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lundi, 15 décembre 2014

Passures

Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?

GEORGES PEREC, extr. L'infra-ordinaire, éditions du Seuil, 1989.

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Photos : des histoires, plein d'histoires, mises à sac, mises en sacs, une traversée, de rue en rue jusqu'aux ruelles en multiples passerelles à taille humaine, passages géographiques, et trajets fragmentés à travers les quartiers différents d'une ville, acteurs ou figurants pour approcher les fêtes, trop plein d'appréhension, de bonnes résolutions qu'on voudrait honorer, qui ne tiendront qu'à travers, et pas comme on voudrait, jamais aussi splendides, effondrements des rêves, choeurs des lamentations, chenilles de joies rapides, un mélange de désirs, à travers les clients, les marchands, et toute la marchandise, sa promo permanente, à travers - en travers - les élans versatiles, les renoncements, la hâte, l'alternative, la norme, le besoin de s'y plier puis de s'en échapper, la recherche du temps perdu ou retrouvé de son plaisir, désir de choses simples: des godasses et des fringues, sacs de fripes, à travers, tant qu'on peut préserver chez soi un endroit au chaud pour tout en déballer, débarder, essayer, apaiser les grands maux ou les petits bobos, le surplus excessif, les gros riens, ces sutures à travers, les paquets et les mots, en travers, l'immanence et la loi d'entropie et tous les paradigmes, à travers le plaisir de courir pour choper du nouveau avec les vieux poncifs "l'hiver et le printemps", la rue en kit chez Continent, des pays ou des gens, le printemps comme un clip qui grignote l'escargot en musique re-jouant Vivaldi sur des rythmes électro, les quatre saisons mutables comme l'espoir tourne en vice et revend de partout des sacs pendus aux mains, ces poings demi-ouverts, empaquetés, à travers un fourbi dans la tête avec des sentiments, l'amour et l'amitié, évasions en travers, les histoires qui vont vite pour se perdre dans les flux imiter la croissance des systèmes, marcher sur les bris de verre sous les lustres en plein air, faire monter les machins et les trucs, les compulsions d'achat, le harcèlement moral, le travail, les loisirs, la croissance, le coaching, l'open-space, mise à sac de l'éthique, rafraîchissement des murs que la ville peinturlure avec ceux qui voudraient que ça change, qui n'ont plus de certitude (ça commence à se voir) qui ne peuvent plus, ne veulent plus suivre, face à ces géants verts, des mots bleus de la peur qui caressent les personnes, vident les poches des petits, séduisent les lucratifs, à travers les précaires qu'on ne voit pas courir aussi vite, ça retombe loin là bas, à la périphérie, à nos pieds, à genoux sous les ponts, dans les squatts, les prières invisibles, la convivialité, le discount, les échanges, enfin le système D, le pas qui continue avec du grain, sans grain, à travers la beauté, des instituts de beauté, des ongleries américaines, du panache, des paillettes à travers l'épuisement, la loi de l'apparence qui fait foi d'existence, loi sélecte, les meilleurs s'y retrouvent, y glissent entre leurs dents ta carte bleue, avisent nos cartes-fidélité, du mot fidélité vidé avec les sacs, des gants raflant la mise du gueux qui tourne chèvre sans plus savoir pourquoi, au cercle du manège, mange sur les chevaux de bois, se sustente au snacking, voyage sur des lumières avec les ombres tristes abordant le scientisme et le trans-humanisme, à travers, l'homme fragile héritier de sa révolte impuissante, en travers les clous du passager s'égayant d'un spectacle 7J/7/24H/24, avec nous ou sans nous, avec les stars, les fils de..., la déco, packaging, la crise qui t'en fabrique de l'austérité capitale, la foi dans l'abondance, les possessions, les intimidations, la peur de perdre, cette commune hantise des déflagrations singulières, courses vite, en travers, la pauvreté, le luxe, à travers la bonté, la gentillesse, la culpabilité, l'empathie, la souffrance, et ceux qui s'en relèvent affrontant à travers leurs défis personnels : être soi, trouver sa voie, devenir vrai, au delà des pressions et du pouvoir d'achat, les hommes ont autant d'imagination que d'avenir, les marchandises s'en moquent, à travers les affiches pillant au plus profond, le peu, l'insuffisant, mesurant à chaque pas, le secret de chacun, qui devient frustration du grand nombre, toute la dynamique mise en sacs, par les stats en travers ceux qui rêvent que leurs têtes pourraient fuir les boutiques, les corps et les boutiques on ne sait pas où ça va. Si ça tire à travers les personnes ou les cibles, l'ego à travers ça, viserait qui s'entasse à travers, play to win, baraka, empochant, sacs à part, la ruine à prix d'amis par les lieux traversants, les néons, les lanternes, la surface amovible, la valse des étiquettes affichées de travers, les winners, les losers, les empires, l'univers made in Chine, les affaires, les modèles de mesure verticale, le bon sens, l'eau qui dort au prix flottant du genre moyen pressé, le crédit, le bizzness, les horaires, la monnaie, le job, le sac plastique, la vie rêvée de l'homme-sandwitch, et nous, courant derrière, la réalité mal traitée. Est ce qu'on pourra tenir ?

Passures ...

Sous silence, toutes les vies, des milliards de mémoires, que l'on ne connaîtra pas, pas un pas sans une conséquence, la dernière image pouvant être la première du billet on n'arrête pas le regret, ni le printemps, encore moins l'avenir qui commence minuscule sur les dalles gigantesques (pour nos pas de géants ?) d'un hall de gare avec une barotte à 4 roues, (pas encore connectée, ni coachée, ni livrée aux vigiles, ni vue en transparence, ouf, :) ...

Certains jours suivant au présent là où on serait passé, un instant pour les promeneurs ubiques et les autres égarés (au travers les méandres) et puis pour les perplexes de l'élasticité (du temps ? ou des conjugaisons), - pour ceux qui ne vont pas forcément en deçà - c'est à dire lorgner les dessous, l'image du jour retardera, demain tout comme hier, chaque jour, tous déjà advenus, ou peut-être pas encore, bref, pour cette histoire en cours, notre dernière image si on était couture, elle s'ouvrirait ICI ...

Où ne serait pas loué l'intrus, le symbolique intrus figurant à mon sens (relatif) toutes saisons confondues la marche difficile encore libre à travers l'espace et le temps, l'intrus qui s'approcherait au plus près de l'état de nous autres, créatures embringuées, au milieu de l'époque épique, afin de nous aider en image à essayer de répondre au plus près aux trois questions du Georges :

Où est-elle notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ? 

Héros pataphysique, l'intrus intemporel, serait l'anomalie qui fait avancer les idées, suggestion du Boris, cherchons donc cet intrus, et laissons le filer, bras ballants, sans s'occuper à s'y mesurer, dans des formes de concurrences, qui ne feront avancer aucune forme d'idée, une anomalie dans l'anomalie : ici il n'y a rien à gagner. Sauf un nid de pattes peut-être ? Des promesses, résolutions, promesses, tenues ou non. Un Soupir... 

 

Rues et gens from Lyon © Frb Dec. 2014

samedi, 04 janvier 2014

Le paradis

L'escalier s'enfoncera-t-il toujours plus avant ? Montera-t-il toujours plus haut ? 

ROBERT DESNOS : extr. "Désespoir du soleil", poème issu du recueil "Les ténèbres" (1927) publié in "Corps et biens", éditions Gallimard, 1968.

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Au premier jour, on s'aperçoit que l’escalier de l’observatoire n’est plus aussi solide qu’avant, on montera prudemment chaque marche, on sentira le bois vibrer tout en déséquilibre, on pourra toutefois se tenir droit sur la dernière marche pour contempler les montagnes du Caucase.

 

Photo : Le paradis peut-être, à se dire qu'on pourrait partir de plus haut...

 

Là bas : © Frb 2013

mardi, 06 mars 2012

Ponctualité

Début du printemps,
Je mets ma pendule à l'heure.

l'heure qu'il.JPGMaintenant qu'on a l'éternité, on peut toujours rêver, avec Raoul :

Nous sommes dans le monde et en nous-mêmes au croisement de deux civilisations. L’une achève de se ruiner en stérilisant l’univers sous son ombre glacée, l’autre découvre aux premières lueurs d’une vie qui renaît l’homme nouveau, sensible, vivant et créateur, frêle rameau d’une évolution où l’homme économique n’est plus désormais qu’une branche morte.

Raoul VANEIGHEM in "L'ère des créateurs".

On peut aussi croquer quelques livres d'esprit libre du même auteur, lus et approuvés par la maison (ci-dessous):

http://nouvellerevuemoderne.free.fr/eredescreateurs.htm

On peut encore s'instruire avec Georges un ami de Georges tous deux amis de Georges et de Robert et plus haut, de Roger:

Maintenant, le mouvement de l’horloge donne la cadence aux vies humaines : les humains sont asservis à la conception du temps qu’ils ont eux mêmes produite et sont maintenus dans la peur, comme Frankenstein par son propre monstre. Dans une société saine et libre, une telle domination arbitraire de la fonction humaine par l’horloge ou la machine serait hors de question. Le temps mécanique serait relégué dans sa vraie fonction de moyen de référence et de coordination, et les hommes et les femmes reviendraient à une vision équilibrée de la vie qui ne serait plus dominée par le culte de l’horloge.

Georges WOODCOCK in "War commentary - For anarchism", mars 1944.

Et comme le sujet ne pouvait ignorer ce texte, petit bonus de lecture encore signé Georges Woodcock, "La tyrannie de l'horloge", je vous joins son petit lien salutaire :

http://infokiosques.net/lire.php?id_article=632

Voilà, mes amis, de quoi occuper les prochains jours en belles lectures puisqu'on annonce la pluie, et qu'on ne pourra pas se donner rendez-vous sous l'horloge à point d'heures (sniff, sniff)...

Photo : Le lyonnais, bon marcheur, amoureux de sa ville, et peut-être les autres, reconnaîtront sans doute l'horloge de la rue Grenette située en Presqu'île entre Rhône et Saône. L'instant pur, rare décrochage d'une ville entière et pourquoi pas de ses habitants ? Ou une métamorphose d'un genre éternel ? Un temps sans temps répondra le génie des oisifs qui vit sur son nuage qu'on ne voit jamais et qui sait tout. Hélas, j'émettrai un regret (très personnel, of et hors course) c'est que l'horloge de la rue Grenette ne présente pas son programme aux élections présidentielles 2012, "arrêter le temps", (et là je suis sûre d'avoir raison), ça paraissait pourtant le seul projet enfin sensé pour le pays et surtout le plus émouvant entre tous, afin d'en finir avec les grosses promesses rébarbatives et les formes comptables si peu romantiques.

© Frb 2012.

lundi, 03 janvier 2011

Sur le banc du Marquis

Si l'imaginaire risque un jour de devenir réel, c'est qu'il a lui-même ses limites assez strictes et qu'il prévoit facilement le pire parce que celui-ci est toujours le plus simple qui se répète toujours.

MAURICE BLANCHOT : extr. "Après coup", éditions de Minuit, 1983.

Pour le lecteur qui désirerait lire sur un banc plus frais, il suffira de cliquer sur l'imagebanc du marquis.JPG

Sur le banc du Marquis, je me suis réveillée ce matin et je me suis aperçue que tous les chiffres de l'année avaient été changés sans que je n'en sache rien. La neige avait fondu mais le banc demeurait alcestien, plus que jamais, tout entier, situé en un point précis quelquepart entre "La Quiétude" et les monts du Lyonnais. Sur le banc du Marquis, je me disais qu'il serait bon de ne plus penser à rien, comme il est de coutume sur les bancs. Le froid invitant à plus de lascivité à la mesure du temps et de la neige qui fond jour après jour mais au fil de ce souhait, me venaient à l'esprit des tas de trucs et des tas de machins que je ne pouvais empêcher, malgré ma volonté d'atteindre cet état inséparable de l'être qu'on appelle le vide.

Sur le banc du Marquis, j'ai pensé aux feuilles plissées de l'héllébore, à ce petit jardin d'iris jouxtant, dans la banlieue de Lyon, un immense incinérateur à ordures. J'ai pensé à la loutre marine qui posséde l'une des fourrures les plus précieuses au monde et qui a une manière amusante de faire la planche en écrasant des coques de palourdes contre un galet pressé sur sa poitrine tout en portant à sa gueule le meilleur de ces fruits de mer. J'ai pensé que la loutre marine ferait un excellent casse noix ou un gros casse-noisette qui pourrait épater les copains. Sur le banc du marquis j'ai pensé aux jeux décourageants, de patience, de Max Jacob dans "Le cornet à dés", et puis aux disques de Pierre Henry qui remplissent l'air de rock n'roll. 

 

PIERRE HENRY "Teen Tonic"
podcast

 

J'ai pensé à tous les imbéciles qui composent des musiques rien qu'en tapant sur des casseroles, à Napoléon qui ne se trompe jamais, aux mystères non révélés de la boule de gomme. J'ai pensé aux atomes qui s'entrechoquent et au "Miracle du Saint accroupi" dans "Les minutes de sable mémorial". Sur le banc du Marquis j'ai pensé aux triomphes de la psychanalyse, à cet arbre penché qui penche depuis longtemps à cause du vent, j'ai pensé que je ne savais pas si fallait couper l'arbre ou supprimer le vent. Sur le banc du Marquis, j'ai pensé à ces politesses extrêmes qui cachent les plus grandes agressivités, j'ai pensé à l'irrationnel, aux héros qui ne meurent jamais, sur le banc du Marquis j'ai pensé que je pourrais être marquise ou duchesse réincarnée grâce aux voyages dans le passé, (en servante à la harpe en Egypte par exemple). J'ai pensé aux soucoupes volantes qui perdraient leur attrait si on apprenait qu'elles ont été fabriquées par des ingénieurs de l'aéronautique terrienne, j'ai pensé à ces gens qui n'existent qu'en fonction de l'autorisation de ceux qui se proclament leurs supérieurs, à ces autres gens qui se lamentent à propos de petits problèmes et ne s'en prennent jamais à eux mêmes. J'ai pensé au cauteleux, au figé, aux lézardes et à l'opulence, aux tumulus sableux et aux tombes trapézoïdales. Sur le banc du marquis j'ai pensé à ces "pointilleux" qui ont peur d'abîmer leur voiture. J'ai pensé aux voyages en ville en tramway, aux cacahuètes bouillies, aux sonates et aux interludes. Sur le banc du Marquis, j'ai pensé au Marquis qui posséde les clés d'un langage oublié, à la pierre de Rosette et aux mérites de Ptolémée. Sur le banc du Marquis j'ai pensé, à l'exaltation de la volonté jusqu'à sa désintégration finale, menant à l'imagination la plus anachronique et la plus débridée, j'ai pensé à la noblesse du banc malgré l'absence de particule. Aux redondances du menuet qui navigue entre les billets. Sur le banc du Marquis, j'ai pensé encore aux sonates et aux interludes...

 

JOHN CAGE/ JOHN TENNEY : Sonatas and Interludes
podcast

 

Sur le banc du marquis j'ai soudain cessé de penser, j'ai dû rêver que les chiffres étaient devenus équivalents, peut-être insignifiants et que par conséquent le monde aurait peut-être une forme très différente si personne ne savait compter. J'ai pensé que l'année prochaine aurait lieu avant cette année mais en l'ignorant bien, nul d'entre nous ne devrait pour l'heure s'en soucier. Sur le banc du Marquis j'ai pensé...

Photo : Le banc du Marquis, situé entre la quiétude et les monts du Lyonnais près des dunes et de la forêt (enchantée) jouxtant le château de Montrouan, quelquepart en recoin d'un jardin d'hiver, bien caché au fond au Nabirosina. Photographié aux derniers jours de December.© Frb 2010.

vendredi, 29 octobre 2010

Peindre au travers

Peindre d'après nature, ce n'est pas copier l'objectif, c'est réaliser ses sensations.

PAUL CEZANNE 

zoom feuilles0908 B.jpgCe climat est le mien. J'avance avec toi, sur la route, pour faire effraction. Je peux voir le ciel qui s'étend nous satisfait à la minute. Je prends le petit jour à coeur, et je suis autrement ton oeuvre. Nous ne pouvons que rester seul à seul. Tous deux serons unis encore autant que séparés, et je me chauffe à toi, nous secouons les grilles pour rentrer dans tous les salons. Je porte les grenades et les épices de la forêt. Nous aimons nous suspendre aux lustres, aux branches ; je porte les baies empoisonnées, tous ces mensonges et nos douleurs. L'eau froide tombe du ciel qui s'étend au loin. Les grilles blessent un peu, ces gens t'ouvrent leur demeure, tu caresses leur vaisselle, tu explores les greniers et la cave où sont cachés des manuscrits à fendre à l'âme.

Il y a trop de monde dans ces salons, on distribue du café noir et des figues à moitié ouvertes sont éparpillées sur la table. On convoite un grand framboisier sur lequel nous déposerons des baisers, nous aurons les mains baladeuses, en toute impunité, nous abuserons de tout sans peine. Nos fruits ont la sauvagerie de ces chats qui se faufilent entre les brumes écorchant le vernis des tableaux, bientôt nous en ferons le deuil ; nous les délaisserons dans un parc entre les feuilles rousses, irisées de l'automne. November ramènera par sacs entiers les feuilles et ces pommes qu'un peintre croqua autrefois chaussé de ses pantoufles, dans le rai de lumière d'un atelier. A quelques pas de là, à peine plus loin, toute la lumière change, et l'on aperçoit dans l'allée d'un jardin, quelque beauté antique organiser les courses :

De mon mieux, j'ai envoyé à mon amant chéri dix pommes d'or cueillies sur l'arbre de la forêt, et en enverrai autant demain

Des corbeilles de fruits pourris avec les étranges pépins, et ces tiges au cul de la pomme, nous aimons celle qui porte un nom de chanteuse de jazz oubliée, la Granny Smith. Son goût acidulé, ses reflets parfois roses. Nous aimons aussi les poires difformes, "Red William" ou "d'Anjou" nous les mangeons sans trop penser à la misère du monde, un rien nous comble. Nous glissons les épluchures dans nos poches et cela nous fait des trésors dégoûtants. Le vent ici est caressant, doucement il s'impose. Et puis il y a des graffitis sur les bancs et des journées qui ne s'étirent plus tout à fait comme avant.

Cent tubes de gouache pressés avec ces couleurs fauves, elles giclent sous le ciel qui s'étend au loin, fardent la part brute d'une toile sur laquelle l'autre peint encore des oiseaux et des serpents plein de noeuds, sur des pentes la blancheur lunaire bat dans l'encadrement, déplace la courbure des formes qui magnifient les fruits et les sens. Ce climat est le tien, il érode les murailles, dévergonde nos cailloux pour s'empaler sur des roches vierges. Ca fait des semaines qu'Eros dort le jour sous les arbres et la nuit il s'amuse comme un écureuil avec des noisettes et des glands.

Du haut en bas, un grain de folie saisonnière roussit la page si lentement, tu peux voir comme l'heure à présent changée nous délave. Ce que je dis, tu le vois les yeux clos et l'approuve. Tout ce qu'on dilapide va par monts et par vaux, même dans le parcours des bécasseaux, leurs cris font en réalité "tchirrip, tchrrii" et nous nous attardons à regarder bouger leurs pattes sur des fils electriques. Tous ces mensonges dans la douceur bordent l'hiver des impatiences, un caprice hors-saison qui vient avec  le goût de la reine-Claude, ou de la mirabelle, (bellamira, miragrande), croquée par Virgile au vers 53 des "Bucoliques":

J’ajouterai des prunes couleur de cire : ce fruit sera, lui aussi, à l'honneur.

J'ajouterai des grains de génévrier, nous titrerons : "Aiguilles piquantes sur feuillage écaillé", des grosses touffes chaudes comme la laine, ces épis pour les dames seront notre fierté, les messieurs en auront presque le rose aux joues puis après ce sucre onctueux, tout fondu dans nos ombres, adviendra en nous l'abstraction.

Tu peux voir l'improvisation, la folie des grandeurs et la rondeur des jours comme un point qui va de bout en bout répandre sa résine rouge, les déliés du terrain, un fourrage de cailloux, près des plantes cultivées,  plates, ou éperonées, qu'on appelle "impatiens hybrides".

Ce climat est le notre uni à l'eau qui dort sous un autre pays gentiment affublé de gri-gris, de poupées pincées d'épingle à linge, ces tissus sèchent à l'écart au nid où pondent les flamants roses, et les chamois toujours les mêmes, tu les décris sur mes carnets et tu es autrement mon oeuvre.

Savais tu qu'autrefois les chamois pondaient des oeufs au mois d'Octobre ronds comme ceux de l'élandin ? Et cela faisait, à ceux qui les regardaient longtemps, des yeux gros comme un poème monstre.

Photo : Zoom juste après l'ondée. Une vue caramélisée de quelques feuilles mortes issues du charmant  parc René Dumont qui illustre à merveille, une nouvelle tendances de parcs dans nos villes : pas d'allées à la française, juste la végétation naturelle poussant à la manière sauvage... Photographiée à Villeurbanne aux derniers jours d'October.© Frb 2010.

mercredi, 15 septembre 2010

Mot pour Monique

Mais quand d'un passé ancien rien ne subsiste, seules plus frêles, mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidéles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps".

 MARCEL PROUST : extr. "Du côté de chez Swann" in "A la recherche du temps perdu". Editions, le livre de poche 1992.

mot pour monique.JPGExplorant les joies du cosmos dans ses coins les plus oubliés, (avec l'outrecuidance de compléter (?) la minuscule liste des "plus frêles, plus vivaces" de PROUST, je glanerai aujourd'hui un peu de voix humaine du côté de l'excellent site Silence Radio, (et ses pastilles multicolores), pour vous convier à l'écoute d'un module très curieux, de 1,40 mn, intitulé "Résolution", enregistré le 10 Janvier 1969, sur terre, par un émouvant inconnu.

"Un disque souple (on disait autrefois "flexible") 45 tours, uni-face, pour Monique. 
Comme une bouteille (vide ?) jetée à la mer, lancée sur une platine auto-recording, échouée au marché aux puces pour finalement aboutir sur une radioweb de création."

Un temps de vie humaine dérobée, nous revient plus de trente après, aussi fragile que le support qui nous la livre, aussi grave que l'intimité, peut tomber (par accidents heureux ou malheureux), un jour dans le domaine public, mais heureusement, on ne connaîtra pas la fin ...

Avec mes remerciement pour Silence Radio, et une dédicace très spéciale à Monique, à ce monsieur, l'inconnu. Et à tous les messieurs connus ou inconnus activant dès ce jour leurs bonnes résolutions, pour la sonothèque du futur.


 RESOLUTION : anonyme (via Silence-Radio)
podcast
 

 

 Photo : Ce qu'il reste après vous et Monique à ce point, juste avant de perdre la fréquence. Une métonymie on dira, de l'absence ? Ou de l'écoute flottante ? La chaise attitrée de Monique ? Le support de votre Madeleine ? Vus, une nuit, sur le trottoire du "Café des voyageurs", fermé, comme chaque nuit, depuis que la nuit est nuit. Boulevard de la Croix-Rousse, Lyon, 2010. © Frb

jeudi, 09 septembre 2010

Moving

Rien n'est plus troublant que les mouvements incessants de ce qui semble immobile.

GILLES DELEUZE : Pourparlers. Editions de Minuit 1990

lignes.JPGLa vitesse embellit les mouvements du ciel. Le 93903, nous éloigne des terres, de cet effort tendu vers la suppression des contraires, un homme se rêve nonchalemment couché au milieu d'une voie, fixe l'effet de style d'une suite d'ours blancs, découverte ce jour même dans un strato cumulus perlucidus d'une épaisseur de 600 mètres. Les ours prennent à l'homme sa bouche pour y souffler un vent d'autan, sur des vitres pareilles à cette digue de l'Afsluitdijk. Les vitres s'auréolent, scindent l'homme dans sa buée et ce souffle l'exile, fragmente le déroulement des vies. Chaque lieu trouve une tête penchée là où les heures s'arrêtent. Les rails touchent les cieux et les reflets métallisés des portes à soufflets enrobent dans leurs plis tout ce qui pense en nous, tout ce qui n'est pas nous et qui pourtant nous "cause", pertes ou peines s'ouvrant, se refermant tel un bandonéon accordé par les Dieux. La source des sons demeure invisible, tant que celle des rouages nous capte, puis synchronise notre mémoire aux mécanismes, par le chaos des sols chargés de toutes les vibrations possibles de gris. L'homme seul se plaint de ce mélange qui le déplace avec ses secrets symphoniques. Le mélange déplace tous les hommes dans la même direction, si bien calculée qu'aucun d'entre eux ne pourra jamais modifier la trajectoire, ni fuir entre les lignes annonçant la fusion, la réconcilation inouïe des contraires. 6 892 066 633 funambules portant des chaussures à leurs pieds accomplissent l'itinéraire. 153 889 (et des poussières), glissent chaque jour, qu'on ne pourra ni relever ni retenir.

Photo : Carte des mouvements célestes photographiée, à la sortie d'une gare un peu vide (quel est son nom déjà ? Part-Dieu, pardi !). Lyon, Septembre 2010.© Frb

mardi, 31 août 2010

Variations buisantines

N’arrête pas ta pensée en un lieu, dit le doux maître, qui me tenait auprès de lui, du côté du cœur.

DANTE, extr. "La Divine Comédie", (Purgatoire, X-v. 46 Traduction de J. Risset), Les éditions du Cerf, 1987.

bois d'oing.JPGAllers-retours. Entre la grande ville et le pays perdu. Je neutralise mes habitudes avec toutes sortes d'horaires de train, après les rendez-vous oubliés comme l'été, comme ces jours où je m'accoutume à vivre à rebours des contraintes, avec toujours le même plaisir de disparaître et  m'épanouir sous l'ombrelle d'une fougère dans les bois de Vaux, puis de céder aux fruits abondants des ronciers de Jalogny jusqu'à Saint Cyr. Allers-retours et douceurs capricieuses... Pourquoi se trémousser en ville, quand il y a des trains au départ de chaque gare, à toute heure et pour toutes les destinations ?

Des pérégrins moutonnent autour des vieux wagons. Les autres trains sont beaux, plus spacieux, bleus comme des salons de musique décorés d'un faux-velours assorti aux rideaux. Chamelet, Ternand, Lamure, partir plus loin, se raconter que ce serait l'aventure. Se prendre pour Philéas, pour une jeune fille enturbannée à la Ciotat ou pour la première chaussure de la mission Apollo 11, se garder son aéroplane privatif, personnalisé, tout au fond d'une poche au cas où... (Le transnabirosinien 16846 n'est peut-être pas indestructible). Se fabriquer avec les chutes d'un poème arraché d'une page de la Pleïade, un petit chapeau simple contre les derniers coups de chaleur. Allers-retours par les hameaux de la vallée, sur les plis des sièges modulables de la bête ronde et longue qu'on croirait immobile avant le grand chaos par dessus le viaduc construit avec ces moellons bruts d'un granit ramené des carrières d'Anglure ; ces matériaux portés par le train jusqu'au village de La Chapelle sous Dun puis acheminés par des attelages de boeufs. Juste après... (avertissement aux âmes sensibles, le lien est un peu "empoulé" ) le Bois d'Oingt,  il y aurait des villages, dans le désordre, on pourrait les remonter sans jamais s'arrêter Saint Germain au Mont d'Or, Mussy, Poule les Echarmeaux etc ...

Là, je me suis assise, chargée comme une bourrique juste en face de ces gens. Et j'ai pris les gens sur mon dos. Comme ils étaient faciles! ils venaient  librement, approuvant, tout comme moi le destin collectif, de ces départs plus ou moins grands. Nous avons échangé quelques banalités à propos du temps puis de nos livres dans le mélange le plus parfait d'harmonie et d'indifférence. Et j'ai pris le wagon pour un livre, tandis que le temps m'allongeait.

(A SUIVRE...)

 

 FEVER RAY : "Now's the only time I know"

podcast

 

Photo : Un aperçu du panneau de la gare du Bois d'Oingt à 350 mètres d'altitude, où vivent les buisantins, les buisantines dans des maisons entièrement recouvertes de buis. Une bien belle image comme en aimerait en voir plus souvent. Photographiée derrière la vitre du glorieux 16846 en provenance de Lyon, la ville en Août 2010 © Frb

mardi, 10 août 2010

Le minuscule

Au pied du mur. Une falaise de craie, une paroi droite. La route stoppé là, au pied.
Des jours.
La paroi reste. On devient plus léger.
A force, le mur ne surprend plus.
On se dit qu'il fallait bien s'attendre à quelque chose comme ça.

ANTOINE EMAZ in "Caisse claire", éditions Points Seuil, 2007.

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L'âme atteinte, trop soudainement peut-être, au pied du mur, nous prend et nous sommes sidérés par les beautés anciennes. Il faudrait boire la pluie, il faudrait vivre sous la neige pour ne pas s'affamer, s'ensorceller de songes broutant le diamant en ces noces où l'image d'une trempe rituelle ne peut tout à fait s'effacer. La brutalité vient, après le dit de l'aime, une de la pire espèce, qui pousse à reculer, celle qui croit tout donner et reprend tout, prend l'aise, construit des bétaillères pour celles du genre de haine. La maladresse insiste jamais ne disparaît. On ne s'amende plus, l'avenir se délite peu à peu, à présent, plus vite que le passé. On porte la mort en bouquet façon dandy, rose ou pourpre. Fièrement, on se démet. Et les oeillets fanés dans les vases romantiques, n'inspirent plus le moindre regret. Après avoir chéri on s'étend tête froide sur la pierre polie des carrelages. Le son est celui de mille cloches briquées comme des casserole en cuivre qui résonnent en façade. Nous serons exhibés demain ou en Septembre.... Qu'il est doux de verser l'amour fou, ou la haine sous les yeux des indifférents ! fièrement on se pavane. On tire presque gloire de ses peines. Lamento affligeant déguisé en pure joie. Il suffirait pourtant, qu'un doux hasard, du genre humain lève le voile, et nous révèle inconsolables, cela serait moins désolant. On aimerait ce hasard. On plongerait à nouveau. On goûterait l'ornement, le velours, les emphases, celles qui visent plus haut, plus loin que l'insatiable. On se réchaufferait. On inviterait la lune, les étoiles dans les chambres. Elles nous lécheraient les pieds. Un jour, l'offense par accident, à nouveau viendrait nous reprendre. On serait consommé. On reconvoquerait les fantômes et puis on les rassemblerait tous sous la même chair exactement au même endroit. Eternel recommencement...

Photo : Visage humain candide ou effaré. Sculpture civile clunisoise, vue en façade d'une ancienne riche demeure. Cluny. Août 2010. © Frb

vendredi, 23 avril 2010

Le mal en patience

Si le temps d'attente vous paraît déjà trop long ici, vous pouvez cliquer sur l'image, il vous viendra peut-être d'autres questions (peut-être distrayantes ?)...

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Une salle d'attente avec des cubes et deux prospectus désolés. Un barbu en pull tricoté, avec une copine à chignon. Deux dames annoncent l'état des choses: "Nous, ça fait deux heures qu'on est là". Dehors il y a des grands carrés, posés sur des plaques de verglas, des arbres morts et des parkings. Ils appellent ça: "le nouveau Paray".

Certains ont des souliers crotteux et d'autres pas. L'une des deux dames respire longtemps et dit avec un regard triste "c'est malheureux, y'a pas de revue". Pas de revue juste deux prospectus dont un pour les cars Bucéphale(s). Quelqu'un répond : "Non, y'a que des cubes". Je dis: "ben, y'a plus qu'à jouer aux cubes". Sourires gênés, sauf une jeune fille qui sourit sur ses bas, (c'est toujours très attendrissant une fille qui sourit sur ses bas). Le barbu se masse la mâchoire pendant que sa copine à chignon murmure une phrase inaudible. Tous deux regardent un poster qui représente des hortensias dans une nacelle en osier blanc, le couple est secoué d'un fou-rire. Le barbu se masse plus fort la mâchoire et dans une grimace horrible, un mouvement de menton déformé, tout doucement murmure : "ais oi as ie, aiiiya !" (traduction littérale = "Fais moi pas rire Patricia !").

La dame à la veste bordeau n'arrête pas de regarder les cubes : "Quand même, des cubes !". L'autre répond "ouh ben, bon sang !".

Il y a une télé pendue en haut. Le mur est mauve juste ce qu'il faut. A volume faible, on sent passer le temps sur nous. Téléfin diffuse une fiction. Des blondes qui font du pédalo, des savants en combinaison qui cherchent un bout de microfilm dans un sous marin atomique: "L'océan n'a pas encore livré tous ses mystères, docteur". Personne ne bronche.

Le beau monsieur qui est à ma droite, avec un très beau blouson de cuir sort fumer une Malboro. La dame s'absorbe dans les cubes. La blonde descend du pédalo. Le monsieur au blouson de cuir, reste pas longtemps sur le parking, il hésite un peu puis revient. La dame questionne :"il doit faire froid dehors maintenant ?", ne quittant pas des yeux les cubes. Comme quelqu'un chargé d'une mission. Par exemple, garder des cubes, pendant que le maître des espions serait quelquepart, on ne sait trop où. Le monsieur lance d'une voix lugubre, "Non ça va, y'a plus de vent". Exposé net et sans bavure. La dame répond : "Parce que moi, je crains le froid !". Le monsieur dit : "Ah bon !". La dame répond: "Et pis je crains encore plus le vent". S'ensuivent de très longues minutes. Ponctuées de "ma foi !".

Parfois quelques toux sèches. Puis, entre les soupirs, le bruit d'une manche de manteau en skaïe qui se froisse, cherchant des papiers dans un sac. La première dame répète, "Nous, ça fait deux heures qu'on est là". Elle me regarde d'un air pensif, puis remet sa tête dans les cubes. Dans la télé un policier ouvre la porte du labo, il vient pour prévenir les gens : "Je ne peux rien faire tant que cette affaire ne sera pas résolue". Je sais que moi non plus. Le docteur dans le sous marin rajoute :"Ca fait partie du complot". Evidemment, personne n'est dupe. Sa secrétaire réplique : "J'ai bien fait mon boulot, mais je suis innocente. Qui est le coupable ? On se regarde en chiens de faïence. Une dame s'étire. Il est presque 17H40.

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Le docteur dans le sous-marin écoute une bande magnétique : "Je vais vous montrer une technique qui va apprendre à votre cerveau à se surpasser". Je ne trouve pas ça inintéressant comme idée. De la réception on entend, "Dites moi ce qui vous arrive, monsieur ?" - "J'ai mal à la poitrine, ça me serre par là". On voit le monsieur dans l'embrasure faire des cercle avec son index tout autour de son estomac. La voix demande "vous avez des antécédents ?"."Non, pas vraiment". Il cherche un peu dans sa pochette. Comme si les antécédents s'y trouvaient. Il fait très noir sur le parking. Deux hommes déchargent des petits cartons remplis de médicaments.

La dame à l'anorak violet dit, "nous, on est là depuis 5H05". Il est 17H47. Je pense en moi même que celle là, elle doit être un petit peu mytho. L'infirmier vient, dans les yeux, un air grave: "Monsieur Pinaud!". Le barbu qui se tient la mâchoire se lève doucement. Sa copine le regarde partir comme s'il ne devait plus jamais revenir. A gauche on peut lire une affiche, "L'alcool en parler pour s'en libérer". J'ai envie d'un petit ballon de blanc. Une dame du personnel arrive, je ne sais pas trop à qui elle parle, elle annonce d'une voix bien timbrée, (comme celle d'une animatrice de télé qui ferait des jeux genre "Interville") : "il me faudrait votre carte de groupe sanguin.". Une autre voix de source imprécise répond :"oui, mais j'sais pas trop où j' l'ai mise". Sur le mur mauve, un savant dit :"Le robot est équipé de systèmes radioactifs". Ca ne surprend pas grand monde. Le savant nous montre un graphique, et pose doucement ses lunettes:  "On s'est aperçu que cette molécule était capable de ressuciter les cellules mortes". Une femme blonde à forte poitrine paraît dans la porte-fenêtre, elle tient des dossiers sous son bras,"je suis le Docteur Lawrence, vous pouvez m'appeler Jessica !". La copine de monsieur Pinaud baille longtemps devant Jessica.

Les chaises sont couleur crème à pieds simples, métalliques comme dans les années 80. Le savant se verse un gin fizz et dit : "Vous nous avez fait peur, Jessica". Sur l'écran il y a des goélands qui volent au dessus d'une piscine. La dame blonde à l'anorak mauve dit "Je comprends pas pourquoi ils mettent des cubes, ça serait mieux qu'ils mettent des revues", l'autre à côté répond "oui, c'est bizarre de mettre des cubes à cet endroit". Une dame en blazer vert anglais se lève et traverse la salle pour aller se promener dans le couloir, elle porte des bottes en faux élandin avec des franges partout. Il y a le feu au laboratoire. Un blond hurle dans une radio: " A partir de maintenant, suivez bien les consignes, Jessica !". La dame qui n'aimait pas le froid se met debout contre le radiateur : "J'ai froid, ça tombe mal j'aime pas le froid". Sa copine répond tout de go "Pourtant ils chauffent bien les radiateurs !". Un vieux monsieur passe en boitant. On voit courir un grand docteur.

Il est 23H59.

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Photo 1 :  Des cubes sinon rien. In situ. Salle d'attente des urgences du nouveau centre hospitalier ultra moderne de Paray Le Monial, (Aile centrale).

Photo 2 : Le strict nécessaire pour les uns, l'en deçà du minimal pour les autres. Un coin en retrait du hall d'accueil qui ne semble servir à rien ni à personne. Centre hospitalier (suite). Bâtiment des urgences. Aile centrale (suite et fin).

Photo 3 : Couloirs ouvrant sur des couloirs etc... Un autre monde hors- saison. Sait-on seulement si l'on en revient ? Photographie : centre hospitalier du nouveau Paray (aile gauche).  Paray Le Monial. Janvier 2010. © Frb.

lundi, 12 avril 2010

Un rien s'ébruite

"Tout dormait comme si l'univers entier était une vaste erreur"

FERNANDO PESSOA : "Le livre de l'intranquillité". Editions Christian Bourgois 1999.

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Les objets m'échappent des mains. Toute parole me semble insolite. Le mot n'a rien à dire, rien d'essentiel. Il accumule l'inécoutable, l'inentendu ou l'inaudible. Doucement, je reprends la musique. Un fil mène aux lèvres serviles, au "Souvenir de chair", à "L'archéoptéryx". Tous, titrant le moment de quelques pièces acousmatiques de mon bon maître.

"L'archéoptéryx signifie "aile ancienne" en grec. De la taille d'un pigeon, cet oiseau était malhabile au vol. Ses doigts dotés de gros ongles lui permettaient de s'agripper aux arbres et aux rochers. Il est probable que l'animal passait beaucoup de temps dans les arbres s'aidant de ses griffes, de ses pattes puissantes pour grimper jusqu'au sommet. Il pouvait alors planer de branche en branche. Il semble aussi que l'archéoptéryx n'était pas capable de se percher de manière stable et qu'il avait besoin de courir pour atterrir. Il avait un bec et des dents pointues, utiles pour attraper ses proies. D'abord vu comme un oiseau, (théropode maniraptorien), qui se serait débrouillé pour "bricoler" tout un système lui permettant de voler, on dit (et nul n'en sera plus instruit), qu'on ne sait pas vraiment ce qu'il fût. On le considère plus souvent aujourd'hui comme un dinosaure et on dit que ses plumes, héritées d'autres dinosaures, mais d'un tout autre usage, ont été recyclées pour le vol à la suite de tentatives répétées ou d'un évènement inconnu (!)".

La bête fascine, je la vois s'agripper gauchement d'arbre en arbre. Je viens à la forêt comme d'autres loin de la plage, draguent les requins blancs. Un souvenir de chair près des arbres. Je touche l'écorce tiède d'un conifère comme si elle contenait déjà des milliers d'aiguilles fossilisées. Sur la plus grosse branche du cerisier en fleurs, l'archéoptéryx me surveille. A côté et partout, des milliers d'années remuent l'air, dans ce silence que j'imagine comme à la perfection, (à force de vivre en ville sourde et bavarde comme tant d'autres). Ce monde criblé de sons, je dois le reprendre à zéro. Il est dédale brûlant et "retour en arrière pour aller de l'avant", me dis-je. Sur la plus grosse branche du cerisier en fleurs, l'archéoptéryx lit dans mes pensées. Je suis un perroquet. Je repète bêtement ce que j'ai lu la veille. "Pour aller de l'avant ?". Je le vois ricaner... Quel avant ?

Photo : L'archéoptéryx du Nabirosina, tout simplement. Avril 2010. © Frb.

vendredi, 05 mars 2010

Bang Bang

Je n'ai jamais désiré de quitter le lieu où je vivais, et j'ai toujours désiré que le présent, quel qu'il fût, perdurât. Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps . Elle est en désaccord si formel avec le sentiment de mon identité qu'elle est la source même de ma poésie. J'aime les hommes, non pour ce qu'il les unit, mais pour ce qui les divise et, des coeurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge.

GUILLAUME APOLLINAIRE.

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J’écluse tout vers le silence des tombes. De La Salle à Loyasse, le désert est si vaste. Et sans cesse absorbée par l’étrangeté du monde, je m’attache aux devoirs du petit quotidien. Il me reste quelques lettres à poster. Les choses sont disposées: “chaque chose à sa place et puis un temps pour tout”. Le rêve que l’existence soit d’une autre manière devient très déplacé, on y mettrait du sien. On promet, rien ne tient, il faut qu'on s'en arrange. Et l’on s'en va traîner jusqu'à ce que la machine nargue et nous dépossède. A parfois s’annuler, à faire la bonne figure, politesses, simagrées, sourires et volte-face, des soupes à la grimace, des ronds de jambes négociant des bricoles usant jour après jour. Le jeu particulier dévoue au collectif, en veux-tu en voilà, l’originalité pour tous, l’absence de vrais tracas, la bonne pogne carriériste où s'intrique le surhomme. Ailleurs, l'auge se remplit, la gloriole qui nous cible chacun à son loisir, petits sacs, agenda, applis, mémo, là bas, les numéros du cirque, un monstre en équilibre sur ses quatre ou six mains. le garnement prépare l'opus à son désir, il hésiterait encore entre l'allée centrale du plus grand magasin et quelques restaurants coquets en centre-ville. Est ce qu’une ceinture à franges ocrées ou une paire de mules andalouses pourraient consoler, réchauffer ? Prendras tu le menu-plaisir d'une grosse truffe à la mangue, ou une pièce montée à t'en barbouiller le museau de chocolat au lait ?

Auge sournoise, climatise. La chaleur, on la sent, elle nous est diffusée tout d’abord par les pieds, et plus haut, un avenir surplombe l'écran plasma ; la météo prévue pour les trois prochains jours, te dit: le temps qui est, le temps qui vient, on suit les horoscopes, les conjonctions subtiles, de vierge en capricorne via l'année du lapin, l’amour, le beau travail, la santé, le voyage dans les îles, sponsorisé par la baleine, le sel marin, et les poulies des chalutiers qui feraient couler le bateau si d’autres modernes, (baleines aussi), charitables, futuristes, ne veillaient pas au gain, à l’ivraie, le grain-grain, aux singeries des uns et des autres et aux miennes du même grain de folie qui nous  fonde, qui veut l'alternative, ou l'ivresse famélique, ou la geôle. Les deux parfois offertes. l'alternance. Une même prothèse pour tous conviendrait aussi bien. Ma chemise pour une chèvre. Est ce que tout cela nous vient ? Te plaît ? S'en va, revient ? Ceci vous convient -il ? - Oui, bien sûr, par la force des choses, un beau jour, tout convient. “Pas de Lézard ! et que vive le grand huit, vertige d'Ourobouros !" comme le racontait dire Jim, vieux voisin, feu éteint, un peintre ésotérique mort dans les couleurs dingues d'une palette riche et pauvre, enflammée de carmin et de belles maîtresses roses. On pourrait se noyer, re-boucler le tympan sur l'orgue de Manzarek. La vie sauvage foulée dans des sandales indiennes piétinant un tapis de bain, trois feuilles vert pomme d'un palmier nain, au pied d'une baignoire rock n'roll en forme de licorne remplie de cigarettes blondes écrasées à moitié. Un peu de cendre pour le bain.

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J'écluse et les formes m'absorbent dans les murs écaillés. Une fissure s'épuiserait aux parois recouvertes de calcite blanche, un taureau noir de jais en tapisserait le fond, ou l'iris lamenté pour quelques notes de tête, bouquetins et aurochs, ours, félins, bisons... Cette nuit je redécouvre quelque part, le décor, sous mon nez, des peintures rupestres, là où la ville exige des murs blancs et muets. Les nettoyeurs s’agitent, demain ils viendront recouvrir à la chaux le délit, les sentences amoureuses, et puis la nuit prochaine, les graffeurs magnifiques retourneront au délit, et puis toutes les nuits effacer au matin, délit et ainsi de suite...

Je retiens le décret qu'il est mieux d'accepter ses chagrins que d'empaler l'amour avec des cris de haine. Ensuite, il serait doux de se noyer tout court dans n'importe quel poème ou de courir le monde et fuir les arcs en ciel et les couchers de soleil, se lover sous les voûtes d'un grain photographique dans l'oeil de la Dumenge. Retrouver chez Raymond le courage d'être pur, et ne céder en rien.

Il est des êtres humains qui ont la force des glaciers, déplacent à la surface de quelques mètres carrés les montagnes sacrées. Fumer des cigarettes, boire dans des gobelets blancs, le rosé ou le punch, oser la grenadine. Oublier les fureurs. Se glisser lentement dans la vraie vie pénétrante. Oublier les replis, les chatoiements instables, l'orgueil, la jalousie (cette affreuse preuve d'amour) se rendre à l'entrepôt nuire aux petits calculs qui ne disent pas leur prix, s'accordant toutes les aises à briser les collègues. "Rien n'est sincère, honnêtement" disait ce camarade (de grande classe) dont l'amie (une dindonne, de mon genre assez paradoxal) remâchant la philosophie druckerienne répondait par le terme:

 - "ça ! ouais, ouais !... et ce qu'il nous manque à nous, à notre époque, c'est que la sincérité, elle soille vraie j'veux dire encore plus vraie!",

c'est parfois si confus, qu'il faudrait préciser ...  S'imaginer au fond, que tout ça finira bien, au nom de la raison, de la tranquillité, que les amis de Georges se chargeront de balayer d'un bon gros rire blasé. 

Dieu s'en mêle, les adages annoncent la décadence, tôt ou tard, un revers, il faut anticiper. Les horizons sont tels qu'on voit bien que le Bon Dieu est en train de se barrer avec les cacahuètes laissant là le gourmet sur sa faim. Fin des fins. On va s'en tartiner. On échange des belles phrases, devant trois oeuvres iniques, sculpture contemporaine à base de crottes de biques posée sur des parpaings, plateformes mélaminées exhibant une série de bombyx, pilés menus, entrés dans un pot rempli d'acry fluo, on meurt pour un triptyque où sont collés trois pous posés sur des manches à balai, le tout signé du sang de l'artiste. Puis l'on se souviendra un peu de Georges, prince lointain, (dont la femme supérieure hiérarchique dans une boîte de cages à lapins) n'était jamais à la maison, la nuit. Du désordre...

On le croise quinze ans plus tard, pâmé dans son habit tout cuir, avec sa grande tête piriforme, un visage sec, et tournant sur lui même, homme-toupie, fier de son devenir. Ensuite viendra le conte (de fées et ses antécédents), + de fadaises encore et des formules pétantes, qui font tourner la tête. On se prendrait presque pour l'autre, l'illuminé mythique qui partit autrefois du temps de sa folie, imposer à l'Espagne la véracité des chimères. Nul ne peut ignorer la tristesse de l'histoire. Et la gueule du lendemain tirera leçon du sage.

A force de prendre les tire bottes pour des lyres, on mourrait presque en queue de poisson. A présent, peut-être les portes s'ouvrent munies de vannes ou de ventelles. Je fais mienne la phrase de Brummel "Il vaut mieux étonner que plaire", ou ne rien dire, programme: le flegme et la parure. Mille traits pour éviter que le ciel dans sa traîne s'unisse aux terres lointaines. Trouver un tas de machins et des consolations comme goûter la saveur d'un beau nu étendu dans l'herbe, là bas juste au milieu du zoo. Une tête d'or à couvrir de baisers pour fêter le printemps qui vient, mille chevelures à coudre ensemble sur un grand lit de perce-neige, un regard de biche abuserait des rêvasseries quotidiennes. La flemme aguichant un instant le bleu turquoise du ciel avant qu'on en vienne à l'écluse, toujours accouplée d'un barrage qui ferme la page d'écriture, une sentence pour la guigne: "chaque chose à sa place, une place pour chaque chose". Et comme on n'est pas difficile, on y trouverait sûrement encore un petit agrément.

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Photos 1 + 2 : Flous artistiques voyageurs et vaguement noctambules.

Photo 3 : Le monde en marche, une anonyme avec des bottines (d'à peine sept lieues). Lyon. Nuit.

 

Ailleurs © Frb 2009

lundi, 04 janvier 2010

Appréciation du jour et des saisons

Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

CHARLES BAUDELAIRE : "Brumes et pluies" in "Les fleurs du mal", éditions Gallimard 2005.

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Le cycle saisonnier a obsédé le XVIIIem siècle. La fin du XVIIIem siècle et le début du XIXem se sont révélés décisifs. On commence à lire dans les journaux et les carnets, l'accord entre l'être intime, le sentiment du moi et les évènements météorologiques. "Les baromètres de l'âme" pour citer notre ami Jean Jacques qui s'appliquait à capter l'éphémère. Une correspondance s'établit entre la variabilité de l'être et celle de l'état du ciel. Le nuage, la brume ou la pluie affectent profondément l'être. Les carnets de JOUBERT sont un exemple parmi d'autres. Il  nous a légué des pages étonnantes de modernité sur les sentiments éprouvés par l'individu sous l'averse.

Lors d'une enquête réalisée à la fin des années 90 de notre siècle sur le brouillard par Lionnette Arnodin "A la poursuite du brouillard, énigmes et mystères", 275 individus furent interrogés, afin d'analyser la manière dont ils percevaient le brouillard. Pour beaucoup, le brouillard paraît coloré. Les personnes interrogées utilisent fréquemment le suffixe "âtre" (Blanchâtre, grisâtre, bleuâtre), il est perçu sans odeur, tout au plus il peut évoquer l'humus, odeur de terre que l'on croit respirer. Il constitue plutôt un moment pour les hommes et un lieu pour les femmes. Il est apprécié parce que doux, moelleux, ouaté mais aussi esthétique, poétique, silencieux. Il est "L'effaceur de ce que l'on ne veut pas voir". Il n'est pas apprécié, parce qu'il est froid, dangereux, hanté, évoquant les cimetières et la mort, porteur de signes mystérieux qui inspirent la crainte. Il semble plutôt lié au diable qu'à Dieu. On l'associe souvent à la fumée, à la ville de Londres, aux fantômes et aux labyrinthes. Il inspire une peur archaïque parce qu'il isole, masque, étouffe, absorbe. Les enfants détestent le brouillard, les hommes l'apprécient peu, les femmes l'apprécient davantage. Le plus intéressant, c'est qu'il n'existe guère de rapport entre la réalité du brouillard et sa représentation. Par exemple, il est moins fréquent en Bretagne que sur la côte d'azur, il n'est pas aussi présent qu'on le croit en Angleterre  bref ! (je vous épargne la carte du monde). De toute évidence nous nous sommes construits une géographie du brouillard, qui est en fait, une géographie imaginaire issue probablement de nos lectures. On s'imagine qu'il y a du brouillard dans les contes, alors qu'il y en a peu, mais par contre la forêt dans les contes est toujours présente or il nous plaît d'associer le brouillard à la forêt. On s'imagine qu'il y a brumes et brouillard dans les oeuvres de SHAKESPEARE, alors que l'auteur l'a rarement spécifié. Même chose dans les romans de CONAN DOYLE, "Le chien des Baskerville" (pour ne prendre qu'un exemple au hasard) ou pour "Le Grand Meaulnes". Peut être parce que notre esprit se représente toujours SHAKESPEARE avec des fumigènes ? Et que dans un "Grand Maulnes" (du genre vu à la télé, ou au ciné) il y a du brouillard, effectivement. L'appréciation dépend aussi beaucoup du vocabulaire. Celui qui définit les météores en différentes langues n'est pas si précisément transposable. Dans la "Divine Comédie", il est question de "fumi" que l'on traduit tantôt par fumée, tantôt par brume, ou encore par brouillard. Le brouillard est féminin dans certaines langues, masculin dans d'autres. Le brouillard a aussi longtemps été associé à la nuit, figurant le lieu des sorcières. Dans la littérature de HOMERE à nos jours, il symbolise une frontière entre le sacré et le profane. Il augure le passage dans l'au delà. Il sépare la terre du paradis. Il permet l'accès à un monde où se retrouvent ceux qui ont manqué à leur parole, ceux qui ont été infidèles en amour. Enfin, le brouillard nous signifie l'ensevelissement, la pénitence, le châtiment. Mais ce que je préfère dans le brouillard, c'est son aspect délimité sous formes de lambeaux ou nappes, son étrangeté peuplant notre imagination de créatures improbables. Cette béance de la croûte terrestre, ouvrant un monde où les génies, la dame blanche, les lavandières de la nuit... les vaisseaux fantômes,  ou les arbres gommés, quasi pantelants, quêtent un lent supplément à la nuit, et invitent insidieusement l'homme à vouer son âme au purgatoire.

Un certain jour (pas trop promis) je vous parlerai peut-être de la pluie, de l'ouragan, ou de la neige si la Dame blanche ne me mange pas.

Ces notes ont été largement tirées du livre d'Alain CORBIN "L'homme dans le paysage" paru aux éditions Textuels (2001), dont vous trouverez quelques extraits : ICI

Variation sur un même thème, à voir :

http://www.dailymotion.com/video/x24p1i_nuit-et-brouillar...

http://www.youtube.com/watch?v=1djGyCj1vCk

http://www.youtube.com/watch?v=26DRA09tTik

Et comme tout finit par des chansons, à écouter :

http://www.deezer.com/listen-288401

http://www.youtube.com/watch?v=NqlpymCyGu0

Photo: La naissance du brouillard photographiée au pied du mont St Cyr en Nabirosina. Le 04 Janvier 2010 .© Frb.

mardi, 04 août 2009

Battre la campagne (5)

On peut opposer l'expression "battre la campagne" avec cette autre expression "battre le pavé". Pour apprécier le contraste, vous pouvez faire un tour du côté de chez DAILY LIFE, qui a décidé de battre le pavé, durant l'été, via une année zéro. La partie de ping pong improbable se joue d'une grande ville, au petit village : ici on remue patiemment les chemins, là bas on explore méthodiquement les rues. Si vous avez horreur de la campagne. Vous pouvez retrouver le pavé  ICI

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Photo: Les fleurs qui rongent les murailles des tombes, au cimetière du village médiéval de Bois Ste Marie sont les mêmes en toute saisons. Nabirosina. Août 2009. © Frb

dimanche, 26 juillet 2009

Un monde en ruines

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Part I

Hier je marchais seule, dans cette rue ancienne, comme on va en pélerinage pour retrouver un temps, celui d'un grand parcours du monde avec mon grand ami M. (le monde = deux rues seulement !) sur des patins à roulettes géants. Explorateurs de cette planète de deux mille habitants à peine, nous montions avec de grands airs de cosmonautes, les escaliers de la salle des fêtes, pour aller chercher ceux de notre bande (des superstars), premiers tambours, ou de trompette à la fanfare. Puis nous partions en reportages avec des magnétos en plastique (De marque Remco 50) interviewer la boulangère, (à propos de ses "miches", bien evidemment !) ...

Mais ce n'est point le sujet du souvenir qui m'intéresse, le présent est encore assez bien achalandé d'une toute petite marge de lendemains que je ne désire pas dilapider trop précocement s'il est permis... C'est juste comme ça, rassurant, quelquefois de revenir sur ses pas, de vérifier que rien n'est changé, car si rien n'est changé on peut alors s'imaginer qu'on ne vieillira jamais. Enfin, pas comme ceux qu'on revoit 20 ans après, qui nous tapent dans le dos par surprise, tellement heureux de nous retrouver et qui sautent de joie en nous disant : "tu te souviens de moi ?", Laurent Pinsson ! on était ensemble au collège "tu te souviens de melle Pugeolles ? "Melle Pugeolles ! si je m'en souviens !" je réponds. Et voilà que ce gros bonhomme, un parvenu jovial, (dont je m'imagine qu'il parait 20 ans de plus que moi, car je suis une dindonne toute pétrie d'illusions), ce gros bonhomme, disais je, me raconte en riant, "la fois on avait mis de la superglue sur la chaise à Sandrine Chevreau." Il enchaîne les anecdotes comme d'autres enchaînent les histoire belges à la fin des repas de famille. Et il me tape dans le dos (moi qui ai horreur de ça) en finissant toutes ses phrases par un pénible "Tu te souviens ?". Je ne réponds pas. Je hoche la tête avec mon sourire bête qui veut dire oui. Sauf que Laurent Pinsson, Sandrine Chevreau, je ne les connais pas ! ils sont passés aux oubliettes! Je cherche en vain. La mémoire fait défaut... Je pense tout de suite à un début d'Alzheimer, il paraît que les premiers signes, c'est ça. Je ris quand même pour ne pas faire de la peine à ce pauvre Laurent Pinsson...  Et le supplice de la conversation n'en finit plus, je me vois me renier moi-même, mes valeurs ! ah ! ah ! quelle cruauté ! je tente de ne pas trahir l'étrangeté qui me tire les traits au dessus d'un sourire qui n'a jamais été le mien. Etrange étrangeté... Une petite mécanique se met en marche, il parle, et je souris. Comment faire autrement ? Laurent Pinsson me demande ce que je deviens : "Ben euh... rien ! Et toi ?". Et le voilà parti dans un récit épouvantable : "Je suis marié, j'ai quatre enfants, je suis entrepreneur à Suzy les Charolles, je fabrique des maisons, je construis des résidences, j'ai repris la boîte de mon père et patati et patata..." que répondre à cela ? sinon un à peine audible et gentil : "c'est bien !" et je reste là, pétrie de politesses, n'osant fuir ce bonhomme qui me prend maintenant par le cou et m'embrasse. "ça m'a trop fait plaisir de te revoir". Je m'entends roucouler bêtement : "Ben..euh... moi aussi, je suis bien contente !". Une voix (celle du surmoi féroce, sans doute) se superpose, "Mais tais toi donc, espèce d'idiote !", j'écoute le surmoi : "bon, Laurent, c'est pas l'tout, mais j'ai des courses à faire !!!". J'ânonne sur un dernier coup de rame : "alors salut ! bien le bonjour à ta femme ! (et autres conneries du genre), on se téléphone, on bouffe ensemble, ok promis, ciao bye bye !!!". Rideau.

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Part II

Voilà. C'est aussi ça, retourner sur ses pas. C'est déprimant. Une regression, parfois. Pour peu que je finisse à la cantine dans une chanson de Vincent DELERME, moi qui rêvais d'être une branche d'acacia au jardin de Jean Louis MURAT, c'est gagné ! je ne suis pas fière de moi.

Retourner sur ses pas. Je préfererais que cela ne soit qu'une sensation géographique. Le passé nous suit à la trace, il prend la forme d'un platane, d'une maison, s'ils viennent à disparaître, quelque chose se referme. Plus rien ne tient.

Pendant ce temps là, les anciens du pensionnat radoteraient autour d'une raclette, après s'être retrouvés via internet... Je le comprends pour les autres, mais moi, ça me fout le cafard. La nostalgie on nous la fourgue, comme on fourgue des barres de lexo en nous faisant croire que c'est du chocolat. Pendant qu'on remue nos vieux moments on ne voit pas le temps qui vient... Pourtant la nostalgie c'était très beau avant. Nostalghia...

Mais revenons à cette maison. Cossue, blanche, importante, elle appartenait au notable, sans doute un pharmacien. Une maison comme il y en a chez BALZAC, ou dans les films de CHABROL, avec sa fleur austère gardant mille secrets et suitant de sa bourgeoisie austère, de ses livres austères : Gilbert CESBRON, "Trois sucettes à la menthe" de ses images de catéchèse, et d'autres choses moins catholiques. La fleur du mal... Pourtant cette maison, je l'aimais bien. Mais nous, l'entité impartiale enfantine, n’aimions pas les enfants qui vivaient dedans. Des fayots à l'école, avec des raies de côté. Vêtus de blanc le dimanche, jouant dans le jardin, où était installé juste pour eux, un luxueux portique pourvu d’une balançoire à cordes bleues, la grille était toujours fermée. Car les parents craignaient que les enfants ne se fassent renverser par une voiture, ou ne soient abordés par ces types qui donnaient des bonbons. Et nous, du haut (du très haut) de nos patins à roulettes, sur notre bout de trottoir, (un délicieux jardin aussi), nous regardions derrière la grille, le petit garçon donner des ailes à la petite fille et la maman assise sur une chaise de jardin, qui surveillait d’un oeil brave sa couvée, deux poussins ! tout en brodant une tête de biche devant une table ronde sur laquelle une bonne avait posé des verres de citronnade et des assiettes remplies de barquettes trois châtons. C’était d’une douceur de vivre, tout ça. Trop de douceur en vérité. L'entité enfantine impartiale, monstre à deux têtes que nous étions n'aimait que le chahut. Là, nous tirions la chevillette, s'ensuivait un fracassant "dreling dreling" et le fin monde de cette fleur austère s'en trouvait brutalement renversé. Notre joie satisfaite, nous courions nous cacher, observant madame mère bredouille devant le grand portail doré et deux petits enfants terrifiés qui la suivaient de près et tremblaient à l'idée que leur maison fût hantée...

Epilogue :

Je suis repassée ce jour, rue de la gare. rien n’a changé tout est presque pareil. J’en suis très soulagée même si tout aurait besoin d’être un peu ravalé. Ravalé. Drôle de mot... Seul un vilain détail m'a sans doute échappé hier. Là, sur l’autre trottoir, je le vois me happer, ce panneau, en façade avec dessus, dessinée, une affreuse construction genre lego en 3D, précédée de lettres géantes, un énoncé comme un faire part : Permis de démolir : ici bientôt, construction de la résidence "les Iris": 35 logements, sur 4 étages", avec parking, travaux dirigés par l’entreprise Pinsson § fils. Siège social : Suzy les Charolles..."

Avant de repartir, j'ai regardé longtemps cette grosse maison grise. Pour la première fois de ma vie, j'aimais follement la bourgeoisie. Le cossu, toute cette importance, ces volets blancs devenus gris, il aurait suffi de retaper. Retaper, drôle de mot aussi ! les pierres tenaient, auraient pu traverser les âges... Sous les plantes proliférantes qui couraient sur les escaliers, j'entendais comme des cris d'enfants, le grincement de la balançoire, et la voix d'une vieille maman qui courait hurlant deux prénoms. Je ne peux dire si c'était le diable mais je sus que le type aux bonbons était passé, et qu'il s'en était pris à la maison. S'en suivit quelque drame. Le bruit courût que la maison était hantée. Et, pour une bouchée de pain la maison fût rachetée.

En pensant aux misères que nous faisions à ces chers notables, au baiser de Judas, de l'étranger Pinsson, je me suis demandée s'il était permis d'éprouver à la fois, et des remords et des regrets...

Nota : Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, sauf pour mon grand ami M que je salue au passage, (oui, M. je te promets, tu l'auras un jour, l'adresse de ce blog !) et plus ou moins, Melle Pugeolles qui m'a plus ou moins tout appris...

Photo: Soleil couchant sur la maison bourgeoise. Vue dans une petite ville du Nabirosina. A des années lumière de la forêt. L'été prochain je vous montrerai la résidence "Les Iris" construite par l'entreprise Pinsson § fils, constructeurs de bâtiments modernes, barbares de père en fils. Juillet 2009. © Frb.

vendredi, 24 juillet 2009

Mignonne, allons voir...

Me serait-il permis aujourd'hui d'ouvrir un tombeau devant la cour ?

BOSSUET. Extr. "Sermon sur la mort" prononcé le 22 Mars 1642 devant Louis XIV et la cour.

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Ce n'est sans doute pas pour avoir prêché ce qu'il croyait être "la parole de vie", que BOSSUET est devenu "immortel" mais davantage pour avoir  énoncé tout haut et rappelé en un style très soigné, la toute puissance de la mort.

" Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfants qui naissent, à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'avancent, semblent nous pousser de l'épaule et nous dire : Retirez-vous c'est maintenant notre tour. Ainsi comme nous en voyons passer d'autres devant nous, d'autres nous verrons passer qui doivent à leurs successeurs le même spectacle. O Dieu ! encore une fois, qu'est-ce que de nous ? Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus ! et que j'occupe peu de place dans cet abîme immense du temps! Je ne suis rien : un si petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant ; on ne m'a envoyé que pour faire nombre ; encore n'avait-on que faire de moi, et la pièce n'aurait pas été moins jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre."

Malgré la grande prédication chrétienne qui était son domaine, ce rappel de la mort au prochain, aurait pu être émis par n'importe quel homme, de n'importe quel pays qu'il fût croyant ou non. Je résume (grosso modo) que BOSSUET dit à l'Homme, qu'il n'est rien ;-) Une fois cela compris et après nous avoir conviés à imaginer une vie très longue ("Qu'est ce que cent ans ? qu'est ce que mille ans, puisqu'un court moment les efface ?"), BOSSUET achève de nous convaincre de notre néant, en nous invitant à mesurer la place minuscule qu'occupe notre existence entre l'infinité du temps qui nous a précédé et celui qui nous survivra (?)... Ainsi il en viendra tout naturellement à conclure que l'Homme n'est rien qu'un figurant.

Cela me rappelle un clochard croisé un jour sur le Pont Morand, qui parlait seul, en regardant les gens et ne cessait de nous instruire sur l'absurdité de nos agitations, il se tourna vers moi et me lança un : "t'es qui toi ? T'es rien du tout, une poussière ! puis me montrant le fleuve le ciel, rajouta : - une toute petite poussière par rapport à tout ça". Sans doute notre clochard faisait il grossièrement du BOSSUET sans le savoir. Mais à la différence du clochard éclairant votre dévouée poussière, BOSSUET s'adressait au roi. Parce qu'un roi est sans doute mieux placé que quiconque pour mesurer le néant du haut de sa grandeur humaine et en convaincre à son tour d'autres "grands"... Jamais BOSSUET n'oublia qu'il parlait devant la cour, des gens dont les conditions favorables pouvaient les consoler en mourant d'avoir eu une vie heureuse et bien remplie. Et c'est encore cette consolation que BOSSUET s'appliquera à démolir, en rappelant à tous ces "grands", qu'une fois arrivés au terme de leur vie, ils en seront au même point que les misérables, ou pire encore : au même point que s'ils n'avaient jamais vécu.

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Pour cette vie très longue que BOSSUET donne à imaginer, (car sa technique est de commencer par le meilleur pour mieux nous mener au pire), BOSSUET aura recours à la faune (toujours biblique) et à la vie des végétaux, le cerf, et puis le chêne sous lequel un grand nombre de générations peut encore se reposer... Tandis qu'embarqué par la belle prédication l'auditeur se mettra à rêver de la "Postérité " (tout de même !)

"Durez autant que ces grands chênes sous lesquels nos ancêtres se sont reposés, et qui donneront encore de l'ombre à notre postérité".

BOSSUET évoquera encore le bonheur, le sien conduit, au fatal adjectif : "vain", suivi d"un mot : la "vanité", jusqu'au "grand gouffre du néant". Ensuite, il relancera la machine oratoire par une question en forme de vertige:

"Qu'est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ?".

Je vous épargne les passages sur la résurrection, mais à tout lire, au bout du chemin, on se dit que BOSSUET ne fait qu'enfoncer un beau tas de portes ouvertes. Comme l'écrit R. Pommier (à qui je dois ces quelques notes de lectures), il les enfonce avec une telle force, un art si admirable, qu'on a l'impression que c'est lui, qui nous fît, le premier la révélation que nous étions mortels, et cela par la grâce, d'assonances, d'allitérations et de toutes sortes de sonorités savamment agencées et appliquées drastiquement, à la langue et la pensée. Ainsi BOSSUET ne s'adresse plus seulement à l'intelligence mais aussi et surtout à l'imagination. C'est là le charme...

L'ironie (du sort, peut-on dire), est que BOSSUET qui voulait avant tout être un prédicateur, surtout un bon apôtre a gagné son immortalité, par la voix du poète dont la tonalité paraît plus agréable, que les voies du Seigneur qui sont toujours impénétrables, (à ce qu'on en sait !)...

Photo : Un tombeau dans la cour. Roses qu'on disait mignonnes, et de saison, aimablement prêtées par monsieur RONSARD. Photographiées dans le Nabirosina en Juillet 2009 © Frb.