photo : Plus loin c'est un petit bout de la "Tour Oxygène" drôle de nom pour une tour (c'est pas nous qu'on a trouvé ce nom), un gratte-ciel de 28 niveaux et de 115 m de haut, avec 45670 escalators ➝ (je plaisante ! voyons !), situé dans le quartier de la Part-Dieu à Lyon, inauguré il y a peu le 2 Juin 2010. Elle fait partie du projet "Oxygène" (c'est pas de Jean Michel Jarre non plus, quoique...)  elle comprend également la construction d'un centre commercial, le "cours Oxygène". Le cours "oxygène" des choses me va comme un incendie, enfin  bref le Drang Nyol dans toute sa splendeur. Photographié en hiver dans un lointain passé.© Frb 2009

lundi, 08 novembre 2010

Reflection

Je pense que si je retombais
Sur terre, je m’effriterais ;
C’est si triste et beau
C’est le tremblement d’un rêve.

DYLAN THOMAS (1914-1953) extrait du recueil : "Ce monde est mon partage et celui du démon", éditions Points. Ecouter le poète ICI

autist0078.pngA la fin tu sors épuisé de ces mondes mais quelque chose encore resplendit que tu ne sais pas. On dit que les autres voient cela quand ils te croisent. Ils ne voient qu'en deça. Tu as si longtemps fait figure d'exemple. Lassé de vivre parmi leurs compliments qui t'attachaient encore, tu as usé ton esprit à écouter, des heures entières, toutes leurs conversations, tu as fait semblant d'y participer, tu as tourné des pages de magazines de sport, de mode, ou d'actualité. Tu resservais dans les dîners, toutes les phrases que tu y lisais, "les apéritifs dinatoires" qu'ils disaient ! et puis, tu t'es lassé, tu as pris des trains, tu t'es perdu dans des villes sans jamais sortir du pays. Tu as croisé des foules enragées, des esclaves dans des défilés, ou dans des bars, tu as laissé des personnages t'arroser d'alcool fort, te renvoyer une sale image. Tu t'es fondu aux steppes, aux lacs tout bleus, tout gris, pris entre l'horreur de tes pensées et la profondeur adorable d'autres nuits. Pendant que les Dieux impuissants de tes anciennes vies essayaient de te consoler, tu as désaxé ta pensée jusqu'à t'empaler aux limites, tout raisonnable que tu étais. Tu as raccordé ton corps à ton âme. Tu as chinoisé sur quelques détails. La jalousie te revenait. Engrangeant des rixes et des drames, les beaux corps te rendaient malade. Tu as dû voyager partout, peut-être, assis sur une banquette de deuxième classe côté fenêtres, dans le dernier wagon fumeur qui existait sur terre. Tu as fumé cigarette sur cigarette, tu as rempli le cendrier, tu as traversé un domaine ni familier ni étranger, tu t'es retrouvé longtemps l'esprit entre deux paysages, des kilomètres interminables sur un viaduc qui s'effondrait, tu t'es penché par la fenêtre, la dernière fenêtre qui s'ouvrait, de ce train qui irait à la casse, après toi, après ton ultime traversée, c'était écrit d'avance, du moins à cet instant, il te fût bon de l'ignorer, ou bon d'ignorer que ce mal te serait ensuite profitable. Tu as pris la mesure des battements de ton coeur en te penchant sur les ruines du viaduc qui tremblait pendant que le train prenait de la vitesse, tu as pleuré comme un enfant submergé par l'angoisse dans une chambre sans lumière, tu as eu peur à cet instant que le viaduc ne puisse pas supporter le poids du train, ton propre poids, coupable de ce déséquilibre, tu as eu peur de regarder ta mort en face tu l'as vue et tu l'as ressentie dans ton corps pendant que ta vie entière défilait, te revenaient les images imbéciles de vacances à Romorantin, le souvenir du corsage à pois blancs d'une cousine que tu détestais. Pendant ce temps le train aura passé l'obstacle, le viaduc derrière toi sera loin, en l'oubliant il deviendra comme réparé, tu oublieras avec le temps, tu te retrouveras dans la neige, un paysage immaculé, recouvrant ta mémoire ancienne, tu rencontreras celle qui mène ta vie au degré le plus pur d'immaturité. Une source de rayonnement stellaire, un peu de sucre cristallisé semé en une infinités de manières, le grain fin de cet allègement te donnera un air souverain. Plus tard, tout seul, avec ta pelle, ton rateau, tes outils d'enfant, tu tenteras dans le sable aussi fin que la neige de construire un vrai château avec des oubliettes pour deux. Tu te dis que tous deux réfugiés dans un coin, il ne pourra rien t'arriver, elle ne saurait aisément t'échapper, tu auras jour et nuit l'oeil sur elle, et sans même savoir si elle consent à te suivre, tu iras la chercher, tu forceras sa porte, et l'emmèneras très loin. Loin de ses amis, loin de tes chaînes. Tu feras le vide autour d'elle. Tu seras épuisé peut être, mais c'est cela qui resplendit, comme si le déplacement de ces vies t'amenait à un certain flou, toi, unique au milieu de tes constructions, tu contempleras une figure, au contour estompé, marquée par un regard immense uni à ta propre terreur, aux créatures que tu inventes pour les glisser en elle, rêvées incessamment crayonnées dans la peine, comme si la netteté de toutes les expériences, la même expérience à chaque fois, devait se découper en milliers de petits lambeaux tous identiques, recousus à la perfection. Et ce don se reflète en toi, te dédouble ou te multiplie, tandis que l'autre, elle disparaît, couchée sur ta peau de chagrin.  Elle ne pourra jamais retourner d'où elle vient. Tu veilles au grain. C'est bien la seule histoire possible. Une création fabriquée  pour en rêver la vie entière qui exige en retour un très grand sacrifice humain afin d'apaiser la terreur de ce jour où tu te vis mort, englouti sous les pierres d'un viaduc, repoussé au dehors, glissant dans l'espace glissant éternellement, ton esprit dans l'espace et ton corps qu'on ramasse à la petite cuillère entre des rails, ton apaisement, tu lui donnes un autre nom, c'est l'amour, comme si tous ces souvenirs que tu couvres de fanfreluches avaient trop longtemps affamé cette histoire, plus floue dans le monde alentour, tu regardes tout cela comme un phénomène étranger à toi, un principe d'irréalité, ta vie entière est noyée d'encre, cette vague qui toujours te revient, désintègre ta réflexion ; à mesure que tu réalises  et mets à jour tes songes, tu vois grossir la peau de chagrin et tu ne peux plus arrêter cela, malgré ta volonté, ce cauchemar inversé qui condense ton amour en ce point minuscule, résumé, ou perdu au milieu d'un tapis, le dessin de plus en plus volumineux refermera l'espace, il suivra vaguement le trajet d'une ligne disparue, les arcs tendres, délabrés, d'un viaduc accroché au flanc de la montagne, mais tu as beau chercher, faire marche arrière, cela ne te rappelle rien de précis, rien que tu aies jamais connu.

 

 

 



Photo : Jeux de pluie entre deux mondes tout comme figés, le ciel à terre se transforme en peinture de fleuve ou d'autre chose. photographiés après l'ondée, dans une ruelle sinistre pas loin du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, début Novembre.© Frb 2010.

mercredi, 22 septembre 2010

L'oiseau qui cachait la forêt

 Rousignol du boys ioly
a qui la voix resonne
pour vo’ mettre hors dennuy
vostre gorge iargonne gazouille
frian frian tr tar tar tu
velici ticun tu tu
qui lara fereli fi fi
coqui oy ty trr
turri huit teo turri quibi
frian fi ti trr tycun
quio fouquet fi fi frr

 Extrait d'une chanson tirée du "Chant des oiseaux" de CLEMENT JANEQUIN

a l'éphemère.JPG


”Cela fait trois jours que je me suis installé là, au guet de tous vos faits et gestes, face à votre fenêtre, longtemps je me suis demandé si mes ailes parviendraient à m'amener jusqu'à vous, sous ce ciel bleu, qui pâlira de jour en jour et va, le soir, manger notre lumière de plus en plus tôt, avant que la nuit ne dévore la lune dans laquelle par un beau désordre croissant je me trouve quand je rêve de vous.


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Je suis revenu d'Afrique par un long vol de plus de cinquante jours, si je ne veux pas mourir de froid, cet hiver, il faudra bien que j'y retourne. Mon plumage noir ne suffit pas à me chauffer pour deux, ni à m'offrir une endurance suffisante aux pluies, aux neiges...  Ainsi devrai je choisir chaque automne, entre mourir de faim, de froid, que sais-je ? Ou redouter déjà, dans un pays lointain, de ne plus vous revoir à mon retour. Sachant vos coutumes humaines et urbaines si changeantes, la mode étant souvent chez vous de raser toutes les choses où l'on se plaît, je redouterai, à distance de retrouver mon fil arraché par les folles machines d'un dénommé John D., et je me troublerai d'avoir perdu l'observatoire sur lequel j'adorais vous parler sans rien dire, ou encore, manquerai-je cruellement de vocabulaire pour demander à un riverain de votre allée, si par hasard il connaît votre nouvelle adresse, à supposer que vous n'ayez pas changé de ville...


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En vérité, qui pourrait deviner à quel point tout cela m'est cruel ? Depuis trois jours, rue de la Tourette, j'effraie les diligences, comme si ma noirceur minuscule augurait toutes les catastrophes possibles, et cela sûrement à cause de ce cinéaste anglais qui eût tant de succès avec un film idiot destiné à nous nuire. Comme je le hais parfois ce gros bonhomme hideux. J'espère que vous ne croirez pas toutes les images qu'on vous montre ! à part les pigeons qui sont sales et stupides, nous autres les oiseaux, nous sommes peut être des créatures plus affables que vous, mine de rien.

Je me connais impatient de ce réel idiot, qui me prive de vous, "nous ne sommes pas du même monde" dites vous ? Pourtant quand je vous vois apparaître derrière votre rideau assez fin pour que je m'y projette, quand j'aperçois votre silhouette qui m'est tout, je sais qu'au delà de nos apparences, nous nous ressemblons bien tous deux, que vos rêves s'il vous poussait des ailes vous feraient peut être ange, tandis que je ne suis à vos yeux qu'une bête. Je sais que mon plumage par nos mondes rejoints, (quoique vous le contestiez), s'est enfoui tout à l'intérieur de votre âme où je respire cette noirceur du diable aussi profonde que mon habit, qui vous ferait frissonner si l'audace me prenait de me poser sur votre épaule. Je sais que vous grelottez dans le froid l'hiver, à l'attente du premier tramway tandis que sur ma branche, mes pattes tremblent aussi, quand le vent se met à souffler, vous voyez, je fais tout comme vous et chez vous c'est tout comme ici, l'hiver s'en vient envahir tout, même l'Afrique quand nos êtres se brisent à s'aimer en un point bien trop loin de l'autre. Je vous confierai davantage : si je chante si fort là bas, c'est pour que l'écho de chacune de mes vocalises revienne chaque jour attendrir votre humeur, ainsi je m'applique à battre le trille comme s'il était précédé d'une appogiature, celle qu'on trouve dans la "grande musique", et qui soutient merveilleusement l'écoute. Afin de mieux séduire votre esprit à l'affût , j'ai dû me décarcasser (si j'ose dire), à demander à monsieur Pierre BELON (mon ami garde-oiseaux au Parc de la Tête d'Or), de vous parler de ma nature et de glisser sous votre porte un manuscrit enluminé dont j'ai picoré chaque lettre pour y planter quelques graines d'euphorbes dites "diamond frost" celles ci au suc laiteux, vous reviendront en fleurs au mois d'Avril par mille blancheurs poudrées dont le parfum s'évaporera discrètement dans vos cheveux. Ainsi Pierre BELON me supplante, puisque je ne peux m'adresser directement à vous aussi bien que le fait votre vieux hibou  trop vieil époux (que j'abhorre) et dont je suis très jaloux à vos yeux, si charmant.


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Ainsi comme le veut la saison dans quelques jours je m'en irai. Savez vous, mon amie, que ces trop longs voyages font un tri effrayant entre nous ? Les plus faibles n'en reviennent jamais, je n'aurai certes pas à vos yeux la puissance du grand cormoran dont le "vol" en "V" est si spectaculaire, dont les battements d'ailes alternent avec ces vols planés que je n'ai jamais su faire, même si j'ai essayé, en vain. Non, je ne sais pas si j'aurais l'ardeur encore cette année de ne pas tomber d'épuisement au milieu de la mer. Saurez vous seulement qu'en mourrant, sur la dernière vague je poserai un baiser ? Même s'il est vain de vous soucier, je prononcerai en ces lieux, votre prénom qui dans la langue oiseau signifie "beauté éclatante".


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Et quand je reviendrai l'année prochaine, si je reviens, je glisserai dans mon bec délicat, quelques brins de ces fleurs tropicales. Je porterai moi même sur votre balcon ce paisible ornement, nommé "cassia mimosoides", une plante rare, un trésor odorant, que je déposerai à vos pieds, en gage de ma fidélité. Et cela sera pour vous tel n'importe quelles graminées ordinaires, je suppose que vous n'y verrez qu'une de ces nombreuses saletés amenées par le vent d'automne, comme la "rousse" chantée par Verlaine. Il se peut que vous chassiez vous même, cette plante à coup de balai, ignorant que des mois entiers j'ai dû traverser des déserts au risque de ma vie pour vous la dénicher. Mais cela est sans importance, tout conte fait...

Dois je pour terminer, vous prier de ne pas accorder trop de gravité aux défauts de mon caractère ? A mes plaintes que votre indifférence aura accentuées au fil de la saison et lisez sans attendre le manuscrit de monsieur Pierre qui doit à présent se trouver sous votre porte : 

(1) "Qui voudra avoir plaisir indicible aille l’esté s’asseoir sur la rive de quelque douve, où il y ait  d’infinis petits Halcyons vocals que nous nommons en françoys Rousseroles. Il n’est homme, s’il n’est du tout lourdaud qui infailliblement, s’il y prend bien garde, n’en soit rendu triste ou joyeux... D’une mesme haleine il (l’oiseau) maintient sa voix, tantost si haute qu’il n’est dessus d’instrument d’ivoyre qui y puisse monter, tantost si basse qu’il n’est dessous d’un pot cassé qui puisse descendre si bas. Entre autres, il semble quasi prononcer : toro, tret, fuis, huy, tret ; et en réitérant tel chant en diverses manières passer les nuictées sans cesser... Les païsans accoutumez de l’ouïr ont tellement retenu son chant qu’ils en ont fait des chansons si impudiques à la prononciation, qu’il ne seroit licite de les escrire... "

 

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Acceptez également avant que mes camarades de route ne viennent troubler notre précieuse intimité, (d'autant plus précieuse qu'il me semble que ce voyage sera peut-être le dernier), de vous laisser quelques uns de nos chants, c'est la dernière petite chose que je peux vous offrir, mais peut être qu'en les écoutant tous ensemble, en même temps, y trouverez vous, par un jeu d'accords mélodieux voire d'alternances à votre guise, le souffle entier d'une forêt...

Adieu, donc, espérez que je reste en vie, autant que je l'espère pour vous ; de tout coeur, à jamais.

Votre Oiseau.”

(Extrait du Journal de l'oiseau chap V, p. 68, editions "Duplon-D'Anlèle" 2010.)

Ref : (1)  Pierre BELON, Histoire de la nature des Oyseaux, Paris : Gilles Corrozet éditeur, 1555, p. 221.

Photo : Petit oiseau mélancolique sous le grand panneau des départs, ou au guet. Observatoire de la rue de la Tourette à Lyon. Septembre. © Frb 2010.

dimanche, 19 septembre 2010

From here to eternity

Et juste au moment où quelqu'un prés de moi
dit : "il est parti !"
il en est d'autres qui le voyant poindre à l'horizon
et venir vers eux s'exclament avec joie :
"Le voilà !"

 WILLIAM BLAKE  extr. "Comme un voilier"

grde rte030_2.JPGNous marchions sous la pluie avec nos vêtements sombres, le temps nous avait oubliés. la fumée qui sortait des cheminées balayait nos esprits, nous avions tous à cet instant, la certitude d'aller vers une nouvelle vie. Cela nous rendait presque fous. Nous pataugions dans des champs, écrasant de nos bottes les asters, les pétales mous des fleurs s'accrochaient sous nos pieds, les feuilles mortes, éparpillées partout, accentuaient encore l'importance que nous nous donnions. Ceux des notres qui tenaient encore debout s'imaginaient élus, mais il n'en restait plus beaucoup. Nous marchions, épuisés sous cette pluie qui n'était pas la pluie, quelque chose déversait sur nous sa poussière et quand nous regardions le ciel cela nous rappelait que le temps s'était endormi. Nous cherchions loin de chez nous une grande aventure. Nous pataugions ainsi, depuis des jours, le long des champs, il y avait aussi des glaïeuls poussés là on ne sait comment. Nous étions anxieux, en manque de tabac, de café et de livres. Et pour nous occuper nous chantions des chansons ordinaires plutôt stupides lesquelles à force d'être hurlées à tue tête nous déchiraient le coeur. Ensuite vint une plaine et des multitudes de pierres colorées, puis nous vîmes plus loin des chevaux traverser les forêts, des guerriers à tête longues légèrement balafrés ouvraient la grande route, on aurait dit une cavalerie sans cavaliers. Quand nos visions cessèrent la pluie frappait plus fort encore. Enfin nous plongeâmes dans la nuit. Mais cette nuit, ce n'était pas vraiment la nuit. Rude comme l'éclat du givre, froide comme le marbre de ces tombes que nous avions laissées au loin. Le sommeil nous effrayait nous redoutions d'être emmenés par quelque chose de pire ou encore de finir à genoux comme ceux que nous avions laissés derrière nous. Nous étions tous attachés les uns aux autres par une longue chaîne grossièrement maillée, à l'oeil nu invisible ; nous tournions affamés autour d'un cercle qui se creusait à mesure de notre ronde. Nous étions fervents et furieux, le corps couvert des piqûres de becs d'oiseaux, nous avions les mains déchirées par les barbelés des clôtures. Dans la poche chacun conservait son couteau. Nous allions purs et vifs, nos rêves étaient précis. Du haut d'une colline, des nuées d'étourneaux nous regardaient venir.

 

Photo : Quelques empreintes floconneuses aux frontières des mondes goudronnés. Photographiées de la route d'Aigueperse. Début Septembre 2010.© Frb.

jeudi, 09 septembre 2010

Moving

Rien n'est plus troublant que les mouvements incessants de ce qui semble immobile.

GILLES DELEUZE : Pourparlers. Editions de Minuit 1990

lignes.JPGLa vitesse embellit les mouvements du ciel. Le 93903, nous éloigne des terres, de cet effort tendu vers la suppression des contraires, un homme se rêve nonchalemment couché au milieu d'une voie, fixe l'effet de style d'une suite d'ours blancs, découverte ce jour même dans un strato cumulus perlucidus d'une épaisseur de 600 mètres. Les ours prennent à l'homme sa bouche pour y souffler un vent d'autan, sur des vitres pareilles à cette digue de l'Afsluitdijk. Les vitres s'auréolent, scindent l'homme dans sa buée et ce souffle l'exile, fragmente le déroulement des vies. Chaque lieu trouve une tête penchée là où les heures s'arrêtent. Les rails touchent les cieux et les reflets métallisés des portes à soufflets enrobent dans leurs plis tout ce qui pense en nous, tout ce qui n'est pas nous et qui pourtant nous "cause", pertes ou peines s'ouvrant, se refermant tel un bandonéon accordé par les Dieux. La source des sons demeure invisible, tant que celle des rouages nous capte, puis synchronise notre mémoire aux mécanismes, par le chaos des sols chargés de toutes les vibrations possibles de gris. L'homme seul se plaint de ce mélange qui le déplace avec ses secrets symphoniques. Le mélange déplace tous les hommes dans la même direction, si bien calculée qu'aucun d'entre eux ne pourra jamais modifier la trajectoire, ni fuir entre les lignes annonçant la fusion, la réconcilation inouïe des contraires. 6 892 066 633 funambules portant des chaussures à leurs pieds accomplissent l'itinéraire. 153 889 (et des poussières), glissent chaque jour, qu'on ne pourra ni relever ni retenir.

Photo : Carte des mouvements célestes photographiée, à la sortie d'une gare un peu vide (quel est son nom déjà ? Part-Dieu, pardi !). Lyon, Septembre 2010.© Frb

dimanche, 22 août 2010

Intermezzo

Subitement, un matin, j'en ai marre. Je me demande quoi, somme toute ? Un peu d'amitié ce n'est pas le diable ! je suis je crois impressionné par les déserts gris que nous traversons et par le mauvais temps qui arrive.

JEAN GIONO : "Les grands chemins"; Gallimard (1951)

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Je suis à la place du promeneur, presque gaie comme mille autres. A cet endroit du bon côté de la terre. D'ordinaire, je vis en ville sur des ponts, avec les patineurs. Peu à peu, j'ai appris à me fondre parmi les citadins. Le nombre m'indiffère. Quand je désire me fausser compagnie, je reviens au pays. La brume descend sur les demeures. Chaque jour qui décline perd des secondes de soleil. Bientôt viendront les heures d'hiver et les crépuscules orangés. Je reçois des cartes postales de dolmens, de menhirs, des Albères et du Vallespir. Des amis sont partis à pieds, chercher sur des vitraux l'empreinte de l'ancien paradis. Ils marcheront jusqu'à l'automne. J'ai reçu des nouvelles des vergers d'Amérique, du hongrois de Bretagne (?), de la fiknun' Golsone, de notre vieil Alphonse qui se morfond vers Saint Point, et de mon ami Paul, au cimetière marin. D'autres amis encore passeront par ici, à l'improviste, peut être, avant de rejoindre Paris. Pendant que les uns reviennent d'autres s'en vont. Quand les uns se retrouvent d'autres nous abandonnent. Par la maudite Golsone, ici on a trop de grenouilles, à part ça, les personnes, elles sont plutôt gentilles. C'est bête comme chou cette idée de gentilles personnes, quand on y pense. En ville, on y pense cinq minutes, on boit un verre, deux verres, etc..  Ca va, ça vient, on s'oublie, après tout. Contre la maudite Golsone, le gris berce nos routes, une table abondante, entourée de quelques uns, est bien plus chou que bête, on y revient encore. Ensuite il faut rentrer. Marcher longtemps tout seul. Diable ! on se dit "toute cette amitié manquera bien". Ici on s'empale sur le son des cloches. Dieu prend toute chose. Dieu régule les peines, Dieu est amour, Dieu est une autre haine. Le bulletin paroissial a publié trois pages sur le départ du père Panier, ils ont fait un pot au village, il y avait des grenouilles partout qui parlaient de l'humilité. Ce sont les mêmes qui chaque après midi, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, s'occupent à faire courir des bruits sur les uns et les autres. J'ai croisé Madame Jeanne Mouton revenant de sa prière. Si j'oublie de lui dire bonjour, je serai brûlée demain à l'aube. Je salue Madame Jeanne Mouton. - "Bonjour, Madame, vous allez bien ?" - "Très bien !, Et vous ?" - "Ca va ! au revoir Madame !"

Au bout de deux heures de marche, on oublie ces gens là, et on s'oublie soi même. On devient le coin de terre, la ronce à contourner. En oubliant, on se retrouve, au milieu des vaches sous des sons de cloches inoffensives qui descendent jusqu'aux hameaux où là bas des hommes passent leur journée à pêcher dans l'étang. On traverse une autre grande terre, je croise un paysan, juste un hochement de tête, suffira à  l'approbation du temps, du vent et des saisons. Je coupe à travers champs. La lumière me déplace déjà vers l'autre monde. J'arrive à ce point du pays où plus aucun obstacle ne complique l'esprit. La nuit tombe trop tôt, je n'ai pas vu l'heure. Nous changeons de pays. Le silence est de profundis. Nul ne règne en aucun pays, tout est las, mais ma joie demeure.

Photo : A travers champs, ciel et terre. Esquisse d'un crépuscule à Châtenay Sous Dun, deux heures après la pluie. Nabirosina. Août 2010.© Frb

dimanche, 08 août 2010

Pays perdu puis retrouvé

Profonde solitude
je bouge mon ombre
histoire de voir


(HOSAÏ)

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Les oiseaux volent bas, annoncent des pluies de fin d'été. Des silhouettes dérobent le soleil, visent les fleurs des champs, les exhibent, puis les plantent dans la mare d'à côté. Ainsi vont lentement les jours, pluies et soleils sur les chemins, un peu de vent dans les prés, des choses mille fois décrites mais pas exactement telles qu'elles peuvent nous saisir. Les silhouettes déambulent cherchent l'ogre aux charmes de ces lieux, la guivre maléfique, un cri d'animal brut, et la louange soufflée que le verbe exécute. Il n'y a plus de boudoirs et plus de vestibules, plus de miroirs sans tain, ni de portes dérobées. L'être humain dans l'air vif, approuve cet état nul, à peine, mais suffisant, et puis, la vacuité toujours éblouissante et encore la forêt qui veille sur les vies antérieures qui n'ont pas été enterrées. Un remuement obscur agite une terre fangeuse, le crapaud aux marais attend son vrai baiser et l'on voit quelquefois passer des promeneurs de retour d'une journée de marche, transfigurés par une clairière. Il faut bien vénérer quelquechose. Ils vont nus pieds, se piquent, sucent la sève des pins, picorent la myrtille qui roule entre leurs doigts violets. Le jour est mûr enfin, le vent fait tourner la girouette d'un clocher de village caché du côté de la Grosne revenue du Mont St Rigaud (qu'on surnomme aussi "toit du monde Rhône"). Il y a des chemins de pélerinage reliant Cluny à St Jacques de Compostelle. Et des érudits en sandales émus devant des chapiteaux datant du XIIem siècle où des monstres à corps d'homme et têtes d'animaux administrent des châtiments (on ne se lassera jamais d'admirer le plus beau d'entre tous "le châtiment du bavard", qui jalonne le pan nabirosinais de certains jours et j'espère vous ramener peut-être bientôt cette image). C'est ainsi que tout nous revient, peu importe la ligne d'arrivée. Que le sort nous épargne les grandes destinations ! les confluents, les termes. Qu'on nous laisse aux chemins, et même à la croisée. C'est ici que la vie commence tout au bord d'un ruisseau qui n'a jamais porté de nom, dans la forêt de Montrouan, près du château, ou dans un champ brumeux à l'aube. Et il faut réapprendre plusieurs fois une seule chose. Terre ou nuages, ce qu'il y a de plus personnel en nous est au dehors, jusqu'à ce que notre esprit rencontre celui des animaux et les imite. On se souvient que les grands ascètes de Syrie broutaient. Dans leur culte et pour vaincre le désert, ils broutaient comme des vaches.

Photo : Nabirosina (Allégorie) : "Un point où le réel et l'imaginaire deviendraient indiscernables...".Vue imprenable. Là bas. Août 2010. © Frb

samedi, 03 juillet 2010

Une nuit à la fenêtre...

J’ai élevé chez moi un petit cheval. Il galope dans ma chambre. C’est ma distraction.

HENRI MICHAUX "Lointain intérieur" in "Plume ; lointain intérieur" Gallimard, collection poésie 1985.

Ipara168b.jpgLes nuits d'été, sont lourdes irrespirables. Elles se succèdent toutes pareilles. Les nuits sont noires (pas autant que certains jours en nos villes mais tout de même ), les nuits sont blanches, et je les passe à la fenêtre qui m'offre une vue imprenable sur un ciel absolu, infini. Ma nature adorant le vide, je m'y noie à feuilleter mentalement  "Le Grand Livre des Pourquoi" qui fit les délices de l'enfance et me revient régulièrement de mémoire, avec ses casse tête plus ou moins chinois d'une simplicité désarmante, enfin bref, c'est un ouvrage plein de ces questions pour les moins de huit ans, auquel nul ne pourrait répondre (pas même les tricentenaires ni madame Jesétou, éminente théoricienne du grantou devant l'Eternel, pour qui un jour ou l'autre il faudra bien composer un panégyrique)... Mais je m'égare. Ceci ne sera encore qu'une modeste nota/ notte à la fenêtre d'une chambre plus petite que l'esprit qui s'y perd (quoique...), et plus grande, (si j'en crois mon cheval), que mille fois l'univers entier. Et voilà aussitôt que je me demande pourquoi le ciel est noir la nuit alors que la lune qui m'éclaire et les étoiles qui entrent dans ma chambre sont si étincellantes. Mais au même moment quelqu'un frappe à ma porte : "Qui va là ?", Une grosse voix me répond : "N'ayez crainte, c'est monsieur Heinrich Wilhelm Matthaus OLBERS ! pour vous servir !". Je n'en crois pas mes yeux, l'astronome en personne ! ce grand découvreur d'astéroïdes est venu exprès de Göttingen, sur son alezan lacté, me visiter, afin de m'expliquer grosso modo le contenu de son paradoxe, si fascinant, que je ne pourrai (dans mon immense générosité), garder cela une seconde de plus pour moi seule, ainsi je me sens investie d'une mission toute nouvelle, celle de vous présenter (grosso modo) le paradoxe de OLBERS, si toutefois il vous est encore inconnu. Ames sensibles, s'abstenir ! c'est une histoire qui finit mal.

"Le paradoxe de OLBERS est une contradiction apparente entre le fait que le ciel est noir la nuit et le fait que l'Univers était supposé statique et infini à l'époque. Si on suppose un univers infini contenant une infinité d'étoiles  uniformément réparties, alors chaque direction d'observation devrait aboutir à la surface d'une étoile. La luminosité de surface d'une étoile est indépendante de sa distance : ce qui fait qu'une étoile semblable au Soleil est moins brillante que celui-ci, c'est que l'éloignement de l'étoile fait que sa taille apparente est beaucoup plus faible. Donc, dans l'hypothèse où toute direction d'observation intercepte la surface d'une étoile, le ciel nocturne devrait être aussi brillant que la surface d'une étoile moyenne comme notre Soleil ou n'importe quelle autre étoile de notre Galaxie.

Une autre explication consiste à considérer que le milieu cosmique n'est pas parfaitement transparent, de sorte que la lumière provenant des étoiles distantes est bloquée par ce milieu non-transparent (des étoiles non-lumineuses, de la poussière ou des gaz), de sorte qu'un observateur ne peut percevoir que la lumière provenant d'une distance finie (comme dans un brouillard). Cette explication est incorrecte, car le milieu devrait s'échauffer en absorbant la lumière. Au final, il se retrouverait aussi chaud et aussi lumineux que la surface d'une étoile, ce qui pose à nouveau le paradoxe [...]

Ce paradoxe est important, une théorie cosmologique qui ne saurait pas le résoudre serait évidemment invalide. Cependant, une théorie qui résout le paradoxe n'est pas forcément valide. Après quoi tout ce qui brille nous laissera pantelants, affamés, à ras des cailloux, mais là n'est pas le plus le plus tragique.

[...] Il est clair que dans sa formulation initiale, on faisait implicitement l'hypothèse que les étoiles pouvaient briller indéfiniment. Or on sait aujourd'hui que
c'est faux et que les étoiles ont une durée de vie finie."

Grand livre du pourquoi et autre liens utiles, sûrement complèmentaires :

http://www.astrosurf.com/nezenlair/nel3/olbers.htm

http://oncle.dom.pagesperso-orange.fr/astronomie/histoire...

http://tice.education.fr/meteo/rayonn/jour_nui/html/jn01....

http://fr.wikipedia.org/wiki/Univers_observable

Photo: La nuit à ma fenêtre, ornée d'une charmante bimbeloterie lumineuse, à en frôler le haïku, mais bon cette fois ci je vous l'épargne. Lyon by night. Juillet 2010.© Frb.

mercredi, 26 mai 2010

Le poème Tang

Ecoutez là-bas sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure tout seul sur les tombeaux ;
Et maintenant remplissez ma tasse, il est temps de la vider d’un seul trait.
LI-TAÏ-PE : "La chanson du chagrin"

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Les Tang (ou Thang) montèrent sur le trône de l'an 618 de notre ère, ils s'éteignirent l'an 909. Pendant ces 289 ans, vingt empereurs se succédèrent et presque tous furent dignes de régner. La poésie des Tang se divise en quatre périodes distinctes : le début, la prospérité, le milieu et la fin. Ce phénomène, qui reflète fidèlement la naissance, la grandeur, puis le déclin de l'empire, coïncide également avec les transformations du style poétique. La Chine était à cette époque, à l'apogée de sa puissance et de son expansion. Le christianisme avait fait des progrès en ce pays. Les doctrines de CONFUCIUS et de LAO -TSEU qui officiaient depuis longtemps, n’étaient plus seules à se partager la multitude. Pendant cette période de prosélytisme, la Chine ne pouvait rester en dehors du mouvement général des esprits, le bouddhisme déjà puissant inspirait également les poètes tel SONG-TCHI-OUEN :

[…] Je suis entré profondément dans les principes de la raison sublime,
Et j’ai brisé le lien des préoccupations terrestres.

Si certaines pièces des recueils poétiques des Tang portent l'empreinte du mouvement religieux qui s'accomplissait alors en Asie. La plupart n'en donnent aucune idée, la Chine n'était pas plus bouddhiste qu'elle n'était mahométane ou chrétienne. Le scepticisme, la fusion et la confusion qui y régnaient, se lit aussi dans les poèmes Tang où souvent on remarque une absence quasi générale de croyance, y compris chez les auteurs de renom. Le plus souvent cette absence de croyance ressort dans les poèmes sous forme de souffrance ou de découragement. L'illustre THOU-FOU compare l'avenir à une mer sans horizon. Il épanche sa tristesse devant un vieux palais en ruine :

Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse ;
Je commence un chant où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps ?

Il est fréquent que le poète s'égaie comme pour chasser des idées obsédantes, la mort, l'incertitude de l'avenir, sont des thèmes récurrents ; tel cet extrait d'un poème de  LI-TAÏ-PE :

Pour moi, je m’enivre tout le jour,
Et le soir venu, je m’endors au pied des premières colonnes.

On le ressent encore plus clairement dans cet extrait, l'oeuvre se pare d'un titre sans équivoque : "La chanson du chagrin"

Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?
Cent ans au plus... Voilà le terme de la plus longue espérance.
Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.

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L'absence de toute conviction religieuse laisse un grand vague à l'âme du poète Tang, et la religion des lettrés s'inscrira finalement dans une morale très floue. C'est plus naturellement le sentiment de l'immortalité de l'âme, l'idée qu'elle pourrait exister indépendamment de l'enveloppe corporelle qui se reproduit alors sous mille formes dans les vers les plus incrédules comme s'il fallait inventer une protestation à toute cette perplexité. Tantôt l'esprit d'un homme endormi se met à voyager seul à travers l'espace, franchissant les distances au diapason de la pensée, et passant les murs d'un cachot, d'un gynécée, afin de consoler un prisonnier, de revoir quelque amante. Tantôt c'est l'âme d'un proche défunt qui est évoquée, celle d'un soldat tué qui se lamente, ou celle d'une épouse rongée par la jalousie, qui par un mouvement violent se dégage des entraves de la chair, pour voler sur les traces d'un époux en voyage et le suivre à son insu. On retrouve aussi dans tous ces poèmes des traces de légendes, de récits populaires, les aspirations vers une autre vie, et toujours le besoin d'espérer ou de croire. D'autres poèmes donnent au soldat le beau rôle. Par exemple dans les oeuvres de LI-TAÏ-PE, on découvre un poème intitulé "Le brave", une rare composition chinoise où l'homme d'épée est exalté aux dépens de l'érudit. Le soldat aura encore un rôle central dans ce poème intitulé "A cheval ! à cheval et en chasse" :

L’homme des frontières,
En toute sa vie n’ouvre pas même un livre ;
Mais il sait courir à la chasse ; il est adroit, fort et hardi.

Quand il galope il n’a plus d’ombre. Quel air superbe et dédaigneux !

THOU-FOU lui même écrira "Le recruteur", l'histoire d'un village dépeuplé par un recruteur, "Le départ des soldats et des chars de la guerre" nous conduit sur les pas d'une colonne en marche :

Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,
Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,
Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.

Les Tang savent aussi retracer la vie intime des chinois de l'époque. Tel ce poème de MONG-KAO-JEN titré, "Visite à un ami dans sa maison de campagne" :

Un ancien ami m’offre une poule et du riz.
Il m’invite à venir le voir dans sa maison des champs.

D'autres sont de véritables petits tableaux décrivant par exemple deux amis qui se donnent rendez-vous à l'automne pour regarder les fleurs. Pour d'autres, les scènes sont plus animées elles ne s'imprègnent plus de la contemplation de la nature, mais se mêlent à un banquet où le vin coule à flot. Et partout on retrouve les fleurs, indispensables à la poésie Tang.

Combien de fois nous sera-t-il donné encore de nous enivrer, comme aujourd’hui, au milieu des fleurs ?
Ce vin coûterait son pesant d’or qu’il n’en faudrait pas regretter le prix.

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Il y a aussi ces réunions dans la maison d'un ami, les dîners en plein air, les parties de montagne, la promenade solitaire qui porte à un plus haut degré, cette langueur indéfinissable particulière au peuple de Chine.

La lune surgit du milieu des pins, amenant la fraîcheur avec elle ;
Le vent qui souffle et les ruisseaux qui coulent remplissent mon oreille de sons purs.`

Et puis bien sûr, d'autres thèmes ceux-ci incontournables jalonnent la poésie Tang. L'attachement au pays natal, et les douleurs que peuvent causer une absence. Le chinois n'est pas voyageur, quand il part c'est toujours le coeur lourd et quand il se retrouve en pays étranger, rien ne le distrait du souvenir de sa terre natale :

Ne pensons qu’à l’accord harmonieux de nos luths, tandis que nous sommes réunis dans cette charmante demeure,
Je ne veux songer aux routes qui m’attendent qu’à l’heure où il faudra nous séparer [...]
Mais ces doux instants passés ensemble, hélas ! quand pourrons-nous les retrouver ?

L'exil pour le chinois, très attaché à son foyer a de cruelles amertume et l'on pense à l'immense THOU-FOU qui mourût disgrâcié comme OVIDE et qui jusqu'à son dernier jour ne cessa d'exprimer son chagrin :

Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles ;
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent et semblent ne plus s’écouler...

Source : Les notes de ce billet ont été inspirées par le travail de présentation et les traductions des poésies Tang du Marquis D'Hervey-Saint-Denys (1862)

Photos : Les brésars du Nabirosina sous le pinceau un peu chinois du Van Ki Tang, photographiés à l'orée de la très mystérieuse forêt de Bliges. Avril 2010. © Frb.

mercredi, 21 avril 2010

Ici ou là

"Nous sommes nos propres démons, nous nous expulsons de notre paradis"

GOETHE. Extr. "Les souffrances du jeune Werther". Editions Gallimard Folio classique 2003.

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Déréel (définition) :" Pensée déréelle, pensée détournée du réel et des nécessités logiques'.

Je me retire de la réalité. Je marche seule dans la foule, toute personne me paraît immobile, séparée du monde où je vis. Je traverse mon propre quartier comme si je ne l'avais jamais connu. Je vois filer mon ombre sur une vitrine telle l'ombre de quelqu'un d'autre. Je vois mes chaussures avancer sur les passages cloutés mais je ne traverse pas cette rue. Je vis sur une terre inconnue sans savoir si je vis ni où est située cette terre.

"Je chois continûment hors de moi-même, sans vertige, sans brouillard dans la précision comme si j'étais drogué. Cette magnifique nature étalée là devant moi, m'apparaît aussi glacée qu'une miniature passée au vernis" (1)

Je croise une vieille connaissance qui me parle de ses soucis. Je vis hors de ma propre écoute. Je dévisage la vieille connaissance, elle m'est complètement dérisoire. Qu'ai- je à faire avec cette personne ? Je vois ses bras qui se balancent, mais je ne sais pas si ce sont ses bras. Je crois entendre la fin de ses phrases, mais je ne sais plus où vont ces phrases, où est la fin, ni où est le début. La vieille connaissance me tutoie, je lui dis des phrases convenues, Je les dis mais ne m'entends plus. Parler à cette personne me tue.

" Je suis de trop mais double deuil, ce dont je suis exclu ne me fait pas envie"(2)

Je subis la réalité, (suprême offense), le monde m'est présenté comme un monde avec lequel je dois entretenir des rapports polis, il me faudrait trouver sympathique, celui ou celle qui me demande très gentiment de mes nouvelles. Des nouvelles de qui ? Et pourquoi ? Je ne me le demande même pas. Il me faudrait trouver drôles quelques plaisanteries de ces mêmes qui me croyant triste chercheraient à me sortir d'une tristesse qu'ils prétendent négative, à me rendre plus gaie, disent ils. De quelle humeur celui ci ou celle là voudraient ils me sortir au point que puisse me distraire ? Ni eux ni moi bien que je reste liée au monde par un fil qui ne m'est d'aucune importance, n'ont à mes yeux le sens qu'ils accordent à tout cela. Un instant peut être pourrais-je m'en exacerber mais je n'ai plus aucun langage.

"Je feuillette l'album d'un peintre que j'aime, je ne puis le faire qu'avec détachement. J'approuve cette peinture mais les images sont glacées et cela m'ennuie" (3)

Nota : Les phrases (numérotées) sont extraites de l'ouvrage de Roland BARTHES "Fragments d'un discours amoureux" dont le chapitre "Déréalité" a largerment inspiré ce billet.

Photo : Ici ou là. Juste où je ne suis pas. Nabirosina. Avril 2010. © Frb.