Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 15 décembre 2014

Passures

Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?

GEORGES PEREC, extr. L'infra-ordinaire, éditions du Seuil, 1989.

passures,georges perec,vie,corps,espace,questions,l'infra-ordinaire,passages,humanité,balade,multitude,solitude,temps,gares,époque épique,mouvement,les gens,pataphysique,créatures,décalage

cado.jpggente.jpgbarottes.jpgboulot.jpg
sal temps.jpgmodèle b.jpg
hivr gens.jpg




mov hiv a.jpgsac.jpg


Photos : des histoires, plein d'histoires, mises à sac, mises en sacs, une traversée, de rue en rue jusqu'aux ruelles en multiples passerelles à taille humaine, passages géographiques, et trajets fragmentés à travers les quartiers différents d'une ville, acteurs ou figurants pour approcher les fêtes, trop plein d'appréhension, de bonnes résolutions qu'on voudrait honorer, qui ne tiendront qu'à travers, et pas comme on voudrait, jamais aussi splendides, effondrements des rêves, choeurs des lamentations, chenilles de joies rapides, un mélange de désirs, à travers les clients, les marchands, et toute la marchandise, sa promo permanente, à travers - en travers - les élans versatiles, les renoncements, la hâte, l'alternative, la norme, le besoin de s'y plier puis de s'en échapper, la recherche du temps perdu ou retrouvé de son plaisir, désir de choses simples: des godasses et des fringues, sacs de fripes, à travers, tant qu'on peut préserver chez soi un endroit au chaud pour tout en déballer, débarder, essayer, apaiser les grands maux ou les petits bobos, le surplus excessif, les gros riens, ces sutures à travers, les paquets et les mots, en travers, l'immanence et la loi d'entropie et tous les paradigmes, à travers le plaisir de courir pour choper du nouveau avec les vieux poncifs "l'hiver et le printemps", la rue en kit chez Continent, des pays ou des gens, le printemps comme un clip qui grignote l'escargot en musique re-jouant Vivaldi sur des rythmes électro, les quatre saisons mutables comme l'espoir tourne en vice et revend de partout des sacs pendus aux mains, ces poings demi-ouverts, empaquetés, à travers un fourbi dans la tête avec des sentiments, l'amour et l'amitié, évasions en travers, les histoires qui vont vite pour se perdre dans les flux imiter la croissance des systèmes, marcher sur les bris de verre sous les lustres en plein air, faire monter les machins et les trucs, les compulsions d'achat, le harcèlement moral, le travail, les loisirs, la croissance, le coaching, l'open-space, mise à sac de l'éthique, rafraîchissement des murs que la ville peinturlure avec ceux qui voudraient que ça change, qui n'ont plus de certitude (ça commence à se voir) qui ne peuvent plus, ne veulent plus suivre, face à ces géants verts, des mots bleus de la peur qui caressent les personnes, vident les poches des petits, séduisent les lucratifs, à travers les précaires qu'on ne voit pas courir aussi vite, ça retombe loin là bas, à la périphérie, à nos pieds, à genoux sous les ponts, dans les squatts, les prières invisibles, la convivialité, le discount, les échanges, enfin le système D, le pas qui continue avec du grain, sans grain, à travers la beauté, des instituts de beauté, des ongleries américaines, du panache, des paillettes à travers l'épuisement, la loi de l'apparence qui fait foi d'existence, loi sélecte, les meilleurs s'y retrouvent, y glissent entre leurs dents ta carte bleue, avisent nos cartes-fidélité, du mot fidélité vidé avec les sacs, des gants raflant la mise du gueux qui tourne chèvre sans plus savoir pourquoi, au cercle du manège, mange sur les chevaux de bois, se sustente au snacking, voyage sur des lumières avec les ombres tristes abordant le scientisme et le trans-humanisme, à travers, l'homme fragile héritier de sa révolte impuissante, en travers les clous du passager s'égayant d'un spectacle 7J/7/24H/24, avec nous ou sans nous, avec les stars, les fils de..., la déco, packaging, la crise qui t'en fabrique de l'austérité capitale, la foi dans l'abondance, les possessions, les intimidations, la peur de perdre, cette commune hantise des déflagrations singulières, courses vite, en travers, la pauvreté, le luxe, à travers la bonté, la gentillesse, la culpabilité, l'empathie, la souffrance, et ceux qui s'en relèvent affrontant à travers leurs défis personnels : être soi, trouver sa voie, devenir vrai, au delà des pressions et du pouvoir d'achat, les hommes ont autant d'imagination que d'avenir, les marchandises s'en moquent, à travers les affiches pillant au plus profond, le peu, l'insuffisant, mesurant à chaque pas, le secret de chacun, qui devient frustration du grand nombre, toute la dynamique mise en sacs, par les stats en travers ceux qui rêvent que leurs têtes pourraient fuir les boutiques, les corps et les boutiques on ne sait pas où ça va. Si ça tire à travers les personnes ou les cibles, l'ego à travers ça, viserait qui s'entasse à travers, play to win, baraka, empochant, sacs à part, la ruine à prix d'amis par les lieux traversants, les néons, les lanternes, la surface amovible, la valse des étiquettes affichées de travers, les winners, les losers, les empires, l'univers made in Chine, les affaires, les modèles de mesure verticale, le bon sens, l'eau qui dort au prix flottant du genre moyen pressé, le crédit, le bizzness, les horaires, la monnaie, le job, le sac plastique, la vie rêvée de l'homme-sandwitch, et nous, courant derrière, la réalité mal traitée. Est ce qu'on pourra tenir ?

Passures ...

Sous silence, toutes les vies, des milliards de mémoires, que l'on ne connaîtra pas, pas un pas sans une conséquence, la dernière image pouvant être la première du billet on n'arrête pas le regret, ni le printemps, encore moins l'avenir qui commence minuscule sur les dalles gigantesques (pour nos pas de géants ?) d'un hall de gare avec une barotte à 4 roues, (pas encore connectée, ni coachée, ni livrée aux vigiles, ni vue en transparence, ouf, :) ...

Certains jours suivant au présent là où on serait passé, un instant pour les promeneurs ubiques et les autres égarés (au travers les méandres) et puis pour les perplexes de l'élasticité (du temps ? ou des conjugaisons), - pour ceux qui ne vont pas forcément en deçà - c'est à dire lorgner les dessous, l'image du jour retardera, demain tout comme hier, chaque jour, tous déjà advenus, ou peut-être pas encore, bref, pour cette histoire en cours, notre dernière image si on était couture, elle s'ouvrirait ICI ...

Où ne serait pas loué l'intrus, le symbolique intrus figurant à mon sens (relatif) toutes saisons confondues la marche difficile encore libre à travers l'espace et le temps, l'intrus qui s'approcherait au plus près de l'état de nous autres, créatures embringuées, au milieu de l'époque épique, afin de nous aider en image à essayer de répondre au plus près aux trois questions du Georges :

Où est-elle notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ? 

Héros pataphysique, l'intrus intemporel, serait l'anomalie qui fait avancer les idées, suggestion du Boris, cherchons donc cet intrus, et laissons le filer, bras ballants, sans s'occuper à s'y mesurer, dans des formes de concurrences, qui ne feront avancer aucune forme d'idée, une anomalie dans l'anomalie : ici il n'y a rien à gagner. Sauf un nid de pattes peut-être ? Des promesses, résolutions, promesses, tenues ou non. Un Soupir... 

 

Rues et gens from Lyon © Frb Dec. 2014

vendredi, 23 mai 2014

Métaphore filée

Tout ce que nous ne voyons pas est immense.

Rouletabille in "Le mystère de la chambre jaune" par G. LEROUX. 

neu.jpg

 

Adolphe essaie de cacher l'ennui que lui donne ce torrent de paroles, qui commence à moitié chemin de son domicile et qui ne trouve pas de mer où se jeter (*)

  

Nota (*) : extrait des "Petites misères de la vie conjugale" de Balzac.

 

Photo: Tout est .  

 

Aux champs © Frb 2013

20:36 | Lien permanent

dimanche, 08 décembre 2013

Winterlude # 2

Je sais qu'au Siam, en Birmanie, au Cambodge, le climat est doux en hiver.

HENRY MILLER par BRASSAÏ in "Henry Miller, rocher heureux", édition Gallimard, 1978.

winterlude 2,saisons,hiver,mouvement,égarements,balade,siam,rêverie,ballade,couleus,feuilles,forêts,voyages,royaumes,henry miller,brassaï,décalages,the other side,yodelice

grenas.jpgcontrepoint 1,saisons,hiver,balade,rêverie,ballade,couleus,feuilles,forêts,voyages,siam,royaumes,henry miller,brassaïsol.jpgcontrepoint 1,saisons,hiver,balade,rêverie,ballade,couleus,feuilles,forêts,voyages,siam,royaumes,henry miller,brassaïcontrepoint 1,saisons,hiver,balade,rêverie,ballade,couleus,feuilles,forêts,voyages,siam,royaumes,henry miller,brassaï

 

Photos : Le plus doux mouvement de l'hiver, est un petit voyage au coeur du Nabirosina pour ceux qui ne trouveraient pas le royaume de Siam sur l'autre face ...

  

Là bas. © Frb 2013.

lundi, 20 mai 2013

Une histoire sans parole (ou presque)


Hana no kage

aka no tanin wa

nakari keri

 

ISSA alias Kobayashi Issa. La traduction se trouve au terme de la balade. Si vous êtes trop pressés vous pouvez oublier le printemps et retrouver une saison (de saison), ICI. 

 

whit.jpg

pensée sauv.png

interlude silencieux (ou presque),mouvement,printemps,fleurs,haïku,issa,mai,jardin,couleurs,rose,blanc,parme,saisons,changer d'air,le peu,le presque


coit y.jpg



interlude silencieux (ou presque),mouvement,printemps,fleurs,haïku,issa,mai,jardin,couleurs,rose,blanc,parme,saisons,changer d'air,le peu,le presque


















afrer bis.jpgDSCF0005.JPG





 

 


À l’ombre des fleurs

même un parfait étranger

ne l’est déjà plus

 

 

Photo :  Le dire avec des fleurs, dans un jardin, c'est mieux...

 

 

Là bas : © Frb 2013.

mercredi, 20 février 2013

Déboussoler

Ce n'est pas aux battements de son coeur que l'on juge de l'état d'une société, mais à son pas.

R. MURRAY SCHAFER in "Le paysage sonore", éditions J.C. Lattès, 1979, réédité en 2010 aux éditions Wildproject - collection "Domaines sauvages", préfacé par L.Dandrel et J.C. Risset.

les gens.jpg

L'hiver trainait encore baladant ses ombrages, dans les salons chauffés. La foule s'exposait à la foule, la foule sortait du froid. Tout encore plus compact passait entre des portes. Tirer, pousser, monter, payer, descendre, remonter, rentrer. Nous avons fait mine de ne pas retenir ce que racontaient les journaux, ces titres dont nous parlions: la dèche et de toutes parts la dépression :

MARSEILLE. Une bouteille de gaz explose devant un restaurant

LISIEUX. Une élève de 15 ans accouche dans les toilettes du lycée

METZ. La policière avait équipé le commissariat avec une TV volée

NANTES. Il s'immole devant pôle-Emploi

Nous sommes devenus plus légers à force d'être assiégés, portés par l'affluence, et pour des histoires à venir autant d'oublis passés, à ces lueurs présentes encore l'oubli partout:

PERIGUEUX. Il vole des bonbons : 1 an de prison

LYON. Pour ne pas dormir dans la rue, une quinquagénaire handicapée, se fait condamner

ALES. le professeur volait ses élèves

etc... etc... etc...

Nous avons jeté les journaux par dessus bord, nous avons fait escale près du parc, nous avons laissé les voix dérouler quantité de paroles dont chaque émission semblait se dissoudre aussi vite, entrer dans un tissu de bruits, au passage des camions, crépitement des places, musiques électro-pop, batteries de guerres, faits divers, tranchées, oppressions, brèves saillies, mauvaises langues... Tant de bruit, raz de marées, ruts, et fuites, tant de claques, et si peu de nous préservé, nos enthousiasmes s'épuisent sur l'information scandaleuse, écrasant à mesure le peu de connaissances, et cette intimité dévoyée dans les pages, harassant un instant le vide sur les beats hypnotiques, le temps mène des troupeaux fragiles, la neige urbaine se transforme vite en boue, et cette crasse, cette drôle de crasse en nous, baladée devant les instituts de beauté. Tous les coeurs semblent à bout.

Le paysage Lo-fi qui nous entoure n'ayant jamais connu la perspective, sans doute, avons-nous depuis longtemps cédé la partition à cette musique de fond compressant les courbes dynamiques, nos pas flanchent derrière nous. La cible a calibré d'avance notre goût, nous l'avions ressenti bien avant que la rue nous pare de thermostats d'ambiance. Un défilement calme et logique prévoit l'imprévisible, nous pourrions adapter nos esprits à la dèche et à la dépression, les murs agrémentés de caméras "vidéo-surveillance", d'écrans plasma, de la musique partout, des musak nostalgiques veloutent le présent, tout allant dans le bon sens, nous admettons que cela peut servir un certain équilibre. Nul ne pourrait saisir à ce jour, le point de mire, le prix réel, les conséquences. Nos singularités peu à peu se réduisent à ces paysages uniformes. Nous avons l'air d'être là, nous formons peut-être un amas comme ces étoiles jeunes nées dans un même nuage moléculaire, qui commencent à s'éloigner progressivement les unes des autres.

Nous abordons des pistes indéchiffrables, l'esprit dans l'espace, le corps sans territoire nous goûtons simplement aux plaisirs de dilapider, la crise dans la nappe musicale peu à peu s'apprivoise, L'inanité creuse en nous docilement le manque et le besoin d'aimer. Nous tuons le temps. Nous posons nos paquets, puis ces corps qui ne semblent plus à nous et le plus tranquillement du monde, nous écoutons sous nos pieds, les tapis roulants ronronner jusqu'aux prochaines gares.

  

Photo : Fin d'hiver à pas frileux, dans une rue presque atonale au nom classique dite: "rue de la République" réduite à cet inexorable fait, la compression (ou peut-être, une idée mutilée), le ton restera atonal, un nom plus cool s'ajustera à la modernité nous dirons simplement (ou homophoniquement la ferons ouliper) mais abréger à l'ordinaire, nous dirons : "rue de la Ré".

 

Lyon © Frb 2012/13

04:09 | Lien permanent

dimanche, 07 octobre 2012

Les errances du modèle (II)

Rien ne nous advient que revêtu de notre âme : nous n'y reconnaissons qu'à la longue ce que nous avons appelé...

Joë BOUSQUET cité par les "Esprits Nomades" dans une page à découvrir intégralement  ICI.

marcher 3 - copie.JPG

Ce départ nécessite une lente préparation, un matin il se lèvera trop tard et laissera tout aller : le bol, le sucre, la petite cuillère. Les choses en cours subiront un obstacle.

Il laissera de travers, la toile cirée parfaite, avec ses fruits pêle-mêle répétés à l'identique: un raisin une pomme deux cerises au milieu des triangles, des carrés alternativement disposés en quinconce. Depuis le temps qu'il les compte, c'est une distraction coutumière au petit déjeûner, compter et recompter. Quand il aura tout compilé, il se dira que Suzanne, sa femme a des goûts de merde. Un raisin, un carré deux triangles deux cerises et la pomme entre deux, tous les jours identiques ça recommence sans bouger: un raisin un carré deux triangles deux cerises et la pomme entre deux, tellement identiques.

Ca fuit, ça se dérègle, ça altère son esprit. Il est la pomme cirée entre deux cerisiers, il est le raisin dont la colère se cache sous des figures géométriques. C'est décidé, maintenant, ce non, il peut lui obéir.

Non, il ne passera pas l'éponge pour nettoyer les miettes et ranger les mets qu'on rassemble chaque jour autour du compotier.

Non, il n'effacera pas le coulis échappé des tartines fondues de Plantafin ; et la pomme, entre deux, il ne va pas la regarder toujours comme le symbole des goûts de merde de Suzanne, elle rêvait d'une maison propre et nette comme on en voit à la télé, ça accentuait ses manies de cocooner pour l'embellie de ses fleurs de ses fruits. Il avait installé ses bases dehors, il allait et venait, une bêche à la main, sommé d'entretenir les fleurs, les fruits, le chien.

Suzanne, tous les samedis, va choisir des tissus à l'hyper du textile, depuis toujours elle porte un soin méticuleux à rajouter pour la maison, "quelques petites bricoles", comme elle dit. Il ressent la vague sensation d'une course incontrôlable, Suzanne doit éprouver un état de manque, à courir après des tapis de bains, des séries de coussins, des traversins... Rien ne lui semble assez doux pour eux. Est-ce de sa faute à lui, ce besoin impérieux qu'elle a de rajouter des objets afin de les mettre en valeur avec d'autres objets ? Ca lui donne l'impression, qu'il ne peut déjà plus trouver sa place, s'imposer parmi eux, il n'est plus maître en sa maison. Il observe Suzanne, décorer le salon il n'osera mettre un frein à cette obstination dont le perfectionnisme ne saurait endurer le moindre reproche.

Plus le temps passe, plus ça fleurit chez eux, ça fruite dans tous les coins, la couette est envahie de pommes, de noisettes, gonflant des housses assorties aux rideaux, giroflées, coquelicots, tout s'emboîte et leurs corps dans ces goûts n'apaisent plus leur faim...

C'est juré, à partir d'aujourd'hui, il n'utilisera pas la lingette au citron qui absorbe les taches de café sur le bord blanc du bol, un seul geste suffirait. Non, c'est non. Il ne respirera pas ce goût de Paic qui lui rappelle l'odeur âcre de la tarte-citron-maison du café-restaurant-snack "Croqu' vit'" où il mange tous les jours de midi quinze à midi quarante-cinq avec ses trois collègues, Barnier Chaumette et Thomasson, six mocassins, logeant des animaux sur des chaussettes, trois paires de jambes traînant des fruits sur leurs caleçons.

Il suffira de claquer la porte, d'enfiler des bottes de cow boy, un grand chapeau un fusil, tirer dans le tas, et allez boum ! ou plus simplement, dénicher des chaussures anglaises, des trotters en daim souple assez sobres. Il faut se tenir prêt, afin d'aborder l'étape nécessaire d'un ravissement qui consiste à ne pas se rendre.

Pas aujourd'hui. Et pas demain. Il faudra supprimer aussi l'obsession de survie, le loyer, les crédits, cette dépression qui n'en n'a jamais l'air, aucun signe extérieur de désordre. Une "dépression larvée", il a dit le docteur Mollon en prescrivant le Lexomil et des boîtes de Tardyferon. Le docteur Mollon, il secoue toujours sa tête piriforme quand il veut donner un conseil, il prend un air confidentiel anticipant au mieux toute forme de contestation. Il a dit en se râclant la gorge: - "vous devriez faire du jogging, monsieur Moinon, vous inscrire dans un club d'Aquagym, j'en connais un très bien sur l'avenue Blaise Cendrars juste en face du Bricomaton".

Assis au bord de la table d'examen, il songeait au poète et sa main retrouvée qui remuait le ciel, pour faire un bras d'honneur par delà les persiennes aux flots bleus du club d'Aquagym. Il faudrait bien un jour que quelqu'un le sorte de ce traquenard, ou qu'il s'y colle lui-même avec un tel cafard, il croiserait peut-être un cas de figure similaire dans un forum sur internet.

Pour l'heure il ne peut rien en dire, il longe les murs, jusqu'à la pharmacie, il creusera son trou dans la file, tirera un tiquet d'une machine pour obtenir un numéro. C'est comme à la boucherie dans les grandes pharmacies, il y a du nouveau : on prend un numéro, un pharmacien parfois se poste à côté de la machine pour réciter les numéros, le client sait alors exactement quand c'est son tour, le pharmacien ne dit plus "à qui le tour ?" Il crie juste très fort "364!" "365 !" et ainsi de suite. Il n'y a plus de chaos, 365 tours pas plus de trois minutes par client, à la sortie c'est toujours la même chose, après avoir attendu très longtemps, et payé poliment, il cherchera une poubelle, et hop ! hop ! hop ! il jetera le bromazépam dans les réceptacles à produits recyclables qui ont fini par prendre une place phénoménale dans la ville, ultime acte de bravoure après quoi la planète pourra bien endurer une ou deux explosions, son âme étirant l'étincelle, invitera les constellations à libérer les animaux qui vivent dans les chaussettes une vie pareille à la notre.

Pendant que le Docteur Mollon a essayé de lui expliquer pourquoi il fallait faire le test gratuit de dépistage du cancer du colon, en quoi cela était un acte responsable ;  lui, il sentait que l'irresponsabilité, dans son cas serait un acte d'amour inouï. Mais il ne toucherait pas un mot de la fable au Docteur Mollon quand celui-ci traquant les larves dessous la dépression, jugerait "bon" de lui prescrire un séjour d'un mois, à la maison de repos des Tanches. Lui, n'a pas osé dire qu'il  préférerait un séjour au bord d'un étang, dans une petite maison, entourée de roseaux. Il devenait peu à peu le héron.

- Moi des Tanches ? [...] moi Héron ? Mais pour qui me prend-on ?

La petite idée jouerait encore sous conditions. Il restait un tas de choses à régler. Dernier caprice en date. Suzanne voulait un chat. Un chat sur un coussin, juste pour l'affection. Il n'avait rien contre les chats, mais cette fois c'était non. La petite idée consistait à marcher vers ce non, tranquillement, sans se fâcher, sans causer aucun mal, rien qu'un non radical ouvrant le phénomène au plus grand horizon, un non, qui aurait l'apparence d'un vrai non, et qui serait, au contraire, une approbation totale au monde, sans rien en conquérir, en demandant pardon à tous les animaux.

Ca flottait comme un rêve entre le sentiment de bonté qui aurait dû faire de lui l'être le plus adoré au monde et la sensation personnelle de devenir un  vrai salaud  s'apprêtant à commettre  un acte inavouable, où l'exil balançant son pôle magnétique entre des corps étrangers infiniment plus désirables que celui de Suzanne, inaugurerait bientôt un état de transformation si brutal que ceux qui l'avaient tant aimé ne pourrait jamais pardonner.

Ce serait comme un jet de pierre, un frisson entre la peur de perdre pied et le souffle qui la délivre. Le modèle dériverait vers cette dimension où basculent tous les phénomènes, il ne laisserait que le souvenir d'une pointure taillée dans le cuir, un détail qui perdrait peu à peu son prestige, Le sol changé en petits pas grandioses, le modèle roulerait sa mécanique comme n'importe quelle machine se met à broyer les graviers les larguer derrière elle, jusqu'à ce que la route les disperse sans plus de différence. Il y aurait une étincelle juste avant l'embrasure et l'imminence de l'arrivée ne serait plus un problème pour lui.

 

A suivre ...

 

 Nota : Notre modèle devenant de plus en plus interchangeable, vous pouvez explorer ses multiples facettes en cliquant dans l'image.

 

Etat des lieux : Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coincidence, toutefois cet inventaire (ou démarque) d'objets domestiques, m'a été inspiré par une scène de rue  fascinante d'un déménagement en forme de montagne d'objets familiers représentant des années de vie, de deux personnes dont je n'ai vu que la silhouette de loin. Un aperçu de quelques minutes d'une densité presque aussi effrayante que ces objets qui nous possèdent peut-être chez nous, à l'identique, si par hasard un certain jour, il nous venait l'idée saugrenue de les entasser dans une rue...

 

Photo : Ascension du modèle croissant incognito dans la ville, une procession saisie au corps à corps, sur le grand escalier mécanique de la station Charpennes, menant à la place Charles Hernu anciennement Place de la Bascule à Villeurbanne.

 

Sortie métro  © Frb 2012

dimanche, 30 septembre 2012

Les errances du modèle (I)

Je suis vague comme la mer ; je flotte comme si je ne savais où m'arrêter.

LAO-TSEU, extr. Livre I -XX, in "Tao Tö King" (ou Tao Te king ou  Tao Teh Ching) "Le livre de la voie de la vertu", traduit par Stanislas Julien à découvrir intégralement ICI

affairist.JPG

 Il allège, il s'abrège, il marche sur les sentines embaumées d'aromates, il prend le large saute la haie une feuille de houx sur les lèvres il marche pour un appeau affine les frontières il marche entre les phares il marche à pas chassés il marche sur ses collègues.

Il marche pour des sommets, il marche sans s'arrêter un fleuve hante son geste même s'il ne paraît pas demeurer sur la rive même s'il paraît s'y perdre il marche dans un musée il part à la recherche d'un secrétaire perpétuel.

Il marche sur des falaises pour le bruit du ressac troublé de vents contraires poussé par la galerne contemple les traînières il marche sur des ressorts pour voir bouger le nerf dans les filets de pêche de cent mugilidés.

Il a dit : "je serai l'homme qui marche" qui titube et perd pied il s'éloigne il arrache ses racines les disperse autrepart il marche sur des quais par les rues encombrées sa marche est inventaire il passe entre les creux d'un lit prisant les feux ou fragmente son verre contre un cri de colère brisant les rondes aimables puis il se radoucit.

Il prend sur lui la pluie les brumes et la tempête il marche dans l'oeil pugnace qui le prend pour un autre il contourne le rire de ces foules les bourrades il marche loin de ces langues qui morcellent le jour tenant encore l'injure pour une délivrance.

Il marche fuit les truelles les engins à chenilles  vibrantes et compactées qui tourmentent l'univers l'entaillent le plissent l'emboutissent il marche jusqu'à ces temples qui cimentent le ciel avec la terre  il marche pour se défaire des torchis de leurs guerres il tourne les talons à ces pieds alignés caressant les moquettes au salon.

Il marche dans la salle à manger dans la chambre dans un hall il marche dans la cuisine à la recherche d'un paquet de chips il marche près des buvettes au milieu des canettes il marche sur les franges des rideaux d'un hôtel et sur les perles roses d'une fille menée par le tempo il marche près des massifs des jardins impériaux il porte à son blason un céleste vitrail marche dans sa lumière

Il marche pour le présent grisé par la promesse "du petit bout de chemin ensemble" il marche de la vie contre la mort pipant en travers elle avant qu'elle le reprenne il marche solitaire dans la blessure la mort de l'autre qui le fera payer courir rire et pleurer il marche sans retenir ceux qui lui portaient peine et ceux qui l'ont aimé ou l'aimeront à nouveau il marche dans sa reine sous un dôme de trois cent quatre vingt quinze mètres il marche sur des fossiles marche comme on se relève d'un sommeil troublé par des monstres aux poumons secs cousus de gueules avides transpirantes.

Il marche dans un tunnel juste après l'accident marche comme un enfant que le premier pas émerveille il marche dans un couloir entre deux infirmières.

Il marche dans la combine marche avec ceux qui règnent marche à pas d'échassiers il marche sur un autel il marche de Bellême à Couronne, dans la forêt d'Ecouves pour voir un éperon rocheux repartir aussitôt il marche pour le schiste bitumineux il marche dans la question qui tournera longtemps il marche devant tout le monde pour se poser devant un drôle de monochrome la marche pourrait cesser ici. Pourtant.

Il marche sous des voûtes gardées par une fraternité d'hommes qui doutent il marche sur des prières qui redresseraient son corps s'il les savait par coeur il marche pour fuir cela il marche une pochette en carton sous le bras jusqu'à la librairie de la rue de Belfort il marche comme un soldat au delà des fossés trop larges il marche entre les arcades d'une cité universitaire rêvant de perdre la parole marche pour disparaître voudrait réapparaître là où on ne l'attend pas il marche il aimera ses arpents plus que le soleil.

Il marche au bras des égouttiers qui ronronnent sur la ville en roulant des salives aux reflets d'arc en ciel il marche sur une route il marche comme Gulliver il marche sur des plages par les cours d'eau tranquilles foulant des coquillages, à l'affût des sirènes. Il marche pour ces naufrages qui n'en n'ont jamais l'air il marche contre l'aisance pour l'exception qui passe ne s'efface pas ne sait promettre promet effacera il marche loin des cloisons cerclées de minimoog il marche chez les pop dans les pipes et la poudre.

Il marche pour revoir les contrées que l'été n'a pas pu assécher il marche pour approcher ce qui ne peut se dire il marche sur des pays qui se détruisent dès lors qu'on les traverse il marche contre ce mot roulant dans les tranchées jusqu'aux plis de la paume qui caresse en secret des marges infrangibles.

Il marche sur l'Espagne et ses auberges tristes il marche aux côtés d'un ami insolvable et cupide il marche sur des croustines beurrées avec amour il marche dans sa meurette portant son CV d'homme-sandwitch  tourne autour d'un bordel avec des idées noires.

Il marche vers la mer crachant des étincelles tire son char jusqu'aux digues où se meurent les hétérocères il marche pour des sauteries arrangées de cocktails il marche pour le champagne il marche dans ces pailles aspirant les framboises et le jus des sanguines marche au mât de cocagne marche cherchant son île percée par des soleils empestés de furies il marche sur l'eternit marche comme la souris chassait entre les huis d'une geôle le mauvais rêve

Il marche derrière l'amour comme l'agneau s'abreuvait aux lèvres de la petite il marche dans la fontaine marche pour la rouquine qui se perd dans la foule marche pour une fausse blonde vêtue comme une tigresse marche pour une brune sympa qui tapine en Lancia il marche pour une princesse découvrant sous son pois des mires délicieuses il marche les yeux fermés il marche entre les bornes kilométriques tramant l'attaque d'un train de marchandises.

Il marche sur un passage sans ménager son âge il marche de l'impasse aux sentiers à l'aguet de la menthe du thym de l'aubépine il marche à la campagne dans la laine jonquille des épervières en cyme.

Il marche sur l'ardeur comme un faisan blessé perd ses plumes dans ces baies goûte la mûre cède au buisson entier marche sur les bouquets fanés entre les tombes s'y dore près de ce père qui lui apprenait à marcher il marche bercé par le son brut d'une locomotive dans la prospérité des fleurs des plantes des animaux il marche par ces travées pour y faire l'inventaire de ceux qui marcheront sans but il marche sur des tisons battant l'air à brûler un fourneau de miel de bleuet dans sa pipe il marche dans les billettes et les goussets d'azur il marche comme s'il pouvait marcher sur le déluge naviguer dans la terre sur des patins d'osier.

Il marche dans la tête une pointe de plomb fixée sur la verticale épurée d'un plan de monastère
, il marche sur l'histoire il marche sur ses ancêtres et tandis 
qu'il s'allège marche pour confirmer la dispersion il marche pour qui l'approche participe au mouvement céleste, ainsi le verrait-on inexplicablement marcher dans les nuages.

Il marche déjouant la durée il marche comme un page au guet des servitudes marche pour l'approbation marche chemin faisant il marche brouillant ses traces marche en petits fragments détachés parmi d'autres peut-être semblables  
il marche comme l'ange tombé hier de son balcon anônnait un chapelet de prières glossolales il marche jusqu'au péage rêvant d'épargner ses forces vitales pour marcher au delà marcher toujours encore et ne pas s'effondrer au prochain portillon.

 

 

 

 

Nota : Pour retrouver la suite des errances du modèle il suffit simplement de cliquer dans l'image.

Photo : Fragment de filatures, et autres vies modèles, le modèle en partance a été un instant saisi marchant, sur la rue penchée de la république (c'est pas complètement faux qu'elle penche la république et la rue aussi ça va ensemble peut-être) un léger flag' de fugue aux heures hyper-pointées, Le modèle est un poème-fleuve, il ne faudra pas l'oublier si d'aventure vous en suiviez un quelquepart il vous mènerait à coup sûr au pays qui ne s'arrête jamais. CQFD...

 

Lyon-Presqu'île © Frb

mercredi, 01 août 2012

Volets vers...

CHAMELET : département : Rhône, code postal : 69620, population : 690 Habitants,  Altitude : 337 mètres,  superficie : 14.77 km2 ou 14, 50 (tout dépend les sources)...


chamelet gare.jpg

Chamelet-Village, ce nom résonne comme un bon cru. Les habitants y sont nommés  les Chamelois et Chameloises. C'est un lieu fortifié aux charmes qu'aucun adjectif ne saurait décrire, ce qui tombe bien parce que je n'ai rien vu et comme toujours je dirai tout, pour quelque fantaisie qui hante l'esprit du pérégrin dans ses égarements, à ce passage rapide de la correspondance en ces villes ou bourgades dont on ne parle jamais dans les livres, quand deux minutes suffisent  à rallonger le temps, pour glisser des images et un tas d'impressions plus ou moins pédagogiques. On peut lire à son rythme... je remercie vivement Michèle Pambrun d'avoir inspiré cette exploration, (certes, approximative), en m'invitant via une récente correspondance ici même, à retrouver l'oeuvre de Pierre Bayard dont un livre particulier s'accorde semble-t-il au thème de cette page ; à cette question qui obnubile également certains jours, une tentation de déplacements légèrement improbables : "Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?".

chamelet.jpg

Ainsi, sans bouger du train bleu aux banquettes confortables, j'ai pu visiter à travers l'espace-temps, par les reflets d'une fenêtre passée dans une autre fenêtre, l'ancienne place forte des sires de Beaujeu, jadis un centre de tissage et de blanchisseries de toiles. J'ai remarqué les halles en bois du XVIème siècle et un donjon carré également du XVIem, tout cela admirable. Ensuite, je me suis dirigée jusqu'à l'ancien relais de poste puis, croisant là, le Marquis de Chalosset, il m'invita à boire un cruchon de beaujolais au Château (de Chalosset évidemment). Son cousin Gervais de Vaurion jouait là au tric-trac, comme cela est courant à Chamelet en été, (j'en profite pour vous montrer le tableau de Le Nain où le Comte Gervais de Vaurion figure avec son chapeau à plumes qu'il ne quitte jamais, bref, Monsieur le Comte me montra les vestiges du château de Vaurion, ce fût un moment agréable. Ensuite nous allâmes à l'église contempler des vitraux d'une finesse remarquable datant du XVème siècle, et dans le foin nous nous roulâmes, bénis par les ombrages d'une petite chapelle arborée. Profitant ardemment de quelques secondes encore vastes, après avoir vu la maison natale de l'illustre ingénieur hydrolicien, le Baron Gaspard de Prony, dont le nom est inscrit sur la tour Eiffel,  et dans une rue du 17 em arrondissement de Paris, je batifolais un instant avec un ou deux chamelois, chameloises entre la vigne, les pâturages et la forêt. Mais il ne fallait pas traîner, comme on dit "le train n'attend pas le nombre des années" bien que le temps échappât et que j'y fus installée, (dans le train et ce temps étrangement envolés), douillettement calée et galopant par des forces cosmiques assez inexplicables, impatiente de visiter les pierres dorées des édifices, de battre la campagne jusqu'aux coins les plus reculés de Chamelet, tout en savourant la mollesse de somnoler au frais, vautrée comme tout  passager qui se respecte les pieds posés sur la banquette d'en face. Ceux qui ont fréquenté ce genre d'expérience, sauront que deux minutes suffisent à s'abstraire totalement, pour toucher l'insoucieuse déréalité insufflée par le bruit d'une locomotive à l'arrêt. On se retrouve alors comme rien, étranger à soi-même, hors temps si loin du monde et des êtres continuent à courir dans les villes vers toutes sortes d'objectifs dont la quadrature obstinée nous paraît soudain incompréhensible. Ce n'est qu'une impression, produit trompeur de l'oisiveté qui peut parfois revêtir, (gare ! gare ! c'est un piège !) les mêmes certitudes que la vérité la plus sûre. Moralité: Méfions nous de nos impressions...

chamelet gare poème visuel.jpg

La locomotive toussotant un peu au démarrage, j'y gagnais trente secondes de vitesse hyper lente (qui n'est plus de la vitesse mais une lenteur peut-être plus rapide que la lenteur ordinaire, tout cela difficile à mesurer précisément) puis après avoir exploré de fond en comble, Chamelet, ses alentours, (sans jamais bouger de mon fauteuil, là, j'insiste) je me suis aperçue (avec stupéfaction) que ce qu'on ne mentionne jamais quand on évoque le village de Chamelet c'est le lieu fou de la maisonnette laquelle, très curieusement a pris le nom de gare. A cet endroit qui devient aussi un instant magique, on peut, durant deux minutes s'égarer et le reste s'évase. Ainsi, en contemplant ces discrets joyaux villageois par les fenêtres de la maison du chef de gare, là où s'arrête la modernité, je dus encore me réjouir d'un léger réenchantement des lieux, dans la briéveté du temps qui passe et ne passe pas, devant ces beaux lettrages rouges qu'on croyait disparus, et je vanterai en passant, les bienfaits visuels et spirituels des volets verts, ainsi que la bonté intrinséque des rideaux dits "bonne femme", que l'on glane à des prix imbattables à Lyon, chaque mardi au marché de la colline (qui travaille), on n'exaltera jamais assez l'esthétique de la bonne franquette qui adoucit les moeurs autant que les vins de l'Azergue mettent le palais en sympathie avec la terre... Malgré l'annonce des deux minutes, d'arrêt, (en fait, d'annonce il n'y a pas, c'est au voyageur de faire le calcul et comme le temps moderne est arrêté ce n'est pas mince affaire, à cette heure du départ), il faut être matheux pour demeurer d'équerre sur les rails enfumescents "que nos rêves enfumaient", c'est de L'Emile...  Paisible, je suis restée, à Chamelet, deux minutes égales à longtemps, admettons que ce soit une imitation fort bien faite de l'éternité que je pris pour la vraie, collée à toutes les fenêtres, (ubiquité oblige), sans m'y pencher bien qu'étant fort tentée comme au temps de la lison où l'on pouvait ouvrir à volonté autant que refermer ou tomber de l'autre côté, pour un instant d'inattention,  et mourir dans une cotonnade anthracite, (à lire absolument "les périls colossaux" du philosophe cascadeur, Italien E.P. Sporgersi). Ne pouvant pas entrer le corps dans Chamelet entier (certains détracteurs de Sporgersi ayant cher payé de provoquer l'auteur sur ses mouvants territoires), près de ce quai à trente secondes de ce coup de sifflet d'un chef de gare du genre homme invisible, je voyageais encore dans l'air conditionné d'un wagon de deuxième aussi frais que le petit train des gentianes et après réflexion, je décidais de vous glisser quelques images de l'atmosphère inimitable de Chamelet-gare: une fenêtre par minute...  déjà le train nous presse, mais rien ne sert de courir, en soufflant sur une plume par le vent mythomane, l'oiseau vogueur pourra conduire, éconduire le lecteur de Chamelet à Kharbine en tirant légèrement sur les rails avec ses ailes comme sur un élastique jusqu'à l'oubli certain de nos destinations.

 

 

 

 

 

Nota : Pour voir toujours plus grand, il est recommandé de cliquer sur les images. Pour le titre assez lacunaire vous pouvez complèter ...

Photos : Dans l'ombre d'un train, des fenêtres, les derniers volets vers... peut être. Quelques vues. Tout est là ou plus sûrement ailleurs...

 

Chamelet © Frb 2012

vendredi, 18 mai 2012

Deux petites valses

Matin de printemps
mon ombre aussi
déborde de vie

ISSA

tree mars.jpg

spring.jpg

 

J'emprunte à KOBAYASHI ISSA (grand maître de haïku), ce petit air de valse, l'ouverture du printemps glissera la ritournelle dans nos incertains jours...

ISSA, comme vous et moi, ne sût rien du cheminement de ses jours mais quand la poésie chanta sans lassitude que tout était néant, passage, silence, ISSA, d'un léger trait de plume ajouta "cependant"...

 


podcast

 

 

Photos : Là-bas. Le printemps a du retard, en cette mousson de Mai, entre deux jours de pluie et de brumes, j'ai pu saisir une accalmie avec juste le vent floutant un peu les arbres... Une petite carte postale, d'ici et de partout - en cliquant sur l'image - vous retrouverez d'autres balades de printemps, notamment aux jardins japonais et d'ailleurs...

Music : Chenard Walcker "Quand je tombe des nids" extr. de l'album "l'âne vétu de la peau de lion" (2002)

© Frb 2012

mercredi, 09 mai 2012

Un peu froissé

un peu froissé ! photographie,tapis rouge,invitation,pascale dufraisse,exit,triturations,mouvement,froissements,petits papiers,élections présidentielles 2012,deuxième tour,dimanche 6 mai 2012,équilibre,art contemporain sauvage,nouveau monde,soulagement,contempler

 

Merci à Pascale Dufraisse qui m'a aimablement envoyé cette photo, prise le Dimanche 6 Mai 2012 à .... Chut !

Le froissé presque audible touchant à la perfection, je vous laisse  contempler...

vendredi, 02 mars 2012

Impression de voyage

Nous vivons bien à l'aise, chacun dans son absurdité, comme poissons dans l'eau, et nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de stupidités l'existence d'une personne raisonnable. Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes.

PAUL VALERY : extr. "Monsieur Teste", L'imaginaire/ Gallimard 1946.

flou train.JPG

Comme s'il fallait toujours s'éloigner de ce qui fût trop proche, comme s'il fallait ne se fier qu'à la captation d'un mouvement qui prend de la vitesse, pour s'imaginer autre, le mouvement devenu l'unique réalité étrangement saisissable, portant au plus haut point la curiosité et la capacité d'attention, abolirait progressivement les dimensions de l'existence personnelle, effaçant les événements à mesure que la mémoire s'appliquerait à les convoquer. Du moins, est-ce un souhait trop difficile à énoncer, tant il paraît aussi léger qu'un rêve. Un état où il serait en même temps possible d'accepter la destruction de sa propre histoire, et l'idée de n'en rien rejeter, se relier à l'inconcevable détachement né d'un attachement véritable autant qu'il deviendrait possible de regarder sans fureur les déflagrations qui ont entaché ce souvenir. Infiltrer en soi le présent plus entier qu'au coeur d'aucune autre conversation, bercé par le coton des voyages, entre une destination épuisée et le point d'ancrage encore vierge où l'on irait sans doute, tôt ou tard, s'attacher de la même façon qu'hier. On s'attacherait ailleurs, quoiqu'on dise, on recommence presque toujours la même histoire en tous lieux. Mais dans l'improbable lieu qui raccorde et répare, dans ce mouvement de dépossession lente, livré aux grincements étouffés, roulements rondement crissés des mécaniques, délivré de n'être à aucune place pour personne, on verrait un début de réconciliation exister entre-deux, rendu à l'anonymat idéal, parmi des issues entrevues, on se surprendrait approuvant le cours des évènements, et le voyage allégé des raisons même qui faisaient voyager pourrait enfin prendre son sens dans une parfaite vacuité, délesté du sang des regrets, des ressassements désastreux de l'intimité. A présent, on approuve, sans mesurer les heures, porté, lâché, plus présent que jamais et déjà hors-sujet. 

Photo : mouvement du 952861184 saisi entre deux gares.

© Frb 2012.

samedi, 30 juillet 2011

Petits voyages

Donc, si après mille efforts pénibles, le lecteur décrète qu'on n'a pas atteint le port, cependant il vaut mieux sombrer dans les profondeurs en cherchant avec ardeur, que flotter sur un banc de sable.

HERMAN MELVILLE, extr. "Mardi" (traduit par Charles Cestre, introduction D. Fernandez), éditions Flammarion 1990.

gare_0171.JPG

Le mouvement nous sort du danger des aveuglements de nous mêmes, les voyages portent autant conseil qu'ils nous remuent longtemps après, comme la nuit  où  nos songes font revivre les lieux oubliés, travaillent les esprits et nous allons à leur rencontre. J'ai mon billet, c'est plié en petit dans la poche, à chaque instant il me faut vérifier si je ne l'ai pas perdu. Oui, je l'ai. C'est pour l'heure un petit livre blanc, un fragment d'atlas, une cible. Je relis plusieurs fois le résumé recto-verso, avec le numéro du train, juste un "aller" au poinçon qui délivre le droit de s'éloigner, et là, pendant des minutes que j'aimerais encore ralentir, je regarde les locomotives jouer dans la pénombre. C'est un peu comme un mot d'absence, qui ira tout à l'heure glisser entre les mains d'un contrôleur, un billet simple que j'imagine quelquefois sans retour, quand je m'en vais, c'est dans l'idée que je pourrais partir toujours, ou revenir illico par le train qui suivrait, ou encore bifurquer dans la minute, s'il est possible (ah ! les correspondances !). J'ai le billet d'une loterie topographique, tant de bourgades à traverser entre ici et là bas, des forêts inconnues, hameaux sans habitant, vus d'un viaduc, on revit dans la miniature des petits toits, des petits murs, pareils aux bouts de toits, bouts de murs, du jeu de construction pour enfant. J'aime les trains lents, les anciennes Michelines, un jour je goûterai au Cevenol...

En attendant je fais les cent pas hors du hall, je m'égare un peu dans cet espèce de no man's land, le même autour de toutes les gares, je vois au loin des hôtels malheureux, des entrepôts en ruines, des magasins aux enseignes borgnes et puis les lignes bleues qui vont dans la montagne, du côté de Ste Foy-Lès-Lyon plus loin, jusqu'aux Monts d'Or, une illusion d'optique, la musique de "La vie de Cocagne", (merci Zoë !), la ligne bleue des Vosges, une cabane où des gars scient du bois, où des filles font des tartes aux pommes. C'est l'heure indescriptible de l'entretemps à n'être plus qu'un interlude entre deux voies. Sentiment agréable d'honorer la vie sur un banc, le compromis accepterait de céder tout aux mondes flottants, quand fatigué des profondeurs, on déciderait d'un errement en surface afin d'oublier, (un instant), la belle citation de Melville (sorry, Herman, on a dit "un instant") ; un banc de bois sous une rangée métronomique d'horloges hautes perchées, nids de coucous soudés comme des lampes aux plafonds, on fixerait l'incessant clignotement des diodes on serait à l'affût d'autres cliquetis métalliques de source invisible.

Il est 17H44, il me reste quinze minutes avant le départ sur quai A. Ces quinze minutes dureront le temps qu'on les désire, elles paresseront parallèlement dans cette vague perception atemporelle qui tient la page de tous les autres livres. J'ai mon billet, c'est d'un contentement bête. Assise sur un banc, à coté de nombreux voyageurs qui lisent, fouillent dans leurs sacs, ou picorent des Smarties, je dessine machinalement des rectangles sur le modèle d'un wagon de marchandises arrêté juste en bas, j'attache les rectangles avec quelques trombones (tombés d'une boîte trouvée hier, dans le funiculaire), je bricole machinalement des petits bonhommes en tiquets de métro pliés, que je déchire, pour leur fabriquer (grosso-modo) des jambes et des bras. Machinalement, je tue le temps, sans vraiment savoir que je bricole. Mais en gribouillant mon bonhomme, le corps ici, la tête ailleurs, j'imagine en même temps, que j'entre en rotation sur le manège de Petit Pierre dans cette fabuloserie ignorée des grands voyageurs : un joyau en orbite absorbe l'univers, dans la lune, sur la terre, révèlant la huitième merveille d'un monde aux enchantements-rois. Le cercle magique des ferrailles flotte dans l'air qui va loco loco nimber de valses folles les débris reconstruits pour faire tourner la terre sur des boîtes de conserve et le plus étonnant c'est qu'elle tourne merveilleusement...

Petit Pierre en gardant ses vaches fabriquait des cyclistes, des avions, des charrettes, des petits trains et puis il ajouta des boulons aux petits voyages extraordinaires qu'il faisait dans sa tête...

Regardez, c'est divin.


 Lien divin : http://www.fabuloserie.com/#

Nota 1 : la réfutation d'une citation de H. Melville ne durera que le temps d'un petit voyage (réfutation it is not a répudiation, j'ai précisé, j'insiste).

Nota 2 : pour ceux qui aiment les images, (bonus d'été) il y a un Delvaux-garissime à cliquer sous notre photo (voir plus haut ↑).

Photo  :  Gare de Perrache (Lyon) et ses alentours, vus de la grande allée de la gare, fin Juillet, cette année.

© Frb 2011

samedi, 28 mai 2011

Trains de vies

Crains qu'un jour, un train ne t'émeuve plus.

GUILLAUME APOLLINAIRE

train ter W.jpgC'est un vaste atelier où le soleil entre à plein tube éclairant sous toutes les coutures des sièges bleus, des bagages en tissus, des valises, des valises... Des étuis de toutes sortes et des livres dont les pages nous détournent du but, suivent un autre mouvement. Quelques branches fouettent la vitre, de l'autre côté, passent des archives architecturales d'un autre temps ; perdues entre les fougères les usines"Radielec", renaissent et l'on vit un instant dans des villas en ruine sous des vieux parasols qui pourrissent doucement près des hangars. Sur des tablettes il y a partout des petits ordinateurs intéressants et des gens qui voyagent encore dans le voyage. C'est comme les poupées russes, une mise en abyme, un film dans le film. Tout peut se lire, s'écrire, c'est l'histoire qui déroule des choses plus ou moins vraies, nous inspire la certitude que rien n'est à sa place. On voyage pour n'être personne, se détacher ou pour la mutation des sentiments, jusqu'à rejoindre là bas, quelqu'un qui nous attend sur un quai, dans une gare paumée, un être aimé, c'est rassurant, à la fin, on ne sait pas si on saurait le reconnaître parmi les autres comme lui, qui viennent pour chercher, chercher qui ? Arriverait-on indifférent ? Plus indécis, à force de goûter ce temps à tuer comme plus vrai que le temps à remplir. Arriverait-on plus enclin à aimer ? Entre les deux, c'est l'impatience, un jeu versatile, de hors lieu en hors lieu, des points de suspension, entre un point A et B  on devient autre chose, nous ne sommes plus des gens. Une effusion géographique trouble nos attachements, il en vient d'autres plus amènes, nous sommes cette vitesse qui ronge lentement l'affectif, dénoue l'ordre chronologique, nous sommes l'effacement et le temps subjectif est notre possession, comme le vide, l'oubli des origines quand l'origine partout pourrait être la notre.

Je me suis reconnue, en ce point minuscule posé sur un vallon, je me suis reconnue sur ce banc, je suis née sur un quai du côté d'Ambronay j'ai fait mes classes à St Lazare, je me suis mariée à la Brasserie du Train Bleu, je suis morte gare de la Part-Dieu, je ressucite entre St Florentin et Moisenay à la bifurcation, sur la branche Ouest de la LGV interconnexion Est, j'y puise les couleurs assez tendres de la voie C, je réinvente le déroulement du ruban magnétique qui m'attache à l'environnement, je suis un mensonge éphémère, je me vois arrivant à Kharbine, Je ne vais pas plus loin...

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Un voyage à la fois achevé, et qui tourne des pages, Blaise m'attend. Il porte mes valises, c'est charmant. à un moment, faut toujours changer d'air mais les voyages ça coûte bonbon, Barnabooth m'envoie de l'argent, une place enviée avec lui, on ne voyage qu'en première, oncle Archibald Olson Barnabooth, destinations : Florence, Saint-Marin, Venise, Trieste, Moscou, Serghievo, Saint-Petersbourg, Copenhague, et puis Londres, malgré la volonté de se fixer quelque part une bonne fois pour toutes, se fixer est insuffisant, peu importe la destination de retour, il faut repartir absolument. Se fixer serait pire qu'être enterré vivant, j'admets, qu'il me semble impensable de passer en plaisirs sédentaires, sa seule et unique existence.

Le mouvement emmènage dans la musique anecdotique, mémorise les sons, on pourrait entrevoir toutes les conversations entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, c'est une autre façon de correspondre avec son temps dans l'immédiat, je pose dans l'immédiat, toutes mes capacités futures. Sur les sièges 49 et 51 des gens parlent d'eux mêmes, ils prennent position sur la terre, des dizaines de nombrils tout comme un oeil géant guettent les destinations. C'est un vaste salon où le soleil entre à plein tube éclairant des peaux blanches, des peaux brunes, des yeux verts, sombres ou bleus. Des vies entièrement subjectives qui mutent entre les mains du conducteur de la loco, dans une situation sonore exceptionnelle, où la ferraille fait disparaître doucement les ossements, ce que nous sommes dans la lumière est malléable, nous flottons un instant. L'humanité abstraite nous tient, nous sommes l'amorce d'une bande magnétique obsolète, nous sommes les premiers habitants de l'Etude aux chemins de fer, les premiers objets d'un salon de musique qui lisent l'avenir derrière une vitre et veulent que le hasard s'emmêle, crée des noeuds dans les lignes avec la détermination de ne pas nous laisser ignorer ce qui pèse, nous sommes des tas de bidules en ut à l'heure précise qui pose le monde en équilibre entre les ponts, nous sommes un moment de renversement de la vapeur dans la machine en suspension sur un viaduc ancien comme neuf.

Cendrars et Larbaud endormis sous l'écrin de carton posé sur mes genoux, au coeur d'une page introuvable, aucun mot n'est venu fixer ce haut lieu formidable qui s'appelle "partout". Il y a des répondeurs qui tournent à vide dans les appartements. Une voix déraille, se défile : "Je ne suis pas là pour le moment ..." Nous touchons l'accès sans le mot de passe, nous allons immobiles, nous captons les remous à la base et le fantôme de Gutenberg, dans les coquilles ramassées de"La vie du rail", nous sommes la suite fantasmatique pour une voix et mille aiguillages, nous sommes les destinations qui s'épousent par hasard, fuient les ères et les aubes, confèrent aux lignes droites la souplesse des courbes, qui s'entrecroisent mais ne touchent jamais tout à fait la destination rêvée, nous fuguons avant terme, pour une correspondance puis une autre, et encore une autre ... Nous roulons sur l'enfance de l'art, avec des portefeuilles boursouflés de billets à oblitérer. Nous sommes la mer et la montagne sifflées par le même chef de gare, nous sommes le contrepoint qui fuit d'une voie à une autre, nous sommes dans les strates, nous vivons dans la forme la plus évoluée de l'écriture qui renouvelle sans cesse l'adage: "partir, c'est mourir un peu"...

 La mort est toujours l’horizon du voyage, que l’accumulation des étapes semble éloigner. Il pourrait cependant y avoir un accident...

 

Nota : Cette dernière phrase a été empruntée à Valéry Larbaud et son grand voyageur de "Barnabooth".

Photo : Intérieur train. Le rideau vert du TNE (Transnabirossinien-Express) qui est aussi un JTB (joli train bleu) photographié au plus près quelquepart ou nulle part, entre Lyon et Orléans.

 

Entre-deux © Frb 2011

lundi, 17 janvier 2011

La grande route

Parfois le murmure se répand que nous sommes visités par des ombres transparentes.
Qui sait ? Qui sait ?
Comment retrouver leurs traces quand on a peine à se retrouver soi-même ?

HENRI MICHAUX, extr. "L'Espace aux ombres" in "Face aux verrous", éditions Gallimard, 1992.

pour connaître le début de cette histoire vous pouvez cliquer sur l'imagegrde road4091.JPG

Les jours passèrent longs et stupides, nous étions moins joyeux. Nous avions laissé les chansons, fabriqué des chapelets. Ils ne servaient qu'à passer le temps. Nous nous bercions de prières, nous les récitions à voix haute en marchant. Elles portaient aussi d'autres chants, nous avions cessé, à force de répétition, d'en ressentir tous les bienfaits. Au mieux, cela nous fatiguait. Une lueur blanche émanait d'un sommet. C'était là, notre terre promise. Il semblait que là haut, les châteaux se multipliaient. Nous fûmes un instant en Espagne ou mieux, en Amérique. Les habitants semblaient agglomérés en un point lumineux qui se trouvait sur la lune mais ce n'étaient que les formes exagérées de la lune qui chaque nuit hantaient nos rêves de présences et de sons. Nous entendions les voix des créatures nous parler dans l'oreille ; ce langage, nous l'avions connu peut-être autrefois, il nous rappelait encore une langue disparue, celle des  villes où nous avions vécu. Nous nous étions persuadés que ces voix étaient incarnées quelquepart en un lieu qu'il fallait découvrir avant que nos forces s'amenuisent. Un jour, on l'espérait, elles viendraient nous guider, elles pourraient même nous accueillir. Quelquepart il y aurait un point où nous pourrions cesser de marcher, enfin, vivre tranquilles !  nous avions fabriqué ces voix à force de croire que nos vies pouvaient être éclairantes pour d'autres vivant à l'opposé, sur d'autres rives. Nous avions tant de choses à nous apporter, entre étrangers, comme s'il était promis à ce faux semblant de hasard, l'avènement d'une forme charitable, attirée par la nouveauté qui pouvait entièrement combler un besoin de réenchantement mutuel, infini. Nous avions fabriqué ensemble, une légende à venir, envoûtés par une sorte de fièvre. Nous voulions des héros pour conjurer l'ennui. Croire en de nouveaux dieux, peut-être. Nous avions traqué jour et nuit, les manifestations des créatures. Nous cherchions dans le moindre craquement, les bruissements d'insectes, un contact serré avec les créatures, même une simple brindille nous faisait sursauter,  il s'ensuivait un grand émoi, tout dans la démesure. Nous avions même appris à lire, peu à peu  les variations émises par le vent, à tel point que nous aurions pu en écrire les rythmes sur une partition, cela aurait pu être joué dans nos anciennes villes par les plus grands orchestres symphoniques. Nous en rêvions. Nous étions restés à l'affût, jusqu'à cette obsession d'établir un dialogue avec les créatures. Il était impossible qu'une seule d'entre elles ne puisse pas nous comprendre et peupler rapidement le vide dans lequel nous vivions. C'était une intuition commune, une rêverie fraternelle, par laquelle, nous nous proposions de bouleverser nos existences. Les voix nous revenaient en songes, elles s'étaient indistinctement mêlées aux notres, plus ordinaires, ou presque aphones, nous avions hâte d'ajouter un choeur à nos chants, pour réanimer tous les souffles. Les voix en réalité demeuraient inaudibles, plus muettes que l'espace qui vibrait des sons pleins de ce vide intenable, et d'une solitude collective plus harcelante encore que si nous avions été seuls en réalité. Le jour où nous en fûmes conscients, notre vertige se transforma, en une sorte d'effroi, une chute qui porta le malheur et la confusion entre nous. Maintenant, quand la lune est visible, c'est pire. Dans ces nuits là, l'effroi revient à l'identique, et il n'en finit pas, jusqu'à la disparition de la lune au petit jour. Le ciel est vide. Cela nous fait apprécier les moments où nous ne sommes plus inquiets les uns des autres. Marcher devient notre principal soulagement, s'il n'y avait pas ce vide, par instant, il nous serait sans doute plaisant de contempler le paysage, tout en marchant même si jamais nous ne trouvons le lieu. Il faudrait oublier. Quitte à créer n'importe quoi, comme toutes ces statuettes en bois, des marionnettes, ou reculer, retrouver l'ignorance des débuts, quand chacun croyait que le pays que nous cherchions était tout près. Il suffisait de bien s'entendre, surtout d'être patients, d'imaginer que la grande route qui s'allongeait  déjà, à mesure que nous la déroulions, n'était qu'un pont reliant une rive à une autre. Les créatures lunaires, profondes, au lieu de nous secourir, nous avaient éloignés les uns des autres. Aujourd'hui il y a non seulement la route, mais une autre route entre nous, invisible qui nous happe et nous coupe en morceaux. Aussitôt que parait la lune, notre ancienne hallucination nous clive, nous restons des heures allongés dans l'herbe, les yeux ouverts, sans trouver le moindre charme aux étoiles. Nous reprisons de vieilles pensées, en accusant secrètement ceux qui étaient autrefois les notres, comme nous, ensorcellés dans l'ombre roulés par une lueur, nous les haïssons de nous avoir aidés à croire à des choses impossibles. Le reste du temps, nous sommes presque muets, figés par ce qu'il nous vient de haine, elle pousse en nous, nous sommes tous dans le même état, impuissants à la repousser. Nous ne partageons plus que des banalités. Un jour nous deviendrons complètement sourds. Il ne restera que cela, la hantise dévorera nos figures, la laideur entre nous perceptible, jour après jour, creusera nos traits, assèchera ce peu d'enfance qui nous choyait avec ses créatures splendides. Ces lueurs répudiées diffuseront l'incendie, sous la chair et nos corps gentiment en apprivoiseront les débris. Nos yeux s'abîmeront à force de ne cotoyer que cela, toute la sécheresse et nos figures devenues suspicieuses n'auront plus la moindre expression amicale. Il n'y aura plus d'emportement facile, à mener nos chevaux de bois au festin de la lune. Tout ce manque nous abolira, quand la panique devenue coutumière, nous donnera enfin l'impression de solidité, nous continuerons sur la grande route, nous marcherons en file indienne, tout comme avant. Pas tout à fait. Nous marcherons, c'est tout. Nous dormirons dans les forêts. Rien ne sera changé. Apparemment.

(A SUIVRE)

Photo: La grande route (des Charpennes) dans tous ses états, photographiée de la fusée d'occasion Appolo 11 aimablement prêtée (et pilotée) par trois vieux copains cosmonautes (merci les gars !), afin de nourrir les fantaisies démesurées de certains jours. Villeurbanne. © Frb 2010.

samedi, 15 janvier 2011

Persévérance

Il faut imaginer Sysiphe heureux

IMG_0130.JPGIMG_0129.JPGIMG_0130.JPGIMG_0129.JPGIMG_0130.JPGIMG_0129.JPGIMG_0130.JPGIMG_0129.JPGIMG_0130.JPG

 

Photos : Le pied du mur insiste et signe, heureusement les injonctions sont roses. Elles ont été photographiées dans une rue des pentes à Lyon (j'ai oublié son nom) menant au sommet de la colline qui travaille évidemment  (un peu de la coiffe et du pinceau). Il manque peut être la girafe (?) elle n'est pas loin, (au parc de la tête d'Or exactement, avec les Watusis), on la sortira peut-être au printemps, si il fait beau. © Frb 2010.

dimanche, 05 décembre 2010

Monstres doux

On n'est pas sur terre pour pondre des livres et qu'il est difficile d'écrire sans fastes, simplement vrai, comme on vit !

BLAISE CENDRARS : extr. "Blaise Cendrars vous parle", éditions Denoël 1952. 

monde171.JPGLa vie de Blaise CENDRARS, on le sait, est un roman, vrai, et plein de mensonges, elle permet un nombre illimité de lectures, ce qui explique un bon gros tas de malentendus que CENDRARS a toujours entretenus avec une joie presque enfantine. Des grands vertiges de Ménilmuche transformés en contes africains, aux trajets coutumiers en autocars jusqu'aux voyages dans les grands trains (Transsibérien pour n'en nommer qu'un seul), CENDRARS n'a jamais cessé de prolonger l'état d'éveil. Ses grands calculs il les fait pour ceux qui ne comprennent rien aux petites comptabilités ordinaires, exemple (entres autres, encore, pour lui, fumer une cigarette équivaut au temps du trajet en bus des Batignolles à la gare Montparnasse.) De "L'or" succès incontestable /"La découverte de l'or m'a ruiné. Je ne comprends pas"/ à "Moravagine" grandiose et délirant /"nous remontions l'Orénoque sans parler"/, CENDRARS a l'énergie des remises en cause radicales, il vit dans la mémoire de ses personnages, il vit plusieurs existences à la fois, et se refusera toujours que son existence se limite à une seule et unique trajectoire.

Champignonnage. Phosphorescence. Pourriture. Vie. Vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie. Mystérieuse présence pour laquelle éclatent à heure fixe les spectacles les plus grandioses de la nature. Misère de l'impuissance humaine, comment ne pas en être épouvanté, c'était tous les jours la même chose !

Un instant entre ses dérives, nous retrouvons CENDRARS à la terrasse d'une brasserie de la Porte d'Orléans, dans la banlieue sud de Paris. Il s'apprête à revoir un monsieur qui a des allures de moine chauve,  dont "l'érotisme monomaniaque" est partout proclamé voire décrié, on l' accuse de pornographie. HENRY MILLER, en personne, droit comme un bonze, attend CENDRARS assis sur une  bonne chaise en paille. BLAISE CENDRARS, indolent, courtaud, rougeaud, et le corps porté en avant a rendez-vous avec celui qu'il surnomme le "Chinese rock bottom man", ("le chinois qui a touché le fond"). Pour MILLER, la voix de CENDRARS évoque "Le tumulte de la mer". La main tendue vers lui est chaleureuse. A peine installés, les deux hommes retrouvent leur belle complicité d'antan, entre eux, une si grande évidence, n'a pas tant besoin de se dire. Ils reprennent une conversation jadis suspendue là où elle en était. D'un continent à l'autre, ils n'ont jamais manqué de s'adresser leurs ouvrages dès leur parution, au moins pour témoigner de leur santé mentale qui est très bonne malgré un désespoir qu'ils savent l'un et l'autre incurable, mais ils ont besoin de ce réconfort mutuel pour mieux s'assurer que "les imposteurs ne méritent qu'indifférence". Leurs sujets de conversations sont inépuisables. Le tout venant est leur domaine, ils ont accès à tout. On aurait pu rêver de se métamorphoser juste un instant en papillon (style éphémère) pour voltiger d'un verre à l'autre à la table de ces deux là, afin de dérober à notre tour quelques bribes d'une conversation qui nous rendrait quelques points de vie, tant MILLER et CENDRARS sont curieux, boulimiques, stimulés par le flux verbal, la surenchère des mots, la parole enivrant, plus encore que l'alcool, tout cela monte en eux, jubile jusqu'au fou rire, ils dévident en copains et dans la bonne humeur les secrets de leur mytholologie perso, leurs récits ou projets de vagabondages. Paris, New York, la Grèce, les sentiers de Californie, les remous de toutes aventures, les trimardeurs et les routards en fugue... Autant qu'ils peuvent, ils essaient d'échapper aux accrocs, au coups bas qu'ils connaissent bien, à ces misères vécues dans cette drôle d'Amérique qu'ils ont également en commun. Ils se re-connaissent quasi jumeaux dans ces aventures sans ancrage et cherchent encore. Hors circuit tous les deux, semblables en d'autres temps, ils sont les hommes qu'ils ont été jadis pour un instant présent qui ne concède rien aux idées d'échéance, ils ont tous deux plus que la littérature, ils en connaissent le geste, les mouvements fictifs ou réels, le mode de vie risqué quand les tous les présents, les passés, leurs futurs, se conjuguent jusqu'à la confusion, jusqu'à  la création d'un nouvel état de grâce. CENDRARS glisse d'un sujet à l'autre, sans trait d'union, digresse, bifurque, puis il s'embarque par jeu dans une douce provocation, sans préambule il demande à MILLER :

"Vous devez vous faire une haute idée de Lawrence n'est ce pas ?"

Pour MILLER ça devient difficile d'être flou, d'autant que CENDRARS enchaîne très vite.

Franchement vous ne le trouvez pas un peu surfait ?

On sait que CENDRARS (sans doute pour raison d'estomac), écorna sans vergogne quelques uns de ses contemporains, dénonçant les attitudes "écrivassières", la vanité autocratique des businessmen de l'édition, il s'illumina, touchant ça et là aux plus belles icônes de son temps puis se lassa aussi rapidement de ses propres persiflages. On sait (et à plus juste titre qu'avec LAWRENCE), que CENDRARS se gaussa joliment du père ANATOLE FRANCE :

Ce vieux croquemitaine souriant.

Il refit le portrait d'une façon brève et nette, de l'intouchable PICASSO,

Ce batard de l'académisme.

Vif et définitif, l'oeil de CENDRARS voit clair, et sa verve inflammable incise comme une lame. Il s'amuse à  faire vaciller son copain MILLER, qui pour une fois, manquera de répartie. MILLER défend mal son ami  D.H LAWRENCE, auteur pourtant du torride "Lady Chatterley". Il abandonne assez vite l'idée de défendre qui que ce soit, il préfère écouter CENDRARS qui  déjà le réembarque en quelques secondes pour une autre conversation qui s'inclût tout autant dans la même, pourquoi pas ? A noter contre l'anecdote que quelques années plus tard, c'est le mot "tendresse" qui viendra naturellement à CENDRARS pour évoquer son lien avec D. H LAWRENCE. Et cette contradiction sera encore d'une grande fidèlité.

A la station Porte d'Orléans, CENDRARS précipite les adieux. MILLER retourne en Amérique. MILLER n'aura  jamais oublié l'article que CENDRARS consacra un jour à ce livre magnifique qu'est "Tropique du Capricorne", cette oeuvre charnelle jugée trop sexuelle fût interdite dès sa parution en 1939 mais CENDRARS avait déjà "reniflé" l'écriture et la pyrotechnie d'Henry MILLER ne lui était pas si étrangère :

Un régal, un livre atroce exactement le genre de livre que j'aime le plus.

A la fin de son article, CENDRARS annonçait déjà, au delà d'un enthousiasme de lecteur, de critique, une espèce d'humanité commune ou plus exactement une gémellité :

Je me devais de vous saluer mon cher Henry MILLER, car moi aussi j'ai erré, pauvre et transi dans les rues hostiles d'une grande ville à l'étranger où je ne connaissais pas âme qui vive et où j'ai écrit mon premier livre. C'était dans votre vieux New York, mais ceci est autre histoire...

  Nota 1 : Ce billet s'est largement inspiré d'un petit livre formidable promu au destin de livre de chevet qui serait par ailleurs une très chouette idée de cadeau à mettre dans les chaussures de quelqu'un qu'on aime bien (il n'y a pas que les auteurs à la mode qu'on peut commander au Père Noël). L'ouvrage a pour titre  "Pour saluer CENDRARS" (l'hommage est savoureux, le contenu très fidèle à son titre), il est signé Jérôme CAMILLY, et, pour la gourmandise, le livre est  illustré magnifiquement par Robert  DOISNEAU. Le tout est édité chez Actes Sud (1987), ce sera le coup de coeur de fin d'année de Certains jours et des jours qui suivront. 

 Nota 2 : La vignette ci-dessous est un fragment  (ou copie) d'un portrait de CENDRARS par DOISNEAU une, parmi les nombreuses photos qui illustrent ce livre, elles sont toutes admirables et parfaitement référencées.

Autres liens, (certes pas utiles, on dira donc en complément, et tout à votre guise) :

http://www.cebc-cendrars.ch/

http://www.franceculture.com/oeuvre-blaise-cendrars-la-vi...  

Plus quelques voix...

http://ubu.artmob.ca/sound/miller_henry/Miller-Henry_Thir...  

... Dont une certaine étrangement tronquée jusqu'où ? On n'en saura pas davantage ...


cendrars visage027.JPG

 

 

 

 


 

podcast

 

Remerciements à : "La revue des ressources" d'où provient ce précieux document.

 Photo : Graff mural idéal. Un seul mot pour deux monstres doux, qui referont le mur, photographié un peu partout, entre plusieurs allers retours Lyon-New York, je ne sais plus quand, je ne sais plus où. © Frb 2010.