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vendredi, 01 janvier 2016

Notre rêve

 

C'est comme un chant d'Avril au milieu de l'hiver, un parcours d'innocence qui porte en lui le notre, ses erreurs, ses travers, ses obstacles, et la dérive des sentiments inévitable ou évitable (à vous de la voir venir...) jusqu'au retour logique de la simplicité des sources qui tiennent les êtres humains en amitié, en amour, donc en vie. 

C'est là que peuvent s'ouvrir - tout à l'inattendu- des chemins étonnants, et que des êtres humains qui semblaient empêtrés se délivrent. C'est une ligne de fuite comme celle d'une fresque tendre qui se trame hors des mots, histoire de raviver les couleurs (un film en noir et blanc, tu parles de couleurs ! et pourtant, et pourtant...)

c'est une poésie rare que la réalité n'aime pas, ou semble, toute empressée qu'elle est, peu soucieuse d'entretenir, bien que le cinéaste Otar Iosseliani passant outre, dans sa liberté personnelle, nous la restitue toute entière comme un parfum d'Avril perdu, et malicieusement retrouvé, Iosseliani, suscite l'admiration de très grands (de l'immense Tarkovski à cet éternel jeune premier et génial Pierre Etaix qu'il fait apparaître dans son très récent film, "Chant d'hiver", avec Rufus le magnifique), c'est enfin une histoire chaotique qui pourrait faire la nique (si l'on peut se la permettre et pourquoi s'en priver ?) au delà des cortèges, à la terrifiante et sinistre année précédente.

C'est une histoire banale d'humains, des tout petits débutants qui doivent cohabiter entre eux (on sait tous que c'est pas facile !), c'est enfin une bonne tranche, traitée avec délices, dans un état de grâce qui pourrait vous offrir un de ces happy end qu'on ne se refuserait pas, si c'était dans la vie.

Et pourquoi ne pas la vivre encore, s'il est possible, cette vache et chienne de vie, un brin poétiquement ?

Pour ouvrir cette année 2016, ce n'est pas un hasard (si hasardeux) d'en venir au "muet", un petit film comme une carte de voeux animée par une partition sonore inouïe et des images au grain de toute beauté, une folie douce portée par toute l'irrévérence de ceux qui aiment la vie, j'espère qu'elle viendra à vos sens, comme un conte, un instant enchanteur.

Je vous souhaite une très belle année 2016,

en remerciant de tout coeur, les amis les plus proches, ceux de toujours, ceux croisés sur la toile, de loin et de plus près ainsi que les lecteurs encore nombreux, dont quelques uns fidèles, (j'en suis toujours agréablement étonnée, même si je ne le dis plus trop), merci aux bienveillants, à ceux qui ne relient pas les ragots infondés, et peaufinent les correspondances auxquelles je finirai par répondre un certain jour - quand la paix sera revenue, ici, (je n'ose plus l'espérer, mais ce serait peut-être un début et qui sait ?), pour l'instant, je ne suis plus connectée, une option désirable (le bazar par la fenêtre, pour l'image, peut charmer) offrant une parenthèse (celle-ci assez réelle) qui va se prolonger, remisant au placard le petit nécessaire et son bug de courrier ... Enfin, toutes mes excuses aux personnes dont j'ai pu recevoir récemment les courriers, qui arrivent plus ou moins, la plupart, sur un mode différé, tant qu'il existera des boitiers-camarades, et des cyber-cafés, avec un peu de patience, on pourra peut-être s'y retrouver ? ... no promesses...

 

en attendant, cueillez, cueillez, le chant D'Iosseliani...

 

mardi, 01 septembre 2015

Farewell

Un secret qu'on est vraiment seul à détenir, un tel secret rendrait malades les plus robustes, et on peut même se demander s'il existe une conscience assez intrépide pour supporter ce tête-à-tête, sans en mourir.

JANKELEVITCH.



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Goodbye [to language]

 

Contrepoint, algorithmes: ICI. 

 

Photographie : Jacques Bigot et son studio itinérant, voyageur silencieux et passeur de sons inouïs.

Merci à lui, à tous les autres qui n'ont pas fermé les chemins.

 

Prenez soin de vous.

 

Ouverture : Jacques Bigot © 2015.

vendredi, 22 mai 2015

Vernissage au manoir

Renversé, lézardé, morcelé, toute appartenance humaine oubliée, c’est seulement comme un sol que celui-ci maintenant se perçoit, sol indéfiniment déchiqueté, aux croulantes mottes anonymes, dressées-déjetées, qui n’est même plus un terrain, mais les vagues d’une mer démontée, d’une mer de terre en désordre, qui jamais plus ne se reposera ...
 
HENRI MICHAUX, extr. "Les Ravagés", Fata Morgana, 1976, (p. 13). 

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Le carré de peinture commence à se craqueler. Quelques hommes et des femmes vont défiler ici. C'est une heure où l'on trie. Il faut briquer les pièces, convoquer l'escalier qui descend vers cette chambre où il n'y a qu'un lit placé juste au milieu, hanté d'une atmosphère d'entassement d'objets. 

Des outils démodés traînent à travers l'alcôve. La vieille bonne est partie, on raconte qu'elle était sale et simple d'esprit. La poussière s'est glissée comme un corps infiltrant légèrement nos habits. Dehors le soleil règne, ici c'est une caverne.

Eux, on ne les connaît pas. Sans doute, ils organisent, ils s'inquiètent ou ils causent de ces drôles de craquelures, l'obsession qui se penche sur un trait de peinture et semble s'allonger entre un nombre insensé d'outils tachés de sang, ça gêne ce sang qui traîne, et puis les cercles gris, des auréoles humides - exposer dans les ruines - "est-ce que les visiteurs sauront saisir le sens ?".

Ils se disent que plus tard on gardera l'image, elle fera son chemin parmi une quantité d'images déjà rangées, présentant un amas de reproductions portatives déclinées en mémoire qui formaient sous des calques les saisies éphémères de refuges incomplets. Ca racontera une vie entre toutes - "mais laquelle ? Exposée, dans quel but ?".

La vie comme oeuvre d'art, une abstraction de drames, l'atelier comme dépit et la chambre comme conquête, à défaut de pouvoir recoller ces fragments, les tableaux coutent leur prix, c'est presque un prix d'ami, pragmatique au partage, chacun serait tenté d'en préserver les traces et puis de les traiter autrement qu'en déchets, ou bien de les gommer. Il y a des trous partout sur le sol, ronds comme des cigarettes, nous marchons sur la cendre, il faudrait avancer, nous filons à rebours. Une dame a ramassé un marteau qui traînait, du sang sur les outils. - "Mais on se fout de qui ? !"

Plus loin dans cette pièce de type "demeure bourgeoise", toute en pierres et en poutres, une dame en robe trapèze ouvre un air de mystère dans une bibliothèque. On y trouve des indices qui prouveront que l'artiste aimait l'histoire de France, les atlas, les "fourchettes" et la leçon de choses, les planches anatomiques, les microbes, les squelettes. On effeuille des traités du siècle de Lavoisier sur les transmutations biologiques, ce sont des drôles d'histoires de levures, et de moisissures qui produisent du potassium ou du phosphore, une série de planches dessinées montrant des bactéries mutables à l'infini. Il y a vingt-cinq volumes sur ce thème, on se demande quel est l'énergumène qui pouvait vivre ici. On ne savait rien de ce type et maintenant on en parle. Quelqu'un a supposé -"c'était peut-être un malade ? ". On n'ose pas questionner ceux qui se taisent, eux, savent.

Puis la dame entre-baille des portes en enfilade, enfin, lorsqu'elle ressort pour accueillir dehors les derniers visiteurs, on devient charognard. On fouille dans les tiroirs et derrière les volets par le clair obscur de la chambre, c'est Babel qui endort ces ballets de corps inclinés autour d'un lit très vaste, les femmes qui sont passées semblent y dormir encore et dessous repose l'homme, sa divine proportion et sa tête de momie ouvre un oeil en cristal.

Dormir ou reposer. On remue des papiers. Il a dû les aimer, ces femmes, toutes ces femmes, pour dessiner leurs corps, en courbes assez lascives ornés d'incisions roses bariolées de sanguines, c'est un patient travail pas encore un trésor. Il faut de beaux outils afin de parvenir à cette tête étoilée qui parait retomber sur un corps assoupi, coiffée d'une couronne mortuaire fabriquée de pétales de lis et roses fanées. Des entités bruissantes semblent incarner ces toiles tristement alignées, on voit quelques séries ratées de natures mortes, des faisans sur une table à côté des casseroles, des coupes de citrons verts, des marrons sur un feu. Quelqu'un dit - "Que c'est laid !". Il faudrait les donner. - "500 balles pour des croûtes qui ne sont même pas signées !".

Les personnes de l'accueil, qui parlent au nom de l'artiste sont debout dans l'entrée, elles forment un comité comme des veuves qui tricotent, mais entre elles, rien qu'entre elles, elles recomptent les entrées. - "Sept personnes aujourd'hui ! ça va nous faire à peine de quoi couvrir les frais". Entre elles, elles lissent les angles, font le tri pour les autres. Et ne laissent plus peser ce malaise vers la chambre où la crainte nous surprend dans le manoir hanté: quelques sorcières se lèvent, corps jeunes à têtes de vieilles, enclenchent un sortilège par derrière le volet : le rebut de l'artiste, ce fardeau que la mort n'a pas voulu porter, le parfum d'une fille qui cacha cette nuit, sa vie dans une lézarde.

Sous le pli d'un drap gris orné des initiales d'une des femmes et de l'homme, il y a un peigne en nacre où se trouvent attachés quelques fils, des cheveux tressés fins, et les vieux qui passaient juste avant de rentrer ont dû pousser un cri devant ce baldaquin. Ils hurlent et ils se cabrent, ils crient, ils s'époumonent - Touche un peu ! c'est de vrais cheveux !". Passé l'effet de choc, ils rient, ils parlent fort, "les vrais cheveux de la vraie morte ! ouh ! punaise ! c'est macabre !", ils font des mots d'esprit avec le rire nerveux, unis pour la déconne. Ils portent des touffes de crin blancs ou gris en couronne, au sommet le crâne luit comme un vrai lustre d'or.

Cette idée de la mort ne leur dit rien de précis. Ils ont vu la fille nue, ils ont senti l'effroi les happer, silencieux, ils se fondent une seconde, dans la même tempérance, ou ils rient, ils ricanent, ils passeront l'été à rire pour rien ensemble, rien qu'à se regarder, ils pouffent, c'est plus fort qu'eux ce rire touchant le nerf dans le soleil de Mai et cette vigueur flambée d'une jeunesse les remet en piste pour un tour. Ils rient, encore ! encore ! grâce au fil qui les mène jusqu'aux caves de Bourgogne où l'on pétrit les chairs dans le moût cramoisi, épuisant cette honte qu'ils ressentent d'être en vie quand les autres sont morts. Parfois, ils ne font que ça : enterrer leur jeunesse, exhumer la mémoire courant après leurs vies de jeunes célibataires, de beaux gaillards tout verts, vieux coucous verts de gris. Ils railleront l'impudeur du cheveu de la morte, "- un poil de c ...  Hi hi ! - t'es con, Dédé, ta gueule !". Ce qu'il faut de vacarme, pour donner l'impression de n'être pas meurtri.

La beauté entrevue peu à peu se dilue. Ils finiront dehors, à astiquer leurs lustres dans le vin de pays, des coups et puis des filles faites pour les suites de cuites, mais rien. Ils n'auront rien. Ils n'auront pas les filles. Ils feront demi-tour, ils reviendront si saouls reboire encore des coups. Des coups jusqu'à plus soif. Ils cuveront au jardin puis jureront qu'ils n'avaient jamais vu cet endroit - jamais vu de leur vie - depuis le temps qu'ils vivent là dans la maison d'en face, n'en sont jamais partis. Ils jureront sur la tête, de leurs femmes, jamais vu le manoir ! Sur la vie de leurs gosses, sur l'amour de leur mère, une main sur la breloque, ça les remue à rebours, ces morts qui hantent la vie.

Ici, quelques bougies dont les mèches s'effilochent, le feu n'y prendrait pas, ce sont les corps qui serrent la chaleur dans nos bras, la diffusent sournoisement, une flamme brève sur une toile suffirait à griller ces bouches qui turlupinent. L'altérité des lieux nous retrouverait obscurs, en terre d'enluminures, d'eaux fortes et de chapelles. Cette lumière se transforme lentement au fil des heures, à présent nous révèle un clocher en plein ciel. On ne peut pas s'arracher des puissances de la pierre, on ne peut pas situer tous les jeux de lumière, un relief dans ces noirs, le dépaysement règne. Ou c'est le dépays, toute une vie enfermé à peindre sous une lézarde à humer les parfums dans les cheveux des femmes et à les reproduire. Peindre les parfums... - "Ah oui ? vraiment, comment fait-il  ?". Tout ça ne leur dit rien.

Quelqu'un a demandé si l'on pouvait feuilleter les carnets de l'artiste, des cartons traînent partout, on marche sur les esquisses. - "Ces brouillons ? Non, vraiment, ils  ne valent pas un clou". Ils l'ont dit. - "Pas un clou !" ce sont des spécialistes, il n'y a pas à redire. Certains hommes meurent ainsi sans avoir achevé leur chef d'oeuvre, - "il y a de tristes vies, ma bonne dame !" ils l'ont dit "tristes vies ! ma foi, oui !"... Dans la bibliothèque on débat de l'époque d'une planche à bactéries XIX ou XXem siècle ? Quelqu'un a dû conclure  - "S'il est mort à ce moment, c'est que l'oeuvre était finie. Dieu l'a voulu ainsi !". Dieu encore. Un autre a répondu - "Personne ne vous a dit que l'artiste était mort". Un ange passe. Chacun sort.

Les dames du comité ont pris la calculette - "cinq nouveaux et deux gosses, ça fait quatorze en tout, c'est moins que l'année dernière !", entre l'apéritif et le goûter des petits, à l'unanimité ils se sont accordés pour répéter en choeur que ça ne valait pas la peine de se déranger pour si peu. La valeur et la peine - "où est votre peine, Madame ?". Les autres, ils ont suivi: - "nous, on n'a rien compris" - "trop compliqué pour moi !". La visite s'achève là.

On se retrouve au jardin, sous un grand parasol. La femme en robe trapèze passe avec des plateaux, elle ne forme pas ses phrases: - "Vin ou jus d'ananas ?". Il est toujours question de peinture ou de livres. La femme repart, revient - "quatre-quart ou tarte aux pommes ? Ceux qui décident s'envolent. Les autres, ils rasent le sol. Ceux qui décident pèsent lourd et dans le palais d'or remuent une langue de foules convoitant le trésor. Ils seront responsables de rendre toute chose possible ou impossible, en une fraction de seconde, c'est pesé, mesuré. Ils fusionnent, allez hop ! -"Va pour une tarte aux pommes ! - Tarte aux pommes pour tout le monde !".

Un homme seul sous un arbre, roule un peu de tabac gris. -"C'est peut-être l'artiste ?". On sait pas. -"Demande lui !". On s'affale sur un banc. A chaque instant la voix revient part et virevolte: -"vin ou jus d'ananas ?". Une seconde indécise. -"Allez, vin ! - Allez hop ! Du vin pour nos amis !".

Les espaces se séparent. Il y a des univers, entre le grand jardin et le petit manoir, entre ceux qui picolent et ceux qui picolent pas. Dans les plis, un abîme. L'homme qui restait seul à s'en rouler sous l'arbre répond à une vieille dame, harcelante mais limpide - "le sang sur les outils, c'est de la peinture n'est ce pas ?", l'homme lui répond tout bas - "mais oui, c'est de la peinture, que voulez vous que ce soit ?". On sort de l'artifice. - "Savez-vous si l'artiste est enterré ici ?". Ca retombe sans un bruit.

On rejoint les esprits. On s'est mêlé aux autres qui riaient et roulaient des pétards dans les fleurs. Les tartes étaient mangées et les coupes étaient bues. Là bas à l'intérieur, le carré de peinture avait presque disparu mais dessous ça grouillait, du sang sur l'auréole, né d'une cabriole.

Dans la chambre silencieuse, tout près des natures mortes sous les corps assoupis, lentement une lézarde étouffait ses petits.

 

Photo : Au visiteur perplexe, un fragment de lueur au manoir, le premier jour de l'exposition.

 

Là bas © Frb 2014 revisité en 2015

lundi, 16 février 2015

Les regardeurs

Nous cédons trop aisément à une réaction de défense. Rechercher une protection, c’est inviter l’ennemi chez soi sous prétexte de l’amadouer. À invoquer la peur, on pénètre sur son terrain de chasse. Seul le patient exercice de la volonté de vivre dissipe la crainte que parsème une nécessité qui n’est pas la nôtre. 

RAOUL VANEIGEM : "Nous qui désirons sans fin", Folio, 1999.

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Photo de rue, en passant devant le petit kiosque à journaux de la place de la Croix-Rousse. Le monde tel qu'on le vit (tel qu'on le revoit venir. Et pire, et pire, et pire... )

 

Lyon, Frb © 2014-2015.

mardi, 10 décembre 2013

Descendre

La brise, ... elle sent ce soir, un peu la menthe.

JULES LAFORGUE extr. "Nuage" in "Les complaintes et les premiers poèmes", édition établie par Pascal Pia, Gallimard 1979.

 

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Nous avons laissé faire. Le vent seul à présent pourrait dire s'il restait quelque chose à montrer...

 

Mais qui de nous admettrait cette idée, jusqu'à croire - croire vraiment -  qu'un seul mot pourrait se former sur du vent ? 

 

 

Photo : ce dont on ne peut parler...

 

 

Là-bas: © Frb 2013

vendredi, 04 janvier 2013

Ne t'efface pas

Il semble que la vie restera toujours inachevée. Mais on demande une chance supplémentaire.

André DHOTEL : extr. "Le pays où l'on n'arrive jamais" éditions Pierre Horay, 1995.

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C'est entre deux temps, l'un volontairement ralenti que je trouvais dans une valise, quelques fragments d'un livre de André Dhôtel, un auteur magistral, dont l'esprit merveilleux à chaque lecture semble nous restituer un pan secret de l'univers. En ouvrant quelques pages du livre à l'aveuglette, je tombais pile sur cet extrait, il semblait que cela pouvait convenir à ce point de l'année (ou de la précédente) grosso-modo à la croisée, de l'heure et du retard, jeu de broderie là bas, et ici ravaudant entre la fin du monde, et les petits commencements coutumiers, des suites à griffonner sur des vitres où le ciel et la terre sont au mieux une image, au pire, un idéal.

A part ça, quelquefois, on ne peut que broder. Il n'y a plus de frontière dans le calendrier. On profite des grisailles, on ne veut rien louper de cette heure quand des brumes tirent les personnages là, au milieu du ciel, dieux du flou, parenthèse incomplète, allant à l'opposé de nos jours saturés, de nos voix vivant moins en nous qu'au dehors - autant d'yeux/ d'autres voix ne cherchent plus entre elles à se persuader qu'elles seraient plus réelles qu'une parole, remueraient ciel et terre pour un mot déplacé, vérités comme une masse à la fin capturée, c'est un seul homme qui clame - je suis vrai- je suivrai la parole d'autres mêmes - et la mienne effacée, se dissout dans l'espace, il n'en reste qu'un trait, un peu de brume encore. Des petits trains muets longeant la voie ferrée, croisant quelques remblais. Ensuite ça redémarre. Toujours on dérivait. On voyait quelques hommes qui passaient leurs mains par la fenêtre, faisaient des moulinets devant l'expostion des tableaux alignés, variés ou tous pareils. Est ce que ça importait ? Vues d'un train, des clôtures aux fenêtres, arrimées à ces lettres: un verrou par sujet, gardant la citadelle. C'était là, le pays où l'on arriverait.

Le cantonnier qui balayait les dernières feuilles est venu ramasser les sapins de Noël. C'est comme l'année dernière, à quelques détails près. Puis l'an d'après ça rebelote : automne hiver printemps été...

On aura trouvé de l'agrément à chercher simplement un quai, dans un endroit paumé sans panneau, ni frontière, pour s'offrir une escale au pays où l'on n'arrive jamais. Moins qu'une formule désespérante ça demeurera toujours un supplément discret ou de la nonchalance et parfois un peu d'ombre nous retrouve en silence. 

Le cantonnier qui volait dans le ciel avec les feuilles mortes ne dévoila pas les secrets que nos coeurs emportaient, son pas l'invitant à marcher sous les arbres, juste avant le passage qui va de l'ombre à la lumière, une étincelle, à peine, tenant encore le reste.

On n'aurait aucun mal à se pavaner tranquillement d'une rue bien pavée jusqu'à l'étendue paisible autonome des fourrés, des forêts et des étangs sauvages pour y cacher son faix, se fondre à l'épopée, retourner cahoter, aborder les sentiers afin d'éprouver les limites de ces foules, de ce corps roulant comme la feuille entre les joncs bleutés, longeant un peu les baies, là bas où l'on se dore, jouant dans les reflets d'une barque retournée à l'envers.

On ramène des images sans chercher à savoir qui tournera la page, s'échouera à moitié, tourne ou sera tourné. On entendra les cornes de brume: un son qui ne dure guère, dont l'écho s'éternise et ne vaut pas qu'on laisse ainsi cingler l'espace.

On serait heurt / spectateur, dans cette marge exsangue retenant l'échappée, elle prend de si loin l'objectif, fait exprès de rater son but, aborde le vieux singe qui se perd sous son arbre. On continue à vivre dans la réalité - je vous jure que tout est vrai, ma bouche, mes yeux, mon nez ! et mes chaussures de marche qui marchent dans ce pays, pour serrer le vieux singe et ses gros doigts carrés, s'il referme sa patte, le pays disparaît.

Toi tu dis - c'est pas vrai ! ça ne peut pas exister, tu parles comme une toupie, on va pas tout gober/ utilité d'un mot allant à l'objectif, louant celui qui joue le rôle de s'échiner, des mots pour amuser. La galerie nous enflamme, quand on veut converser c'est un fragment du bruit. On peut tout laisser dire. On entendra les cornes, un paysage de brume, nous mènerait à l'impasse, désolant comme l'ennui. On s'étonne. Que sais-tu, de l'ennui ? De celui qui l'éloigne ? Qui parle aux animaux et voudrait faire sa vie au pays où l'on n'arrive jamais.

Tu n'es pas étranger près de cet étranger, il paraissait tenu par un autre défi, on voudrait essayer de déjouer l'oubli d'un partage advenu.

Il resterait longtemps assis là, sur sa borne, à attendre, on ne peut pas signifier qu'on s'était lentement perdu dans le langage / ou le plus simple mot/ butant sur cette ronde qui invite à marcher/ la tête dans les épaules. Tout brillait si gaiement, vu d'en bas chargé d'armes, contre les jours maussades, il y a des parades. Faut-il s'en contenter ?

Lui, il conserve sa part, il n'alignera pas ce peu de force vive pour s'égayer d'un bruit, qui va dans les objets émettra le bruit grave de les accumuler ; des peuples s'y enivrent, ces voix dont le prestige est un terrassement encore abstrait, détruiront le réel, on ne sait pas comment, ces voix colleront sur nos bagages un label "qualité" après quoi on pourra s'enfuir, ou bien l'on se retire, et le point de départ sur le point d'arrivée, n'est qu'un pas de côté pour se griller la place. Le corps embarrassant, nous bâterait comme un âne qui voulait lui aussi trottiner sous les arbres au pays où l'on n'arrive jamais.

Quel diable les possédait à vouloir s'évader ? C'est bien pour nous aider qu''un jour ils nous rattrapent / aider ? / ah ? / réussir ? / mais réussir quelles vies ?  

On libérera le livre, il flottera sur l'eau calme pour les cent mille ans à venir. Il passera de main en main, d'aussi près qu'il paraissait n'ouvrir sur rien de précis. Une empreinte animale contre une tête d'homme usée se couronnera de phrases annonçant le déclin de nos civilités.

Des signes extraordinaires dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les peuples paralysés de frayeur devant le fracas d'une mer démontée./ (Luc 21.25-27). Là où l'histoire s'arrête, n'en retiendrait-on rien ? 

Ou si peu de nous réunis, s'il n'y avait pas ailleurs un sourire dans les yeux du passeur, posant son galurin près de nous sur la rive, nous voyant à genoux et avançant sa barque, chuchotera encore :

Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement.  

Le présent, le souvenir, cent mille ans à venir. Laissera-t-on filer l'homme embarqué comme l'enfant parti on ne sait quand avec quelques copains allés si loin, qu'il revient seul, presque au point de départ. Encore si près de nous qu'on croit l'avoir déjà rencontré quelquepart, quand d'autres pourraient jurer qu'ils l'ont vu chaque jour, seulement tourner en rond, depuis les cent mille ans qui ont passé, si vite, et autant à venir.

C'est peu, pensera-t-on, en guettant sur l'horloge l'heure de ce rendez-vous, des milliers de secondes à raconter l'attente. A ne penser à rien ou bien à regarder ces foules au coeur du monde se faire une place au soleil. Quelques cornes qui grondent et la monnaie sonnante dira que tout va mal/ ça ira mieux demain. Rien que de l'ordinaire. Cent mille mots de conquêtes à la fois fausses et vraies, aucune qui n'ait pas balisé d'avance nos trajets. Cent mille jours de silence rendant force à ce souffle dont l'immédiateté repousserait un instant celui de s'effacer, ne pourrait rien connaître de ce patient retour qui toujours nous retient. Où est notre mémoire ? Qu'y'a t-il après rien ? / Que dire pour que tu saches ? / Une terrasse de café/ simplement/ presque rien/ des années-lumière/ une seconde/ où mon pas se glissait/ dans le tien/ pour aller regarder les étoiles.

 

 

  

 

 

photo: Là bas. Une image embarquée. Buisson flottant et des coraux.

 

Nabirosina © Frb 2013

mercredi, 14 novembre 2012

Je suis un artiste

"Je ne suis pas un papillon je suis Frédéric, je ne suis pas une machine à répéter je ne suis pas un animal je suis un humain je ne suis pas analphabète je suis un arbre je ne suis pas une fille je suis un garçon je ne suis pas un objet [...] voici mon bureau où je mets aussi quelques cadres et des posters de chevaux [...] j'ai aussi un enregistreur j'ai un ordinateur avec sa caméra et des personnes qui peuvent voir dans l'ordinateur [...] et j'ai même dans ma chambre un grand piano et ça fait du bien de chanter avec le piano [...] voici mon grand jardin avec une serre où je fais tout des légumes variés [...] j'ai toujours des jambes longues je suis grand je suis fort j'essaie de trouver la vérité et d'être le plus beau du monde"

FREDERIC:  extraits choisis "Je suis Frédéric", une pièce sonore réalisée par Damien Magnette mixée par Christophe Rault,  produite par l'ACSR (atelier de création sonore radiophonique- Bruxelles).

 

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"j’aime écouter ma voix".


Voilà Frédéric. Mentalement déficient qui aime les sons follement, qui décrit sa vie quotidienne à Damien Magnette. Il s’enregistre depuis des années, collectionne les sons, chuchote ou crie dans le micro. Il nous fait visiter son monde : sa maison, son atelier de jardinage, ses goûts, ses pensées. On déambule avec lui dans un univers baroque de bric et de broc. Frédéric est "mentalement déficient". Peu importe, son énergie emporte tout. Il dit « je » mille fois. Un "je" servi par une parfaite réalisation de guingois.

(source de partage sonore : SILENCE RADIO)


"Je suis Frédéric"

 

Pour tenter d'en présenter un peu l'essentiel. Cette pièce sonore est une des plus fulgurantes entendue depuis bien longtemps, elle a été relayée par nombre de médias qui l'ont unanimement encensée, elle a remporté de nombreux prix notamment en 2011 un second prix de création radiophonique au festival longueur d'ondes. Le Festival "bobines rebelles" a eu l'excellente idée de programmer cette composition, le week end du 24 et 25 Novembre 2012, (à venir sur notre calendrier récalcitrant, et sans doute advenu déjà) mais comme nous n'avons pas tous l'opportunité de partir un week end pour un festival en Seine St Denis, je vous propose d'entrer dans la maison de Frédéric, qui est bien sûr un monde. Damien Magnette a composé, décomposé, recomposé la réalité du quotidien de Frédéric pour nous inviter en terre angélique  le metteur en ondes a dû brouiller, comme nous l'aimerons toujours, la fiction et la réalité. Entre des faits anecdotiques, un singulier parcours, surgissent implicitement des abîmes et les questions universelles, les plus claires de la vie humaine, comme les phrases que nous n'osons plus prononcer quand nous parlons à la première personne, histoire de "dire" "communiquer" s'il est possible, d'exprimer qui nous sommes.

 

"Je suis".

 

Ici, l'immersion est brutale mais d'une immense délicatesse qui évoque et réveille ces attachements au tout venant - de très simple à baroque. Le courant passe par les les oreilles jusque dans l'épiderme, il est électrique, devient partageable et c'est terriblement, que Frédéric "nous" jardinera, mine de rien avec sa voix humaine, ses dessins son piano... Ca deviendra un sortilège.

Cette création est un fondamental à écouter absolument, 38mn 34 de visite guidée par Frédéric, un énoncé très simple en apparence...

Merci encore à l'excellent site : "Silence Radio" de nous permettre de diffuser partager et faire tourner peut-être... Peu de chance d'en sortir indemne.

 

 

"Je suis un dessin [...]

je suis Frédéric Deschamps

mais je ne suis pas méchant"





 


 

Nota :   Quelques lecteurs m'ont signalé que leur navigateur ne permettait pas l'écoute via le player de "Silence radio", si vous rencontrez ce problème vous pouvez écouter la pièce de Damien Magnette en cliquant sur le lien ci-dessous:

 

http://www.silenceradio.org/dbfiles/file_171_high_je_suis...

 

Photo : "Je suis une fenêtre"...


Sources documentaires et sonores : Silence radio- ACSR- France Culture /

 

 Le manoir © Frb2012.

vendredi, 07 septembre 2012

Chauve et rude

En 1956 dans "Les cocus du vieil art moderne" Salvador Dali dont l'admiration pour Gaudi ne s'est jamais démentie annonçait la venue d'une architecture "molle et poilue"...

Extr. du "Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugements suivi du livre des bizarres" par Guy BECHTEL et J.C. CARRIERE, éditions Robert Laffont 1981.

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Molle et poilue ?

Une seconde entrevue en rêve...

Point de bâtisses poilutes ni barbutes (ou moustachutes) en nos contrées hélas ! dans nos rues pleines de grues nous attendrons encore...

La preuve est un peu là, baladée par l'image. Comme tout se clique en ce bas monde et que c'est jour de travaux pratiques, je me suis bêtement amusée avec l'aide de notre architecte patenté Jean-Pierre Disagne® (concepting in postcards § home-graphism and Cie) à essayer d'agrémenter ces modestes propositions de quelques aménagements "tendance" (la tendance-attitude) paraissant épouser au plus près la forme de l'habitacle, vous trouverez donc des intérieurs à notre collection (peu maline et chouïa arbitraire, je l'admets) en cliquant sur les échantillons de cet échafaudage rien que du fonctionnel, propre sur lui, uniformément glabre.

 Avertissement: ce billet partant du réel, il peut se situer parallèlement dans un monde de fiction, comme l'écrivait Martin Winckler : "Si les événements décrits dans ces pages semblent plus vrais que nature, c’est parce qu’ils le sont : dans la réalité, tout est moins simple. Cela dit, même lorsqu’elles ne sont pas délibérées, les ressemblances avec des personnes ou des événements réels sont, probablement, inévitables" par mesure de prudence je rajouterai qu'elles ne sont pas si mal intentionnées qu'on pourrait le supposer. Sur ce sujet, nous battons les barres et les blocs, comme on dit battre la campagne, pour le reste, nous ne sommes pas de taille. Amen ! 

 

Lignes directes  :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/08/20/l-...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2011/09/22/pr...

Propositions d'ailleurs :

http://fr.academic.ru/pictures/frwiki/78/Newark-ohio-long...

http://www.bienchezsoi.net/diaporama/images/maisons-bizar...

http://laouilfaitbonvivre.l.a.pic.centerblog.net/ck9x355p...

Propositions d'ici:

Malhonnête: http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/09/28/le-duplex-de-malevitch.html

ou honnête: http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2011/08/16/on-rentre-a-la-maison.html

 

Photos : Lyon rive gauche + Villeurbanne quartier Charpennes, une balade où l'espace déjà rempli se remplit à vue d'oeil un peu partout ici ou là, extrait en forme d'échafaud d'échafaudage des (plus ou moins) nouveaux habitacles urbains...

 

Lyon § + © J.P.Disagne® / frb 2012.

jeudi, 06 septembre 2012

Toujours plus

C’est en tant que cinéaste que s’élabore mon travail critique, et non pas en tant que critique de cinéma. En tant que critique, je suis essentiellement un laudateur. La critique peut fonctionner avec des mots, mais le mot est toujours plus discutable que l’image. L’image, elle, tord un peu la réalité mais peut frapper visuellement. Un distributeur automatique de baguettes de pain, c’est plus visuel à l’image qu’à l’écrit, n’est-ce pas ? Et bien, voilà, c’est ce que je filme !

LUC MOULLET, extr. de propos recueillis par Katia Bayer et Mathieu Lericq que vous pouvez retrouver en intégralité sur le site "Format Court", ICI.

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"Toujours plus", essai de présentation :

"Aujourd’hui, les supermarchés se construisent sur l’emplacement des cinémas ou des églises. Évolution normale, puisque le consumérisme était la religion du vingtième siècle"

Cet extrait datant du milieu des années 90, présentait succintement le  film "Toujours Plus" de Luc Moullet, montrant cette évolution dite "normale" (ou "normative") de notre société, ainsi qu'une  certaine entreprise de séparation généralisée, pour ne pas dire de sape (définitive ?) du vivant, de l'humain en particulier.

Le XXIem siècle (après Luc Moullet), persiste à affermir cette "nouvelle religion" alors que l'humain y semble plus réduit que jamais, ciblé et noyé de contradictions assiégé par un tas de nouveaux besoins, que des stratégies ultra-séductrices savent lui suggérer, bardé d'outils merveilleux, de sollicitations ininterrompues, il paraît malgré tout rendu au constat désolant de ne pouvoir lutter contre son sentiment de frustration, de clivages et d'inanité, à mesure que l'espace vital et le temps s'emplissent de denrées et  d'objets multicolores initialement prévus pour le bonheur de tous.

Le faix existentiel n'ayant pas été allégé, il devient délicat de montrer le sujet à distance ironique, sans que cela soit immédiatement estampillé via toutes sortes de connotations souvent consternantes, on pourra encore admirer avec quelle malice enfantine Luc Moullet aura eu le don d'échapper...

Le film "Toujours plus" (1993), précédant "Toujours moins" (2010), autre film qui évoquait en 13mn environ, l'évolution et l'accroissement des disposititifs fondés sur l'informatique, automates, bornes et autres)... appréhende avec un regard et une intuition époustouflante son temps aussi bien que les temps où nous nous trouvons, puisqu'en nos courses  sans grande alternative, nous sommes d'ores et déjà passés de plus à moins, obligés à réduire nos précieuses perspectives d'avenir, les médias ne cessant de le marteller, avec toutes sortes d'information inclus quelques messages paradoxaux, du genre "méthodes de vie" gaiement "sponsorisées", pour combattre le consumérisme, tandis que la voix humaine singulière se trouve peu à peu submergée, certes, tout ça on le sait...

Nous publierons peut-être ici un jour, le film "toujours moins", puisqu'à ce moins nous avons déjà cédé notre part, n'ayant pu éviter la logique de cet ordre prompt à nous intégrer dans une forme ou une autre de catégorie, le modèle du genre devenu intenable incontournable ; c'est dans "l'ordre", pour une fois, que je vous présenterai les balises du chemin et ses envolées conçues par le regard génial de Luc MOULLET ; parcours où tout abonde, avant que le plat de résistance ou d'épuisement des résistances (?) nous fasse entrer à l'insu de notre plein gré dans un monde pas si loin de la schizophrénie. Cette contradiction devenue "notre" lot, surprend ses créatures en flagrant délit d'impuissance mais au nom des vertus d'un (re)tour à la normale qui n'est jamais partie, quels efforts ne ferait-on pas ? 

Voilà pourquoi, déjouant cette question lamentable afin de favoriser un message utile et agréable que m'enseigna ironiquement feu mon père cinéphile et cycliste né à la même époque que Luc Moullet, (je délivre le message : "Le cinéma, y'a que ça de vrai") je glisserai aujourd'hui "Toujours plus", en tête de ma gondole. Un billet doublement dédié, (profitez ! c'est la semaine de la dédicace).

Nota : Si le côté foutraque, doux dingue, et la poétique hilarante de Luc MOULLET sont d'un style qui régale, n'oublions pas que le cinéaste est aussi l'un des plus grands (très modeste d'ailleurs) théoricien français du cinéma vivant et qu'il est fin connaisseur en matière de cinéma hollywoodien bien que ses films soient à l'opposé esthétiquement. 

Enfin, pour terminer, après la publication sur ce blog des films "Barres" (1984), "Prestige de la Mort" surtout, récemment de "L'homme des Roubines", l'oeuvre de Luc Moullet a suscité une vive curiosité auprès de nos lecteurs, dont certains m'ont demandé d'y revenir et je les remercie, étant inconditionnelle de l'oeuvre de Moullet, je ne me ferai donc pas prier pour vous présenter "Toujours plus" réalisé en 1993/94, tourné en 16mm et en short. A noter que les conditions de travail intenables des caissières et employés des grandes surfaces y étaient déjà finement saisies au vif, bien avant l'ouverture des débats de société sur le monde du travail, le harcélement et autres intolérables, le film laissant à voir, et entendre subtilement l'espace où nous sommes embarqués... 

Sur ce coup exceptionnellement, je tenterai une démo de force de vente en ciblant sans vergogne le lecteur adoré, que je sais par ailleurs fort sollicité, et je l'encouragerai vigoureusement à visionner ce petit film hénaurme, peaufiné jusqu'au moindre détail. Je serai prête à parier un caddy de DVD que vous ne le regretterez pas. Les insatisfaits ne seront pas remboursés.

 

 

Bonus : http://www.dailymotion.com/video/xgw9r5_regard-082-luc-mo...

Remerciements : à mon ami Jacques, artiste du son et de l'image, doux dingue et  lui-même réalisateur, pour bon nombre d'artistes hauts en couleurs qui m'a amplement initiée à l'univers de Luc Moullet par de savants détours (en)cyclopédiques et montagnards, en espérant qu'il nous délivre "son" prochain film (en short, évidemment).

Photo : Ceci n'est pas un autoportrait mais ça pourrait être "notre" autoportrait (?) /(que celui qui n'a jamais éprouvé son corps dans un hyper pour s'absenter rêveur, entre deux marques de yaourts me jette la première pierre )/ Photographié à l'Hyperion de ma zup au rayon laitages, ("on se lève tous pour..."), on pourrait appeler ça si on en était sûr, de la poésie du quotidien. Un exercice plus périlleux qu'il n'y paraît (louez-moi ! :) puisqu'il est strictement défendu de prendre des photos dans les supermarchés et que le vigile sur ce coup là, a dû très gentiment fermer les yeux, sur le contenu de mon baluchon ce qui est rare, d'habitude ils ouvrent les sacs, parfois vident les cabas et les appareils photo non sans violence, (sachez qu'ils n'en n'ont aucun droit), ceci fera peut-être le sujet d'un autre billet dans notre série "nature et découverte", ou certains jours à l'abordage d'un monde de brutes"...

Zup © Frb 2012

mardi, 28 août 2012

On rentre à la maison

Si la maison vous déplaît, en un clic dans l'image tout peut se remplacer.

 

on rentre à la maison,ailleurs,un nid,charme,campagne,dépaysement,pays,nabirosina

 

About the obsolescence :

On ne va pas éternellement s'encombrer de rêvasseries. J'efface donc le trait d'irréalité  et ni vu ni connu le remplace, biffant du même coup la vacance, le courant de rentrée ne s'y prête pas.

A noter qu'il y a peut-être une certaine audace dans l'architecture aiguepersironne qui saura naître, demeurer, disparaître sans l'assentiment de notre regard.

C’est ainsi que, selon l’opinion, ces choses se sont formées et qu’elles sont maintenant et que plus tard elles cesseront, n’étant plus entretenues.

 

Eclairages : http://www.fabula.org/actualites/parmenide-le-poeme-fragm...

Repérages : merci à Paul et Raidi pour.

Photoon the Aigueperse's road, made in Nabirosina.

 

Aigueperse © Paul-Raidi pour-Frb 2012

vendredi, 24 août 2012

Prélude à l'effeuillement

EFFEUILLEMENT  nm. (è-feu-lle-man, ll mouillées) : État des arbres dépouillés de leur feuillage ou qui s'en dépouillent.

Dictionnnaire de français Littré. (Voir "Effeuillaison"/ Effeuillure/ Effeuiller/ Effeuillé (ée)/ Effeuilleur (euse)/ Effeuillage/ Effeuliaison...

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Les doigts de la demoiselle prolongeant sa vacance goûtaient les plaisirs simples à la campagne sous des gants végétaux si délicatement ouvragés qu'une paire tenait dans une noix. Sa main blanche s'effilait, laissant à l'amant le don de deviner les secrets de son coeur, par un simple baiser déposé sur une ligne, il pouvait lire en elle comme dans un livre. Le Marquis traversa ainsi des continents approchant l'Amazone qui n'était plus très loin. La phyllomancie révélait dans les volubilis une prolifération vouée au sacre d'un noyer vivant sous le soleil. Le Marquis cherchait l'ombre en effeuillant des pétales pour affiner des joies qui n'étaient plus de son âge. La fin de l'été nourrissait un empire érigé en fadaises, la demoiselle musardait sur des  feuilles volantes qui seraient balayées dès Septembre. Quand tous rentraient des plages, le Marquis sortait de terre exaltait le vent frais qui porte l'oisiveté avec le goût d'adorer sans dommage la première promeneuse à portée. Cela au moins, offrirait de quoi engranger pour l'hiver. Il faisait le plein d'images bercées par un feu tiède qui feutrait les nouvelles du monde, favorisait l'effacement des faits divers, repoussait au néant le partage des affinités spirituelles, en trois mots, cela le rassurait. Enfin, dans la dispersion volontaire de tous ces sentiments, la peine semblait moins souveraine.

feuilles tendres.jpg

Le marquis apprenait à vivre. Il comprenait tardivement ce qu'il fallait fouler de cailloux pour accepter les réjouissances sans faire peser le poids de ses défuntes amours dans les bras de ces débutantes, puisqu'il faut bien se dire, que rien ne dure toujours, pourquoi se montrer tel que l'on croit se connaître ? De quel droit confier à des intruses des choses si chères de soi qui ne les intéressent pas ? Le Marquis répudia. Il leur disait allez ! allons ! laissez-vous faire !". Sitôt dit, sitôt fait. Ce qu'il devait détruire de chemins pour en préfacer un nouveau, lui donnait le vertige, mais cela n'était pas à l'ordre du jour, il n'y aurait plus assez de temps pour se perdre à rêver sachant qu'un seul amour ne pourrait entièrement contenir le paysage. Le paysage était sans fin, il s'y creusait chaque jour de nouveaux souterrains. Des sortes d'oubliettes, on dit qu'un peuple muet tentait en vain de remonter à la surface, accroché à ces lierres, des milliers de rongeurs, des taupes glissant par des galeries jusqu'aux jardins et ces mines dolentes qui ramenaient leurs plaintes parmi les fleurs mettaient trop bas les coeurs. Les feuilles s'embarbouillaient, c'était la fin de la vacance, la forêt retournait aux légendes, les amants désireux d'en découdre se laissaient emporter par des trains. Ca demanderait un autre tour de main de s'éloigner avec indifférence.

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L'excellent savoir faire du Marquis tournait les esprits de la belle dont la figure s'étonnait de trouver encore des pages vierges à ce chapitre, qui se parerait d'enluminures, au fil du temps, ces petits ornements serviraient à cacher ce qui manque. La profusion des mots ne raconte que cela. Il y avait sans doute un abîme entre une feuille blanche et une page inachevée. Entre deux, des chapitres oubliés avec des personnages tels des accessoires, des potiches ou des plantes... Le Marquis n'en parla jamais. Peu importe, à cette heure la belle n'y songeait pas. Ils acceptaient tous deux cette part de jeu sans avenir. Le Marquis chuchotait quelquefois des poèmes à la belle, il piochait dans  l'Arthur disait d'un air modeste : "c'est de moi, je l'ai écrit pour vous". Ca manquait d'envergure. Les cheveux du Marquis et sa peau sentaient le parchemin, une odeur agréable mais qui ne va pas avec l'amour. Elle songea au mucus des lamproies, à leurs dents qui râpent la peau douce, aux hommes en habits verts qui se disent immortels semblent traiter les mots beaucoup mieux que les muses. Pourquoi ces rêveries sont-t-elles si "tue l'amour" quand tout ce qui s'écrit implore le contraire ? On ne sait pas. La migraine eût bon dos, ainsi que l'ambroisie. A part ça, ils aimaient végéter ensemble.

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On compterait encore deux cents lignes à écrire. La guimauve infusait dans la tête d'un poète qui passait ses nuits sous les poutres d'une grange, à relire - autre délit de fuite au hameau des Moulins - il recopiait les vers décrivant le vrai deuil d'un faux Marquis croisant une sauterelle à la cuisse légère, il faudrait rendre les deux personnages émouvants. C'était un roman de commande, de l'eau de rose pour les gares, un récit qui donnerait peut-être vingt épisodes d'une saga télévisuelle joués dans des costumes d'époque, avec des vedettes en capelines, vertugadins, des vieux acteurs portant le brocart ou ce serait un conte provincial, un recueil de légendes ânonnées par l'idiot revenu au pays, répéter à voix basse les cris des villageoises qu'il savait parfaitement traduire. Elles aimeraient toujours qu'on leur souffle des histoires dans l'oreille. Il agitait les feuilles comme ces grelots que l'on faisait tinter jadis au bercail sur de grands lits rouleaux. On raconte ces histoires avant de s'endormir avec de l'eau si rose, qu'après les cruches font mieux le ménage. On le dit. On dit aussi que dans leurs rêves, parfois les demoiselles lancent des messages qu'elles enferment dans des bouteilles et jettent au lit de l'Amazone. - De l'Amazone, vraiment ? Parfois, on peine à croire...

A suivre, peut-être...

 

 

Nota : Pour agrandir les feuilles, il suffit de les chatouiller gentiment.

Lien : Pour la question élémentaire vous trouverez peut-être la réponse  ICI  (mais c'est pas sûr).

Photo:  Prélude à l'effeuillement au jardin, et en forêt plus ou moins équatoriale.

 

Là bas © Frb 2012.

mercredi, 06 juin 2012

Pour la suite du monde

Depuis belle enfance, je soupçonne les mots de craindre les voyelles, le forgeron de redouter l'enclume du petit matin, les romanciers de tout faire pour éviter la fin de la messe, l'archéologue d'effacer toute trace de son passage, les sémiologues effarés par le coin des rues, de privilégier les images et de repousser le quotidien dans les poubelles de l'Histoire, car il est confortable et rassurant de vivre dans une forêt de symboles bien rangés sur les rayons de sa bibliothèque où cultiver la poussière du temps qui passe bien à l'abri des intempéries.

PIERRE PERRAULT,  extr. de "De la parole aux actes", éditions de l'Hexagone, 1991, Montréal.

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Leopold recrute le capitaine Hervey qui connait les fonds et réunit les propriétaires de l'île pour organiser la pêche. Le surintendant de l'aquarium de New York, lui a promis l'achat de quatre marsouins  à cinq cent pièces, pièce. Dans le film, on guette à la jumelle l'entrée des marsouins. Un marsouin est pris vivant. Bénédiction de la pêche au mileu du fleuve. C'est le miracle de l'ïle aux Coudres. Les pêcheurs se disputent sur le fait de savoir si la pêche remonte aux sauvages avant les premiers colons où à ceux-ci venus du Nord de la France. Qu'importe dit Grand Louis, l'essentiel est de garder la trace : on fait quelque chose pour la suite du monde. Ca demande du courage. Et comme on peine à croire nous regardons le beau plaisir d'un temps où nous n'étions pas nés, et c'est la suite du monde qui revient jusqu'à nous, c'est peut-être un passé ou le délit flagrant d'un présent qui ne cesse jamais, à la fois drôle, désespérant mais cela tient l'avenir comme on ne l'apprend qu'après tant qu'il reste des traces...

Un autre jour, nous nous retournerons peut-être pour retrouver des traces, après les avoir épuisées, nous aurons besoin à nouveau de les aimer. Il est possible, vues d'ici, qu'elles soient déjà filées et qu'il n'y ait à la place qu'une quantité de jugements et de conclusions désolantes. Il faudrait reculer encore, jusqu'aux lieux d'où nous sommes partis puis arrêter, avant que revienne le souvenir du lieu où nous sommes arrivés, avant de réaliser que nous avons perdu la plus belle part de nous et de nos jeux. On ne joue plus ici mais dans le film sur l'ile aux Coudres, les danses se prolongent, off, sur des images de chevaux sous la neige, des oiseaux envolées. Mésanges...

La suite du monde peut être.

 

Visionnage :

 

 

Photo : Ceci n'est pas la loquace île aux Coudres, mais l'île aux Mangers, d'hommes (et de mouettes, parfois). Un silence à filmer autour de midi et dans l'intervalle, un répit, une vie parallèle , on dirait une passerelle, en dessous des restau-bars du quai St Antoine et du marché aux livres/ Le fragment de cette berge du fleuve Saône, est situé à Lyon-Presqu'île, un contrepoint pour la suite du monde, avant de rejoindre les pêcheurs de l'île Barbe en rafiot, si les marsouins ne nous ne mangent pas...

© Frb 2012

jeudi, 12 mai 2011

Pas si loin de Montmartre...

Ce que tu m’as dit de ta nuit, du ciel, de la lune, du paysage, du silence a dû ranimer en moi des réminiscences similaires... Et alors, j’ai pris feu dans ma solitude car écrire c’est se consumer... L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamber des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres.

BLAISE CENDRARS, extr. de "L'homme foudroyé", éditions Gallimard 1945.

Pour voir le poète de face, il suffit de lui tapoter un peu sur l'épaule ...

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Chaque fois que la littérature me paraît un peu vide ou trop molle je retourne chez CENDRARS et ramasse les points de vie fondue dans la puissante liberté d'esprit du corps et du langage qui anime son écriture. L'écriture n'est pas vaine celle de Blaise encourage la vie. Son existence imprévisible était entièrement vouée au présent sans grand souci que les récits qu'il racontait à lui même ou à ses amis soient véridiques, il y avait en lui une autre quête de vérité bien plus intransigeante qui ne fût jamais servile et ne céda à aucune domestication artistique. CENDRARS représente encore aujourd'hui, la jeunesse absolue du monde, de l'Homme, la poésie mais pour atteindre la poésie, son message est limpide : il faudra abuser du monde. La "lettre océan" n'a pas été inventée pour faire de la poésie.

La lettre-océan n’est pas un nouveau genre poétique
C’est un message pratique à tarif régressif et bien meilleur marché qu’un radio
On s’en sert beaucoup à bord pour liquider des affaires que l’on n’a pas eu le temps de régler avant son
départ et pour donner des dernières instructions
C’est également un messager sentimental qui vient vous dire bonjour de ma part entre deux escales
aussi éloignées que Leixoës et Dakar alors que me sachant en mer pour six jours on ne s’attend
pas à recevoir de mes nouvelles
Je m’en servirai encore durant la traversée du sud-atlantique entre Dakar et Rio-de-Janeiro pour
porter des messages en arrière car on ne peut s’en servir que dans ce sens-là
La lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie
Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord quand on envoie de lettres-océan
On fait la poésie

CENDRARS dit une chose si évidente, qu'on pinaillerait encore par crainte que l'exaltation déboussole nos petits nids et secoue favorablement les esprits. Les métamorphoses désirables visant à nous extraire de nos plis ne sont pas sans danger, au final. Saurions nous les vivre entièrement ? Y faire entrer avec tout le vertige, un peu de paresse aussi, la plus grande liberté possible ? C'est pourtant la proposition de CENDRARS, qui un brin hâbleur, balayant les faiseurs de rimes, posera sa phrase sous nos yeux, c'est si bête...

Le seul fait d'exister est un véritable bonheur

Ma foi, oui. Mais ce bonheur ne vient pas par niaiserie, il n'exclût pas la violence. La poésie du Blaise est celle d'un conquérant, d'un gourmet, et gourmand ; de l'ogre tout en même temps. Maintenant que les continents ont tous été découverts puis explorés, il s'agira de tenter d'en pénétrer le plus grand nombre possible d'aspects. CENDRARS donjuanise l'espace, il traque, poursuit les lieux, hanté par toutes les capitales, par les ports, les routes, les sierras etc... Cela pour lui est comme de grandes conquêtes amoureuses qu'il envisage au rythme enjoué et nerveux de courses et de combats. Il n'accorde aucune concession à la grâce, peu d'attendrissement, ou léger, assez drôle. Pour être digne du monde qui n'a pas le temps de s'apesantir, CENDRARS est dur, il cale son pas sur la cadence des villes, des bruits, des trains etc... En 1924, il écrit, (il n'écrit pas, il le martelle) :

Nous ne voulons pas être tristes
C'est trop facile
C'est trop bête
C'est trop commode
Tout le monde est triste
Nous ne voulons pas être tristes

Bien sûr, CENDRARS n'a pas fait qu'endurer il a aussi laissé voir ses doutes, ses regrets, ses amours, que les conquêtes des espaces et toutes les aventures n'ont pas réussi à combler, alors il nous donne par un mouvement paradoxal les poèmes les plus drus les plus beaux et le plus poignant de son verbe, où la détresse humaine longtemps camouflée (parfois sous les bravades), paraît encore plus inéluctable jusqu'à l'aveu bouleversant comme dans ce final de "Pâques à New York", que j'ai plaisir à vous offrir, et j'offrirai dans ce même élan, (pourquoi pas ?), un supplément de Blaise à ce blog comme posant une cerise à l'eau de vie sur un petit Lu d'anniversaire (de trois ans d'âge et des poussières) tenu par le fil très fragile de nos correspondances et des lieux, tramant d'inutiles rêvasseries, des passages à la redonne, et puis toujours la ritournelle dans un coin minuscule de nos mondes réels et virtuels qui existent tous en même temps... Je dois à Blaise l'amour des mots, des rues, des villes et de la profusion. Je l'ai tellement cité certains jours, qu'il me tentait de rendre à CENDRARS ce qui n'appartient qu'à CENDRARS, et je le referai encore autant de fois qu'il me plaira. Il faut relire CENDRARS, mes amis, même foudroyé, Blaise is alive and well. Extrait choisi.

Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne …
Ma chambre est nue comme un tombeau …

Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre …
Mon lit est froid comme un cercueil …

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents …
Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle …

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux …
Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles …

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses …
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées …

Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous.

BLAISE CENDRARS, New York, avril 1912

Photo : En exclusivité, Blaise CENDRARS photographié par Frasby, eh oui !  et ce sera une autre preuve que CENDRARS est toujours en vie. Genèse d'une rencontre incroyable : Le hasard d'une balade à bicyclette aura fait apparaître sous mes yeux (éblouis !), môssieur Blaise CENDRARS en personne, photographié hier, le long des quais du Rhône à Lyon. Il regardait tristement les péniches amarrées, il m'a demandé : "Dis, Frasby, sommes nous loin de Montmartre ?". Je lui ai répondu "Oui, msieur Blaise ! bien trop loin, mais par la loi de la relativité, Montmartre est à côté et les roues de mon vélo sont des moulins à vent. Montez donc sur mon porte bagage, allez hop ! je vous emmène !". Ce qui fût dit fût fait et c'est avec plaisir que je fis ardemment grincer mon pédalier pour le poète. Le temps d'un aller retour, bringueballant, j'ai déposé Blaise à la terrasse du café Planchon; (très bon endroit, connu des "vrais" Montmartrois, et vivement recommandé par la maison, portant un autre doux nom à l'enseigne du "Rêve"; situé au 89 de la rue Caulaincourt (dans le XVIIIe à Paris), ultime endroit de la capitale où l'on trouve encore un bon gros téléphone à jetons (qui fonctionne !). Et me voici à nouveau sur la même berge, à Lyon, balayant du regard les péniches amarrées, à me demander si je n'ai pas rêvé. Pourtant non, la gouaille du Blaise (c'est pas pour me vanter mais nous avons bien rigolé), me manque déjà, autant que sa présence (un peu brute décoffrée mais au fond, tellement tendre)... Je me consolerai, en songeant à tous ceux qui n'ont pas eu la chance de rencontrer CENDRARS. Certains jours je me demande ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il exauce avec autant de simplicité mes plus chers voeux. (Cela dit il y a baleine sous gravillon, elle se cache dans l'image, celui qui saura la trouver se verra remettre "la médaille de la sagacité" de certains jours avec un petit compliment de la crémière).

Photo : Frb © 2011.

mardi, 22 mars 2011

Court circuit

Toujours... Toujours il faut que j'aille dans les rues... Et je sens toujours quelqu'un derrière moi... C'est moi même... Et il me suit.

PETER LORRE dans "M le Maudit" de FRITZ LANG, 1931

ombres002.JPGIl est riche de ses actes, il écrit son nom il l'accole aux gens qu'il croise, et cela est sans conséquences, il ne va pas, il ne se contente pas du peu. Il ne prend pas la page blanche pour le début, c'est sa fin, il l'arrange, s'y rajoute, continue l'existence jusqu'à cette stabilité qui l'insupporte, un monde imaginé par tous ceux qui ont précédé, semblables à ceux qui suivent, des tas de gens, des têtes dont il n'a rien à dire. Un niveau machinal, des relations interchangeables à l'infini, il compose à ce jeu un grattage, il ne gratte pas, il se déchire.

Vu de loin, cela contraste avec la notion pour lui, incompréhensible de sympathie. Il élabore des figures qui de près ou de loin l'obsèdent par leur monotonie, il gratte et enterre tout dans son jardin, il rature des pages et des pages jusqu'à l'avènement d'une oeuvre d'art blanche, oeuvre purgée du sentiment, art de s'absorber dans l'espace, de recomposer le désordre avec les éléments. Il se met dans la peau d'un autre qui se trouve déjà dispersé. Le plus sûr de son initiative a déjà échoué. Il voit d'avance, une page qui manque juste au milieu du livre, une morsure au coeur de la toile, les fourches dans les cheveux des filles, un concentré déjà détruit qui contient à lui seul toute l'histoire du monde, celle des hommes et son destin à lui. Dans cette absence, il y a la voie lactée, la conquête de l'espace et l'embrassement d'une fusée avec une étoile filante, la réalité confondue dont il est pure trace,  reliant au ciel sa glaise, son fleuve et son métal, une situation de danger au terme d'un lent acharnement sans aucun but défini à l'avance.

Le cours du temps passe dans l'élasticité de journées indolentes. Aux aguets d'un langage détruit, entre les corps, des bêtes à grosse carapace ont promené sur leur dos, les dépouilles des hommes et des femmes, ceux qui n'ont pu survivre, le résultat grosso modo de toutes les guerres visibles ou invisibles, il ajoute un peu de son corps, qui meurt parfois petitement dans l'amour, se voudrait inspiré, goûtant une telle offrande, prêtant sa chair qui délivre du mal aux baisers de l'éphéméride. Il pourrait avoir honte à se faire aimer trop, sans pouvoir aimer trop lui même, ou aimant trop sa solitude qu'on dit incompatible avec l'amour. Ce on dit, est encore une foutaise. La petite idée se forme dans sa tête qui le taraude pour brûler ce qu'il reste d'obsession à oeuvrer, il voudrait contempler les petits matins, dans la joie de la course à pied, du basket ball, des descentes à vélo sans les mains, tout seul des jours entiers il joue entre des marques tracées sur le sol à la craie, et court sous un panier à essayer de réussir des doubles pas, à s'encourager dans le dribble, les mains apprenant la dextérité en compagnie de joueurs invincibles, qu'il imagine et qui n'existeront jamais. Chaque jour, lui vient de plus en plus d'adresse pour en finir avec le besoin de dextérité. Cela n'est qu'un mouvement dans l'espace juste pour oublier que la pensée peut fondre comme une savonnette. Il est cet enfant souple glissant sur une rampe d'escalier. Il parade le jour. La nuit, il pleure ce que le jour lui a volé.

Des guerres ravagent son écriture, cela engendre une sorte de poème héroïque, avec des idées monstrueuses qui chevauchent des idées sublimes, tous les mots il les plie à sa volonté dans le goût capiteux de répandre l'épuisement sur la terre, l'épuisement des êtres et des lieux jusqu'à qu'il n'en reste rien, ni dedans ni dehors, et la douceur va dans son regard, dans ses yeux bleus ou gris qui pleurent et cela fait comme une pluie de météorites plus loin, ailleurs, il verse l'alcool à brûler dans des fioles d'encre bleue ou grise, un petit feu court sur toute la surface d'une nappe, du genre toile cirée, juste au milieu, il y a un ilôt de cendre qui brille, il y voit une peau de chagrin grosse comme un pois cassé. "Pois cassé", les deux mots roulent entre ses doigts. Existe t-il encore une chose au monde qui ne puisse pas se casser? "Pois cassé", rien à faire, comment casser ce rien ? Les plus petits obstacles sont toujours les plus vains, il devra désormais lutter contre cette chose minuscule qui résiste, dont chaque jour il essaye de s'acquitter au mieux. Le combat à l'oeil nu paraît pourtant facile. Chaque jour il s'applique et chaque jour ayant échoué, après des heures passées, en bras de fer qui l'auront épuisé, il regardera le soleil se coucher, et se dira : "et merde !".

Photo: Une ombre demesurée qui précède ou qui suit on ne sait quoi, on ne sait qui, prise en flagrant délit sur les pavés aux alentours de la bibliothèque de la part-Dieu à Lyon. © Frb 2011.

dimanche, 24 octobre 2010

Prélude à un gai désespoir

L'avenir ne mesure rien que ma faiblesse présente

ANDRE COMTE-SPONVILLE

gai desesp782.JPGQuand nous serons sortis de terre, nous irons dépenser nos deniers pour flotter dans des jonques. Nous prendrons conseil auprès des demoiselles du syndicat d'initiative, nous visiterons les jardins des châteaux ornant les calendriers de l'automne. Nous y séjournerons longtemps et nos nuits seront idylliques. Le temps s'allégera nous retrouverons ces enfances qui ne cessent de grandir en nous à mesure que nous vieillissons. Et la peur du temps passera. Notre mémoire deviendra  floue.

Nous serons assis sur les marches d'escalier de l'église d'Augustin rue Denfer, nous regarderons les damnés, traîner de lourdes chaînes et juste en dessous, un beau Christ en élévation sera (comme toujours) adoré par nos anges. Nous maudirons cet espoir qui nous met à genoux, nous entretue pour une louange si minuscule, par rapport à ce qu'elle promet. Nous cesserons d'y croire. Nous n'aurons plus un seul argument vérifiable pour aborder la terre promise. Nous n'aurons pas d'autre maison, pas même une petite arche ne saura fournir l'évasion nécessaire à nos échappées. Peu importe. Sans maison plus besoin d'échapper. Nos mondes nous fondront dans la main, s'amolliront dans nos chairs tendres à la manière des éponges  ou des étoiles de mer cela nous délivrera bien à la longue.

ll y aura des signes importants, des dilemmes contre lesquels nous lutterons encore, on ne sait quand s'amorceront les lendemains nouveaux. S'il y a de quoi espérer. Peut être, irons-nous à l'idée lumineuse de désespérer enfin totalement et gaiement de toutes choses ? Ou de ces espèces de choses soit-disant épatantes qui nous viennent d'on ne sait où...

(A suivre)

Photo : Le répit. Photographié à la croisée de Zola et Barbusse en plein coeur du très beau quartier des gratte-ciel à Villeurbanne.© Frb 2010

jeudi, 22 janvier 2009

Primum vivere, deinde philosophari

D'abord vivre, après (et seulement après) philosopher...

Ce précepte des Anciens, conseille d'accepter la vie avec toutes ses conséquences pratiques et morales avant de se livrer à des études purement spéculatives. Il s'applique à ceux qui discuttent à perte de vue, en oubliant parfois l'essentiel. Ce qui fera dire à KARL MARX : "Nous avons trop pensé le monde, il faut maintenant le transformer". Personnellement je préfère encore la formule "chimique personnelle" d'ARTHUR RIMBAUD (archiconnue, et modulable à l'infini ): "changer la vie". Mais bon. Pour l'heure, inutile d'en débattre.

Taisons-nous et vivons !

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Photo : Les hauts de Saône sont de prodigieux labyrinthes. Culs de sac, impasses, voies sans issues, villas comme cloîtrées, voies riveraines nullement souveraines etc ... Je m'y suis perdue un soir en suivant précisément ce panneau ("toutes directions", ça ne veut rien dire) planté au milieu de nulle part. (Vu l'inclinaison de la chose, j'aurais dû me méfier...). Heureusement, il y avait un coucher de soleil pourpre sur les splendeurs du Grand Vaise et les murs contre lesquels je me suis heurtée jusqu'à tourner bourrique et perdre mon latin me dévoilèrent quelques uns de leurs plus secrets ornements. Promis ! je vous montrerai tout cela un jour, (un certain jour ;-) Comme les "grands de ce monde", ici on ne transforme pas, on ne change rien. On promet.

Qui vivra verra...

A suivre donc...