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vendredi, 04 novembre 2011

Sound of silence

Un claquement de doigt, un bruit de tonnerre :
et il ne reste du monde extérieur qu'un silence sans fond,
un silence qui ruisselle sur nous
comme un torrent vigoureux et bienfaiteur…

Jack KEROUAC

sound of nb.jpg

Tant que le particulier illustrera le thème du silence entendu par l'homme occidental, jouant contre lui même et contre un désarroi ; on ne pourra pas reconnaître, à ce point délicat, nos limites. Ou simplement les limites de nos capacités d'écoute, il est vrai qu'on ne nous a pas spécialement appris à considérer  le silence ou bien on l'aura fait sans trop de nuances, sous forme d'abord (ça commence à l'école) de discipline puis ensuite comme une chose assez floue n'étant au fond qu'un phénomène qui viendrait toujours s'opposer au bruit, au mieux un espace de relaxation, des choses du genre, etc...  L'abandon où le silence déplacerait la perception au delà, (ou dans l'intervalle d'une musique), c'est différent, nous jetterait, à peine plus loin et déjà nous nous sentirions menacés.

Depuis des siècles, nous devons nous contenter de cela, et bien après celui de Galilée, nous en éprouverons un vertige, c'est le même qu'autrefois. La contemplation du silence absolu de l'homme occidental, redoutant ses ténèbres, on le sait au moins depuis Pascal que le silence est négatif et toujours effrayant. La formule est indémodable :

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.

Ce genre de cri à peine audible apparût lorsque l'infinité de l'espace fût enfin révélée via le télescope de Galilée. Bien plus tard, par goût de la recherche, pour l'expérience, on enferma des êtres humains dans des pièces parfaitement insonorisées. Ceux qui entrèrent pour la première fois  en sont ressortis tellement effrayés, qu'ils crurent avoir été enfermés un court instant dans un cercueil. Cette hantise ancestrale revenait, ils ne pouvaient s'en alléger même en sachant, touchant la preuve qu'il ne s'agissait que d'un artifice, une expérience fort brève, ils savaient raisonnablement qu'une pièce isolée (cf. l'expérience du caisson d'isolation sensorielle) ne se refermerait jamais de la même manière qu'un cercueil. Malgré cela, d'instinct, ils pouvaient encore éprouver cette frayeur, de rester là, vivants en présence de la mort, "retenus" pour l'éternité, fermés à l'intérieur. Ce serait la pire mort, comme nous revient, parfois au milieu de la nuit, cette peur superstitieuse (l'enfant ne l'ignore pas), d'être enterrés vivants et de racler ses ongles contre le bois sans que jamais personne ne nous entende hurler. Le silence pourrait-il provoquer cela ? (Rassurez vous, je n'ai pas la réponse).

Ceux qui ont expérimenté les premiers, ces pièces insonorisées ont décrit leur sensation en sortant, (cela une fois au moins, leur traversa l'esprit qu'on pouvait les lâcher et les laisser mourir seuls, là dedans, comme jetés au néant d'où ils ne sortiraient jamais). Toujours pour l'expérience, on leur demanda de parler à l'intérieur de cet espace, il était question de savoir comment ils entendraient le son de leur propre voix, parfaitement isolée du reste du monde, comment tout cela s'écoutait. La plupart ont relaté que lorsqu'on parle dans cet espace, le son semble tomber directement des lèvres au sol, et les oreilles ont encore du mal à capter l'éventualité qu'il pourrait y avoir, au même moment autrepart toujours de la vie sur terre. Quelque chose bruisserait-il à l'extérieur de ce lieu isolé ? Tous ont eu quelques difficultés à l'admettre tant qu'ils n'étaient pas sortis de la pièce. Lorsque John Cage entra pour la première fois dans une pièce insonorisée, il entendit pourtant deux sons : l'un aigu, l'autre grave. Il relate :

Lorsque je le décrivis à l'ingénieur du son responsable, il m'expliqua que le son aigu était celui de la tension de mon système nerveux, le grave, celui de la circulation de mon sang.

John Cage arriva alors à la conclusion suivante, un manifeste qui ne manque pas de toupet :

Le silence n'existe pas.

Il y aura toujours quelque chose pour produire un son. Lorsque l'homme se place au centre de l'univers, le silence ne peut-être considéré que comme approximatif, jamais comme absolu. C'est à partir de cette révélation d'abord éprouvée in situ, que John Cage intitulera avec humour son excellent  livre  "SILENCE", désirant surtout attirer l'attention sur le fait que pour l'homme moderne, l'usage de ce terme se doit d'être encore ironique. Avant John Cage, on pourra trouver chez Edgar Allan Poe, déjà l'esquisse de cette idée dans "Al Aaraaf", il écrivait :

Le calme, nous l'appelons silence qui est le mot le plus simple de tous.

Il faudrait ajouter que la négativité du silence a fait de ce silence dans l'art occidental, l'élément le plus chargé de virtualité parfois obscurément/ confusément, tout dépend, (sujet peut-être à suivre). On pourra scruter ce silence et le revoir à l'avantage, l'enseigner autrement que par toutes sortes d'idées reçues (insignifiant , négatif, vide, absence, néant, négation, lâcheté, camouflage, fuite, discipline, etc...) quand on s'apercevra peut être que ce silence est en très grande partie, perdu : essayons de retrouver dans une ville par exemple, ce silence respectable et vital et l'on se heurtera d'évidence, à une sorte de peine elle aussi perdue. Cet art du silence ne semblant toujours s'envisager comme enseignement véritable qui pourrait considérer le silence comme une valeur équitable à toute forme de conversation ? C'est un regret, le silence contient sans doute hors du cadre, une liberté qui dépasse nos conversations (que cela soit dans la communication avec les autres ou dans nos tergiversations mentales, peu ou pas communicables). Le silence inapte à trouver un alphabet connu qui nous convienne, nous réunit pourtant, au moins autant que la parole aura le pouvoir de créer recréer des liens sans avoir forcément à se liguer contre le silence.

L'esprit peu formé par les sons, abordera d'une moindre écoute ce qui  est pourtant une invitation, ("sound of silence"), on vivra trop souvent le silence comme une agression et replets de notre éducation, il sera toujours préférable, (à notre entendement et par confort), de le couvrir de bruits. Sans toutefois l'affirmer avec certitude, il me semble que ce n'est pas le silence qui serait trop à craindre aujourd'hui, mais davantage la valeur positive qu'on accorde généralement aux bruits (plus souvent encore à l'importance de nos conversations) ; ou à cette pensée qui ne sait se retenir quand elle ne peut plus librement osciller (cf. Paul Valéry), entre le sens et le son, et vient imposer avec assurance une incessante réinjection de nappes taraudantes produisant un bruit de fond, enivré de lui même, cela pour parer, on le pense, à l'angoisse éternelle décrite en peu de mots par Pascal et bien d'autres.

On ne redoutera jamais assez la pensée qui ne se fiant qu'au pouvoir des mots, (réfutant le silence et croyant démasquer en lui un ennemi), ne fait que révéler les limites de sa perception. Tout cela, n'est pas condamnable car, presque rien à ce sujet ne nous aura été appris. Nos apprentissages se font avec l'image, l'image et les conditionnements reviendront toujours au galop (le bon sens près de chez vous) quant à prétendre qu'ils découleraient d'un "naturel" est une autre question. Les enfants évoluent au commencement de leur éducation avec les livres d'images, mais c'est assez idiot de rappeler qu'avant de regarder des images, l'enfant prit sa forme définitive dans un refuge à peu près silencieux (et à peu près sonore), paradis perdu bienheureux pour certains, mystère incommensurabe pour d'autres, bref, ce fût toujours un silence (comme l'entendait John Cage) qui prépara de longs mois le petit d'homme à être propulsé (bruyamment) dans un monde de bruits.

Sommes-nous en train de perdre jusqu'à la notion de silence ? De perdre le silence tout court. C'est possible, ignorant au regard de notre savoir présent (et de nos sociétés recevant de plus en plus d'outils destinés à la perception) ce que le silence contient en informations. Tout semble prêt aujourd'hui pour encore plus le recouvrir. Mais je ne ferai pas de prosélytisme, quand déjà parler du silence est en soi une aberration, bien que ce billet ne traite pas de silence, exactement, (puisqu'il n'existe pas) mais d'un certain déséquilibre qui se crée à toujours construire sa pensée à partir d'une opposition.

Enfin, pour terminer, ("Sound of silence", étant un thème inépuisable), il pourrait y avoir tant de développements que l'embarras du choix dans ce désordre, me poussera paradoxalement encore vers la musique et puisqu'il faut choisir, j'aurais une pensée pour Anton Webern qui composa, (on pourrait le croire), avec une gomme, et mena dans sa création musicale, le silence à sa beauté la plus extrême, une recherche artistique patiente, on pourrait dire, jusqu'au bout du silence ? Peut être... Ironie encore, quand on sait que sa vie s'acheva dans la détonation d'un fusil. Est ce la détonation qui se donne d'ordinaire naturelle contre le silence ? Oui, et non. pour ce cas c'est une triste méprise. A quelques détails près, on dit qu'Anton Webern le soir du 15 Septembre 1945, sortit sur la terrasse de sa maison d'accueil pour fumer un cigare, et  apprécier la nuit. Oubliant le couvre-feu, il fût tué par une sentinelle américaine, par erreur, "Et pan !", il en fût fini de la belle écriture à la gomme. L'esthétique novatrice d'Anton Webern fut souvent comparée aux petits haïkus japonais dont certains auteurs devaient mourir plus volontiers d'ivresse et de noyade par inattention en désirant (c'est un exemple) toucher la lune dont le silence épousait les glougloutement d'un lac ou le reflet gourmand d'une rivière un peu (trop ?) profonde.

De Webern à Kerouac (en passant par le pont au dessus de l'eau où vont les objets flottants silencieux (poissons, algues, origamis, bref, ces haïkus qui ne l'ont pas encore ramenée) il n'y a qu'une passerelle qu'on franchira je l'espère, cette fois sans distorsions, ce blog s'adresse aussi, on ne l'oublie pas, aux lecteurs ou amis en majorité silencieux, qui manifestent sans qu'on en ait la "preuve" (a-t-on besoin de preuve ?), une présence et participent, en silence... Il se peut que parfois sans aucun point d'appui, (et sans flagornerie), on ressente étrangement les mutiples formes de cette participation, improbable enchantement d'un art pourtant réel, de la présence qui ne se dit... Le silence n'a rien d'une bonne planque, il n'a pas tant besoin de se trouver à l'étiquette, verrouillé de définitions, n'étant pas strictement ou ceci ou cela, il ne s'opposera pas non plus à la parole qui n'a jamais trop de difficultés à le réduire à néant ou à le déprécier (le contraire moins envisageable ne se ferait qu'au prix inestimable d'une certaine dépossession). Voici, après ces papotages, la perle tournoyant sur une goutte de pluie, fermant la boite à camembert de la petite crèmerie, les porte-voix et nos boudoirs se trouveront légérement balayés, (une seconde, c'est très peu), par l'oreille du grand voyageur.

 

 

Le son du silence
est toute l'instruction
Que tu recevras

 

 

Photo :  Vestiges (extrait) rencontrés à Cluny (fondée en 909 ou 910), une image simple perdue à la fin de l'été, où le silence roulant encore entre les pierres suggére les figures béates ou les grimaces des sculptures créees par les artisans anonymes du Moyen-âge. Leur parole se fige là, au secret, fidèle à celle des moines recopiant les prières. Ici la clarté et des ombres, le silence profond de l'édifice secoué aux heures ouvrables par les exclamations des touristes, et parfois du vieux rire de la révolution venant avec fracas presque tout démolir, (vingt cinq ans de démolition d'abord tonitruante puis étonnament silencieuse), le bruit et le silence tout entiers confondus, et plus loin, qui sait ? Le frémissement d'une plume d'oiseau ouvragerait les fleurs d'un chapiteau qui se dore au soleil, garde peut-être sous les pierres, la mémoire impossible des voix qui n'ont jamais pu revenir. Photographié, cet été de cette année là.

 

©Frb 2011.

mercredi, 26 octobre 2011

Au mieux l'aphocalypse...

la faute à qui (liss 2).jpg

 

     Words, or words.

 

 

Photo : Le H nuit à l'orthographe ou hante peut être "l'esprit des murs". Le nouveau visage de l'apothéose photographié en bas des pentes de la Croix-Rousse, entre les rues René Leynaud et René Burdeau un graff (ayant fauté ? A qui la faute ?) surtout, nargue l'ancienne église des oratoriens, dite église St Polycarpe (mais jamais Pholycarpe), et sa paroisse, toute dédiée à Saint Irénée (auteur d'un traité contre les hérésies, tiens donc !) et surtout dédiée à Saint Pothin ou plutôt Saint Photin pénétrant dans le corps d'un graff  ou graph ? Et quel grafph ! mais non, mais non ! phaut pas de "H" à Saint Photin  !... Mais si, mais si !

©  Frb 2011.

samedi, 08 octobre 2011

Durs de la feuille

Se peut-il que tout soit fini ! je n'ai pas encore vécu cinq fois huit années, il me semble que je suis née d'hier et déjà voici qu'il faut dire, on ne m'aimera plus.

PIERRE LOUŸS, extr. "Les chansons de Bilitis", éditions Albin Michel, 1962.

Si vous avez loupé le début vous devez cliquer dans l'image (et rebelote !) ...dur de la feuille.jpg

 

LUI : - Ecoute, poupée, j'ai envie de changer d'atmosphère, de toute façon je ne te mérite pas. Je crois qu'il vaut mieux qu'on arrête.

ELLE : -  Oh non ! Chouchou ! mais pourquoi ? Après toutes ces années... Ne suis-je donc plus rien pour toi ? Tu m'aimes plus ?... (Sniff sniff  bouhhhh ! sniff ! bouhhhh sniff  bouhhhhh !!!...)

 

Rewind:

 

 

 

Bonus / Malus :

Question du lecteur :

- Et après ?

Réponse de la dame du courrier du coeur :

Après faut aller là ↓

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/02/12/da...

Question du lecteur :

- Et après ? ...

Réponse de l'assistante sociale:

-  Après, faut aller là  ↓

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/05/28/ap...

Question du lecteur :

- Et après ? ...

Réponse (et avis) du psy:

- Après ? Surtout rester soi-même ! ne jamais perdre espoir (c'est mon conseil !) il faut sortir, s'amuser, voir des gens, s'ouvrir aux autres, faire de la gymnastique, jusqu'au jour où ...  ↓

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/05/23/re...

Question du lecteur :

- Et après ? ...

Réponse de la modératrice :

- Allons ! allons ! pas si vite les amis ! pas si vite ! ...

(A SUIVRE)...

 

Photo Drame de la vie conjugale photographié (en douce), sur le cours de l'Emile, un jour d'Octobre de cette année là.

© Frb 2011.

lundi, 26 septembre 2011

L'échappée vaine

Je serai l'artisan de mon propre dépaysement

JEAN BERTRAND PONTALIS : "Loin", éditions Gallimard, 1992.

lucien bis6343.JPGComme le grand voyageur, il a tourné les talons, il s'en est allé seul. "Facile de laisser tout". Et leur tronches tous derrière, les gens de sa maison qu'il appelait "les miens", et qui avaient fini par lui ressembler trait pour trait tandis qu'il ne leur ressemblait en rien, portant une quantité d'obligations, d'affections corvéables, tout ce temps à durer, se construire sur un drôle d'équilibre qui n'était ni le leur, ni le sien. A devoir faire plaisir, même quand il bricolait, c'étaient là des moments  tranquilles, mais il y avait toujours un temps où quelqu'un lui criait du fond la cuisine "Tu viens manger ?" ou simplement, "C'est prêt !". Il répondait régulièrement, "j'arrive !" comme hier, comme demain, il arrivait dans la seconde, la tête rentrée dans les épaules déroulant d'un rond de serviette ,sa petite serviette à lui, reliquat d'un trousseau, où l'on avait brodé à la main, point par point son prénom il savait chaque jour qu'il s'appellait "Lucien", à la même place, la place du père en bout de table, à côté de la corbeille à pain, de la bouteille de vin, de la cruche d'eau toute en face de cette cruche de Brigitte, ces cruchons familiaux, il prenait sa becquée, sa couvée, toute en bouche, et là, sur ses épaules un excédent fragile détraquait les chemins.

Comme le grand voyageur il reviendra, (il reviennent tous) pour raconter plus tard ce qu'il a vu, c'est cela qui lui manque, raconter ce qu'il a vu. Comme hier, comme demain, c'est toujours les mêmes tronches. Parfois, il s'agglutine seul dans son coin en douce, et dans le vin qui gonfle ses méninges, il est fils de cette fougue remuée patiemment, il a trop à larguer, d'un seul coup c'est si dur, tout cet attachement, tout ce qu'on lui promet. L'amour de l'entourage ne fait plus désormais qu'assurer le poids du décor, assortir des objets avec quelques tentures, ou des coussins du genre. Tout cet abrutissement dans un monde achevé, abrutissait sa mort, il n'y aurait rien d'héroïque à se sentir aimé, ni à mourir de cette façon.

Comme le grand voyageur, il a dit "je vais tourner la page", si novice à l'époque, ces photos de mariage exposées au salon, la traîne blanche de Brigitte, ces sourires sur la plage, ça lui sort par les yeux, dans les cadres, ça mélange les vacances au camping, les crêpes au carnaval, et Médor dans les bras des cousins à La Plagne. Comment avait-il pu se croire chef au domaine ? Lui, qui depuis longtemps ne décidait de rien, Ce n'était plus vraiment comme hier, sur les photos quand il prenait Brigitte par la taille, celle qu'il avait choisie, à qui il avait dit "tu seras la femme de ma vie pour toujours". Mais quelle vie pour toujours spéculerait sur demain ? Il croyait c'était vrai. Il tenait une femme de sa vie, qui se donnait, était sienne ; aurait-il le coeur si fidèle pour n'aimer qu'une seule femme ? Une seule vie ? Existait-il sur terre, une créature plus belle que Brigitte, et sa traîne ?

Il avait dû comprendre quelque chose qu'on ne doit pas dire, du moins s'était-il arrangé jusqu'à ces derniers jours, pour ne pas laisser échapper ces lièvres qui couraient sous son corps, des milliers de fourmis, des crampes, des entonnoirs, et ces cubits replets de Nuits Saint Georges. Il avait ramassé, depuis ce temps, les couleurs de tous les automnes, collées sur des herbiers, une bonne vingtaine d'années fourbues entre le lierre, le chèvrefeuille, qui dévoraient les murs, partout camouflant les greniers, où l'on avait caché des bas de laine précieux. Pour deux ou trois pièces d'or, chez lui rien ne bougeait. Aujourd'hui c'est la poudre de perlinpin diluée dans l'alcool qui se prend dans le grand soleil d'Octobre, ouvre l'été radieux de sa jeunesse privée de ces jeux qui débordent.

Comme le grand voyageur, le dormeur réveillé au milieu de la nuit par le vent qui frappe aux volets, il veut aller partout et se débarrasser, de ses murs et des siens qui courent, des gens concrets, énergiques, il fait mine de les protéger, lui, qui, sucé jusqu'à la moelle est devenu plus faible qu'eux, lui qui s'en va. Il est parti. "Qu'ils se débrouillent sans moi, avec leurs tronches !" Il se ressert un verre ou deux, il va jusqu'aux champs lumineux de la vigne qui pousse au milieu des bassins du jardin d'acclimatation, il regarde des jeunes filles, au sang chaud, brasser le grain et les fruits rouges, leurs belles mains libres, courent déjà sur son corps. Oui ce sera demain.

Comme le grand voyageur, il a mis les fruits à sa bouche, le feu aux poudres et ça ne ressemblait en rien, aux fruits qu'il mangeait chaque jour. Un instant cueilli comme un prince, s'agréant au désir de ses folles combines qui font tourner la roue. La route, elle tourne aussi ; encore un chariot qui chavire. C'est autant de malheur qui vient. Il a brassé dans la montagne, l'heure tournait, ce n'était pas grave. Il s'est voué aux secrets de ces filles, a pratiqué les ablutions.

Comme le grand voyageur, tire un trait, s'en va libre, il a mis son corps à merci livré son coeur mou à ces filles, une première fois, après quoi l'obsession sera de leur tourner autour, d'y retourner les autres jours, pour ne pas dépérir de l'usure de là bas, dans les belles décombres des pavillons où vont les ballons, les tricycles, le juste prix, les soucis emballés dans de la toile de jouy, il a vu l'heure tourner sur un poignet, qui n'était pas le sien, par la caresse d'une de ces petites putes, allumant, un instant le bon père de famille, et l'incendie dans sa maison. Une vie entière qu'on bousillerait comme ça pour un coup de queue. "Merde alors ! ces filles là, ont le vice dans la peau" aura t-il pensé un instant en remontant ses bretelles, ses chaussettes en coton, en rhabillant l'ivresse sur un demi-litre de vin de table, un demi-verre, par jour, avait dit le Docteur Mollon, à cause de l'albumine ou du cholestérol. Parfait, parfait, puis il regardé le pli du pantalon, repassé comme il faut, ça tombait droit sur la chaussure, qui foulait sans souci des tapis de feuilles mortes.

Comme le grand voyageur qui a froid qui a faim, pris du regret soudain d'avoir failli à sa mission, comme le père fouettard fouette la poudre de perlinpin, il a remis le grain fou de ses grands voyages dans de toutes petites craintes. Que deviendraient ils, eux, sans lui, les miens, les siens ? Bordel à cul, bordel à cons". Il a encore regardé l'heure sur son poignet, c'était le sien. C'était grand temps. Il a eu peur. Il était temps de retourner à la maison. "On ne part pas comme ça". On ne laisse pas tout sur un coup de coeur. Il a voulu s'amender, demander pardon, aux enfants à sa femme, à ces tronches. Tout leur dire. Vivre avec ce poids là, "non, non non ! il n'était pas question" après toutes ces années, après tout leur avoir caché, "pas question de mentir, non non non" ! Il songeait à la belle famille. Ca ferait un beau tintamarre. Puis comme chaque jour, il a repoussé à demain, le moment de le dire, mais le grand vin doré l'abordait d'une lie qui laisserait des empreintes, allant rejouer l'aventure avec ce petit goût heureux de reviens-z'y. Une joie, un frisson, "heureux, heureux".

Il y retournerait demain, et tous les jours qui suivent changeraient de couleur, peu à peu habiteraient dans sa tête qui n'allait plus très bien, ce serait une autre maison, celle du petit bonhomme qui pirouette dans la chanson, un pti bonhomme de rien monté sur des bretelles, porté par des chaussettes en coton, des vignes, et des bassins et la douceur des filles qui sortent toutes nues du bain dans le parc d'acclimatation. Il songea au remords bien plié, à la faute, qu'elle pourrait deviner, elle qui devinait tout, elle qui disait toujours "le connaître comme personne". Tu parles d'une expression ! Des mots, "nos mots à nous", il les anticipait, les connaissait par coeur, quand il se défendait, s'embrouillait, cette réponse. Le soupçon à portée, Brigitte elle concluait :"c'est pas la peine, Lucien j'te connais, j'te connais !".

Il songea au Docteur Mollon avec sa longue tête piriforme, ses cravates à rayures cette tête de bouteille de Perrier ou de gnôle à la poire, sa cravate aussi moche qu'un torchon pour les mains, il songea à Médor, s'il partait, qui en aurait la garde ? Il vit le Docteur Mollon qui le fixait, pas comme d'habitude derrière des grosses lunettes d'écaille, il a vu le Docteur Mollon gracieux comme une porte de prison, tirer comme on dit la sonnette d'alarme -"vous êtes surmené monsieur Bauchier en ce moment, il faudrait passer un scanner, puis consulter au plus vite un psychiatre, je vais vous donner l'adresse d'un confrère, vous verrez il est excellent", il aura répondu sans voir plus loin que le bout de son nez -"Mais moi, j'ai pas besoin de psychiatre, je vais très bien, chui pas fou". Le docteur Mollon il savait ; laissait peser dans le bleu de son cabinet les symptômes et la grande souffrance d'une maladie bizarre "qu'on ne peut pas toujours expliquer qui dépend de facteurs divers et variés, mais qu'il est nécessaire de traiter, pour différentes raisons".

Comme le grand voyageur, il aura pris les escaliers au lieu de l'ascenseur, sous son corps tous les lièvres à présent soulevés n'avaient plus tant d'ardeur, au soupçon de myxomatose, et les bretelles se rattachaient aux chaussettes en coton aux crampes, aux fourmis noires à l'entonnoir et au bouchon en plastique d'une bouteille d'Hépatum. Comme le grand voyageur, il a marché, marché en portant des sacs invisibles. Il a repensé que Brigitte voulait qu'il ramène deux banettes, des oeufs, du lait, de l'aspirine. On l'aura vu passer par la boulangerie, ressortir avec deux banettes, au Franprix on soldait des chaussettes, il en a acheté une série, et du vin, sans raison, ça le calmait. On l'a vu entrer par la porte de derrière de la petite pharmacie, juste à l'écart du centre ville, puis il a glissé l'ordonnance et des billets, des milliers de billets dans les grands décolletés de Nadège et de Sandrine.

 

 

Photo : Lucien rêve. Sur la grande esplanade située juste devant le TNP dans le très beau quartier (Merci Lazare Goujon !) des Gratte-Ciel, à Villeurbanne.

© Frb 2011

vendredi, 23 septembre 2011

Brader la ville

Ce qui est actuel, c'est toujours un présent. Mais justement, le présent change ou passe. On peut toujours dire qu'il devient passé quand il n'est plus, quand le nouveau présent le remplace. Mais cela ne veut rien dire. Il faut bien qu'il passe pour que le nouveau présent arrive, il faut bien qu'il passe en même temps qu'il est présent, au moment où il l'est. Il faut donc que l'image soit présente et passée, encore présente et déjà passée, à la fois, en même temps. Si elle n'était pas déjà passée en même temps que présente, jamais le présent ne passerait. Le passé ne succède pas au présent qu'il n'est plus, il coexiste avec le présent qu'il a été.

GILLES DELEUZE in "L'image-Temps"

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Conséquences (barbares) by Luc Moullet :

 

 

 

Photos : Comme un monde entre ??? De l'architecture utilitaire, plus ou moins diverse (ou la beauté caché du laid ?). Photographiée du quartier République à celui de la Part-Dieu, entre Villeurbanne et le Grand Lyon.

© Frb 2011.

vendredi, 16 septembre 2011

Colt ...

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Invisible limits : le mode d'emploi est dans l'image. Une certaine tentation...

Rébus urbain © Frb  2011

mercredi, 14 septembre 2011

Le dessus des cartes (désir du jour)

ProgrammeAmis de la petite province, je vous promets le bonheur pour tous. (Votez pour moi !). Note à l'attention du lecteur qui n'ose pas regarder sous les jupons des cartes, j'ajouterai, le lien du dyptique, (fin dyptique cartésien, il en faut, et sa synthèse va dans les murs) vous trouverez le voyage dans toute sa complétude en cliquant sur : ICI.

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Photos :  Le dessus des cartes de la rue Descartes ou petit rébus provincial

Restructuration d'une ancienne enseigne d'un atelier artisanal situé rue Descartes à Villeurbanne. © Frb 2011

La suite toujours plus bas

Le dessous des cartes (c'est déjà demain)

Discours d'investiture : Provinchiales, provinchiaux, mes chers compatriotes. Merchi de m'avoir élue. Vous avez fait le bon choix, le choix du bon chenche. Mais la chituachion étant che qu'on chait, et dans le contechte de rechechion qui menache la nachion, nous jalons touche être forchés de retroucher nos manches. L'opchion de l'auchtérité est auchi chelle de la chagèche, pour che faire, nous rechterons jichi enchemble afin de trouver une choluchion qui rende pochible la cholidarité entre touche. Je compte chur votre conchienche chitoyenne, cha demandera des chacrifiches, mais gil en va de l'avenir de la Franche, ch'est bien trichte mais ch"est comme cha  : Vive la Franche !  de droite de gauche, et du chantre !)

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Photos : Le dessous des cartes de la rue Descartes. Ou solution du petit rébus provincial (y'a un proverbe provincial qui  est signé du Riri, qui dit aussi que "c'est bien partout Vendenesse" mais bon, on fait de la politique, (et c'est exceptionnel) on ne va pas se mettre à faire de la philosophie par dessus le marché...

Villeurbanne © Frasby 2012.

(eh  ben oui ! c'est ça l'avant garde, avec une petite longueur d'avance, en toute humilité ! et dans un but, toujours le même, vous distraire, mes chers compatriotes, vous pouvez me remercier, envoyez vos dons !)

dimanche, 11 septembre 2011

Rentrer

Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. Il n’y aura plus écrit en lettres de porcelaine blanche collées en arc de cercle sur la glace du petit café de la rue Coquillière :  "Ici, on consulte le bottin" et "Casse-croûte à toute heure".

GEORGES PEREC in "Espèces d'espaces, éditions Galilée 2006.

rentrer,septembre,la rentrée,ville,espace,espèces d'espaces,georges perec,déambulatons,filatures,balades,mouvements,instantanés,saison,lyon,les gens,la ville,démarches,traces,activités,en sarkozie,nouveau monde,uniformité,night and dayEt puis, Septembre remit sur pieds les corps glorieux qui claquaient le jour au défi des tapis roulants et c'était toutes sortes de gens qui revenaient d'on ne sait où, dorés comme des bijoux du manège enchanté de la galerie "Toutor". Ils marchaient au dessus du monde, ils glissaient dans le labyrinthe dont le sol serait bientôt recouvert de feuilles mortes, et par dessus encore, il y aurait le bruit des pas de ceux qui rentrent à reculons, déjà figés dans le décor avec leur tête de d'autruches, les éternels amoureux du dimanche et de l'oisiveté qui ouvrent les yeux comme autant de fenêtres sur de multiples mondes. Il y aurait la beauté intouchable des noctambules qui battent le pavé à minuit, finissent sous les poutres des pigeonniers cours d'Herbouville ou dans ces rues sans avenir la "De nuits", ou la "Longue". Il y aurait du bruit sur la Côte, de la bière et des flics entre Polycarpe et Terraille et puis, dans la fraîcheur, les nuiteux reviendraient à l'aube, claquer leurs derniers sous pour être les premiers dans les boulangeries aux noms qui flattent un peu l'amitié voir l'amour ou juste la mémoire comme "Le banquet" "L'épi d'or", ("Gerbe d'Or", ou "Rodrigue"), il y aurait des orgies de croissants chauds et de chaussons aux pommes. Il y aurait des halos de brumes fondus dans la lessive des particules fines et le couloir de la chimie qui ramènerait les odeurs d'oeufs pourris, à l'heure des ablutions des uns, des réunions des autres, tout se re-mélangerait à la fumée des cigarettes blondes, au goût du shit, au reflux d'arômes tièdes du printemps synthétique qu'on met dans les gamelles de détergents industriels sous le nom de "senteur florale", ça remonterait vers les pelouses du quartier Opéra où l'on se traîne encore, allongeant l'été à loisir, seul à seul multiplié par mille, tous portant le même sac (du positif), et lisant la même revue (de l'actu), celle qu'on nous distribue dans le métro, qui est gratuite, inventée par les concepteurs de la gratuité lucrative ciblant son grand public de publi-reportages voués aux isthmes du Sarko. Ils préparent notre avenir en nous caressant le dos, ça grignote sans nous le dire, nos heures de cerveau disponible durant les pauses ou via nos déambulations de rats des villes ; en toutes constellations où la multitude nous allège du poids de l'ombilic, nous irons. On ira, on va, on va...

rentrer seul_0109.JPGPlus loin par les méandres d'un plan de Vélov' (ou "vélos d'amour"), la rentrée honorera encore le beau temps sous des blancs de cirrocumulus granulant légèrement le bleu qu'on possède encore en lambeaux et l'on remuera l'aventure sur un pied d'appareil photo, espérant du nouveau, à croquer un peu de perspective. Ici, tout semble prévisible. Rien ; sinon cette chaleur de tripot, cet air brut et torpide. Rien ; sinon que du beau dans la ville aux façades rosées cachant son mal entre les ponts, autant de gouffres côtés du Rhône que de guinguettes aux volets clos et de plages interdites, les boites de nuits plongeant sur Vaise neuf et refait avec sa gare qui fût détruite sous les bombardements du 6 Mai 44, une gare en bois, vite reconstruite entre deux évènements, jusqu'à l'espace multimodal d'aujourd'hui et par dessus, tout ça, il y aura les barres vanillées de la Duche qui regardent le bas, plus pour longtemps, barrées déjà par un projet de ville, il transformera bientôt ce quartier en un "pôle attractif", disons "plus attractif", c'est la fine formule, pôle ou quartier, pourvu que tout cela devienne "attractif". Les mots bleus du Grand Lyon, peaufinant sa vitrine en bonnes concertations abonnées à la cool attitude, nebulus à venir. On ne peut rien en dire. On se porte sur les pentes, on coupe par les traboules où vit encore un monstre de légendes mystérieuses ; on croisera même en rêve les fantômes : des gisants de Loyasse, un secret chu à l'observance  puis on retournera comme hier dans les rues en presqu'île, autour de la place de la Bourse, on verra des messieurs dits "d'un âge", des cadres distingués, à l'allure de Clooney raybanés (comme Dutronc), faussement déglingues, (vaguement Borloo), qui vont de table en table, glissant, leur carte de visite, en toute discrétion, aux jeunes filles venues là pour boucler leur fin de mois. C'est secret de Polichinelle mais ce n'est pas dans tous les bars de presqu'île qu'on fait ça...  Chez Jules on causera d'art (mais à la bonne franquette), à la Manille on jouera (à la Manille), ou on lira sous les mêmes globes lumineux qu'autrefois, des journaux du jour ou de la veille, au Moulin joli on s'emmerdera joliment et les nouvelles couleurs de beige à chocolat nous ferons regretter le vieux "Moulin Joli" terne et bruyant, d'avant.

rentree  cc.jpgIl y aura la sortie des classes vers Ampère ou ailleurs, des ados qui ricanent à trois sur un scooter, roulant les pelles, les mécaniques, claquant de la planche, l'Icare niqué sur des genres d'escaliers. Passée vers la mairie de la place Sathonay, il on croisera Mademoiselle Pugeolles, rejoignant sur une trottinette, son petit F2 de la rue Burdeau, un  cartable tout neuf sous le bras, avec des surpiqûres, et des poches intérieures de la taille d'un kleenex.  Il y aura rue de la Ré plein de monde en grappes vers les cinq heures du soir, des groupements sous la cnaf avec toute la culture de Levy à Musso et des livres de Daniel Pennac à moitié prix entassés près des piles de compils de Pavarotti chante Verdi. Il y aura des regards en biais, sur le flottement d'une jupe plissée bourgeoise, s'attardant devant la vitrine d'Yves Rocher, des mains de femmes chez Sephora dépliant la publicité d'un nouveau parfum (pour les femmes) qui leur affine les hanches pendant qu'elles dorment. Il y aura les dernières robes d'été, des chapeaux d'hommes  à l'Argue, à fines rayures noires et blanches genre maquereaux siciliens à porter avec des bottines en daim à demi lacées, exprès, fausse néglige, de la bohème, encore, des bottines de gamines, vraiment ergonomiques à talons de 7 cm, qui font de belles chevilles et qu'on porte avec des collants 15 deniers de teinte biche.

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Antithèse : ICI

Photos : Des filatures fragiles aux quatre points cardinaux d'une ville entre deux ponts et deux collines, du quartier de bureautique (et domotique) aux costumes froissés près des gares (1) juste à proximité de l'école (2), un passage clouté de bellecour en Presqu'île (3) enfin, sortie du temple où la terre promise distribue de la marchandise et pour quelques centimes (de plus) vous avez les cabas recyclables, bien de quoi battre le pavé jusqu'aux prochaines vacances (4). Juste quelques images from Lyon entre déjà hier, dans le vieil aujourd'hui, aussi loin que demain.

 

Lyon vu par © Frb : 2011.

mercredi, 31 août 2011

Premier volet de l'exposition

 Art-volet ou volet volé ? Encore une oeuvre qui ne sera pas comprise ...

premier volet de l'expo.JPG"Art signifiant, signifié du mouvement flêché dans l'oeuvre non-signée, du volet blanc de l'exposition fondue au noir repassant au blanc de l'oeuvre volée, le spectateur enfin confondu par la pertinence du sujet retrouve la place qui ne lui fût jamais accordée. Celle du regardeur survolé. Cela faisait bien longtemps qu'on n'avait pas abordé une oeuvre aussi  riche de sens, du nouveau pour les yeux et l'esprit. Un chef d'oeuvre stupéfiant retournant le détournement jusqu'à la plus pure authenticité du quotidien transfiguré par une sublimité à la fois simple et forcément multiple qui cache et révèle la complexité des relations du visiteur à tout ce que l'oeuvre sait lui dissimuler jusqu'à lui enseigner les bases aléatoires d'un réapprentissage des gestes comme "ouvrir" ou "fermer". Le premier volet de l'exposition est sans aucun doute l'évènement le plus intelligent de la rentrée. A ne louper sous aucun prétexte !

 CLAUDE-MARIE CREMOIX, in "L'étherama" n° 8966, pages culture, Juillet 2011.

Photo :  Le premier volet de l'expo, (ou l'infracritique du sub'art' précise l'expert), à ce qu'en dit l'artiste, d'autres viendront. De volets, (suivez un peu, voyons !)

© Frb 2011.

mardi, 30 août 2011

Du peu qu'on ne sait dire...

Je suis long à prendre des déterminations, à quitter des habitudes. Mais quand les pierres, à la fin, me tombent du coeur, elles restent pour toujours à mes pieds et aucune force humaine ensuite, aucun levier n'en peut plus remuer les ruines. Je suis comme le temple de Salomon, on ne peut plus me rebâtir.

FLAUBERT extr. d'une "Lettre à Louise Colet" datant du 6 juin 1853.

du peu qu'on ne sait dire,passé,présent,été hiver,mondes réels,mondes virtuels,correspondances,gustave flaubert,louise colet,pérégrinations,errances,digressions,espaces,inanité,solitude,isolement,multitudeSa mémoire recensait un peu tout ce qui remuait dans l'ombre, d'autres brassaient sur des écrans les nouvelles du soleil à venir, ça donnerait au milieu de Septembre une illusion de feu dans la lumière. Le vieux, il racontait hier, que "lorsqu'on voit sortir le museau des taupes, c'est toujours signe de mauvais temps". En attendant, l'été finissait, éclairant toute chose et même les yeux si parfaitement éteints de nous autres les promeneurs, qui prenions l'ocre pour du jaune, et l'herbe brûlée pour du foin. Ceux qui ne remarquaient rien craignaient juste que la fraîcheur du soir porte en elle les tourments aux heures les plus sombres, tout le dépressionnisme des jours qui précèdent la rentrée des classes, et s'installe longtemps à l'avance, ils redoutaient les nuits noires, de longues nuits où se bousculaient les fantômes, cela réveillait les chagrins qui se figeaient par les brumes au matin. Partout on savait qu'on allait vers une saison plus triste, chaque année c'était toujours comme à la fin, toujours les mêmes célébrations. On revivait la fin du monde une fois l'an, partout où grossissaient les ombres si démesurées qu'elles semblaient pouvoir annuler en chemin, toutes les illuminations de l'été.

Les vieux buvaient encore sous les platanes, on voyait sur leurs gueules la chaleur qui remonte par les tonneaux de vin. On attendrait qu'il pleuve, ou qu'il vente pour rentrer les bacs à géraniums et les chaises de jardin. Ici, du tonnerre de Juillet on s'en souvenait, par delà les décombres, il avait fait grand bien, balayant les anciennes demeures où le malheur frappait toujours, la foudre était tombée sur le grand chêne rouge, cette fois, il n'en resterait rien. On parlait d'un malheur ici, on espérait encore que la force du vent puisse détruire en même temps le souvenir funeste de ces gens qui portaient le malheur avec eux, trop sûrs d'eux-mêmes pour qui la cruauté semblait une force à offrir en modèle ravivant la faiblesse d'en finir avec nos faiblesses, mais on n'en soufflait mot, ce qu'il restait d'embarrassant, venait comme une maladie qui courait encore dans le ciel et l'on se sentait vaguement étranger, tâchant de se protéger au mieux de ces gravités trop humaines qui creusaient des tombes en dedans. Que n'auraient-ils pas fait, ces ambitieux, pour obtenir l'assentiment du plus grand nombre ? Hélas, ils l'obtenaient. Ils parlaient à tort à travers et les autres écoutaient, attrapés par les belles formules, des mouches attirées par le miel et ces semblants d'amour qui venaient flatter par défaut le manque. Aucun des spectateurs ne saurait dire si la source d'un tel amour n'était pas remplie de poison. On ne pouvait plus répondre aux questions, miel et poison, c'était dans l'air. C'était là notre vie présente, on en ferait un commerce égal à nos fausses compassions. On ne pouvait ni juger, ni s'y plaire, on écoutait en prenant garde de ne pas se trouver happés par la trop vive lumière que des ombres moins prévisibles écraseraient un jour en passant.

Sous la toile aguicheuse patiemment ouvragée, il y avait des doublures, des motifs piqués de frelons, un tissu cachant la vermine, des peaux de bête qui sait ? Et les monstres grimés allaient comme des loups de légende, poser cette caresse aux carrefours où des colporteurs faisaient feu de tout ce qui restait. Jusqu'au bistro d'en face on retrouvait les moues les mêmes, depuis des siècles, des créatures obscènes des chapitaux romans et des masques de plâtre. Les femmes aussi, elles portaient leur silence en dessous, à force de devoir endurer toute la boue que les hommes éconduits avaient dû déverser sur elles. Sous des coiffes impeccables et les fausses dentelles, elles pouvaient ressembler tantôt à des sorcières, tantôt à la Sainte Vierge, dont le visage, sans aspérité révélait une férocité naturelle qui faisait douter de leur sainteté, on ne pouvait plus dire si leur joie apparente était une peine ou leur peine un rire plein de méchanceté, de rancoeur ravalée jusqu'au sacrifice pour leurs mères elles mêmes sacrifiées. Aucune image, ni aucun livre n'avaient osé clairement nous dire si cela était faux ou vrai.

On marchait quelques kilomètres plus haut, la terre couvrait de souvenirs l'histoire de ces conquérants courageux. On retrouvait émerveillés les premiers écrits des trouvères, ceux du jeu de parti sous le palefroi d'un chevalier, dans les formules abolies on prenait soin de s'abolir ainsi, tout alentour allait aux pas de ces anciens poètes-guerriers partis un jour forcer les portes de la terre. On appréciait encore le charme des fenêtres à meneaux, on se promenait dans les chapelles où sous les voûtes en berceaux, on pleurait seul mais tranquille. Après s'être isolé par cette apaisante lumière, on se retrouvait dans la rue d'une ville, on se sentait perdu, vendu, défenestré, redirigé à contre-coeur vers ces nouveaux commerces où plus un seul humain ne pourrait bientôt choisir d'aller seul sans se trouver brusquement isolé, (encore qu'il reste à préciser, la différence à la fois intime et infirme entre la solitude et l'isolement). Ce nouveau monde nous forcerait-il à appartenir, (qu'on le veuille ou non), à quelquechose d'infiniment plus désarmant que la solitude ou que l'isolement ? Oui, et sans grâce, pour l'heure on se sentait presque obligé d'en accepter l'exubérance, et sa loi, cette inanité.

Lentement, on verrait se tramer les éclats de ces petits mondes, un mirage pour chaque chambre, cela nous donnerait-il la somme d'une totalité encore insuffisante ? Des vies où nous ne serions plus ni assez seuls ni assez libres pour réfuter nos dépendances. Cette nouvelle religion était si expressive, si idéalisée, que par mégarde on s'y logeait comme rien, galvaudant nos secrets, jusqu'à ceux qu'on avait juré de ne jamais trahir, pétri par cette masse, embarqué, on acceptait d'y étaler maintenant nos amitiés pareilles aux marchandises, pourvu que nous soit accordée, un court instant, ce peu de reconnaissance qui nous "fait", celle qu'on croit toujours mériter ; comme si tout était histoire de "mérite". Pour quels égards encore, serions-nous prêts à nous laisser "choisir" ? Envisagerions-nous aussi naïvement l'idée que la seule valeur défendable à ce jour fût encore la liberté d'expression ? (de chacun, bien évidemment), une fiction parmi d'autres, tout comme l'intelligence (du coeur ?) que mon ingratitude ne me permettra jamais d'exalter à si bon compte, mais ce regret inconsolé trouvera peut-être plus de sérénité à savoir qu'il est plus facile de montrer ce qu'on n'a pas, que de se regarder au miroir de ses propres contrefaçons.

Bientôt, il y aurait des courses pour chaque histoire, de compétition en compétion, des preuves au transfert de ce mal, le retour de toutes sortes de préventions, maldonne organisée pour le bien du grand nombre : retour de la morale, prise en charge de l'expression de nos forces diminuées et toutes les trahisons de nos plus grands espoirs seraient à mesure consommées. Il y aurait l'oubli de ces merveilleuses constructions, l'écroulement des cabanes pour d'autres garanties, plus solides, tout cela permettrait de nouveaux paysages. On construit déjà les maisons. On met aux loisirs tant de pages, au catalogue quelques balises et des combinaisons pour grimper dans les arbres, le retour à la vie sauvage encadrant les nouvelles colonisations. Il nous paraîtra encore délicat de poser autour de ces miasmes des bâtons d'encens parfumés. Ou bien, on ira dormir dans la crasse, par les ruines volées, imparfaites, un instant détaché de tous, scrutant le vide omni-présent dans la nuit qui vient à rebours et sous la bonne étoile qui nous relie aux trois mille autres, visibles à l'oeil nu, peut-être choisira-t-on de ne pas voir, de n'y puiser que le néant, l'immense empire impénétrable ou le noir à portée, cependant il faut toujours un peu choisir, quoiqu'on en dise ... On cherchera encore ce qu'il y aurait de charme à vivre, pas plus que le présent, pour tout le peu qu'on sait, intraduisible. On cherchera.

Photo : Si l'hiver vient comme un mouton, il s'en ira comme un dragon dit un ancien proverbe hivernal. Mais ce pays n'est pas l'hiver et la bête n'est pas le cerbère du temple de Salomon, c'est juste un doux fauve pétrifié par le temps, saisi là haut sur la montagne, on ne le trouve que si on le cherche, il est caché par les buissons près des cailloux sous lesquels remontent les légendes anciennes comme celle d'un trésor qui se trouvait enseveli sous une pierre tournante, dans ce monde, (le notre) la bête garde encore de nombreux souterrains, je vous ramènerai peut être un (certain) jour quelques extraits de ces  légendes encore vives qui viennent de la Montagne de Dun, dominée par une minuscule chapelle. J'ai sous les yeux les notes de trois érudits de ces mondes (Mr Jean Virey, les abbés Paul Muguet et Henri Mouterde), qui ont narré dans un ouvrage admirable, paru en 1900, l'histoire de "Dun. Autrefois, aujourd’hui". Rien à voir avec notre monde... Petite promesse, peut être à suivre...

Photo: © Frb 2010.

samedi, 30 juillet 2011

Petits voyages

Donc, si après mille efforts pénibles, le lecteur décrète qu'on n'a pas atteint le port, cependant il vaut mieux sombrer dans les profondeurs en cherchant avec ardeur, que flotter sur un banc de sable.

HERMAN MELVILLE, extr. "Mardi" (traduit par Charles Cestre, introduction D. Fernandez), éditions Flammarion 1990.

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Le mouvement nous sort du danger des aveuglements de nous mêmes, les voyages portent autant conseil qu'ils nous remuent longtemps après, comme la nuit  où  nos songes font revivre les lieux oubliés, travaillent les esprits et nous allons à leur rencontre. J'ai mon billet, c'est plié en petit dans la poche, à chaque instant il me faut vérifier si je ne l'ai pas perdu. Oui, je l'ai. C'est pour l'heure un petit livre blanc, un fragment d'atlas, une cible. Je relis plusieurs fois le résumé recto-verso, avec le numéro du train, juste un "aller" au poinçon qui délivre le droit de s'éloigner, et là, pendant des minutes que j'aimerais encore ralentir, je regarde les locomotives jouer dans la pénombre. C'est un peu comme un mot d'absence, qui ira tout à l'heure glisser entre les mains d'un contrôleur, un billet simple que j'imagine quelquefois sans retour, quand je m'en vais, c'est dans l'idée que je pourrais partir toujours, ou revenir illico par le train qui suivrait, ou encore bifurquer dans la minute, s'il est possible (ah ! les correspondances !). J'ai le billet d'une loterie topographique, tant de bourgades à traverser entre ici et là bas, des forêts inconnues, hameaux sans habitant, vus d'un viaduc, on revit dans la miniature des petits toits, des petits murs, pareils aux bouts de toits, bouts de murs, du jeu de construction pour enfant. J'aime les trains lents, les anciennes Michelines, un jour je goûterai au Cevenol...

En attendant je fais les cent pas hors du hall, je m'égare un peu dans cet espèce de no man's land, le même autour de toutes les gares, je vois au loin des hôtels malheureux, des entrepôts en ruines, des magasins aux enseignes borgnes et puis les lignes bleues qui vont dans la montagne, du côté de Ste Foy-Lès-Lyon plus loin, jusqu'aux Monts d'Or, une illusion d'optique, la musique de "La vie de Cocagne", (merci Zoë !), la ligne bleue des Vosges, une cabane où des gars scient du bois, où des filles font des tartes aux pommes. C'est l'heure indescriptible de l'entretemps à n'être plus qu'un interlude entre deux voies. Sentiment agréable d'honorer la vie sur un banc, le compromis accepterait de céder tout aux mondes flottants, quand fatigué des profondeurs, on déciderait d'un errement en surface afin d'oublier, (un instant), la belle citation de Melville (sorry, Herman, on a dit "un instant") ; un banc de bois sous une rangée métronomique d'horloges hautes perchées, nids de coucous soudés comme des lampes aux plafonds, on fixerait l'incessant clignotement des diodes on serait à l'affût d'autres cliquetis métalliques de source invisible.

Il est 17H44, il me reste quinze minutes avant le départ sur quai A. Ces quinze minutes dureront le temps qu'on les désire, elles paresseront parallèlement dans cette vague perception atemporelle qui tient la page de tous les autres livres. J'ai mon billet, c'est d'un contentement bête. Assise sur un banc, à coté de nombreux voyageurs qui lisent, fouillent dans leurs sacs, ou picorent des Smarties, je dessine machinalement des rectangles sur le modèle d'un wagon de marchandises arrêté juste en bas, j'attache les rectangles avec quelques trombones (tombés d'une boîte trouvée hier, dans le funiculaire), je bricole machinalement des petits bonhommes en tiquets de métro pliés, que je déchire, pour leur fabriquer (grosso-modo) des jambes et des bras. Machinalement, je tue le temps, sans vraiment savoir que je bricole. Mais en gribouillant mon bonhomme, le corps ici, la tête ailleurs, j'imagine en même temps, que j'entre en rotation sur le manège de Petit Pierre dans cette fabuloserie ignorée des grands voyageurs : un joyau en orbite absorbe l'univers, dans la lune, sur la terre, révèlant la huitième merveille d'un monde aux enchantements-rois. Le cercle magique des ferrailles flotte dans l'air qui va loco loco nimber de valses folles les débris reconstruits pour faire tourner la terre sur des boîtes de conserve et le plus étonnant c'est qu'elle tourne merveilleusement...

Petit Pierre en gardant ses vaches fabriquait des cyclistes, des avions, des charrettes, des petits trains et puis il ajouta des boulons aux petits voyages extraordinaires qu'il faisait dans sa tête...

Regardez, c'est divin.


 Lien divin : http://www.fabuloserie.com/#

Nota 1 : la réfutation d'une citation de H. Melville ne durera que le temps d'un petit voyage (réfutation it is not a répudiation, j'ai précisé, j'insiste).

Nota 2 : pour ceux qui aiment les images, (bonus d'été) il y a un Delvaux-garissime à cliquer sous notre photo (voir plus haut ↑).

Photo  :  Gare de Perrache (Lyon) et ses alentours, vus de la grande allée de la gare, fin Juillet, cette année.

© Frb 2011

mercredi, 27 juillet 2011

Partir tout en restant

Nous fondons de bonté dans l'atmosphère de ces romances, le monde nous semble sympathique et rempli de bonnes intentions.

ROBERT DESNOS, extr. "Paris, l'été", in "Récits, Nouvelles et Poèmes", éditions Roblot, 1975.

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Photos : Partir au Parc de la tête, (Tête d'Or, exactement), tout en restant en plein centre ville ou presque. Le corps de Lyon dans une forme éclatante, (courant après les écureuils), huit coureurs et un petit cycliste adorable (j'aurais pu vous faire croire que c'était moi sur le vélo (puisque grosso-modo c'est mon vélo) mais jamais je n'aurais osé porter de telles chaussures en été, (on ne peut donc pas mentir tranquille dans ces internettes sans qu'un infime détail etc etc...). Billet light, pendant les préparatifs de départ, certains jours on se met en mode dilettante. "Quand on écrit on écrit quand on fait sa valise, on fait sa valise" (a dit Homère). Les "partis" ont été photographiés ces derniers jours dans la grande allée du parc donc de la Tête d'Or, on a dit, (ouvert since 1857) et on a croqué la bicyclette en revenant du même parc, Cours Vitton ou Zola dans ces coins là, et, euh... Vu la photo, il me semble que ça n'a pas énormément d'importance :)

© Frb 2011

mardi, 26 juillet 2011

Se barrer

L’essentiel était de partir.

NICOLAS BOUVIER  : "L'usage du monde", éditions Droz, 1963

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Photos : Nous autres, devant le grand panneau des départs, gare de la Part Dieu, Lyon, ce Juillet.

© Frb 2011.

mercredi, 20 juillet 2011

Modernes Baleines

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Un petit coin de paratigre, (ah non, je rectifie : pas de tigre de léopard !) on entre dans la saison des pluies, fins contrastes, élégants ocelles traversent nos esprits d'une rythmique africaine comme celle des boubous dorés et musique de King Sunny Ade. ("Mori keke kan, tere ajalu bale tere opobi pobi, ori po lo bi", so sweet !)


parapluioeF8135.JPGQuadricolore pastel généreux il marque son territoire en tout temps et tous lieux, le parapluie mégalomane il peut abriter les voisins, les amis, la famille, sans même le faire exprès il peut servir de parasol de parachute, (ULM, toile de tente etc...), bref, un gros coin de parapluie,  pour ne pas dire une petite maison portative.

 

paraCF8130.JPG"La barotte et le parapluie", ce n'est pas une fable de la Fontaine; mais de la fontaine peut-être ? Si ? (umour-umour) un petit peu de fantaisie dans ce monde chargé mais pointronenfo la fantaisie reste sobre dans l'esprit de la cravate à Gilbert (Bécots), ça nous donnerait presque des idées. Un petit pois de parapluie donc...

 

para wilsonF8132.JPGParapluie dépressif, gros karma, un physique qui raconte une histoire ("les parapluies c'est comme les gens" a dit Homère) celui là il a sûrement fait toutes les guerres, et il est là. "Vieux Pataud" version parapluie. Fidèle compagnon d'une vie pour le meilleur et déjà pour le pire.

 

parapluieF8147.JPGLes dames du bois de Wilson conversent avec des interphones. Il semblerait qu'on retrouve notre fameux quadricolore généreux, (l'a t-elle chapardé au monsieur, la vilaine ?) et, (détail incongru), on verra l'autre parapluie (le sombre) coiffé d'un mystérieux chapeau,  est ce qu'il serait là pour protéger le parapluie de la pluie ? Le chapeau ? A t-on déjà vu chose pareille ?

 

Photos  : Festival de parapluies à Wilsons Place. Filature un jour de marché, de Juillet et de pluie (ça, vous l'aviez compris :)

 

Villeurbanne © Frb 2011.

mardi, 12 juillet 2011

Tous les bateaux...

N'avons nous jamais pu, nous, ombres et schèmes,
par nos actes prématurément mûrs et bientôt desséchés,
troubler l'égalité de ces étés paisibles  ?

R.M. RILKE, extr. "Les sonnets à Orphée", II, XVII, traduits et préfacés par J.F Angelloz, éditions Flammarion, 1992.

haut les vélos.jpg

Il était plus de six heures du soir quand je me suis réveillée, légèrement virée des camions à cause de la cétirizine. Dans la rue un homme chargeait une charrette. Sa femme traînait derrière lui des glacières. Distancée, on eût dit un fétu. Assis sur des marches d'escalier, les enfants savouraient déjà les vacances, plus vastes que l'ennui dont ils se souviendraient peut-être une vie entière. La grand-mère enfournée sur la banquette arrière attendait gentiment la suite. Il y avait la radio qui causait en sourdine, quelques interférences passaient entre les voix écrasant le son, y mêlant les vagues meringuées des grands tambours d'Afrique et ça disparaissait. Un carillon sonnait très précisement l'heure suivi du jingle qui chantait "Eu-rooo- pe 1", ensuite, c'était une voix familière qui donnait le bulletin-météo du jour et du lendemain, puis une autre voix venait décrire l'état de la circulation, pile avant le rappel des titres. 

L'homme chargea quatre paires de flotteurs calés dans un sac "Bergasol". Plus tard il y aurait de grandes lignes sur la route, sa main au volant immobile, la montre à quartz, la ceinture, la bouteille de Volvic entre les pieds d'Evelyne, des successions de poteaux noirs et la grand-mère assise derrière avec son sac plastique, Evelyne au guet, qui dirait, (c'était systématique passé le panneau, à deux kilomètres de l'entrée de Vienne):

"Est ce que vous voulez que j'ouvre plus grand la vitre, Lucienne ?"

Moi je suis à la fenêtre, je contemple les sillons d'une route grise juste au dessus des toits qui mènerait par les nuits de pleine lune à ces roches "outremer" formant le relief d'un pays que je ne connais pas.

Tout passe - échange de moins en moins - l'expression de nos fugues, écriture, cinéma, "c'est bien partout Vendenesse", plus ça change et plus c'est pareil. Il n'y a pas grand chose à regarder là où le vide aspire, comme aujourd'hui à la fenêtre, c'est tout ce qu'on a à faire, se pencher et voilà. Nous on restera là, pour arroser le yuca ou pour garder le chat d'une copine, on se liera peut-être d'une amitié rapide avec d'autres assignés qu'on croisera dans les escaliers. C'est sans doute qu'on serait né comme ça, pourvu d'une maladie évolutive. Notre système nerveux central atrophié, nous obligerait presque à rester hors des feux du soleil, et de ces jeux d'été, incapables de danser en riant au milieu d'une chenille, tourmentés à l'idée qu'un jour on pourrait nous forcer à participer à un barbecue géant suivi d'un grand karaoké organisé sur le grill par les rois du camping. On se trouverait malheureux, écrasés dans la joie des autres. On apprend chaque année à force de méthode à devenir des sauvages, un peu, pas trop (ni assez bons ni si mauvais), on apprend chaque année à endurer la solitude et à continuer avec ou sans la plage.

Les voilà unifiés, destinés à revivre, ou plutôt, on les voit vivre pleinement au moins une fois l'année, ils nous collent sous les yeux cette vie aux airs badins, leur fiesta battant l'aile au froid de notre exil. Il faudrait peut être chercher sur quelle face obscure de la terre tiennent ces joies qui ont le pouvoir de reproduire à l'infini un tel néant.

Je les ai vus charger des bidules sur le toit de la charrette, tirer des tendeurs et des tiges, afin de faire tenir en équilibre deux vélos, un matelas pneumatique, la poussette de la petite, plus une drôle de bassine qu'ils appellent "un  bateau" à peine plus large qu'une planche à repasser. Il a lancé à sa famille, comme une menace si indirecte que ça ressemblait plutôt au décret sympathique du capitaine qui prévoit tout, il l'a dit gentiment (sans doute ne désirait-il pas se quereller encore avec Evelyne devant sa mère, ni faire pleurer la petite), il a dit avec sa grosse voix, tout de go en vrai chef de famille: 

"Si on part pas avant la nuit, alors on partira demain, dès que le jour sera levé".

Quand on y songe ça revient au même.

Evelyne a disposé quelques paniers sur la banquette tout près de la boîte à gants avec des serviettes en papier et dedans le pain de mie en fourré, elle a tartiné les rillettes. Il me semble en sentir l'odeur de ma fenêtre, bien qu'il soit impossible d'avoir l'odorat si doué ou bien c'est peut-être de songer à l'odeur des sièges en plastique de l'auto mélangée à celle des rillettes qui vont traîner sont déjà tièdes, ça donne le mal de mer. Toutes les choses sont chargées.

L'homme ralentit son pas, se traine sur une paire d'espadrilles dont les contreforts éculés laissent apparaître la corne d'une année à frotter des petits bouts de talons sur la terre. Ensuite on a entendu le moteur qui ronflait. Ca laissait craindre un problème d'huile. L'homme a ouvert le coffre, il a plongé ses mains. Il en a sorti victorieux, un bout de fer.

Nous on s'étonne avec les yeux qui errent et fixant certains points, on s'est mis dans l'oubli, la vraie vacance, en fait.

Europe 1 reparlait de ces feux de pinède du côté de Martigues et d'un problème d'hygiène dans les chiottes collectifs d'une aire de repos d'autoroute entre Lyon et Pont st Esprit, (Pont St Esprit c'est pourtant un nom de ville qui inviterait à une sorte de métamorphose extatique, (que nenni, que nenni).

Sur le kiosque  à journaux, des avocats de France et d'Amérique tentaient de me convaincre que la femme africaine et même la femme française dévoyaient la grandeur des hommes politiques. J'ai dû bailler longtemps devant l'immense traîne de l'épouse Archibelle et son visage si triste qui tranchait avec l'expression étonnamment lisse d'un prince au prénom d'accordéoniste, (juste une image). Quand cela fût fini je me suis assoupie sur une chanson de cette bonne et brave Zaz qui gouaillait dans mon transistor sur des rimes assez pauvres, qu'elle voulait de la joie et puis de la bonne humeur enchaînée par d'autres pop, des rockers post-bastringues à baskets et casquettes qui répétaient sans cesse "j'veux du soleil, j'veux du soleil". Pardonnez moi, (s'il est possible), ma vieille nature rébarbative m'ordonne de vous épargner ces liens là.  Quand je pense que François Holland a dit à la télé qu'il avait acheté le disque  de Zaz, (merde alors !). Si bien que je n'ai pas vu leur voiture partir, moi qui attendais ce moment et vous aussi n'est ce pas  ? Le seul qui aurait pu couronner ce texte d'une happy end un petit peu optimiste). Tant pis, je vous envoie l'épilogue.

Eux ils ont dépassé, le panneau d'Intersport, c'est là qu'une nouvelle vie commence, des Picasso mobiles passent sous des trémilles, des poids lourds engendrent un mur blanc, c'est l'hiver. On cloue désormais les volets dans la ville, la nuit court à pas de velours sur des ponts s'allongeant près des rives d'un lac à Tête d'Or. La chaleur inhumaine pénètre au plus profond, des Laguna coupéesdéfilent sur l'autoroute qui scinde la ville, rive droite, rive gauche, doux ronrons à travers les particules fines qu'on respire à vélo en tournant sur les places autour des nouveaux pots, aberrations géantissimes où sont piquées de frêles plantes exotiques taillées en forme de sphères par des concepteurs dépressifs égarés dans le système solaire. L'épilogue ? Oui, bien sûr,  il  arrive ! (en même temps, on n'est pas aux pièces).

L'homme avait travaillé un an. Il tâchait d'obéir du mieux qu'il le pouvait à la volonté de sa famille. Ce roulement entre deux saisons, ce pli torpide travail / loisirs était devenu sa vraie vie. Il avait fini par nimber son "petit intérieur" de vagues à remous nostalgiques, elles tenaient à peu près dans le volume d'une boîte à gants : le meilleur de Carlos Santana, quelques morceaux de grande musique et des versions plugged / unplugged du plus grand tube des années fric, la chanson lui rappelait ses vacances à Carnon, il était tombé amoureux d'Evelyne, coup de foudre au club de plongée sous-marine. Tout s'était replié comme ça, c'était venu vingt après, une geôle très fine fermée par un portail ou peut être une grille jalonnant à ses heures les minutes corvéables de la vie pragmatique. Bien avant que des herses du genre alternatives eurent labouré son corps, il sût un jour comme celui-ci qu'il ne pourrait plus jamais en sortir sans succomber sous les reproches. Après cela, aucune vérité ne paraît bonne à dire.

Sa main immobile posée sur le volant prenait les virages en douceur, la route tournait et retournait devant lui des panneaux de toutes les couleurs. Son coeur touchait un tel point d'inertie que lorsque la nuit en rêve il courait nu dans la forêt, poursuivi par une meute féroce de braconniers qui voulaient le dépecer vivant, il se laissait mourir bien avant d'être rattrapé, il se réveillait mort, tel, jusqu'à la nuit suivante, il se demandait pourquoi, toutes les nuits, il revenait toujours, ce rêve...

 

 

Photo : Ceci n'est pas un bateau, c'est sûrement une charrette surmontée d'un chapeau, (un peu étrange, j'admets), déjà toute ficelée pour son aventure estivale, à moins que ce soit un ready made, un bon porte-vélo à la gloire de notre petite reine, oeuvre d'art, donc, (je préfère). Mon chapeau sur la caisse à Duchamp, (allez hop !) photographié rue St Polycarpe, à Lyon, à la naissance des pentes de la Croix-Rousse, par un jour de Juillet de cette année là, (ou d'une autre, c'est pareil).

 

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