jeudi, 11 mars 2010
Albatros et pigeons
J'avais de la grandeur, ô cher Missisipi
Par mépris des poètes, gastéropode amer;
Je partais mais quel amour dans les gares et quel sport sur la mer
Record ! j'avais six ans (aurore des ventres et fraîcheur du pipi !)
Et ce matin à dix heures dix le rapide
qui flottait sur les rails croisait des trains limpides
Et me jetait dans l'air, toboggan en plongeon
C'était le cent à l'heure et malgré la rumeur
Le charme des journaux enivrait les fumeurs [...]
ARTHUR CRAVAN extr "Langueur d'éléphant" in "J'étais cigare". Editions Losfeld- Le terrain vague. 1971.
Tous sont revenus ravis de la classe de neige. Ils ont posé leurs moufles, leurs bonnets à pompons, pour amener le printemps au point le plus fondant, albatros et pigeons, du Placebo dans la prothèse, passeront le pont jusqu'aux arbres encore faibles de la forêt Morand, où près du square, en îlots verts occupés par l'interflora faussement passeïste, des amants en chemises bleu blanc beige, achètent les premiers bouquets de jonquilles pour qui là haut les guettent sur la plus haute branche du parc de la Tordette. Mésanges, bergeronnettes. Attendri par les premiers chants qui firent glisser les neiges, partout un solitaire se meurt dans les pollens. Partout des vieilles pies devisent du printemps, partout de la jeunesse couchée déjà dans l'herbe, (ô pelouses interdites !) se roule des gamelles et des pétards à la peau de banane sèche aux sorties des cours de physique. Melle Pugeolles s'en retourne à l'heure qui est l'heure dans sa petite 2CV violette, corriger son tas de copies, l'analyse d'un poème de VERLAINE. "Les Saturniens", aubaine ! "je vous distribue les enfants, ce polycope bleu, vert, rose ! que veut dire saturnien dans le poème ?" "les ingénues", soleils couchants. Rossignols. Des souvenirs, une promenade obsessionnelle... "Que me veux tu, mémoire ?" VERLAINE plié, poltron, "son chant d'amour est un chant de printemps", les cheveux, les pensées, tout est soumis au vent. Albatros et pigeons font l'école buissonnière. Dans ma tour, ce donjon en mode cadet rousselle, je m'entiche de BUFFON ou COMTE GEORGES LOUIS LECLERC DE.. toute l'histoire naturelle se grave dans la chair blanche et JEAN DORST moud du grain près des cloches.
« La vieille et toujours jeune histoire naturelle n'est pas morte, bien au contraire elle a encore de beaux jours devant elle. Il nous reste encore beaucoup à apprendre avec une paire de jumelles et une loupe, surtout avec nos yeux ! [...]
Voilà nos yeux qui pêlent sous le coucher de soleil vaguement florentin quand les péniches tanguent molles sur le fleuve menteur lèchant les quais du côté du sixième, du sixième sens peut être. Ainsi albatros et pigeons, pourquoi pas hiboux ou corbeaux ? s'éprendront d'un bateau, de 1869, treizième poème des "Fêtes galantes". L'eau reste sombre la pythie de Lugdumum donne des soirées crépusculaires, l'indécision des passagers cède à la flemme. "Arrête de rêver et travaille!" crie mademoiselle Pugeolles, tout en haut de l'estrade où poussent des champs de tulipes rouges et des vivaces hybrides, des pivoines arbusives des pivoines herbacées aux étamines fines "tiges grêles supportant l'anthère, forme aplatie comme un limbe de feuilles" ô Nymphaea ! Voilà que le bateau s'enivre...
"Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais".
ARTHUR CRAVAN prend la relève. Le taureau par les cornes. Le printemps sera intranquille. J'ai des Fortuna bleues en poche ainsi je m'échappe parée. ARTHUR CRAVAN va sous les jupes des filles, renifle, printanier, de son nez aristocratique, puis éclaire ma lanterne mieux que dix soleil d'Août "Chaque fleur me transforme en papillon". Je cours sur la haute route, ce jour est jour de joie, le colosse revient des Caraïbes. Cela fait des mois je l'attends. Albatros et Corbeau vadrouillés de Boeing, traversent le pont Morand. Aux pas pesants, leurs grosses bottines épousent un goudron solidaire sur lequel tous mentalement ne cessent de s'envoyer en l'air.
Entraîneur aimantant albatros et pigeons,
à cette allure folle, l'express m'avait bercé
Mes idées blondissaient, les blés étaient superbes,
Les herbivores broutaient dans le vert voyou des près
J'étais fou d'être boxeur en souriant à l'herbe.
Un grand type inquiétant, bûcheron dans les forêts trace à grands pas la buissonière : " Dans la nature, je me sens feuillu, mes cheveux sont verts". Je suis ... Je suis. L'autre Arthur, qui trace la ville, malade de ne pas être plus loin à chevaucher peut être, des girafes et des éléphants, ou tout simplement, la donzelle, Madame DELAUNAY en personne épouse de...
"Je ne prétends pas que je ne forniquerai une fois madame DELAUNAY, puisqu'avec la grande majorité des hommes je suis né collectionneur [...]"
"Ah nom de Dieu ! quel temps et quel printemps !"
Photo : Pigeons ou albatros longeant le bordel-Opéra et ses loupiottes venimeuses (hors champ) ; juste avant de passer le grand fleuve sur un(e) mode jeune à l'éveil du printemps. Photographiés en Mars 2010 à Lyon. © Frb
22:31 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
mardi, 09 mars 2010
Préface
"J'avais entrepris une lutte insensée ! Je combattais la misère avec ma plume."
HONORE DE BALZAC : extr. "Le lys dans la vallée". Editions Gallimard 1972
Si vous avez loupé la période rose, cliquez sur l'image
Je n'ai plus de train à moudre, je n'ai plus de cuillère à pain. je n'ai plus de sac à pot, Je n'ai plus de barrette de chenille, je n'ai plus d'ourlet à talon, je n'ai plus de seau à lapins, je n'ai plus de casquette de 12, je n'ai plus de rat aux marrons, je n'ai plus de cave à bretelles, je n'ai plus d'éléphant à traire, je n'ai plus de couteau à eau, je n'ai plus de chapeau à sonnette, je n'ai plus d'auto-dépliants, je n'ai plus d'éponge-éponges, je n'ai plus de poil à lire, je n'ai plus de soupière en coton, je n'ai plus de repose-doigts, je n'ai plus de sorbet à la langue, je n'ai plus de brosse à redire, je n'ai plus de pull col mouillé, je n'ai plus de téléportique, je n'ai plus de fusil à trompes, je n'ai plus de corne de truffe, je n'ai plus de tire-jambon, je n'ai plus de pattes à vélo, je n'ai plus de billet de marteau, je n'ai plus de stage d'auto-portrait, je n'ai plus de bouteille de veau, je n'ai plus d'épluche-savon, je n'ai plus de papier à molette, je n'ai plus d'épingle à lunettes, je n'ai plus de lampe à nouilles, je n'ai plus de poumons à huîtres, je n'ai plus de boîte de panthère, je n'ai plus de riz mâconnais, je n'ai plus de tubes de moustiques, je n'ai plus de para-bain, je n'ai plus de ceinture à huile, je n'ai plus de machine à rouler les assiettes, je n'ai plus de feuille d'impasse, je n'ai plus de chirotractateur, je n'ai plus de cornet à capuche, je n'ai plus de sauce yiddish, je n'ai plus de souliers à spirales, je n'ai plus de films de commissions, je n'ai plus de casque à repasser, je n'ai plus de corbeille à mazout, je n'ai plus de poêle à encre, je n'ai plus de taie de marcassin, je n'ai plus de tabac à désosser, je n'ai plus de fer à nombril, je n'ai plus de perce-cornet, je n'ai plus de démoule-vinaigre, je n'ai plus de torche-lèvres, je n'ai plus de sirop pour la truelle, je n'ai plus de grenouille sur ma quenouille, je n'ai plus de dosette pour le dos, je n'ai plus de carte d'entité, je n'ai plus de cache-vessie, je n'ai plus de bonnet à truites, je n'ai plus de piano à moteur, je n'ai plus de vernis à oreilles, je n'ai plus de pense-tomates, je n'ai plus d'allocations-teckel, je n'ai plus de bague à pédale, je n'ai plus de lit-rateau, je n'ai plus de chemise pointue, je n'ai plus d'hippocampe de propre, je n'ai plus de rouleau de vécu, je n'ai plus rien à éventrer, je n'ai plus de polycyrrhose, je n'ai plus de technopsychiatre, je n'ai plus de télépanty, je n'ai plus de protodégivreur, je n'ai plus de grillon-laveur, je n'ai plus de grain d'immunité, je n'ai plus de pantoufles à ressorts, je n'ai plus de verre à manger, je n'ai plus de mou dans ma poche, je n'ai plus de protège-molaire, je n'ai plus d'hydre en poudre, je n'ai plus de gilet à contorsions, je n'ai plus d'escalopes anglaises, je n'ai plus de chauffage mental, je n'ai plus d'épluche-disque... Je n'ai plus qu'un trou dans ma poche, pas même de quoi m'acheter une mouche pour mon dîner.
CHICHA LIBRE : Six Pieds sous terre
Photo : Vue en traversant "Vitton la riche", une dame assise sur sa maison, et qui avait peine à relire sa liste de non-commissions. Lyon, Cours Vitton, Mars 2010. © Frb.
03:48 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 07 mars 2010
Singerie du Mail
Les fleurs ouvrent leurs corolles
Dans le ciel un oiseau-souris
Le soleil fait son parasol
la Denise nettoie ses tapis
Le cyclamen, la renoncule
Font la roue dans le jardinet
Il y a des froids qui s'en reculent
Et des chaleurs qu'on sent monter
On met du rose sur sa figure
Et du bleu et puis du violet
Pour plaire et avoir fière allure
Car le printemps sera très gai.
MADELEINE LACROIX : Extr : "Le fardeau ivre". Préfacé par Guy Dubord (PDG de la Scala de Vaise). Editions Dupanier. Vaise 2009.
A noter que le 20 Mars à 15H30, Madeleine LACROIX récitera ses poèmes salle Rosemonde Gérard, au 8 allée Jean Rochefort dans le 9em arrondissement de Vaise (Prendre troisième rue à droite, juste après l'Hyper Rion Géant, face à la station essence Esso). Madeleine LACROIX sera accompagnée par la Denise à la flûte traversière. Le récital sera suivi d'une séance de réflexion et d'un débat animé par Guy Dubord sur le thème "Quelle place pour le printemps en 2010 ?". Cette animation-réflexion sera elle même suivie puis précédée d'une soirée de gala intitulée "le grand bal du Printemps 2010", animée par l'orchestre pop "Décontraction". Un mini-bus emmènera les participants à la Scala de Vaise pour une soirée prestigieuse. Venez nombreux. Inscription gratuite auprès du syndicat d'initiative de Vaise, (demandez Marie-Claude à l'accueil).
Prix d'entrée : Cent vingt deux francs cinquante. Les bénéficiaires de la brioche et des boissons seront reversés au club de gymnastique poétique "Les gymnapoésies" qui donneront une séance de démonstration sur des poèmes d'Aragon le 22 Avril 2019 à 20H00, au N° 3 avenue Yves Rocher à Dardilly dans les locaux des magasins "Phildar Rhône-Alpes". Mais je vous en reparlerai... Faites moi penser, si j'oublie.
Photo : A quelques jours du printemps, on a croisé les demoiselles de la colline (Melle Lacroix et Melle Pinturault rudement sacochées) en grand péché de coquetterie, flagrant délit, et tentations, rêvant devant des robes chasubles, toutes autres folies vraiment olé olé, débardeurs en jersey (sans manches oh ! my god !). Oseront-elles ? Photographiées, on va dire au hasard, rue du Mail, (toujours imitée jamais égalée), en plein coeur de la Croix-Rousse à Lyon,par le Riri et son instamatic Kodak en Mars 2010. © Le Riri (avec l'aimable participation de la maison kodak).
04:36 Publié dans Affiches, panneaux, vitrines, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 05 mars 2010
Bang Bang
Je n'ai jamais désiré de quitter le lieu où je vivais, et j'ai toujours désiré que le présent, quel qu'il fût, perdurât. Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps . Elle est en désaccord si formel avec le sentiment de mon identité qu'elle est la source même de ma poésie. J'aime les hommes, non pour ce qu'il les unit, mais pour ce qui les divise et, des coeurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge.
GUILLAUME APOLLINAIRE.
J’écluse tout vers le silence des tombes. De La Salle à Loyasse, le désert est si vaste. Et sans cesse absorbée par l’étrangeté du monde, je m’attache aux devoirs du petit quotidien. Il me reste quelques lettres à poster. Les choses sont disposées: “chaque chose à sa place et puis un temps pour tout”. Le rêve que l’existence soit d’une autre manière devient très déplacé, on y mettrait du sien. On promet, rien ne tient, il faut qu'on s'en arrange. Et l’on s'en va traîner jusqu'à ce que la machine nargue et nous dépossède. A parfois s’annuler, à faire la bonne figure, politesses, simagrées, sourires et volte-face, des soupes à la grimace, des ronds de jambes négociant des bricoles usant jour après jour. Le jeu particulier dévoue au collectif, en veux-tu en voilà, l’originalité pour tous, l’absence de vrais tracas, la bonne pogne carriériste où s'intrique le surhomme. Ailleurs, l'auge se remplit, la gloriole qui nous cible chacun à son loisir, petits sacs, agenda, applis, mémo, là bas, les numéros du cirque, un monstre en équilibre sur ses quatre ou six mains. le garnement prépare l'opus à son désir, il hésiterait encore entre l'allée centrale du plus grand magasin et quelques restaurants coquets en centre-ville. Est ce qu’une ceinture à franges ocrées ou une paire de mules andalouses pourraient consoler, réchauffer ? Prendras tu le menu-plaisir d'une grosse truffe à la mangue, ou une pièce montée à t'en barbouiller le museau de chocolat au lait ?
Auge sournoise, climatise. La chaleur, on la sent, elle nous est diffusée tout d’abord par les pieds, et plus haut, un avenir surplombe l'écran plasma ; la météo prévue pour les trois prochains jours, te dit: le temps qui est, le temps qui vient, on suit les horoscopes, les conjonctions subtiles, de vierge en capricorne via l'année du lapin, l’amour, le beau travail, la santé, le voyage dans les îles, sponsorisé par la baleine, le sel marin, et les poulies des chalutiers qui feraient couler le bateau si d’autres modernes, (baleines aussi), charitables, futuristes, ne veillaient pas au gain, à l’ivraie, le grain-grain, aux singeries des uns et des autres et aux miennes du même grain de folie qui nous fonde, qui veut l'alternative, ou l'ivresse famélique, ou la geôle. Les deux parfois offertes. l'alternance. Une même prothèse pour tous conviendrait aussi bien. Ma chemise pour une chèvre. Est ce que tout cela nous vient ? Te plaît ? S'en va, revient ? Ceci vous convient -il ? - Oui, bien sûr, par la force des choses, un beau jour, tout convient. “Pas de Lézard ! et que vive le grand huit, vertige d'Ourobouros !" comme le racontait dire Jim, vieux voisin, feu éteint, un peintre ésotérique mort dans les couleurs dingues d'une palette riche et pauvre, enflammée de carmin et de belles maîtresses roses. On pourrait se noyer, re-boucler le tympan sur l'orgue de Manzarek. La vie sauvage foulée dans des sandales indiennes piétinant un tapis de bain, trois feuilles vert pomme d'un palmier nain, au pied d'une baignoire rock n'roll en forme de licorne remplie de cigarettes blondes écrasées à moitié. Un peu de cendre pour le bain.
J'écluse et les formes m'absorbent dans les murs écaillés. Une fissure s'épuiserait aux parois recouvertes de calcite blanche, un taureau noir de jais en tapisserait le fond, ou l'iris lamenté pour quelques notes de tête, bouquetins et aurochs, ours, félins, bisons... Cette nuit je redécouvre quelque part, le décor, sous mon nez, des peintures rupestres, là où la ville exige des murs blancs et muets. Les nettoyeurs s’agitent, demain ils viendront recouvrir à la chaux le délit, les sentences amoureuses, et puis la nuit prochaine, les graffeurs magnifiques retourneront au délit, et puis toutes les nuits effacer au matin, délit et ainsi de suite...
Je retiens le décret qu'il est mieux d'accepter ses chagrins que d'empaler l'amour avec des cris de haine. Ensuite, il serait doux de se noyer tout court dans n'importe quel poème ou de courir le monde et fuir les arcs en ciel et les couchers de soleil, se lover sous les voûtes d'un grain photographique dans l'oeil de la Dumenge. Retrouver chez Raymond le courage d'être pur, et ne céder en rien.
Il est des êtres humains qui ont la force des glaciers, déplacent à la surface de quelques mètres carrés les montagnes sacrées. Fumer des cigarettes, boire dans des gobelets blancs, le rosé ou le punch, oser la grenadine. Oublier les fureurs. Se glisser lentement dans la vraie vie pénétrante. Oublier les replis, les chatoiements instables, l'orgueil, la jalousie (cette affreuse preuve d'amour) se rendre à l'entrepôt nuire aux petits calculs qui ne disent pas leur prix, s'accordant toutes les aises à briser les collègues. "Rien n'est sincère, honnêtement" disait ce camarade (de grande classe) dont l'amie (une dindonne, de mon genre assez paradoxal) remâchant la philosophie druckerienne répondait par le terme:
- "ça ! ouais, ouais !... et ce qu'il nous manque à nous, à notre époque, c'est que la sincérité, elle soille vraie j'veux dire encore plus vraie!",
c'est parfois si confus, qu'il faudrait préciser ... S'imaginer au fond, que tout ça finira bien, au nom de la raison, de la tranquillité, que les amis de Georges se chargeront de balayer d'un bon gros rire blasé.
Dieu s'en mêle, les adages annoncent la décadence, tôt ou tard, un revers, il faut anticiper. Les horizons sont tels qu'on voit bien que le Bon Dieu est en train de se barrer avec les cacahuètes laissant là le gourmet sur sa faim. Fin des fins. On va s'en tartiner. On échange des belles phrases, devant trois oeuvres iniques, sculpture contemporaine à base de crottes de biques posée sur des parpaings, plateformes mélaminées exhibant une série de bombyx, pilés menus, entrés dans un pot rempli d'acry fluo, on meurt pour un triptyque où sont collés trois pous posés sur des manches à balai, le tout signé du sang de l'artiste. Puis l'on se souviendra un peu de Georges, prince lointain, (dont la femme supérieure hiérarchique dans une boîte de cages à lapins) n'était jamais à la maison, la nuit. Du désordre...
On le croise quinze ans plus tard, pâmé dans son habit tout cuir, avec sa grande tête piriforme, un visage sec, et tournant sur lui même, homme-toupie, fier de son devenir. Ensuite viendra le conte (de fées et ses antécédents), + de fadaises encore et des formules pétantes, qui font tourner la tête. On se prendrait presque pour l'autre, l'illuminé mythique qui partit autrefois du temps de sa folie, imposer à l'Espagne la véracité des chimères. Nul ne peut ignorer la tristesse de l'histoire. Et la gueule du lendemain tirera leçon du sage.
A force de prendre les tire bottes pour des lyres, on mourrait presque en queue de poisson. A présent, peut-être les portes s'ouvrent munies de vannes ou de ventelles. Je fais mienne la phrase de Brummel "Il vaut mieux étonner que plaire", ou ne rien dire, programme: le flegme et la parure. Mille traits pour éviter que le ciel dans sa traîne s'unisse aux terres lointaines. Trouver un tas de machins et des consolations comme goûter la saveur d'un beau nu étendu dans l'herbe, là bas juste au milieu du zoo. Une tête d'or à couvrir de baisers pour fêter le printemps qui vient, mille chevelures à coudre ensemble sur un grand lit de perce-neige, un regard de biche abuserait des rêvasseries quotidiennes. La flemme aguichant un instant le bleu turquoise du ciel avant qu'on en vienne à l'écluse, toujours accouplée d'un barrage qui ferme la page d'écriture, une sentence pour la guigne: "chaque chose à sa place, une place pour chaque chose". Et comme on n'est pas difficile, on y trouverait sûrement encore un petit agrément.
Photos 1 + 2 : Flous artistiques voyageurs et vaguement noctambules.
Photo 3 : Le monde en marche, une anonyme avec des bottines (d'à peine sept lieues). Lyon. Nuit.
Ailleurs © Frb 2009
17:09 Publié dans Art contemporain sauvage, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 01 mars 2010
Quelques heures avant la nuit (part III)
Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d’obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m’éloignerai m’illuminant au milieu d’ombres.
GUILLAUME APOLLINAIRE extr : "Cortèges", in " Alcools" 1913. Editions Poésie Gallimard 1971.
Si vous avez loupé le début cliquez gentiment sur l'image.
J'ai sur le bout de la langue, une litanie de vieux noms d'une époque à reléguer aux croix humbles, monticule terreux d'un cimetière glorifiant le vaillant artisan et le prolétaire. Femmes ou mères courageuses, époux morts à la guerre, artisans italiens, maçons venus de Chantérac, de Gartempe ou de St Maurice la Souterraine. De ceux qui dans la vie ne purent jamais s'éléver ou bien juste un petit peu avec cet unique rêve qui n'était pas celui des parvenus, mais celui des hommes libres, enfin le croyaient ils... Devenir un jour propriétaire. Monsieur Felix Chauferin, Paulo Rossia, Melle Jeanne Manchon, Roger Bagnol, Jean Fourneau, Francine Barbonnier etc... Ceux des anciennes maisons d'un quartier construit de leurs mains. Par presque chance, ils n'auront pas connu cela. Ce qu'on nomme la déliquescence.
Sauf melle Francine Barbonnier, unique rescapée de cette triste banlieue où l'horizon autrefois, dit-on menait jusqu'au seuil de Tête d'Or, les trottoires collent devenus savonneux plus pentus que les pentes. Faux semblants en terre de naufrage. Maintenant que tout se cloaque, avec les meilleures intentions du monde, les anciens bâtiments et bâtisseurs inclus frappés de servitude, voici venir les nouvelles habitations.
"Ce jardin appartint jadis à monsieur Fourneau, homme courageux, honnête, ici, la maison du maçon Chauferin, mort d'une faiblesse pulmonaire dûe aux suites de la deuxième guerre, là, le garage de Paulo Crossia, né en Toscane, qu'on retrouva pendu au fond de son garage, après des années d'égarement, à vider méthodiquement chaque jour son cendrier dans la boîte aux lettres des voisins, pour "se venger" prétendait il, des allemands et des miliciens. Et Marie-Yvonne, à moitié folle, partant au marché à trois heures du matin dans sa robe de chambre de princesse. Et cherchant rue Melzet, la villa de son chéri Armand, projectionniste au Fantasio, mort depuis vingt cinq ans. De Profondis. Ici c'est la mauvaise époque. Qui ne ressemble pas à la légende. Bar des copains chez Jules, cinéma permanent Fantasio; où les plus aguerris , fiers à bras, chefs de bande, pleuraient à chaudes larmes sur "Tant qu'il y aura des hommes"... Cinéma Fantasio, remplacé par cette tour hideuse à peu près aussi vaine que le clip, qui insulte encore Guillotière avec sa face de vacherin gris.
Ici, perpendiculaire à la rue Descartes, tout le long de la piste cyclable, des volets de bois bringueballent, sur le bord des fenêtres quelques géraniums séchés. Cordes à linges et panosses dégoulineuses, porte d'entrée hurlant sur ses gonds désossés. Ici toutes les fleurs crèvent. Pour pouvoir, résister il faut pas mal de clops. Le bureau de tabac, café presse de la grande rue abat à tour de bras la clientèle, millionnaire, morpion, pastis,et des tonnes de tabac. Tandis que la nuit vient, une longue nuit de fête, quelques âmes se promènent, avec des sacs plein à craquer de bouteilles de vodka discount. Toute la nuit, la fête, ils appellent ça comme ça. "Se déchirer la tête", qu'il disent. Ils se la fracassent à vrai dire sur les dalles neuves, imperceptibles, qui délimitent Wilson Parking de ses massifs horticultés, rien à voir avec les charmants jardins de presbytère, de Jacquard, la belle. Du terreau brun qui fait office de cendrier, de chiottes pour chiens et plus souvent c'est là dedans que l'être humain dégueule, jusqu'à cette église au carré, et fraîchement rénovée. "La Madeleine", qui continue, imperturbable à marier et à enterrer.
A l'enterrement de Jean Fourneau on les vit encercler le cortège, ces matinaux de la piquette, des braves gars à l'oeil torve, au regard de côté comme celui des grives litornes, posés sur le nombril de la Madeleine, partageant encore leur hilarité, devant la fourgonnette, et saluant nos têtes d'enterrements médusées, machos déboulonnés, col large à chemise ouverte, un médaillon qui se respecte avec le prénom, signe du zodiaque au revers. Une bande de vieux coucous en liesse, revenue du zinc pour renifler la sainteté d'une nouvelle charogne, et les voici, matant les jambes de la veuve et les miches d'une jeune fille endeuillée, sur leurs ventres plus ronds, obsédés de queues de pelle, tous coiffés d'une casquette à carreaux posée de travers comme un béret, ils sont là, ils ricanent. Cela était encore une fête bien acceptable, des bitures de poilades quand le saphir du Radiola faisait le manche sur la couronne mortuaire des défunts, réinventant l'Adieu d'Emile d'un Brel, ou "les funérailles d'antan" du père Georges, ils arrosaient le tout avec de la brioche et du Clapion nouveau entassées dans l'arrière boutique de l'épicerie du "Jo Michon"... Ensuite, la page serait tournée avec les frites vite fait, bien pâles et les packs de steaks hâchés "ouverture facile", de la cafétéria de l'Hyper-Rion de Cusset.
Tout autour de ces fleurs urbaines, on voit ces vieilles carnes revenues de la pharmacie Brihac, qui marmonnent et glaviottent à propos des problèmes notamment de la maladie, leurs maladies exactement ou celles des autres. La main sur l'abdomen, palpant ce corps, plâtré par une vie de Smecta (qui n'est pas poète grec), ne jurant ça et là que par le générique de l'imodium, le spasfon Lyoc, et le pili-pili de quinoa, flux de mots rabâchant un Vidal allégé, conversations autour des fréquents voyages à la selle et vantant les mérites des fruits et légumes de saison. Une vie entière faite d'abstinences. "Mais, madame ! le docteur a dit c'est pas une maladie, c'est un syndrome"... "Ah ben si le docteur a dit! alors c'est pas pareil !". Et puis, ça cause pendant des heures avec sur le dos un foulard où se multiplent des pommes, des poires et des espèces de scoubidous et puis écrasant chaque oreille elles ont vissé des coeurs énormes pour cacher l'apparence austère d'un sonotone qui siffle parfois l'air d'une vieille cocotte à vapeur. Enfin on voit ça assis d'une poubelle toujours très architecturale constamment connectée aux ballonnements intestinaux de ces créatures blettes, tenant ici, chaque jour de marché, leur permanence d'hypocondrie, dans le fracassage d'engins modernes, style pelleteuses mécaniques...
Je n'ai heureusement aucune compétence pour fourbir les correspondances, ce n'est pas moi qui tire les ficelles, et même en métaphores filées de ces pétarades jouvences nées après la biture de kro; de ces pavillons d'ouvriers, à ce rut de barres fonctionnelles, soudain, la claustrophie vient. Je cherche l'air, Il y a comme une saleté dans l'atmosphère. Hier, encore, au même instant, une disparition, un monde qui faisait pousser au ciel, le corail. L'oeil malin croquant les jambes d'un Dieu que le temps fît cul de jatte, et lui faisant crier "j'ai mal" aux croisements d'étranges calvaires villageois médiévaux à fortes consonnances celtes. Oui, je cherche désespérement. Le refuge de rieuses mouettes. La roche tendre, léchée par les flots d'une planète nimbée de styx, de cailloux blancs. Un monde qui attrapait les effraies à l'aurore, et croquait les nuances gris vert de la pleine mer avec aisance ou plus simplement une étoile dans la nuit d'hiver. Où êtes vous "Nuage" ? Nuage c'était, il faut le dire, mon goûter quotidien transformé soudainement en fameuse erreur 404. Inévitablement, je pense à cet autre goûter, du côté de Combray :
"Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel."
Une bouteille d'encre se répand, sur un verbe paralysé. Du tangage des festivités jusqu'à l'implosion des buvettes.
Voilà que tangue par dessus les graviers le corps brisé d'un couple exsangue et passablement ivre tandis que la bière même pas Gueuse, ni Blanche de Bruges, jusqu'à l'atroce débouchonnée de la vodka Franprix (qui ne connaît rien de la Zubrowska, cette poètesse russe) pousse aux suicides lents. Un hurlement sort encore de ces corps trop bruyants, masculins, féminins, agitant devant les fenêtres, bites et popotins dans des survêtement à poils longs, humains au soir pesant lourds de fornications qui n'arracheront ni cri ni joie, pas même un petit brame de bonne satisfaction. Tandis que le mari, glisse encore cette pogne, dans quelque couinement femelle, et que je passe là, parce qu'il me faut rentrer chez moi (ou ce qu'il en reste) arriver à passer, comme si je n’étais rien, comme ça, sans y penser entre les corps et les canettes.
Le gars crache sur mon petit manteau, puis il me crie "salope !" comme ça, pour rien.
Photos : Emile Zola, le cours. A l'endroit à l'envers, en été en hiver, on y trouve bien toujours une flaque pour se refaire une beauté (urbaine, bien sûr !). Photographié à Villeurbanne côté Charpennes en Février 2010. © Frb
05:27 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le nouveau Monde, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent
mercredi, 10 février 2010
La rue Jean Baptiste sait...
La rue Jean baptiste sait que le temps ne fait rien à l’affaire
La rue Jean Baptiste sait qu’après la pluie vient le beau temps
La rue Jean Baptiste sait que l’habit ne fait pas le moine
La rue Jean Baptiste sait qu’il n’y a pas de fumée sans feu
La rue Jean baptiste sait qu'il n'y a pas d'amour heureux
La rue Jean Baptiste sait qu'on n'a pas tous les jours vingt ans
La rue Jean baptiste sait que la mort n'est pas une solution
La rue Jean Baptiste sait que deux et deux font quatre
La rue Jean Baptiste sait qu'après l'heure c'est plus l'heure
La rue Jean Baptiste sait que la nuit tous les chats sont gris
La rue Jean Baptiste sait que la fourmi n'est pas prêteuse
La rue Jean Baptiste sait qu'on ne prête qu'aux riches
La rue Jean Baptiste sait que le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion
La rue Jean Baptiste sait qu'on a peine à haïr ce qu'on a bien aimé
La rue Jean Baptiste sait que les sots parlent beaucoup du passé
La rue Jean Baptiste sait que penser à la mort raccourcit la vie
La rue Jean Baptiste sait que haricot par haricot se remplit le sac
La rue Jean Baptiste sait que seul ton ongle sait où te gratter
La rue Jean Baptiste sait que mauvais chien ne crève jamais
La rue Jean Baptiste sait que le pape bénit d'abord sa barbe
La rue Jean Baptiste sait qu'à l'impossible nul n'est tenu
La rue Jean Baptiste sait que celui qui écrit lit deux fois
La rue Jean Baptiste sait que la gourmandise vide les poches
La rue Jean Baptiste sait que la joie est suspendue à des épines
La rue Jean Baptiste ne sait pas que l'oisiveté est mère de tous les vices.
Kesang Marstrand :"Say say say"
La rue Jean-Baptiste sait ce que peu de gens savent et peut se lire en titillant le lien ci-dessous, d'autant plus que l'endroit est vivement recommandé par la maison et qu'on aurait bien tort de s'en priver :
http://lesruesdelyon.hautetfort.com/archive/2010/02/26/je...
Photo : La rue Jean Baptiste sait et elle le dit ! entre l'esplanade et la rue des Pierres Plantées, presque en haut du plateau de la Croix-Rousse à Lyon. Photographiée en hiver 2009. © Frb
00:14 Publié dans Affiches, panneaux, vitrines, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent
lundi, 08 février 2010
Du pain et des jeux
" O gentilshommes, la vie est courte... Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois."
SHAKESPEARE: (Henry IV).
Avoir du pain sur le pain.
Tomber dans le pain.
Pousser comme du pain.
C'est fort de pain !
Pressé comme le pain.
Tirer les marrons du pain...
Nota : La célèbre formule "panem et circenses" = "Du pain et des jeux" date de l'Antiquité romaine. C'est Juvénal qui en est l'auteur. Il l'a écrite pour évoquer les besoins fondamentaux du peuple de Rome qui vivait alors dans la misère. Pour éviter les émeutes et les révoltes, les consuls et les empereurs ont organisé des distributions de farine gratuite, avec l'aide des boulangers devenus fonctionnaires d'Etat au 2ème siècle avant J-C. Cette tradition s'est maintenue jusque sous Aurélien. Et plus tard comme on sait.
Du pain et des jeux
et le peuple sera content,
il suivra aveuglément
les lois des Seigneurs-Dieux.
Relire de toute Urgence : GUY DEBORD: "La société du spectacle" 1967. (Bon pour ton poil ô mon lecteur!). Extrait choisi :
"Le détournement est le langage fluide de l'anti-idéologie. Il apparaît dans la communication qui sait qu'elle ne peut prétendre détenir aucune garantie en elle-même et définitivement. Il est, au point le plus haut, le langage qu'aucune référence ancienne et supra-critique ne peut confirmer. C'est au contraire sa propre cohérence, en lui-même et avec les faits praticables, qui peut confirmer l'ancien noyau de vérité qu'il ramène. Le détournement n'a fondé sa cause sur rien d'extérieur à sa propre vérité comme critique présente"
Photo : Détournement de pain. Photographié dans la vitrine du monopain de Lyon. Croix-Rousse. Février 2010.© Frb.
20:58 Publié dans Affiches, panneaux, vitrines, Art contemporain sauvage, De visu, Impromptus, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 05 février 2010
L'insolite
L'autre jour, en sortant de la conférence de notre ami Solko, après avoir pris tant sur moi, pour aller déposer quelques lagounes beni rémitées aux pieds du grand maître (Dangr imâtre, drapon) de la saucerie du CAFI (non traduite, en charmillon, à mon plus grand regret. Entatoin ! gridessoin : Li tuaf ride uqe le dangr imâtre Solok ste isaus dangr dripésent, imâtre de froncérence intorsiné dnsa esl glères ed l'atr ed otren bonel cacédiem du charmillon donfée evca trone ima Tanygu desuip le na 9002). nif de la rentaphèse Bref. Après avoir serré quelques mains, chaudes, gelées ou moites, à la sortie du petit cinéma St Denis, dans ce froid de canard de notre rude hiver français, je repris en sens contraire le chemin de la maison, avec ma chapka sur la tête (c'est la mode, on est obligés), Dieu que j'avais l'air bête ! comme lorsqu'on rentre penaud après quelque spectacle lumineux, penaud juste à l'idée de rentrer chez soi, que l'on soit seul ou que l'on traîne une famille à sa botte, le fait est qu'il est sans doute un petit peu le même chez tout le monde, ce sentiment penaud de rentrer chez soi après un spectacle lumineux. Quand l'envie puissamment insufflée d'aller traîner toute la nuit, dehors (dans quelques maisons chaleureuses ou dans des lieux à air de fête où l'alcool coule à flots), nous est soudainement ravie par cette sentence odieuse, ce reliquat de contingence humaine dont tout l'inacceptable tient en une seule expression aussi tragique que misèrable qui dit encore trop peu de notre fardeau accepté, notre baluchon charnel, hélas ! inévitable, quelque soit le degré de romantisme de chacune et chacun, la sentence se dit bien à peine, même pas qu'on la pense tellement elle est laide, je vous la cite en toutes lettres, la même pour chaque fin de journée, tous les soirs répétée et cela durant toute une vie. Quel joug, quelle cruauté. Que celui qui ne l'a pas prononcé une seule fois dans sa vie me jette la première pierre, je vous la livre dans toute son inanité :
"Il est l'heure d'aller se coucher".
Les personnes bien elevées diront "on va se coucher", le bel égotisé lancera un "j'ai sommeil" et l'homme sans manière annoncera "j'vais m'pieuter". Ainsi finissent les belles soirées, dans de beaux draps pour ceux qui n'ont pas encore acheté leur couette, et que les couples n'épargnent pas, en lançant à la cantonade cette phrase lourde en images, amorçant le délit officiel du devoir conjugal "on va se mettre sous la couette". Couples ! ayez pitié des jeunes ou vieux célibataires qui se laisseront glisser tout habillés sur un lit défait de la veille, couvert de miettes de gaufrettes, de pépitos, et de revues pornographiques (Art press, Télérama, Bel âge) tirant sur leurs pieds un patchwork en laine tricoté au point mousse par une vieille tatan et n'enlaceront rien qu'un bout de couette à rayures genre imitation "zèbre" décoloré par une vie de lavomatic, le célibataire c'est fréquent dira "j'vais m'écrouler" ou "je m'effondre". Bien sûr, tout ne finit pas toujours si mal, il peut y avoir quelques miracles, un soir, un être humain, un magnifique, (un plus magnifique que les autres), lancera à l'assemblée juste après un spectacle, qu'on pourrait tous aller chez lui, qu'il y aurait du vin pour tout le monde, des petits fours, du champagne. On serait tous sur un canapé, à picorer des pistaches grillées et très dures à déshabiller, on écouterait de la musique bien sympa du genre un bon vieux J.J. Cale et même, avec petit peu de chance, il resterait de la tarte tatin. Mais cela est trop rare, non, il est fréquent qu'après une belle causerie, un beau spectacle, un bon ciné, chacun n'ait plus qu'à se dire après toutes les dindonneries d'usage : "Allez, on va se coucher !". Il n'y aura plus qu'à rajouter" "parce que demain, je travaille". Et le couvercle se refermera de lui même.
Admettons que ce soit la fin du prélude, à l'insolite, bien sûr, puisque tel est le sujet. Celui qui recherche l'insolite a bien peu de chance de le trouver ou bien ce sera encore un insolite admis dans nos cases ordinaires, ou nos cadres, tout comme celui (ou celle) pas malin ni maline, qui n'a pas le permis de reluire, ni le gratte vaisselle, ni même une machine à coudre le beurre digne de ce nom, ceux là, deviennent vite dans l'organe vocal du normal (voire du normatif), un ou une "atypique". Rajoutez des cheveux bleus à ces bougres démunis, un cornet à piston, un tamanoir à houpette comme animal de compagnie et cela vous fera peut-être, sorti de la centrifugeuse, des lots et lieux communs, une sorte ou une espèce "d'insolite atypique".
L'introduction sera beaucoup plus longue que ce billet. Mais comme aucun professeur de français n'oserait lire ce petit blog, je ne vais certes pas me gêner. (Je profite de cet espace de publication pour saluer ma vieille institutrice, cette grosse vécha de melle Pugeolles), qui m'a appris à bien cercler mes sujets verbes, et autres complèments d'objets à coups de règle en fer. Qu'on la brûle ! sous des tonnes de divisions à virgules ! et de tout petits calculs éternels de la circonférence du même cercle) mais je m'égare...
Donc disais-je, au sortir de la belle causerie de notre ami Solko, je me retrouvais seule dans la petite allée qui sépare le ciné Saint Denis, de la grande rue de la Croix-Rousse, et comme aller me coucher cela ne me disait rien, éperdue que j'étais d'un amour infrangible, vivant à l'autre bout du monde, cherchant à l'oublier, je m'arrachais les yeux à saisir des détails qu'il me fallait pour moi, absolument, de suite, en tirant à bout portant avec mon petit Canon, armée jusqu'aux dents et dégainant plus vite que tous ces héros nonchalants qu'on voit dans les films de S. Léone. Il me fallait l'instant. Et ne pas le laisser partir. Cela tout comme on tire la journée sur la nuit, tant dormir est proche de mourir (bien que le ticket retour nous semble acquis, n'est ce pas ?). Tandis que follement je tirais sur les murs, les boîtes aux lettres, les clous rouillés, et les pierres acheminées tout autour du local poubelle, j'entendis dans la nuit une petite voix qui me parlait. C'était une drôle de voix entre celle d'une petite fille et d'une vieille retombée en enfance. Je fus tirée brutalement de ma rêverie au moment très précis où je photographiais les courbes d'une insignifiante rampe d'escalier, de nulle part, de partout, cette voix brutalement, me posait la question, une intrusion étrange. Au coeur d'un grand silence, la voix me sembla menaçante, elle sonnait en fanfare :"Vous aimez l'insolite ?". Je me retournais, et je vis devant moi, une grosse femme dont la voix si fluette, n'allait pas avec son physique, cette voix était faite pour une muse filliforme ou une fée clochette, et j'avais devant moi, une bonne grosse dame aux joues bien fraîches, à l'oeil curieux mais pas très vif qui me souriait jovialement tandis qu'hallucinée je bredouillais : "comment ?". Elle osa répéter "Vous aimez l'insolite ?". Quelque chose clochait. J'observais maintenant cette femme là, en face de moi, avec son bonnet rond à poil de je ne sais quoi, tout mauve, irisé sur les coins de paillettes argentées, d'où dépassait une sorte de pompon énorme pendu au bout d'un long et gros filet en tricotin fait maison accroché au bonnet par une sorte de magie que je n'arrive toujours pas à m'expliquer. Les yeux ronds bleus trop bleus de cette créature me fixaient goulûment, roulaient sur un mélange abstrait de grande tendresse et d'immense bêtise qui donnait une autre qualité que je ne saurais dire. La bonne dame répéta :"vous aimez l'insolite ?". Elle eût l'air de se ratatiner dans son manteau dont le col déployé, comme des ailes d'oiseau frêle, remontant loin par delà les épaules se repliait façon doudoune jusqu'en haut des oreilles dont les lobes étaient ornés de deux boucles à tête de biche à faire pâlir tous les porte-manteaux et les trophées de chasses de la terre. Les têtes de biches aux oreilles de cette femme pourtant si ordinaire dont la voix, le visage, n'allaient pas plus avec le bonnet qu'avec le col de son manteau, les deux têtes de biches me regardaient, et il y avait dans ses yeux là, légèrement fendus en amande, une douceur indescriptible. De chaque côté de ce bonnet, me parvenait un choeur, comme celui qui s'écoute dans les chapelles romanes du Nabirosina. Tandis que la femme attendait, tantôt très concentrée sur ma réponse qui ne venait pas, tantôt regard fuyant contre une vieille montée d'escalier vide d'un désolant dépit, les têtes de biches me souriaient et je les comprenais distinctement. Le fil en tricotin de cette pauvre dame faisait des mouvements de balancier réguliers. Le va et vient du pompon semblait issu d'un mécanisme bien réglé sorti de je ne sais quel cerveau malade, qui d'un coup animait les ombres et celles-ci follement semblaient prendre plaisir à se déplacer. Les yeux des biches se posaient sur mes lèvres, attendaient que je me décide, leurs jolies têtes crème me harcelaient, guettant le bon moment où je me déciderais à parler. Un choeur de biches pendues au bout de chaque oreille, doucement balancé par la brise de Janvier, l'une, se décida, il fallait en finir et prenant son élan (car elle était timide) elle osa la question plus lentement, pour que je la comprenne et articula tout de go :
"Vous aimez l'insolite ?".
Photos : (1 et 2 ) De ces choses qui vivent dans les murs, et qui grandissent sans notre accord...Murs/ murs. Lyon. 2010. © Frb.
Photo : (3) L'insolite et l'insignifiance, une montée une descente vues un jour de pleine lune dans la cour intérieure du Cinéma St Denis à la Croix-Rousse à Lyon. (Le ourj prisec ed al froncérence ud dangr te renevé Solok). Janvier 2009.©
10:49 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective, ô les murs !, Parlez vous Charmillon ? | Lien permanent
dimanche, 31 janvier 2010
Là où nous ne sommes pas
A vendre les Corps, les voix, l'immense opulence inquestionnable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde ! les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de si tôt !"
ARTHUR RIMBAUD : extr "Solde" in "Illuminations". Librairie Générale française 1984.
Pour lui plus activement, j’utilisais mon influence en l’aidant à porter le plus lourd bonheur au sublime. Une fine vapeur, et je crus voir s’ouvrir le ciel, des années de jeunesse, un premier mot dont je réalisais qu’il était de la plus grande importance. En louanges serrées, dans cet aimable lieu où les roses griffaient les murs, me revenait toujours le son volumineux d’un adage pendu aux fresques de Janvier. De toiles lues dans l'ombre en descriptions de runes, je vis venir la nuit dévorer le matin. Une vision où l'espace balayé par les brumes traînait des fusées lentes et des flacons de vin.
Pillage et contrebande, paradis sans cépage, coupé tout net à la racine. Pour lui plus activement je remuais les trains en m’étonnant qu’ils glissent ensemble sur tant de lignes à la même heure et en même temps. Des cahiers de jeunesse d’un goût très raffiné s'effeuillaient dans la moleskine. “puisque vous êtes si bête, enfin... ” me disait il... il serait doux de nous trouver bêtes en même temps, un jour, ou deux, entre ces lignes".
En attendant, j'apprivoisais sous les voûtes romanes des animaux bizarres à ventres de fourrure. Tout cela paraissait de l’ordre du devoir et du travail bien fait.
Pour elle plus activement, avec des gants blancs de jardin, il remuait le ciel, la terre en s'amusant, et je renversais tout sur un nid de serins où se liaient patiemment les digitales brunes.
Ensuite je rentrais au logis. Il y avait les horaires des trains et ceux de la toilette du troupeau d’élandins qui dans mon esprit se mêlaient, c’est ainsi que souvent, je mettais la ligne après le point, et le chapeau du i sur les ê. Les trémas restaient dans ma main. Pour ne pas me faire prendre j'accentuais les graves.
”Puisque des jours ne t’ont laissé qu’un peu de cendre dans la bouche” (1) ...
Pour lui plus activement, je mélangeais mes cigarettes aux fumées des usines, mes poumons me semblaient plus grands. Les bons amis assis sur des petites chaises conversaient de nous au salon.
Pour lui plus activement, je déposais dans la rivière des gros cailloux, des petits bonbons effervescents, tout enrobés de réglisse et de zan qui pétillaient dans l'océan. Les trains transportaient des ébats et des sacs à dos en peau de chèvre. Dans cet aimable lieu, des baisers de géants explosaient les séries de chaises. “La vie est donc éparse à ce point !", nous disions-nous gaiement. Les amis tombés de leurs chaises trouvaient qu’on ne tournait plus très rond, et dans le wagon Treize du rapide “Rhône-La mer”, des hommes chargeaient les épuisettes des pêcheurs de petits bonbons.
Ainsi tout de travers, j’entrais sous une chappe pour lui dans ce silence
qui régnait au salon. Elle repeignait les chaises, et je vis notre rêve renaître doucement :
Tous les gens du salon, se transformaient en chèvres.
Nota (1) : Cet extrait cité plus haut, a été emprunté au poète Paul-Jean TOULET
Photos : Un des murs des menus plaisirs ou des pires lamentations, (tout dépend des jours), vu au coeur de la Baraban (pour les gens), "pissenlit" en patois, (pour les bêtes). Quand en hiver, les murs racontent l'histoire de l'art ou celle de la peinture... Photographié l'année dernière, rue Baraban du côté de Paul Bert à Lyon © Frb.
04:13 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
samedi, 16 janvier 2010
Mes nuits sans Georges
"Nous avions trop bu de bourgogne nous bûmes du champagne nature"
ROBERT DESNOS "Voyage en Bourgogne". Editions Roblot 1975
Georges passait toutes ses nuits auprès de mes amies.
C’était au prix de telles frayeurs qu'on pouvait se sentir en vie. Tout cela semblait peu de chose. Une saveur sur un faisan bleu. Un peu de mercure sur la langue. Et, moi avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux, pour commander des vins d’Alsace ou de Bourgogne. Les bonnes compagnies usurpaient ce que l’être (parfaitement spongieux), absorbait d’empathie. Il nous venait sans y songer, un brin de vague à l’âme. Libres, enfin sans soucis, nous picorions jusqu’à l’aurore, des moitiés de glaçons dans de grands verres aux reflets sombres et des vitraux vermeils tombaient sur la rigole. Nous plongions là, nos lèvres entre les flammes d’une bougie pour humer sur les terres du hameau de Brouilly tout le fruit du vignoble.
Georges passait toutes ses nuits à jouer au frisbee.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux pour casser le frisbee de Georges, le transformer en confettis.
Il y avait là, des musiciens qui nous tapaient dans l’oeil et des machines affreuses soudain reprenaient vie. Des Nagras, des poulies, et des marteaux piqueurs nous broyaient gentiment en déterrant nos morts quoique depuis longtemps ils fussent portés au loin. Il nous venait encore sous ces moulures d’or, l’idée qu’il n’était pas vain de jeter, une fois, un dernier dé, avant demain.
Georges passait toutes ses nuits à lire Maïakovski.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je jouais à la coinche sous la frisette ornée de décalcomanies dans un pub irlandais à trois villes de chez Georges. Les regards d’autrefois qui nous accompagnaient n’aimaient plus la splendeur du monde, et les penchants secrets, suppliaient sous la lune : "que la brume de Janvier nous transforme en toupies !". Nous étions mécontents des bonnes compagnies, et l’arcane manquant au jeu de l’imagier, nous l’avions remplacé sans la moindre vergogne. Titubant sur les planches et entre les tapis, je tombais dans les bras de Lancelot et D’Hector en rêvant d’Alexandre et pour l’amour de Georges.
Georges passait toutes ses nuit à prendre des taxis.
Et moi avec tous les amis de Georges, je croquais des olives et puis des cornichons affalée sur une sorte de lit à tête d'ange. La télé diffusait des extraits d'explosion. Par terre, la vie s'empressait sur les coeurs, les yeux fermés dans la bouclette, nous embrassions des nus idiots, des têtes de chats, des rouflaquettes, et en relief, les épais croisillons des revêtements de sol tatouaient notre peau. Ces douceurs me semblaient d’autant plus éprouvantes qu’elles m’étaient infligées par Georges. Dans la cuisine, sans electricité, valsaient des casseroles qui ressemblaient, on aurait dit, à des petits bateaux .
Georges passait toutes ses nuits à écouter Claude Debussy.
Et moi, avec tous les amis de Georges, j’allais finir aux caves de l'Opéra Mundi ou à la Scala de Vaise. Les estampes, les danseuses de Delphes hantaient les touches du piano. Les cornes de brumes des caravelles qui revenaient de l’île barbe sonnaient aigues comme des crécelles. Pour dix euros on avait mis la liqueur en bonbonne, qu’on blottissait dans les bras des vieux beaux, qui payaient tout et nous emmenaient en auto, jusqu’au bord de la mer. Nous donnions dans le sable des petits coups de pelles, qui faisaient rire les mouettes, et les vagues moussaient sur nous comme du champagne chanté par des baleines.
Photo : La valise à remonter le temps. Photographiée dans une vitrine de la rue Terme, très exactement. Lyon. Janvier 2010.© Frb.
11:18 Publié dans A tribute to, Affiches, panneaux, vitrines, Art contemporain sauvage, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
jeudi, 14 janvier 2010
La rue de nuits de nuit...
Dans la nuit
Dans la nuit
Je me suis uni à la nuit
A la nuit sans limites
A la nuit
HENRI MICHAUX : "Dans la nuit" in "Plume". Edition Gallimard 1963.
"L'Aru denu ivud enui : petite musique d'INUIT
Rue de nuits = le S a son secret qui vous glacera le sang ➞ ICI
Ouïr le son de la nuit ➞ HERE
Photo : Deux nuits . Lyon, Croix-rousse. 2009.© Frb.
mardi, 12 janvier 2010
Dans la nuit mince et blanche
Dans la nuit mince et blanche, dorment les grands connaisseurs de la réalité, qui forment en rêve à leur image le derniers fils de la famille, pour mieux le noyer au matin.
Dans la nuit mince et blanche, je me lie à Vitrac au dessus d’un bordel de fringues ou le corps pris sur l’étendage, un hamac laid comme une filoche pendu sur un bec de mésange.
Dans la nuit mince et blanche, j'effeuille un almanach, datant de la fin des années 30, "la maison du papier gommé", un article documenté sur la vie du scaphandrier. Plus loin, en d'autres pages, (une revue de 1960), il y a des cathédrales vivantes, le détail d’une voûte romane, l’énoncé d’un paquet de chocos. Des palets d’or rampent sur les plinthes, l’engagement (Lu) du "sachet-fraîcheur" avec une pointe de sucre roux et 3,0 gr. d’amidon. Tout ça court sur la croûte terrestre en brulant longtemps les étapes: la Perse, l ’Assyrie et Byzance, jusqu’aux formes octogonales qui se combinent dans les absides désordonnées d'un pur style hybride ogival du genre pré-Nabirosinais.
Dans la nuit mince et blanche de gigues et de pavanes, j’accepte la place offerte. Par la voix tonnante de l’ancêtre qui illumine à coups de bêche, ce coeur qui se trouve sous ton pied.
Dans la nuit mince, je mange. Et goûte aux vins d'Etienne, à la faveur des jours qui passent, quand d’un paradis entrevu de l’autre côté du vitrail, nous ne glissons plus que des neiges fondues sous un coin d'oreiller. (Or la petite souris qui n’est pas dupe, ni plus folle que la guêpe, continue de nous tarauder), et nous trinquons à sa santé :
"A la tienne Etienne, à la tienne mon vieux !" .
Dans la nuit blanche, j’en pince pour les boiseries poncées mais je hais la frisette à teindre. J’y décloue ta mèche obsolète, tôt remplacée par l’accroche coeur d’un joli moniteur de luge.
Dans la nuit mince et blanche, le lis amer réinjecte son trac, naît ou meurt selon. Pénètrant le sillon, un tourne-disque carossé tombe dans la SPX. Il ne restera plus qu'à tirer les cordes du piano, à les frotter longtemps, au papier à musique. J’aime l'art acousmatique : John Cage dévoré des limaces, la flêche de Denis l'endrômé, Michel, qui n'arrête plus le regret et les doigts du grand Luc caressant les étoiles. Plus tard, les autres viendraient, (des bons copains aussi), avec d'étranges boîtes...
Dans la nuit mince et blanche, une masse de bouc a siphoné ma plume de paon ou de dindon, et je ne m’en porte pas plus mal. "Mieux vaut dindons que paons" a dit le Duxo Yaka Charmillon. Et nous revoilà une fois encore sur "le chemin des poneys !" mon talon d'archimidinette, se tort un peu sur les cailloux mais s'il retombe dans les fougères, il sait s'en contenter. "Un rien, Madame, vous rend si belle". (Giroflées, trèfles doux, émouvantes noisettes). Dix balles de billes à faire rouler sur le toit d'une chapelle, l’éclat doré du solitaire comme une chiure de coucher de soleil épousant les tonalités des grands yeux fendus en amandes de l'élandin.
Dans la nuit mince et blanche, Lord Jim erre de port en port. Et je me demande si je ne préfère pas les braves types aux grands seigneurs. Si je ne préfère pas le sanglier au porc, si je ne préfère pas le modillon au Sacré Coeur. Et s'il fallait vraiment choisir (quelle connerie, cette supposition), pourquoi choisir "entre les choses", pourquoi ne pas choisir "un peu de tout" ?
Dans la nuit blanche, pyramidale, je ris seule parmi des objets d'une stupidité qui m'agrée et de nombreuses soucoupes volantes portent plus loin les présomptions. Orné de trois pépins d'orange et d'une bonne quinzaine de mégots, l'oeil-bouton de l'ours Pitou tiendra bien jusqu'à demain soir. Un grain perdu au centre d'un pot (dont je n’arriverai jamais à calculer la circonférence avant l’aube). Soudain, j'ai besoin de vacance, (se pourrait-il d'absence ?), ou de disparitio...
Dans la nuit mince et blanche, j’entends les perroquets et la belle de Croisset qui écarte les jambes. Le voyou qui fuyait son petit chien me relance. tout ce que j'ai à lui dire tient sur un tas de cendres au fond d'une boîte à thé.
Dans la nuit mince et blanche, je me surprends à aimer Jack Palance. Et Brigitte qui s’envole dans les bras d’un idiot, de Capri vers la mort, après, quand c’est fini, on retrouve le silence. Puis à 6 h00, reviennent les camions des poubelles, la nuit qu'on cambriole, la fin des haricots. Les dés sont rejetés. Alors naît l'envie folle de construire une pirogue. Ou de partir en catastrophe dans une petite auto.
Du genre Rolls Royce.
Photo 1 : La neige blanche et mince photographiée la nuit entre la route qui mène au Mont St Cyr, et le "Chemin des Poneys"...
Photo 2 : Un drôle d'être humain dans une drôle de petite auto. Vu au petit jour, sur le chemin dit de la "Grande Terre" ou de la "Belle Neige". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.
dimanche, 10 janvier 2010
L'air du temps et les métamorphoses
"L'organisation terrestre est ainsi construite que l'Atmosphère est la souveraine de toutes choses et que le savant peut dire d'elle ce que le théologien disait de Dieu lui-même : en elle nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Condition suprême des existences terrestres, elle ne constitue pas seulement la force virtuelle de la Terre, mais elle en est encore la parure et le parfum. Comme une caresse éternelle enveloppant notre planète voyageuse dans une affection inaltérable, elle porte doucement la Terre dans les champs glacés du ciel, la réchauffant avec une sollicitude incessante, charmant son voyage solitaire par les doux sourires de la lumière et par les fantaisies des météores"
CAMILLE FLAMMARION (1842-1925) : "L'atmosphère : météorologie populaire". Edition Hachette 1888.
Il était difficile d'avoir quelques nouvelles, les phrases arrivaient dans le désordre sur cette moire dont les cristaux nous lacèraient le sang. Quelques uns se sentaient enfermés dans la neige. Les infos se colportaient par coupons aberrants : "Météo France a levé toute sa vigilance [...] (orange, qu'elle est la vigilance !) mais la neige ne s'arrêtera pas de tomber pour autant" (!). Un journaliste sorti des grandes écoles, annonçait pour Grenoble, vingt centimètres de neige un évènement (dixit) "sans précédent" (depuis 2005 !!!). Cette brouillasse d'information humaine fit le tour de la terre presque instantanément. On aurait dit que tout l'hiver, sa couleur et son blanc, venaient aux spectateurs gobés tout crus par les nouvelles, en cette "exceptionnelle saison sans précédent". Chacun encadra les pépites pour en rire jusqu'au printemps. Les vieux d'ici scrutant le ciel, racontaient que "les vrais ploucs finalement étaient ceux de la ville". Et l'on se régalait, empalant la carotte sur la bouille du bonhomme de neige. On se délectait aussi du vieux sens paysan tandis que le Bébert hilare sous sa casquette, rattrapait son basset par le haut des oreilles : "il se sauve tout le temps c'tu foutu tsin ! il l'en veut après La Youquette". Alerté par les aboiements, le maître de La Youkette, sortait de sa cour en remontant sa culotte de velours. Et du chemin, sa grosse gueule violette qui bougeait toujours en parlant de gauche à droite, de droite à gauche hélait le Bébert et regardait La Youkette slalomer entre les barrières puis retomber sur ses pattes avant : "Ah ben vindiou ! toutes ces bestioles, c'est bien plus agile que les gens !". Il récitait par coeur une liste d'accidents lus dans la Renaissance d'hier. Puis tout s'assombrissait en causant de "la Marivette" dont le fils aîné était mourant. Le visage soudain renfrogné du Bébert, énumérait les endroits de tous les accidents qu'il y avait eu depuis la venue des neiges, à la sortie de la route express, et au virage de l'étang de "La prâle", sur la route de La Caillette. Le maître de La Youquette enchaînait : "Tant qu'y aura pas eu un car scolaire et des enfants morts dans l'étang...". Le Bébert écoutait, contemplant ses grandes bottes caca d'oie en caoutchouc collé au blanc, tandis que le basset, (avec ses pattes qui remuaient l'air) me regardait d'un air émouvant. Le Bébert dit que cet après-midi il mettrait dans les arbres des boules de graisse pour les pinsons, que demain il y aurait du brouillard à pas sortir de la maison, que le Philippe Seguin était mort, que la Marthe était dans le coma. Qu'il y avait encore eu un malheur, un grand malheur chez les Cantat". Il attendit en soupirant, la sentence de son gros voisin qui ralluma son bout de Boyard avec une sixaine d'allumettes et lança après avoir longtemps eu l'air de soupeser les évènements : "Ah ben ma foi que voulez vous c'est ben comme on dit à Vendenesse :
"Brouillards en janvier, mortalité de toutes parts"
Et malgré l'antidate au domaine, les lendemains tous pareils, (c'était mis dans le journal comme ça) = "tous fidèles à eux même, des lendemains sans précédents", se suivirent et se ressemblèrent. Des hommes aimés, des excellents se firent la malle. Et les sanglots du rude hiver fûrent absorbés atmosphériquement, tandis que le maître de la Youkette tournait les pages d'un minuscule carnet qu'il avait toujours dans la poche où se trouvaient le nom des Saints, les commissions, et les dictons pour les récoltes.
"Un mois de janvier sans gelée
N'amène jamais une bonne année."
"Si la Saint-Antoine (1) a la barbe blanche,
Il y aura beaucoup de pommes de terre."
"Garde-toi Du printemps de Janvier."
Ces adages comme des marelles se parcouraient à cloche-pieds. "Tu lances le palet, tu le pousses avec le pied, 1, 2, 3 ... jusqu'à 8 et tu sors !". Si le palet se trouve sur un trait, il faut tout arrêter.
Plus loin des employés de la municipalité marchaient un peu à travers champs avec des cabas à carreaux ils s'en allaient jusqu'au hameau dit de "L'enfer" apporter du ravitaillement. Le Bébert parla de la Mado qu'en bavait trop avec son homme, faut dire que le Jeannot il trainait le soir à la Caillette avec des gars qui l'embringuaient, à jouer et à boire des canons. C'était lui qu'arrosait les gars. La Mado ça faisait des années qu'elle tirait le diable par la queue et trimait comme une sacrifiée pour pas que la ferme périclite. Quand l'Jeannot il rentrait, raviné au Clapion on l'entendait brailler jusqu'aux cabanes des pépinières, y'en a même qui disaient qu'il tapait la Mado. "Elle est brave c'tu Mado, et le Jeannot il la mène" répondait le maître de la Youkette "Ben moi, ma feûne si je lui en foutais sur la gueule, ça se passerait pas comme ça ! et pis c'est pas au mari à faire des choses pareilles! une feûne moi je dit que ça se respecte Vindieu !". Le Bébert tripota le pompon de sa casquette. La neige recommençait à tomber, bien drue. Les deux hommes se regardèrent longtemps, un vrai face à face de western dans un silence très velouté ponctué de "ma foi". Ils passèrent encore en souvenir tous les mois de l'année dernière, la première douceur de Janvier "qu'on ne connaîtrait ma foi pas c't'année" et les mois rassemblés faisaient encore un almanach : Plus de 300 préceptes pour la vie ordinaire et des dictons pour chaque saison :
"Regarde comme sont menées
Depuis Noël douze journées
Car, en suivant ces douzes jours
Les douze mois feront leur cours."
Les deux hommes se saluèrent et promirent de se revoir comme ils l'avaient prévu, au banquet pour la St Vincent. Les chasseurs de la giboulette, introniseraient leur président dans la petite salle du comité des fêtes, les vieux feraient cuire le sanglier, les biches, les perdrix, les faisans. La Youkette; le basset grelottaient dans la neige. Il était temps de rentrer. Le maître de la Youkette se retourna et lança l'épilogue qui résonnait dans la grande terre : "salut Bébert, et pis ma foi ! revoyure à la St Vincent ! y z'y ont annoncé que normalement après le 20 ça sera le redoux !" Le Bébert agita sa casquette, cria tout au milieu du champ une de ces phrases de bonne patience qui réenchanta le hameau. Dans cette tonalité parfaite, de moelleuses météores nous effacaient lentement. Tous fondus dans le paysage, nous retrouvions le paradis, juste là où il avait été crée. Cette fine allégeance mollissait en nos corps, biffait le cours des volontés, nous errions comme des plantes lourdes dans ce pays perdu. Le basset, La Youkette courant devant, truffaient quelques flocons. Sur le bout de la langue, quelques bribes savantes, déroulaient des oracles. Une vieille boule de cristal roulait sur les saisons. Il en était jeté de toutes les décisions qu'il nous restait à prendre...
"Saint-Vincent (2) clair et beau,
Plus de vin que d'eau." .
(1) = 17 Janvier - (2) = 22 Janvier
Photo : Neige au hameau et sur le chemin de "La grande terre". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.
03:02 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 08 janvier 2010
Tronche de neige 1
Ou le ravissement de l'hiver
Le petit bonhomme d'hiver serait sans doute encore plus ravi avec Melle la pleine lune mais comme Melle la pleine lune prend son goûter, je vous invite à aller l'admirer "du bout des doigts" sur le beau blog à Luc.
22:34 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
jeudi, 07 janvier 2010
Tronche de neige 2
06:56 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 06 janvier 2010
Hameaux couverts
"Ils agonisent longuement dans l'herbe poisseuse, et le premier laboureur qui les découvre, à l'aube, imagine déjà les sombres histoires d'amour qui auréoleront le nom déformé de la victime, aux soirées d'hiver, dans vingt ans et plus. "
ROBERT DESNOS in "Le rêve de Foujita". Extr. de "Récits, nouvelles et poèmes". Editions Roblot 1975.
Le silence revenait en écho. On attendait la neige. Lui, ce qui l'interessait ce n'était pas de regarder la neige. Mais de la fabriquer. Il avait fait courir le bruit, et la lumière avait baissé. Le lendemain sur les chemins défilaient des laines polaires. Dans ce chaos, lent, fascinant, glissaient des corbeaux freux et des pyrrhocorax graculus conversaient à coups de "schkwahk! schkwahk !". Sur un chariot des paysans chargeant des sacs de sel, de sable parlaient d'une bonne femme dépressive du hameau où vivait la Francine qu'avait tué son homme à coups de carabine.
L'autre, ce qui l'intéressait ce n'était pas de regarder les gens mais de calculer comment la neige viendrait dans leur esprit, y déposer ce grain et la boule de givre qui roulerait sur les évènements, dévorerait les âmes impitoyablement. Le silence feutrait la rumeur, il y avait des on-dit. Au village alentour, une femme avait tué son homme parce qu'il courait. Chacun se demandait : "Son homme courait. Mais avec qui ?". Ils croyaient tous dur comme fer en la neige, celle qui ensevelit, quand leur bonne fée sournoise, viendrait à point fermer les pages remplies de l'encre qui coulait mais n'arrivait pas jusqu'ici. Et sous la paille mauve de la vieille Euphrosine, un épi malheureux caché sous la tripaille, le dernier mouvement d'un rêve anthropophage, ensanglantaient son lit. Ce qu'elle avait rêvé la veille, elle le racontait le lendemain. Et elle le racontait si bien, avec son gros bec de volaille, que tous les villageois se groupaient devant la mairie pour écouter jacter l'aigre et la chevrotine et ils en revenaient la langue bien aussi chargée qu'Euphrosine.
L'autre, ce qui l'intéressait ce n'était pas le bec d'Euphrosine mais le museau des rats qui mangeaient le ver du fruit en accouplant tous les on dit aux candiratonnailles. D'autres nuits revenaient encore, et des longs chats à poils d'or miaulaient sous les fenêtres de ceux qui l'année précédente, sous prétexte d'un voyage à Dyo, avaient donné des coups de couteau au contrat de mariage. La vieille qui n'avait jamais connu d'homme, regardait le haut de la montagne, l'oeil craintif, la croupe sertie dans des cotillons de maille beige frottés aux rosaces d'un panty. Ce que demandait Euphrosine : un geste favorable, c'était fabriquer de la neige avec lui. Sentir le clou dans cette entaille. Fondre dans ce délit.
Là haut, entre meurtières et murailles, l'autre regardait Euphrosine jeter des crosnes dans l'eau bouillie, marmonner seule les saloperies de ses rêves sur ses casseroles. Et ça faisait une vapeur peuplée d'ombres et d'odeurs molles, dont il enrobait Euphrosine qui ressentait alors de ces choses incroyables tout en bas de son ventre. Quand tout cela était fini. Euphrosine redevenait méchante. Autour de sa bouche, une bave. Et c'était reparti.
La neige on l'attendait, pour sûr ! Plus impatiemment que les Rois Mages. On l'attendait comme le messie. Ce qui sourdait dans cette attente déclenchait toutes les avaries et l'eau brune des boutasses du hameau des "Piques" à "La Pelaude", débaroulait sur les cabanes, recouvrait le bourg de sa vase. Un monde devenu limoneux. Mais le limon ne gagnait plus. Chacun restait dans sa cabane. Le coucou parfois chantait l'heure. Des pommes blettes sur un bahut, un peuple de pelles et de pioches, retranché dans ses cabanons, stockait son sucre, en tordant des reinettes dans des bouteilles d'alcool de poire. Tous ici attendaient la neige. Et si la neige ne venait pas, il y aurait encore un drame. C'est ce que racontait Euphrosine.
L'autre, ce qui l'intéressait, quand il fabriquait toute cette neige c'était d'en préciser le blanc. D'en extraire le pesant. Son point d'apparition. De perfectionner la matière, de la goûter jusqu'au moment où il pourrait s'en délivrer. Mais cette fois, il était en retard. Ces infinités de façons, le secret qui vient au flocon, toute la légèreté du cristal, étaient tombés de l'alambic. Et les cotillons de la carne, à l'heure où il crût en pleurer troublait le coeur du papillon qui redevenait larve. Ils avaient tous trop attendu. La méchanceté de la vieille allait faire des petits. L'autre savait qu'il n'y aurait pas assez de neige pour tout le monde. Il ne restait qu'une solution pour empêcher la méchante femme de faire grêler sur le pays des paroles pire que la gale.
A minuit environ, cela vint comme un mauvais charme dans le cabanon d'Euphrosine. Un portail grinça au jardin. Elle se retourna dans son lit, avec son grand bec de volaille, elle cria "Qui est là ?". L'autre avançait à pas de chat, un corps lourd de bête docile et doré comme du pain d'épice. Elle lui tendit les bras, de grands bras en lambeaux. Son bec claquait gaiement, elle bêla : "Tu es beau". Il entra dans le lit, posa doucement sa bouche sur le cou de l'épouvantail et répondit "C'est moi, tu vois, je suis venu". Euphrosine succomba trois fois et sentit par trois fois la neige velouter ses entrailles. A six heures du matin elle s'éveilla seule dans son lit. Il faisait encore nuit. Devant la glace elle s'aperçut que son bec de volaille et le sang sur ses draps avaient miraculeusement disparus. Elle attendrait le petit jour pour en informer le village. Elle désirait que tout le monde sache qu'elle était une autre Euphrosine. Elle demanderait pardon aux habitants, à Jésus, à Sainte Euphrosine. Sous le châtiment du bavard elle irait dire des "Notre Père" à l'Eglise de Bois Ste Marie. Jésus lui pardonnerait contre une messe et des prières, les habitants seraient sans doute moins indulgents, mais ils s'habitueraient. Parce que l'autre, un jour, tôt ou tard, finirait bien par l'épouser.
Le journal avait annoncé quinze centimètres pour la nuit. La Francine réfléchissait. En y allant à dos de mulet elle pourrait arriver aux "Piques", juste avant le lever du jour. C'était un vieux pari stupide. Elle avait promis au bon Dieu que si la neige ne venait pas le 6 janvier exactement au moment du lever du jour, elle dénoncerait Euphrosine. L'autre qui tirait les plans et la neige dans ses alambics ignorait tout du dénouement. Puisqu'il n'y avait pas assez de neige pour tout le monde, il les laisserait ensevelir.
Le jour vint, sans un petit flocon, sans la moindre gouttelette de givre. La Francine à dos de mulet dépassa le bourg de Dyo. Euphrosine pour la première fois, avait mis du senbon, et nettoyé sa paille mauve au Palmolive. Parée d'une toque en Astrakan on pourrait la trouver aimable sans son bec de volaille. La Francine arriva très tôt. Bien avant Euphrosine. Elle avait eu le temps de sonner à toutes les portes, d'avertir les gens du pays. Quarante trois cabanons, plus les maisons des "Piques" et celles de "la "Pelaude". Euphrosine partit en chantant dans sa nouvelle peau d'Euphrosine. La Francine qui parlait jamais mais regardait tout derrière sa vitre, donna le nom de celle qu'avait couché. Quarante trois cabanons, autant de carabines. Euphrosine n'eût pas le temps d'atteindre la place de l'église. Ils visèrent tous en même temps. L'autre rangea ses alambics. Il y eût une mare de sang sous un ciel assez dégagé.
Photo 1 : La frontière du hameau des "Piques".
Photo 2 : Le son d'un pas sur "La Pelaude".
Photographiés vers l'ancienne maison d'Euphrosine, par l'autre. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.
07:39 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, Ciels, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent