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mardi, 01 novembre 2016

Le voyageur

En secret nous glissons dans les ténèbres par le chas de l'aiguille.

REINER KUNZE  in "Le poète Jan Skácel", (traduit de l’allemand et du tchèque par Gwenn Darras et Alena Meas), éditions Calligrammes, 2014                      

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Un promeneur sans souvenirs, rentre chez lui, longtemps après, mené aux confluences lui prend soudain l'envie de changer de direction. Juste avant, il revient sur ses pas, revoir le paysage qu'il avait tant aimé. Il n'en reconnaît rien et ne s'y retrouve plus. 

Il contemple une image qui a dû le représenter autrefois avec nous et tant d'autres, il a anticipé puis l'image s'est brouillée. Un glissement s'opérait qu'il se doit d'effacer. Il peut fouler du pied ce qu'il a recueilli, réfuter son histoire à l'instant où redevenu l'autre, il sait - et comme tant d'autres qui sont passés par là - il sait où il en est. 

Pas de connotation pour encombrer la voie dont la réalité la plus inaccessible est cet état d'oubli ou d'anéantissement protecteur, garantie invincible de l'homme en sa peau neuve. Il est le voyageur qui ne cesse de renaître et revivre en perpétuel trip, perpétuel rôdeur, étranger à lui même, il est cet inconnu qui s'embarque sur des rives, se pavane en touriste curieux des petits mondes ; puis la seconde suivante il pourrait reconnaître un visage familier qui lui ressemblerait, s'il n'avait pas jeté sa vieille peau par la fenêtre, s'il n'était pas passé de l'autre côté du pont, en quête d'autres rivages, plus peuplés et si vastes. 

L'homme entré en son cycle absolument nouveau a laissé au pays, le vieux garde du corps qui protège un trésor, des malles couvant les traces d'une tout autre personne. Il ne peut de si loin relier toutes les escales. Il est le voyageur tirant le casanier de son inhibition, il est le passager qui permet de garder ou jeter, d'exalter ou d'honnir. Il a vu les passeurs se noyer dans le fleuve. Il sera l'exilé, entré au coeur du monde se délestant du poids des anciens compagnons, des animaux fidèles, des bibelots, des carnets dispersés sur des pages aux angles repliés comme des petits bateaux. Il sera sans passé, sans mémoire, ni bagage, comme s'il avait été tout ce temps qui coulait, jouet d'apparitions, si bien qu'aucun, aucune, qu'il inventait gaiement dans le continuum ne pourraient être sûrs de se reconnaître à nouveau.

 

Photo : Le voyageur (hors cadre) entre dans la fiction de toutes nos promenades. Là, des strates - deux vitesses, deux niveaux dans un même et fragile équilibre - voyageur sur la berge juste au niveau du fleuve, et voyeur (photographe) aux aguets sur un pont, aucun des deux points de vue ne semblerait meilleur (qu'un autre) même si la vue du pont embrasse des perspectives lointaines époustouflantes, elle étreint le même air, fugue approximative, ou blue note, dissonnances que sifflait ce jour là, l'inconnu sur la rive (le même vent dans la gueule ou dans le dos, tout dépend), elle vise la même langueur, même ralentissement qu'un marcheur coutumier de la belle ville de Lyon remarquerait un jour, soudain saisi d'un charme, et d'un lent bercement peu commun aux grandes villes. Peut-être cela vient-il de cette omniprésence de l'élément liquide où le soir, les couleurs des façades de presqu'île, aux nuances florentines, se changent en gris tirant vers le bleu azurite parsemé des pigments "dark sea green", ou bien ce sont les ponts, les passerelles, les bateaux qui procurent l'impression aux marcheurs de glisser et flotter au milieu d'un tableau, mais chacun sait, au fond, - au fond de quoi ? Tout conte fait - que ce n'est qu'une impression... 

"Et topantru, lis tolflent" (Galilée).

 

podcast

 

Sonothèque: (crin-crin remis à flots), loin, la voix de son maître, Guillaume Apollinaire récite "Le voyageur". 

 

Sur les bords fleuve Rhône, en direction du parc

© Frb 2015- remix 2016 

lundi, 16 mars 2015

le rivage oublié (I)

Mais l'individu, c'est aussi la liberté de l'esprit. Or, nous avons vu que cette liberté (dans son sens le plus élevé) devient illusoire par le seul effet de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L'individu est déjà compromis avant même que l'état l'ait entièrement assimilé.

PAUL VALERY in "Le bilan de l’intelligence", extr. d'une conférence prononcée en 1935, publiée aux éditions Allia, 2011.

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Les brouillards descendaient sur une berge antique. On se laissait mener ailleurs, du bon côté, on a dû s'emparer de l'authenticité ; c'est une denrée prisée des centres hyper-actifs, on serait des followers, des winners des addicts, des lanternes affligées d'une comptabilité qui s'emballe comme tout le monde.

On a vu douter l'île, ou bien on s'était dit qu'elle pouvait rétrécir en même temps que nos ombres ne cessaient de grandir. On touchait l'ornement posant pour la vitrine : on devenait clinique, à caresser les cibles en voeu de réflection ; hantées de chapiteaux de nefs et d'ogives, le reste à l'abandon cédait aux sons stridents. On voulait ralentir, c'est une base l'abandon, elle a de quoi offrir. On se balade parfois près du petit étang on recherche les barques en vieux bois bleu d'Egypte. Elles pourrissent à présent.

On laisserait aller au fouillis primitif, les roseaux sur des friches, on viserait l'avenir, une chance aux yeux du monde : aller au plus pressant du prodigieux galop, trouver sa voie, courir, saisir la profusion. Tous ces dons chimériques c'est comme une contagion, qui saisit n'importe où une brèche à éblouir, vise un point culminant, glisse en conversations de sujets qui se grisent, soucieux de rajouter à ces crépitements un grain de mandoline. Il est doux cependant de se ressouvenir qu'on était muet, avant.

Le rivage oublié désarme l'impatience. On se tait pour survivre. La nuit, on imagine qu'on est des organismes perdus dans l'aquarium à écouter des voix trouées de concessions qui perdraient un temps fou à courir après qui court après d'autres rives. 

- Comment veux-tu savoir, à quoi il ressemblait, le rivage oublié, si tu l'as oublié ?

A demandé la fouine qui devait mettre à jour le plus petit secret de tous, dans un grand livre. C'est une compilation de vues méga-lucides qui paraîtraient en ligne enroberaient la mappemonde et plus tard, fort probable que dans la galaxie, les êtres des autres planètes auraient de quoi nous comprendre.

On tentait juste un pas, un parcours affligeant pour les petites personnes qui courent à la remorque, qui courent après l'extime du plus grand nombre de clics. La fouine, rien à redire, elle fait son job de fouine en haut d'une pyramide, avec cette ambition d'aller vers le plus haut, et de plus en plus fort au plus puissant des nombres jusqu'au plus haut sommet.

Ca dévorait notre île.

- Qu'est ce tu veux qu'on dise, et qu'on dira sûrement ? Quelle réponse absolue pourrait enfin convenir à ce chef d'oeuvre limpide intitulé "les autres" ? Quelle expression piquer sur celles qui nous réduisent à nous voir une seconde submergés d'émotion ?

C'était un court instant, accélérant le temps, sous le ciel, un nuage boursouflait les ballots de phrases effilochant des masses qui décortiquent.

La vitrine se divise. On demeure hébété, à écouter le vent chatouiller en sifflant les premières jonquilles, on voit dans le courant un semblable aux abois, on pourrait l'empailler pour nos divertissements et on se régalerait, on zapperait poliment, on irait s'enticher des chemins buissonniers on prendrait en photos les ruraux folkloriques qui soignent leurs trésors avec ces airs de glands revenus concassés par l'homme de l'ère de Scrat. On chercherait la bête nue sous sa carapace, le panache écrasé, le défaut, l'oeil au guet, on gratterait sous la peau pour vous montrer la crasse avec une éloquence qui nous pousse à ramper et jamais les lueurs de l'ancienne volupté n'en reviendraient intactes.

Sous ces tarissements, des messies nous reprennent notre joie, notre peine, ils l'ingèrent, la recrachent avec l'air dégoûté des héros fatigués des couleurs du spectacle, ils s'habillent dans la vague et se coiffent en épis selon l'humeur du temps. Là bas, roulent d'autres vagues. Ils nous apprennent à vendre les fantaisies de l'île, à vendre avec nos gueules qui racontent une histoire peu importe laquelle et n'importe comment, vues par un spécialiste du buzz intelligent, là, du rêve pour les masses, du vierge, du coloriage, du bien-être, du bonheur, l'évasion, la jouissance, imagine le spectacle des grands spa dans l'étang, des machines à filmer tous les ravissements. Imagine quel air pop sur ton mur, quelle flambée intérieure ! quand les chiffres s'élèveront en cent mille rondes flaques.

La vibration secrète du rivage oublié installe entre la loi des chiffres et le prochain décompte, un besoin de partir, tandis que nous traînons avec nos arrangements sachant qu'il vient un temps, où le moindre arrangement devient insurmontable.

Il reste hors de propos, ce silence à la marge accroché au soupir, un peu d'air anonyme comme une fausse confidence tire parfois d'embarras:

- Quel âge a ce regard quand il songe à l'enfance ?

- Où trouver le produit dérivé d'une substance qui tiendrait du secret de l'ancien équilibre ? 

- Comment veux-tu garder ta vie en sa réserve, à présent que ton corps, ton âme, ta peau, ton sang et ta bouche et ta laine ils deviennent collectifs ? Crois tu vraiment du haut de ton observatoire, être le bon vivant qui pourrait nous aider à échapper à ça ?

Elle farfouillait la fouine, qui tutoyait tout le monde, c'est une force étonnante d'avoir l'air tous complices sans souffrir la présence, où tous dans le même bateau, on tient grâce au même vice : frénésie du nouveau. On va désespérant, le cul entre deux siècles, on crache dans la soupière, puis on bricole le nerf avec le doux penchant.

Faut dire, vu du rivage, qu'on aurait toujours l'air de mendier quelque chose, c'est pas pour en rester à ces lamentations qu'on délaissait notre île. On avait une "étoffe", on tâtait des plaisirs à glaner des idées, et même des idéaux, des charges industrielles d'idées et d'idéaux, qui nous passent par la fenêtre. A ce rythme incroyable, on parle de légèreté sans plus connaître le mot, on se fait remarquer par l'opiniâtreté et cette drôle de façon d'attirer l'attention, une charge industrielle de regards et d'égards et des phrases immortelles, dont la suavité se donne, prend, et déjecte, on stockerait cet amas dans nos mains, dans nos bouches, et nos siphons de poulpes.

- Comment veux-tu le dire qu'un secret reste à taire si t'en parles à tout l'monde ? C'est plus rien d'un secret, à nous le savonner pour mousser ton baquet puis nous livrer liquides, histoire de brocanter, et si tu la fermais on te le reprocherait, on serait persuadé, que tu nous caches quelque chose".

Nous, on était assis, devant tous ces reflets, pris de vertige alors, à regarder des bouches qui nous fabriquent en kit toujours les mêmes symptômes, dès qu'on tente quelque chose, il y a toujours un psychiatre du café du commerce, qui ajoute ses sophismes aux défaites ordinaires. On n'ouvre plus un seul champ, sans en craindre à rebours les sensibilités des hordes délicates; quand semblant familier, on avait vu plus loin l’homme assis sur un banc, il restait silencieux, il protège sa mémoire sur un autre rivage, se garde en équilibre, il se tient au retrait et voit le vent, tourné.

- Comment tu peux savoir qu'il voit le vent, tourné ? Est-ce que ça nous regarde ce qui se tient caché ? Et crois-tu qu'un spectacle a quelque chose à dire sur le genre singulier ?...

- Allons, tais toi la fouine! ne presse plus de questions, va courir et laisse vivre !

L'homme approuvait encore les silhouettes sur les ponts et scrutant le rivage, est-il prêt à s'enfuir pour retourner marcher pieds-nus sous les nuages ? Coucher son corps verso sur des galets humides, redoutant un instant n'être qu'un figurant ? N'avait-il pas rêvé se vêtir de clarté, dans la mélancolie qui ouvrait au désir de partager sa rive ? L'homme parait assoupi, il ne traîne plus sa peine à chercher quelque part la chose exceptionnelle, il n'a plus d'orthographe. Il défait son ouvrage. 

Aucune de ses paroles n’innocenterait celui pressé de nous rappeler qu'à ces fabriques d'oubli nous fûmes un jour portés, plus rien ne justifie notre temps de parole, et le silence idem, s'expose en négligé, des vies qui se claironnent sans les avoir croisées. Et nous autres à la botte rendus méconnaissables, on pose à l'aveuglette nos regains nos réclames, on les offre à la chèvre, puis enfin le saccage tourne à la ritournelle. On rencontre, on remplace, on s'habitue, à "ça", on vient à la capture, tout secoué de spasmes, et de génuflexions face à cette merveille : la "fameuse" subversion de l'image et du son.

On n'échappe plus nulle part, ici tout se confond, là bas des cartes postales, plus loin, l'entrepreneur récupère des carcasses. Les hommes sans illusion regardaient revenir les oiseaux migrateurs, sur la ligne de fuite, rien qu'une démarcation, faite pour l'atterrissage d'improbables choucas et de l'autre côté, l'épatante ascension de ces pilotes d'avions qui repartent aussitôt, et peu à peu s'effacent.

On craint la défection, l'oeil collé à la vitre, on achète à bas prix un tas d'objets bizarres où nos joies infantiles parcourent à mots couverts ces années, ces hasards. On replie l'ornement. On est déjà ailleurs, on ne sait plus bien comment décrire la défection, on l'accepte (comme un lot). On se dore d'illusion, on se tend des miroirs, on virevolte, on s'entasse, on aimerait qu'il existe pas loin dans les parages, un endroit où un homme pourrait survivre un an sans aucune connexion, on admet (autre lot) qu'au lieu de le montrer, il vaudrait mieux l'enfouir au fond d'un trou de taupe. Ainsi, ces formes abstraites, qui nous venaient en rêves ne pouvant s'éprouver au jeu de la durée entraient en collision. Pas le moindre centimètre du moindre cervelet qui ne fut pas versé dans le grand balancier où les phrases désormais forment des vaguelettes dont les motifs miroitent bercés par toutes les vagues qui re-battent la campagne louée par des chamans, on les chope à l'arrache, on se kiffe, on se like, puis on va voir en face chez les nouveaux marchands, on surfe sur la tendance, on s'embarque, on débarque, on cause, on crypte, on casse, puis on déplie son corps, on se change les idées, on court par les ruelles acheter des cartes postales qui recyclent du pavé sur un air de printemps...

L'homme est près du rivage, il a aimé les joncs, dormi dans les fougères, il a choyé les barques. Son esprit ne tient plus qu'à l'air de monstre idiot qui vit de ses paris, (stupides, évidemment), puis dépassant la ligne, du rythme il se détache, des mots qu'on lui refile et il brade son image. S'il avait disparu, il n'y aurait plus personne pour adorer la rive mais dès qu'on l'aperçoit remonter souriant du plus grand précipice, on n'est plus seul, enfin, tu ne seras plus seul à peupler le rivage de ces grands poèmes-fleuves, qui remontent lentement et ralentissent encore, se tiennent loin des torrents sur les simples cours d'eau aux replis, dans les coins, loin des murs abrasifs, il y aura des passeurs.

    

Photo : portrait du veilleur immobile et discret silencieux amoureux de ses rives, dédié au lointain, et au proche. Et à tous ceux qui ne pourront se résoudre tout à fait à l'oubli, même si parfois dans la vie compliquée, on ne peut faire autrement qu'accepter une latence (qui n'est pas forcément choisie...)

 

Lac de Tranquillité, © Frb 2014 remixed 2015.  

samedi, 01 novembre 2014

La mémoire hors des équilibres

But if you could just see the beauty,
These things I could never describe,
This is my one consolation,
This is my one true prize.

JOY DIVISION : "Isolation" extr. du second et dernier album "Closer". (Factory Records, 1980).

Si vous ne comprenez rien à cette histoire vous pouvez toujours cliquer sur l'imagesol cendre.JPG

Ici, on achève patiemment la mémoire du dernier soldat vivant oublié sur la dune, parlant seul aux étoiles, cherchant Orion et la grandeur de l'ourse quand tout finit à l'horizon et qu'il n'a plus assez de munitions pour s'en griller une en silence. On lui envoie bien le poison par signaux de fumée qui montent du fond de la vallée, et le cristal de soufre réanime son berceau. Peut-être est-ce une intention religieuse ? Ou la frénésie collective qu'il attrape de son regard mort aux choses qui persistent dans la gaieté et l'insistant désir de communication. La foule a brûlé son cerveau. Il en a vu tant et tant eu dans la ligne de mire que l'écran diffusant soit disant son histoire sous les grands chapiteaux soit disant financés par des constructeurs d'Algéco, ne lui parait au fond que de facétieuses entourloupes nées des chiffres ignorant la marge de manoeuvre des derniers primitifs, ceux là aux visages oubliés en ont tant vu aussi, que leurs yeux noirs troués de suie, ne peuvent plus supporter l'idée même de la lumière. Cheminant désormais dans la fine poussière des talus, ils biberonnent à tâtons, les veines aux poignets des jeunes filles, baroudent l'âme de ces créatures qui livrent leurs corps de débutantes à ces pourvoyeurs d'anciens mondes. Sur ce gibier doux à mourir, ils folâtrent, accueillent le mouvement de ces vallées à reconstruire où désormais ils ne pourront plus rejoindre leurs épouses sans un regret, ça ressemble au dégoût. C'est rester là, intacts, renoncer à la renommée, ou se trahir et devenir héros, condamnés à transcrire le vieux crime en livres d'images préfacés par des vedettes de la télévision, ou des poètes qui se donnent en spectacle, ils assureront désormais notre avenir. Le pays natal rétrécit. Les enfants collectionnent les livres de dinosaures, des photos de martiens, des panoplies de prédateurs sous forme de combinaisons étanches fabriquées en Chine, imitant l'acier brossé, emballées dans les sarcophages. Les femmes, elles ont le souvenir de ces très jeunes garçons, soldats tristes et vaillants dans leurs costumes de guerre, tandis que meurent près des talus d'augustes vieillards à cheveux gris virant au bleu comme les brumes du couchant. Ce sont les mêmes qui jadis emmenaient tout le monde au manège, ou au cirque, et le dimanche parfois, vêtus de bleu sombre et de blanc, ils allaient à la messe. Ce sont les mêmes qui renversaient les imprudentes et les visaient nues dans les champs, ou leur faisaient la conversation gentiment, en effeuillant la marguerite, premiers pas de la ritournelle... Aux talus vert-de-gris atomisés, tout cela nous revient et se met à tourner en rond. La terre grouille et se fend. Le vent retourne la vallée où se lisent les chiffres alignés des nouvelles numérotations. Dehors sur les bancs des marchés, dehors c'était notre vallée où des constructeurs d'Algéco déroulent avec un gant discret le plan d'un énorme projet qui détruira le Nombre d'Or.

   

Photo :  Un fantôme sur un lac cendré. Tracé quelque part près de la Tour Oxygène, un jour de pluie, dans le quartier de la Part-Dieu à Lyon. Nov 2009.

Retouche : quelques années plus tard, texte revu et corrigé, un jour de pluie, pas loin de la tour Incity près du quartier de la Part-Dieu à Lyon. 

Un ban pour les rivages, et pour tous les voyages lointains ou proches, dédicace en passant aux étranges rêves de Marc**, merci à lui, (Wait and see, amigo...)

Quelque réflection de ma rue s'échappe jusqu'aux attractions nécessaires de Mister Ernesto Timor**. scuzi (l'impardonnable et des crucifixions... ;-), l'ordi demeure en-rade, la crémière unplugged, des champs mu(ai)ent dans les gares, mes champs perdus fumant du caquet des mégères, je n'ai pas re-branché, je remets l'échappée à plus tard, voir très tard, mais pas trop; (I hope so) no soucis (eau de là) peut-être, à Benito ou à Lyno ? Aux forêts de la Céruse ? ... voir le livre ! (sans mourir).

 

Lyon © Frb. Novembre 2014.

samedi, 12 avril 2014

L'aube et la nuit

S’épuiser à chercher le secret de la mort

fait fuir le temps entre les plates-bandes

des jardins qui frémissent

dans leurs fruits rouges

et dans leurs fleurs.

L’on sent notre corps qui se ruine

et pourtant sans trop de douleurs.

L’on se penche pour ramasser

quelque monnaie qui n’a plus cours

cependant que s’entendent au loin

des cris de fierté ou d’amour.

Le bruit fin des râteaux

s’accorde aux paysages

traversés par les soupirs

des arracheuses d’herbes folles.

JEAN FOLLAIN  in  "Exister", Gallimard, collection blanche, 1947

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Le premier mouvement du printemps, une éclosion, surprise dans la fraîcheur de l'aube, jusqu'au profond silence de la nuit et ses hymnes, qui garde avec les fleurs, nos joies perdues, ce qu'il faut redouter, apaiser et enfouir...

 

 

Au jardin : © Frb 2014

samedi, 06 juillet 2013

Porté par ses limites...

La mémoire, c'est notre clé de lecture du réel. Dans un autre ordre d'idée, j'ai toujours admiré cette pensée de Jakobson, ce doit être dans les questions de poétique : "la forme n'existe que répétée". Il en va exactement de même pour les émotions : si on ne reconnaît pas, on est bouleversé, on reste muet, sans prise.

ANTOINE EMAZ ; Entretiens. (Et plus encore ICI)

 

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Sur le fleuve oublié le rameur embarqué d'une rive à l'autre, cherche en flottant mentalement à retrouver son ignorance d'autrefois. Ou juste un lieu allié à répéter sans cesse, que c'était mieux avant. Se sachant dans l'erreur, il s'exerce à parfaire toujours le même mouvement, aborder le trajet d'une rive à l'autre, puis revenir de l'autre rive à la première, toujours recommencer sans un mot différent, à saisir, un détail ou deux, on ne sait quoi mais sans doute pour écrire le même livre  sans prise avec la même idée toujours un peu grandiose d'un meilleur avenir, sans prise sur rien, même pas celle de connaître par coeur le chemin qui ne s'épuise jamais, semblant épuisé avant même d'en répéter le rythme que pourtant il aimera peut-être répéter afin de n'en oublier aucune -presque invisible et légère modification. Ensuite, on ne connait pas la suite, ce serait à nouveau un point qui ne suit pas, ou peut-être un ruisseau portant entre ses flots l'embarcation légère d'un explorateur débutant... 

 

Photos : A la mémoire des fleuves du Parc de la Tête d'Or, aux sources de l'Eldorado, à la plage du capitaine Cook ou au lac d'Armagnac (bu trop vite et trop tôt).

Au Sornin, à La Grosne, A nos marins d'eaux douces, au fleuve Amour ou jaune, aux espaces liquidés, jamais aussi perdus qu'on l'eût imaginé ..

A toutes les sources vives, aux indulgences perdues, aux ennemis visibles aux alliés invisibles, à chaque passeur de pistes, si différent soit il, porté hors des limites,

dédions...

 

Ici ou là © Frb 2013

mardi, 08 janvier 2013

Le premier mouvement de l'hiver

Accueillir l’oubli comme l’accord avec ce qui se cache, le don latent. 

MAURICE BLANCHOT : extr : "L'attente, l'oubli" éditions Gallimard, 2000.

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Prévision/ c'est écrit dans le ciel:

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/12/05/ly...

ou bien ça recommence:

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2011/03/08/le...

  

Photos: Un petit interlude alcestien. Juste un lieu où s'abstraire, loin de nos liturgies festives contemporaines et autres bizouillages zéfarants, auxquels je préfère (c'est personnel) la dendromancie, d'un genre triste, mais toutefois prometteur...

 

Là bas © Frb 2013.

mardi, 04 septembre 2012

La buissonnière

La poésie c'est aussi une façon de se débrouiller au quotidien

 

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Nota : Si vous avez loupé le début, retrouvez notre poétesse en cliquant dans l'image

 

Conseil du jour : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/08/04/mi...

Prévention : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2011/07/27/clonfa-charmillone.html

Immersion : http://www.invinoveritas.fr/pages/achats.htm

 

Photo : La poétesse sur les chemins de la vie.

 

Lyon © Frb 2012

mardi, 26 juin 2012

Entre la trace et l'effacement

Les années passaient, l'aller et le retour des saisons emportait la vie brève des animaux.

GEORGES ORWELL : "La ferme des animaux", éditions Champ libre 1981.

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Une parenthèse dans les orages, à la claire lumière de l'été, nous passons des journées allongés sous les arbres, un détail aura échappé, personne n'y prenait garde, qui travaillera le temps, la trace, l'effacement, qui ouvrira des vannes de la source à l'étang, de l'étang à ces sables, jusqu'au prochain tournant.

Il reste ce goût sur la langue que tu sucres ou tu sales selon la mémoire des festins. Il reste ce sourire quand tu portes sur ton corps la peau du petit lièvre, la chair de ces bêtes, tout ce sang, des cornes en tout genre versées dans de vastes corbeilles et rangées dans ces caves.

Ces bêtes portaient de jolis noms : Nyala, Oribi, Cob, Oryx, Impala, Bongo... Elles couraient dans ta tête, elles te rongeaient le ventre, et quand elles se couchaient sur nous, nous étions souples et beaux. Tu menais le troupeau avec le grand Koudou, tu devenais toi-même le futur grand koudou quand la plaine était plaine, l'eau limpide, quand la source ne pouvait se tarir. Tu portais sur ta tête la couronne de lauriers qu'aucun homme ne cueillait pour toi, mais le troupeau en toi déployait tant de forces qu'il te para imperceptiblement d'une crainte et de cette cruauté jamais vue avant toi. Depuis rien n'a pu vivre en  paix.

C'était même inutile de vouloir résister. Ca remuait plus de sécheresse que ces hameaux perdus où nous montions la garde, incapables de céder à nos plaintes, couchés dans la position incommode de l'animal qui ne sait plus se servir de ses défenses. Camouflés sous l'ocellement des feuillages, confondus avec les obstacles, nous portions des anneaux autour du cou et nos pattes s'enlisaient. Nous tâchions d'encercler le passage sur le point de commettre de ces bizarreries qui échappaient peu à peu aux nouveaux règnes des lieux.

Quels vivants étions nous ? Fuyant à pesantes foulées la terre qui nous avait vu naître. Une parenthèse dans les nuages, lesquels, croyait-on, échappaient. Nous n'avions pas su qu'au village les chairs s'arrachaient à prix d'or à l'étal des bouchers tout paraissait normal.

Souviens toi, si les règnes nouveaux n'ont pas liquidé ta mémoire, que ces bêtes portaient hier de jolis noms: Impala, Oryx, Cob et Bongo devaient vivre à l'écart ou peut-être se cacher sous terre entre les dalles occupant de vieilles concessions expirées. Nous étions comme ces êtres qui trop jeunes avaient dû cotoyer la mort de si près qu'ils étaient condamnés à errer jusqu'à ce que leur heure soit plus naturellement venue. Comme eux, nous allions mimer un instant l'effacement, déplacer les racines d'un monde pour vivre au ras des flots dans les ruines mouvantes des châteaux en tâchant de détruire le tableau du festin de leurs chasses.

Quels vivants étions-nous ? Chaloupant sans une barque qui n'ait pas englouti son passeur, l'air épais, ouvrant l'empressement des marches sur un grand tourbillon. Habilement vêtus d'ocelles à murmurer deux ou trois phrases de temps en temps, des onomatopées que nous ne comprenions plus nous-mêmes. Rien ne dira que la nuit est tombée. C'est déjà en été qu'ils préparent à nouveau la saison des futures chasses et ce qu'ils remuent de poussière ne saurait à présent nous représenter. Ce serait une sorte de chose entre la trace et l'effacement.

Une absence encore trop vivace pour passer entre, une présence hantée par le vide qui vient à la claire lumière de l'été. Ainsi les journées passent et l'on reste allongé sous les arbres à guetter une parenthèse dans les orages, des signaux de fumée, le prochain vol nuptial du rollier, à chanter d'un air grave les chants de la terre et du ciel pour que la pluie revienne balayer ces journées, à chercher les gazelles, le Koudou, le grand lièvre qui vivent encore là bas dans nos cabanes près de la mare aux cochons. Certains jours nous essayons de nous relever, essouflons dans le vent l'inaudible prière :

- "Sauve-toi l'animal ! A plus hautes foulées, sauve toi ! si tu peux ..."


 


Photo : Ici, surpris après des heures de guet patient, l'ocelot du Nabirosina a été aperçu furtivement, à noter que cet animal vit caché (contrairement à l'élandin) on ne peut croiser son regard sans subir quelques sortilèges. L'ocelot du Nabirosina aura donc échappé à l'objectif, filant comme l'éclair, et l'on peut affirmer qu'il est (selon le dresseur d'ocellements de certains jours), une sorte de chat qui s'en va tout seul, sauf que c'est un ocelot du Nabirosina. Un des derniers, peut-être LE dernier spécimen, les autres ont été capturés pour leur fourrure somptueuse recherchée par les femmes modernes. En attendant, notre ocelot file à la vitesse du grand lièvre (environ 70Km/ H) dans la savane française. Ou bien avec des yeux de myope en vous éloignant ce qu'il faut de flou pour décaler le cadre peut-être y verrez-vous la tête de l'antilope. Juste une image, donc...

 

St Cyr © Frb 2012.

mardi, 22 mai 2012

A travers temps

Si on tentait de se replier
sans mots
il n'y aurait peut-être plus
rien

ANTOINE EMAZ : in "Ras" éditions Tarabuste, 2001.

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Le ciel a refermé la cabane dans les pluies. Les choses n'ont pas eu lieu, nous n'avons rien écrit. Je reprends le fil d'un monde de légendes : rêve d'archéoptéryx caché dessous la pierre, de scarabées volants,  chute des engoulevents aux ailes fossilisées sur un socle détruit qui ne s'est pas affaissé et d'où furent prélevés des fragments transformés en cailloux pour les archéologues. On ne sait plus s'ils en feront un livre, peu importe, nous sommes trop occupés et tant de livres sortent, que nous n'aurions de toute façon, pas le temps d'explorer celui-ci.

Je reprends le sentier au bout d'un champ bordé de fleurs que des filles vont cueillir pour s'en faire des bouquets piqués dans des vases accueillants. Le décor du bonheur des hommes est empreint de nos heurts. Les champs finissent où les bouquets triomphent. Encore un arrangement...

Au devant du décor, on acclame, on s'en pare. D'autres ont dû essayer d'en reproduire l'image mais manquant de ferveur ils préfèrent aujourd'hui contempler le plein champ par les yeux de Monet un instant dans l'allée du musée des impressionnistes.

Ici, les modillons nourrissent sous les pommiers des hydres à bouches d'ogre. Il se peut que les anges dévorent notre pays avec des yeux immenses. Ca raconte une histoire. Quelle histoire à présent ? Ca tient en un seul mot, envolé par le flux de paroles plus véloces que l'haleine soufflée de ces gueules minérales dont la fièvre va brûlante encore hanter nos vies. Mais à présent nos vies nous prennent bien davantage que ce monstre amputé sifflant à tout jamais, là bas, sous son rocher.

 

 

Photo : Là bas. Naissance de L'hydre, au jardin plus ou moins japonais...

© Frb 2012

dimanche, 17 juillet 2011

La plage

Nous nous hâtons, pour survivre, de confondre l'univers avec le tissu d'amitié dont nous sommes entourés, tant il est vrai que le plus difficile dans l'existence c'est de ne pas se laisser décourager par la solitude.

VLADIMIR JANKELEVITCH


pluie_0011_2.JPGJ'attendais sur la plage, le vent brouillait les personnages tout ce que nous avons cru voir ne pourrait exister ici. A nouveau, tu voyais la pluie inonder ton pays. La rue prit une couleur de cendres. Rien ne saurait prouver que c'était réellement la pluie de ton pays qui venait dans ma rue. La pluie retombait dans la pluie et la pluie balayait la pluie. Un fil enroulait le pays, la tristesse de Novembre se moquait de la plage, et nos joies ruisselantes furent lasses de se baigner dans l'eau de ces fontaines aux abords vert de gris.plieG_0014_2.JPG

Nous ne pouvions nous retenir de courir sous la pluie. Le chaud et le froid soufflaient l'ombre au milieu des reflets, je fondais pour eux mais je sens l'idiotie nous surprendre quand tu ouvres ton parapluie qu'il se tourne à l'envers sous le vent, tu le jettes à la rue, le reprends, puis pareil, tu fais tout pareil à nos vies. C'est l'idiot qui perd sa baleine paré d'un caban vert de gris c'est toute la nudité du ciel et c'est encore la pluie qui traîne, longtemps après la pluie, la longue pluie de Verhaeren, comme des fils sans fin  [...]


La pluie et ses fils identiques
Et ses ongles systématiques
...

Photo : Reflets sur le bitume du cours Vitton, à Lyon, réflection et fragments d'une plage où les reflets inversent le pays, photographiés un jour de pluie en ce mois de Juillet deuxmille etc...

© Frb 2011.

lundi, 04 juillet 2011

Oublier DSK

Il se pourrait
Qu'à un certain moment
Rien ne bouge,
nulle part

E. GUILLEVIC ,  extr. "Du domaine", éditions Gallimard 1977.

campP2463.JPGP8120098.JPGoublier dsk,chemins,pierres,éloge de la fuite,guillevic,du domaine,paysages,partir,murs,vieux monde,abandon,s'extraire,oubli,pays perdu,tranquillité,silence,maisons,nabirosina,balade,se barrer,loincampagneF5461.JPGcampCF5437.JPG

 

Photos : Du domaine clos assez proche, aux domaines aussi vastes que lointains, quelques lignes de fuite pour s'extraire. Se défaire. Ou se refaire sans s'occuper de rien. "Pas de destin, pas de tragique" écrivait encore Guillevic. A la recherche d'un espace plus lucide plein d'interrogations, de négations et de silence. On parle si peu du vent.  "Moteur d'une perturbation possible" et toujours invisible au monde comme les larmes de Tchekhov. Un peu de vent sur la pierre, exacte, concise, comme la vigilance"... Comme le vent qui n'écrit que l'histoire du vent.

Les billets passent à l'éphémère une langue d'outre pierraille" (dixit Eugène)... Passer entre, passer outre.  Et pour les autres, passez de bonnes vacances.

© Frb 2011

samedi, 28 mai 2011

Trains de vies

Crains qu'un jour, un train ne t'émeuve plus.

GUILLAUME APOLLINAIRE

train ter W.jpgC'est un vaste atelier où le soleil entre à plein tube éclairant sous toutes les coutures des sièges bleus, des bagages en tissus, des valises, des valises... Des étuis de toutes sortes et des livres dont les pages nous détournent du but, suivent un autre mouvement. Quelques branches fouettent la vitre, de l'autre côté, passent des archives architecturales d'un autre temps ; perdues entre les fougères les usines"Radielec", renaissent et l'on vit un instant dans des villas en ruine sous des vieux parasols qui pourrissent doucement près des hangars. Sur des tablettes il y a partout des petits ordinateurs intéressants et des gens qui voyagent encore dans le voyage. C'est comme les poupées russes, une mise en abyme, un film dans le film. Tout peut se lire, s'écrire, c'est l'histoire qui déroule des choses plus ou moins vraies, nous inspire la certitude que rien n'est à sa place. On voyage pour n'être personne, se détacher ou pour la mutation des sentiments, jusqu'à rejoindre là bas, quelqu'un qui nous attend sur un quai, dans une gare paumée, un être aimé, c'est rassurant, à la fin, on ne sait pas si on saurait le reconnaître parmi les autres comme lui, qui viennent pour chercher, chercher qui ? Arriverait-on indifférent ? Plus indécis, à force de goûter ce temps à tuer comme plus vrai que le temps à remplir. Arriverait-on plus enclin à aimer ? Entre les deux, c'est l'impatience, un jeu versatile, de hors lieu en hors lieu, des points de suspension, entre un point A et B  on devient autre chose, nous ne sommes plus des gens. Une effusion géographique trouble nos attachements, il en vient d'autres plus amènes, nous sommes cette vitesse qui ronge lentement l'affectif, dénoue l'ordre chronologique, nous sommes l'effacement et le temps subjectif est notre possession, comme le vide, l'oubli des origines quand l'origine partout pourrait être la notre.

Je me suis reconnue, en ce point minuscule posé sur un vallon, je me suis reconnue sur ce banc, je suis née sur un quai du côté d'Ambronay j'ai fait mes classes à St Lazare, je me suis mariée à la Brasserie du Train Bleu, je suis morte gare de la Part-Dieu, je ressucite entre St Florentin et Moisenay à la bifurcation, sur la branche Ouest de la LGV interconnexion Est, j'y puise les couleurs assez tendres de la voie C, je réinvente le déroulement du ruban magnétique qui m'attache à l'environnement, je suis un mensonge éphémère, je me vois arrivant à Kharbine, Je ne vais pas plus loin...

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Un voyage à la fois achevé, et qui tourne des pages, Blaise m'attend. Il porte mes valises, c'est charmant. à un moment, faut toujours changer d'air mais les voyages ça coûte bonbon, Barnabooth m'envoie de l'argent, une place enviée avec lui, on ne voyage qu'en première, oncle Archibald Olson Barnabooth, destinations : Florence, Saint-Marin, Venise, Trieste, Moscou, Serghievo, Saint-Petersbourg, Copenhague, et puis Londres, malgré la volonté de se fixer quelque part une bonne fois pour toutes, se fixer est insuffisant, peu importe la destination de retour, il faut repartir absolument. Se fixer serait pire qu'être enterré vivant, j'admets, qu'il me semble impensable de passer en plaisirs sédentaires, sa seule et unique existence.

Le mouvement emmènage dans la musique anecdotique, mémorise les sons, on pourrait entrevoir toutes les conversations entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, c'est une autre façon de correspondre avec son temps dans l'immédiat, je pose dans l'immédiat, toutes mes capacités futures. Sur les sièges 49 et 51 des gens parlent d'eux mêmes, ils prennent position sur la terre, des dizaines de nombrils tout comme un oeil géant guettent les destinations. C'est un vaste salon où le soleil entre à plein tube éclairant des peaux blanches, des peaux brunes, des yeux verts, sombres ou bleus. Des vies entièrement subjectives qui mutent entre les mains du conducteur de la loco, dans une situation sonore exceptionnelle, où la ferraille fait disparaître doucement les ossements, ce que nous sommes dans la lumière est malléable, nous flottons un instant. L'humanité abstraite nous tient, nous sommes l'amorce d'une bande magnétique obsolète, nous sommes les premiers habitants de l'Etude aux chemins de fer, les premiers objets d'un salon de musique qui lisent l'avenir derrière une vitre et veulent que le hasard s'emmêle, crée des noeuds dans les lignes avec la détermination de ne pas nous laisser ignorer ce qui pèse, nous sommes des tas de bidules en ut à l'heure précise qui pose le monde en équilibre entre les ponts, nous sommes un moment de renversement de la vapeur dans la machine en suspension sur un viaduc ancien comme neuf.

Cendrars et Larbaud endormis sous l'écrin de carton posé sur mes genoux, au coeur d'une page introuvable, aucun mot n'est venu fixer ce haut lieu formidable qui s'appelle "partout". Il y a des répondeurs qui tournent à vide dans les appartements. Une voix déraille, se défile : "Je ne suis pas là pour le moment ..." Nous touchons l'accès sans le mot de passe, nous allons immobiles, nous captons les remous à la base et le fantôme de Gutenberg, dans les coquilles ramassées de"La vie du rail", nous sommes la suite fantasmatique pour une voix et mille aiguillages, nous sommes les destinations qui s'épousent par hasard, fuient les ères et les aubes, confèrent aux lignes droites la souplesse des courbes, qui s'entrecroisent mais ne touchent jamais tout à fait la destination rêvée, nous fuguons avant terme, pour une correspondance puis une autre, et encore une autre ... Nous roulons sur l'enfance de l'art, avec des portefeuilles boursouflés de billets à oblitérer. Nous sommes la mer et la montagne sifflées par le même chef de gare, nous sommes le contrepoint qui fuit d'une voie à une autre, nous sommes dans les strates, nous vivons dans la forme la plus évoluée de l'écriture qui renouvelle sans cesse l'adage: "partir, c'est mourir un peu"...

 La mort est toujours l’horizon du voyage, que l’accumulation des étapes semble éloigner. Il pourrait cependant y avoir un accident...

 

Nota : Cette dernière phrase a été empruntée à Valéry Larbaud et son grand voyageur de "Barnabooth".

Photo : Intérieur train. Le rideau vert du TNE (Transnabirossinien-Express) qui est aussi un JTB (joli train bleu) photographié au plus près quelquepart ou nulle part, entre Lyon et Orléans.

 

Entre-deux © Frb 2011

vendredi, 28 janvier 2011

N'importations

La banalité est faite d'un mystère qui n'a pas jugé utile de se dénoncer.

MAURICE BLANCHOT in "Faux pas", éditions Gallimard 1943.

n'importations,clandestinité,indistinction,multitude,banalité,tout venant,fantaisie,étrangeté,masse,maurice blanchot,de visu,le monde en marche,humanité,n'importe qui,n'importe quoi,fatras,dérision,erranceN'importe quel lieu avec n'importe qui sur n'importe quelle île grande ou petite, sous n'importe quelle lumière où l'on verrait l'hiver prolonger toutes les saisons, n'importe quel lieu pourrait convenir. N'importe quel reflet suffirait, si l'on s'y penchait à effacer n'importe quel visage dont les traits déjà vagues raconteraient n'importe quelle histoire, où n'importe quels èvènements se mélangeraient, n'importe quelle protestation s'étoufferait dans n'importe quelle masse de gens rassemblés sur n'importe quelle place dans n'importe quelle ville de n'importe quel pays, n'importe quelle plainte pourrait se mêler au tournoiement, à n'importe quel vacarme de n'importe quel trafic dans n'importe quelle accumulation de sens interdits ou d'interdiction de stationner indiquée sur n'importe quel panneau de n'importe quel code d'une route qui mènerait n'importe où. N'importe quel chemin pourrait convenir. N'importe quelle idée à la fois fausse et vraie viendrait se noyer dans les reflets qui nous effaceraient, dans la parole des autres qui raconte une vie dont ils s'imaginent qu'elle est notre, avec n'importe quel argument qui pourrait nous persuader que n'importe quel autre nous connait mieux que n'importe qui. N'importe quel lieu pourrait suffire, avec toi, peu importe, avec eux, par exemple, ou n'importe quel voisin de palier, n'importe quel cousin éloigné, un oncle d'Amérique. N'importe quelle lumière, n'importe quel fleuve nous méneraient dans n'importe quelle rue de Paris ou de Londres, n'importe quel homme, n'importe quelle femme pourraient s'y rencontrer, parmi la cohue, n'importe quel homme ou femme suffiraient pour m'assaillir et brouiller mon identité, réduire mon histoire en fumée ou la votre, nous pulvériser à n'importe quel instant, nous transformer en n'importe quel tas. En fatras, en bris, un amas de bris, en cri beau ou honteux jusqu'à toutes sortes de bruits semblables à celui de n'importe quelle machinerie. N'importe quelle fièvre ferait fondre n'importe quel glacier. N'importe quel grain cristalliserait n'importe quel sentiment heureux, malheureux, dans n'importe quelle inspiration, n'importe quel instinct évaluerait la géométrie de n'importe quelle chambre pour faire coucher n'importe qui avec n'importe qui, lesquels croiraient qu'ils sont faits l'un pour l'autre, toi pareil à moi, comme deux, toi comme un seul ou des milliers, les autres, couchant sur toi et moi, ou entre eux et ça donnerait n'importe quoi qui serait raconté comme n'importe quelle chose importante. N'importe quelle autre chose importante pourrait convenir aussi. N'importe quelle pierre, n'importe quel rocher nous retrouveraient dans n'importe quelle position sous n'importe quel vent du sud ou du nord, en train de fumer n'importe quel tabac hollandais ou français n'importe quel Pierre ou Paul, dans la perspective de n'importe quelle aventure nous mettraient dans n'importe quels draps. N'importe quel grain de folie installerait n'importe quels cosmonautes dans n'importe quelle fusée, n'importe quelle erreur humaine les feraient exploser en plein vol, il en retomberait n'importe quels déchets comme n'importe quels flocons de neige qui fondraient comme n'importe quoi sur n'importe quelles mains tendues pour recevoir n'importe quel signe qui tombe du ciel, de n'importe quel nuage, de la lune, du soleil. Des mains pleines de n'importe quoi qui auraient rendez vous pour serrer. Ouvrir, pousser n'importe quelles portes, les fermer, ou se tendre, cocher signer n'importe quel papier. Des mains à moi, tes doigts, leurs têtes, dans n'importe quel bureau y parleraient sérieusement de n'importe quoi pour remplir n'importe quelle plage horaire, après quoi on se promènerait comme rien, on ferait les magasins avec quelqu'un qui serait d'accord avec ça. Peu importe.

Photo : D'un "Faux pas" de Blanchot aux vrais pas en Presqu'île, il n'y a qu'un fil (étroit émoi) vu à Lyon, à la fin de l'hiver de l'année dernière. © Frb 2010.

vendredi, 22 octobre 2010

(Se) soustraire

Parviendrais-tu à retirer
Ta mort de ton futur flou
Pour l’inscrire avec éclat
Au plus bas fond de ton passé
Alors tu ne mourrais plus
Poète et ton clair présent
Persisterait dans le temps même
Où le temps désintégré
Se fera le grand miroir
De la fin de l’éternel.

ANDRE PIEYRE de MANDIARGUES, "Pouvoir poétique" (Nov 1971), extrait de "L'Ivre Œil", éditions Gallimard 1979

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 Moins que le A, moins que le B, moins que le caé nir, moins que l'ea roide, moins que l'ea chude, moins que le pemier digt de la man drite, moins que le denier digr de la man guche, moins que le bs relif, moins que le murure des forts, moins que les ris et les lames, moins que le balbuiement, moins que la cêpe au sure, moins que l'ea de ie de cerse, moins que le mineau bessé, moins que la sorie de secous, moins que le but de la caussure, moins qu'une giroutte au cocher, moins que la dase du vetre, moins que le arteau et l'encume, moins que le chland qui pase, moins que le beu de cauffe, moins que la olle à bis, moins qu'un cantier iterdit au pulc, moins qu'une onnerie de révil à l'ube, moins qu'un po, moins qu'un hibo, moins que le geno, moins qu'un cho à la crée, moins qu'un éclir au chocolt, moins qu'un crissant de lue, moins que le oq a vi, moins que le premir cant du mode, moins qu'une piqre d'inscte, moins qu'une onquille anée, moins qu'une pume, moins que le pomb, moins que le li du pantlon, moins que la banche de l'arre, moins qu'une vasselle à essuer, moins qu'un câne chave, moins qu'un vente vie, moins qu'une virgle, moins que des pints de suspesion, moins qu'une rèle monasique, moins qu'une ôte de malle, moins que l'ecre symathique, moins qu'un ba de lain, moins qu'une boutille de lit, moins qu'un gos hat qui dot, moins qu'un chen qui abie, moins qu'une muche du oche, moins qu'une babe de pote, moins qu'une nit sans lun, moins qu'une lape de cevet, moins qu'un bat jur, moins que la forme d'Abert, moins que la re Quincampix, moins qu'une arée ryale, moins qu'un hait de deil, moins que la crante de trouler, moins qu'un bo taac dans une abatire, moins qu'une chise en palle, moins qu'un futeuil Voltare, moins qu'une gran de poussère, moins qu'un klo de pataes, moins qu'une pire de pantofles, moins qu'une tale de multilication, moins qu'un pépi de rasin, moins qu'un noyu de crise, moins que du suce en morceux, moins qu'un veux méot, moins qu'un ale caracère, moins que la peiture à l'eu, moins que la peiture à l'hule, moins que la tou de pie, moins que le Panthon, moins qu'une fie poure blance, moins qu'un pont d'interrogaton, moins que le burre, moins que l'arget du burre, moins que le ul de la créière, moins qu'une plue d'Ocobre, moins qu'un solil de Mi, moins qu'une tole d'arainée, moins qu'un it roulea, moins que le bac de la quitude, moins qu'une motre perde à ogent le rotro, moins qu'un clar de lun à maubuge, moins qu'un tran de balieue, moins qu'une tabe de cisine, moins qu'une pore de chabre, moins que le follore breto, moins qu'un haiu chinis, moins qu'une voda poloaise, moins qu'un rondeu, moins qu'une révrence, qu'une allégrie, moins qu'un grad candélare, moins que la rolette ruse, moins que le guigolet, moins qu'une mèce de chevex, moins qu'une mie en pis, moins que le anache de Crano de Bergeac, moins que le tot dernir pilu de la gurre 4-8, moins que le vi roue,  moins que le burre norand, moins que la frêt Morad, moins que les mans d'Orlc, moins qu'une lêche d'indin, moins qu'une ie blue, moins que l'er de chne, moins qu'une pare de gats, moins que l'avene Vicor Huo, moins que le roge et le noi, moins qu'un fim de Godrd, moins que syphonie pastrale, moins qu'une choucoute garne, moins qu'un coucous polet, moins que les masons loses, moins que l'éée du ri Slomon, moins que le radeu de la méuse, moins que Raine et Cornille, moins que la ciale et la fouri, moins que la frise des bos,  moins que l'escarot de bourggne, moins que le colcique et le coqulicot, moins que l'étenard sanglat, moins qu'une paissade, moins que la derière cigrette, moins qu'un véo voé, moins qu'un ube de denifrice, moins qu'un blai brose, moins qu'un numéo de sére, moins qu'une cupe de Cairette de ie, moins qu'une uto-écle, moins que la pette monnie, moins qu'un moton de panrge, moins qu'une lé à molltte, moins que le bateu ive, moins que l'agent faile, moins qu'un copte en susse, moins qu'une viture de sort, moins qu'un cacht d'asprine, moins qu'un digt copé, moins qu'une slade de fuit, moins qu'un disue raé, moins qu'une brebs gleuse, moins qu'un rato lavur, moins qu'une popée de cie, moins qu'une tarine de nutlla, moins qu'un ot de yaort, moins qu'une etreprise de nettoyge de vires, moins que chevl de Trie, moins qu'un mange encanté, moins que des volts ferés, moins que le ri solil, moins qu'une obe d'ét, moins qu'une nut d'aour, moins qu'un ri sans divrtissement, moins qu'une coméie muicale à la cn, moins que le chassur franças, moins qu'un bonbo à la menhe, moins que la orte d'Abervilliers, Moins que le al de Sant Pont, moins que l'étole du berer, moins que la bage au digt, moins que l'alvole, moins que l'étue, moins l'ebrun, moins que la vaue, moins que la voute d'une cigrette, moins qu'une délaration, moins que vos, moins que nos, moins qu'ex, moins que mo.


Moins que rin
Moins que rn
Moins que r
Moins que.

Moins. Mois, Moi. 

Je (me) soustras.


AEGRI SOMNIA :"Outro"
podcast

  

Photo : Palissade, ou collage mural en voie d'effacement, vu quelquepart en presqu'île, je ne sais plus où exactement, n'ayant pas noté la rue où était situé l'ouvrage, en temps voulu, (du pur street art, comme on en croise rarement) l'affreuse peinture beigeasse des brigades nettoyeuses, ayant tout recouvert entretemps, je n'ai jamais pu retrouver l'endroit de ce grand dessin remarquable, sitôt collé, sitôt (ou presque) soustrait à nos regards désormais tristes et beiges. Lyon.© Frb 2010.

mardi, 20 juillet 2010

Procrastination

Chaque homme trouve au fond de ses réveils tous les désordres du temps, réduits à la médiocre échelle d'une inquiétude privée.

PAUL NIZAN

Si vous voulez voir la mer, vous pouvez cliquer sur l'image.tout quitter.JPG

Si peu de choses me retiennent. Je pourrais tout quitter... Demain.


SONGS:OHIA /"Body burned away"

podcast


Photo : Le désespoir est assis sur un banc et il ne s'appelle pas Bébert (ou bien est il debout derrière le banc ?). Tout un été à procrastiner face au kiosque à fleurs, sans une fleur à se mettre sous la dent. La vacance dans toute sa splendeur, photographiée place Liautey ou Morand à Lyon au début de l'été 2010.© Frb.

dimanche, 06 juin 2010

Révérence

Guy Debord :"Critique de la séparation"

podcast

Vous pouvez aussi cliquer sur l'image, in situ...

peopke.JPGPhoto: Salomé et les anonymes. Photographiés à Lyon, rue de la République en Mars 2010.© Frb