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mercredi, 30 décembre 2015

Le murmure des forêts

Ils avaient dépassé le quartier du silence et d’ici on entendait la nuit vivante de la forêt. Ça venait et ça touchait l’oreille comme un doigt froid. C’était un long souffle sourd, un bruit de gorge, un bruit profond, un long chant monotone dans une bouche ouverte.

JEAN GIONO : "Le Chant du Monde", éditions Gallimard, 1934.

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Photo: Au premier mouvement de l'hiver, saisis sur le parcours roman, des fragments d'une balade en forêt, quelques figures et des murmures, recueillis dans l'air doux de Décembre. 

 

Là-bas. Frb 2015.

 

mardi, 23 décembre 2014

Entre deux ...

Irez-vous chercher loin ? Vous finirez sûrement par revenir, pour trouver le mieux, ou tout aussi bien que le mieux, dans ce qui vous est le mieux connu...

WALT WHITMAN, extr. "Un chant pour les occupations", traduction de Louis Fabulet, in "Feuilles d'herbes", "Poèmes" éditions Gallimard 1918

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Dans le grand hall de gare où le pas perdu va, où le dessin rature mille fois et recommence, où chaque regard retient l'attention comme la votre, puis l'oublie, la seconde après, j'aperçois une tête d'homme, un homme sobre, l'oeil craintif, attentif comme le mien, dans la même inquiétude, au guet de sa correspondance.

Perdu, là tout pareil, un semblable qui se perd au milieu de la foule ou se cherche un visage ; qui parmi des milliers saurait le renseigner ? Quelle voiture ? Ou quel quai ? Et partout le silence de chacun glisse dans ce vacarme, on se pose jambes croisées une valise à ses pieds, en ces lieux consacrés simplement à l'absence, lui, comme moi, avec eux, nous serions des milliers abordés de vacance à espérer la lettre d'un quai de A à Z, qui se lit comme un chiffre, puis se vide sur des bruits...

L'homme a mis un carnet sur ses genoux il semble qu'il dessine quelque chose, ou il écrit sans doute via ces petits engins, à quelqu'un, (la bien-aimée, qui sait ?),"Le train a du retard". Je ne sais par quel hasard, nous sommes toujours tentés d'avoir l'air occupés.

C'est une autre manière de converser encore, que de rester longtemps assis sur des banquettes à attendre face à face sans rien dire, ou discuter si peu et toujours à voix basse :"où est-ce que vous allez ?". La réponse est sans but, le mot sans importance. Tous ces gens se contentent chacun a ses errances contre un brin ébloui, une furtive émotion pourtant si recherchée, qu'on ne retrouvera plus ou qui a disparu parfois, sans y penser, chez ceux de l'entourage, si blasés qu'on soit là, qu'ils finissent forcément par ne plus apprécier ou ne plus ressentir les considérations que tous ces anonymes savent s'accorder entre eux, comme l'habitude souvent nous fait par distraction, cet air désaffecté.  

Cherchant un point d'appui dans l'oeil des passagers sans la moindre méfiance, sans aucun attachement, ni désir de saisir, on voit des créatures tripoter leurs portables ou le crayon fixé sur les petits carreaux maculés d'un carnet. On cherche le journal, on achète des bonbons qui pétillent, on rumine pour ne pas les croquer d'un coup sec en faisant trop de bruit avec ces dents pointues qui tirent sur les affiches, des sourires de façade louées aux carnassiers.

Les yeux sur nos paquets, vous et nous, entre deux, écrirons par ennui, des rimes de pacotille, ou petits textes en prose, dévoués à des formes sans drame et sans passé. Nous sommes les personnages, une seconde accrochés, déjà hors de portée, soulagés de partir, pris dans la vacuité de toute chose périssable un instant délayés, suspendus comme des lampes.

  

Envoi ** Merci à ceux qui ont suivi ce blog, durant cette (rude) année 2014, une année empêchée pour ma part, la vie, la vraie, pas celle qu'on nous (vous) raconte, l'année, finit entre deux trains, au ralenti comme elle a commencé, l'ordi étant à quai le plus souvent hors-box, le logiciel courrier en bug grave, le tutti en bazar menant à ce temps comme on dit de latence, un temps à réparer (ce n'est pas une promesse, ni gagné, mais on va essayer), je remercie les lecteurs, commentateurs, et amis qui ont écrit des courriers chaleureux vraiment très appréciés, toujours encourageants, merci également aux artistes, galeristes, éditeurs, les passeurs (ils se reconnaîtront) qui ont proposé des oeuvres, textes, photos, peintures, ceux qui m'ont invitée, ceux rencontrés, entre deux trains, tant à la ville qu'à la campagne, qui changent un peu la vie à leur façon, belles rencontres suspendues et retardées pour l'heure, mais c'est pas volontaire (latence, donc) ; certains courriers se perdent encore à ce jour un peu moins (quoique... je ne peux pas tant savoir), d'autres se sont perdus, pas sûr qu'on les retrouve, idem pour mes réponses, le fonctionnement normal, encore incertain à ce jour, je tiens à présenter mes excuses à ceux qui ont écrit, à qui j'aurais aimé répondre, j'ai essayé souvent mais tout m'est revenu, l'acheminement reste encore à ce jour plutôt aléatoire (passons sous silence les supputations (?) que malheureusement j'ai reçûtes, elles sont hors-sujet, diffamantes, une espèce de dérive, aux antipodes de la réalité, cela mériterait tôt ou tard un sérieux démenti, il serait temps - 2015 ? - de ne plus laisser courir n'importe quoi). En attendant, je vous souhaite de belles fêtes de fin d'année, paix et douceurs dans les chaumières, des partages simples, des illuminations, des bougies et des luges, des pistes vertes, des sommets plein de neige, des biches et des chamois, des trains bleus, des oranges, des Jésus en sucre, des poêles à bois, des grosses chaussettes, des bottines, des bonnets à pompons, de la caresse diurne et nocturne, des musiques et des choeurs, et si les bonnes richesses naturelles de la vie étonnante ne vous suffisaient pas, espérons que le père Noël (et la Noëlle) arrivent à passer avec tout leur barda (autre petit voyage), par votre cheminée, (enfin on pense à eux, et on y croit très fort) pour vous apporter, des jouets parmillés, (Tino, sors de ce corps !

 

Photo: Perrache vieille gare. Saisie entre deux quais, son passage mécanique, désert, ce qui est rare .

 

 

Lyon, © Frb - txt revu et corrigé - Décembre 2014.

mardi, 20 mai 2014

Cloudscape

Qu'est-ce qui fait qu'il est parfois difficile de déterminer dans quelle direction nous allons marcher ? Je crois qu'il y a un magnétisme subtil dans la Nature qui, si nous y cédons inconsciemment, nous indique la bonne direction. Il n'est pas indifférent pour nous de savoir quel chemin nous empruntons. Il y a un bon chemin, mais nous sommes très assujettis à l'insouciance et à la stupidité, et nous sommes enclins à emprunter le mauvais. Nous emprunterions volontiers ce chemin que nous n'avons encore jamais emprunté dans ce monde réel, qui soit parfaitement symbolique du chemin que nous aimons suivre dans le monde intérieur et idéal ; et parfois, pas de doute que nous trouvions difficile de choisir notre direction, parce qu'elle n'existe pas encore distinctement dans notre esprit.

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Photo: des pas perdus.

 

St Clair © Frb 2013

vendredi, 10 janvier 2014

Dans quel pays sommes nous, cher Pisthétère ?

C'est la maison Dedalu

U a se devise

Set cascun entrer,

Et tout issont detenu,

Car en nule guise

Ne pueent trouver

Ne assener

Par u l’entree fu  

RICHARD DE FOURNIVAL  

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On ne connait pas les traits des petits personnages.

Etaient-ils hommes ou femmes ? Qui s'inscrivaient déjà aux "clubs-neige" de Janvier. 

Qui sont-ils ces gogos bardés d'un attirail ?

Ils vont à la montagne en rondeau de deux mille quatorze pieds, autant d'allers-venues ; ils ne sentent plus leurs corps, des ombres les menacent, nous les voyons dormir sur une simple natte. 

Leur ciel est passé vite de ce bleu myosotis aux nuanciers du gris. On retrouve une image révélant une fresque qui décrit des silhouettes penchées sur des points d'eau ; près des feux étouffés, l'homme rêve de s'asphyxier, s'émonder, disparaître. 

Il voulait reconstruire son refuge au soleil, il s'y laisserait griller, il courait feux et flammes, il peut s'enluminer sous une croix latine, dans la nef romane où l'on donne en spectacle des joutes féodales sur de faux destriers.

Dans la terre, sur les branches, il voit des formes rares comme celles des animaux de la première histoire, celle d'avant ces soleils qui se passaient de l'art, de ces grilles à nos portes où l'on croit deviner des mondes entre les lierres. 

Si loin de ces caveaux d'où l'homme sortait confus rêvant de courir nu après les amazones ou de se balancer aux branches des cocotiers une tête à l'envers enserrant dans ses griffes le crâne d'une guenon affublée d'un diadème.

Elle respire la langueur de nos rhododendrons et cette Annapurna qui tient de la violette. Il la portait aux dieux dans les plus beaux feuillages puis la perd aux dédales, c'est un prince médiéval, qui nous toise ou nous garde, soulève la petite caille, la sert aux champignons avec de la moutarde qu'on étale au couteau sur un pain de campagne. 

Quelqu'un a croisé l'homme, croyant le reconnaître, l'avait vu épouiller sa femelle dans un zoo, un autre a prétendu qu'on l'envoyait à Loué chaque mardi à la foire vendre quelques pintades à cent sous arrondis pour les pauvres. 

Dans le simple fouillis des champs qu'on ratiboise, d'autres avaient dû parler de ces îles bariolées, de mangues et de grenades comme les sorbets de fruits qu'on revendait partout. 

Quel remou par l'emphase nous rend si malléables ! toujours nous donnerait de quoi nous divertir des fantasmagories de nos plumiers bavards gobés d'un noir liquide tirant à la hussarde le barda du chameau.

On venait nous chercher vêtus de ces manteaux grossièrement découpés dans du papier buvard. Quel gâchis que ces fards ! qui s'enfuient déjoués n'infusent pas les coeurs pris ; voilà les étourneaux.

La neige vient par mégarde, un vieil enfant s'attarde, contemple le rocher il tourne en rond autour, levant l'index il cherche à remuer l'espace, pour connaître dans quel sens le vent vient à souffler. 

C'est un roi contre un autre qui lèvera le voile, barbouillait sa figure, crissant l'ongle sous la craie, il évoque une roseraie qui se laissa tenter par les hellébores noirs, et ils en redemandent, mais rien de l'apparence ne fût aussi grimés que l'homme et sa femelle, avant qu'ils n'eussent compté jusqu'à deux mil quatorze, qui tourna sur un pied pris au jeu où s'attardent de lentes caravanes, le chien à leur passage, n'avait rien remarqué.

Ici, c'est un instant où les ombres opiniâtres voudraient s'y montrer "rares", elles règnent en ministères, nous mettraient en bocal pour un épi de blé, tel on doute on va boire aux tavernes chez les gueux de la liqueur d'armoise (dont les teintes agréables rappellent vaguement l'absinthe, mais celles-ci crachent un fleuve), c'est l'or du pyromane, il la buvait cul sec par ennui, comme nous autres.

Quand le monde se figea mû à l'état sauvage remué des sarcasmes à s'y croire irréel, traînant à l'évasif sur le flanc d'un caillou haut comme une montagne déjà dans l'avalanche, on vient chercher secours, par la chaleur humaine experte en sauts de biches qui se déhanchent au parc d'une ville impériale, on aurait cru une île entourée d'un abîme, on ne pouvait rien entendre des fracas alentour. 

On trouve plus grand danger en fleuretant des volières sur un trou de mémoire, au seuil où l'ermitage se multiplie parfois en divisant les âmes. L'homme cacherait qu'il chasse à mater ces roulis. Fait une pointe de compas d'un bout de ses savates, il retrace le diamètre d'une planète qui l'absorbe en son centre aussitôt le promène jusqu'à ce qu'il n'en trouve plus un hectare respirable, un trait de ligne courbe caressée qui se casse, ensuite c'est un dédale, on le suit préposé, juste où l'on craint d'avance qu'il n'existe plus grand chose, bientôt à contempler, au ciel ce gris lavasse tend un drap de lin sale qui bat sur un nuage, on ne sait l'arrêter.

On ouvre une rengaine, on dit qu'il va pleuvoir, mais qu'il conviendrait mieux que tous les champs s'enneigent, qu'Arcade et Saint Hilaire gèleront les bruyères. L'homme ressent la croisée des chemins nécessaire mais elle est si couverte de gelures à présent qu'il n'a pas vu le vent faner le perce-neige

Ce fût un court sommeil un peu d'une tristesse comme on en voit souvent. On ressent le dépit des mots qui s'agglutinent traversent les cervelles ; les plus vides n'y conçoivent que leur propre malaise, les plus exubérantes ont vu le Saint-Esprit qui s'incarnait pour elles. 

Ce serait, un sentier, des épaves à travers y traceraient la vie avec les spécimens, on imagine déjà le premier petit d'homme qui au lieu de parler écouterait crépiter le brouan du village, il s'en irait rythmer l'amour des trouveresses, l'embellir à charmer les badauds d'à côté.

La fille est apparue, c'était la belle Doette qui descend l'escalier ouïssant la chalémie, elle ne croit pas au mal qui se dit en musique, un bourdon sur les yeux, elle croise l'homme à la foire, qui riait au milieu des pintades égorgées, elle pensait qu'elle trottait au coeur d'un mauvais rêve avec l'homme endeuillé tout à son cimetière.

Un dieu berçait les anges comme au tout premier monde, personne n'eût cette idée d'huiler sa mécanique contre l'abrutissement où d'autres étaient tombés, le nerf qui d'imprudence parfois nous relayait avait dû s'enliser dans l'oubli, nous aussi on faisait comme à Loué.

Des jours en ces manèges, d'hommes abordant la nuit sans qu'aucun compagnon par les villes, sur les places si peu avoisinantes ne s'occupe plus déjà de venir aux nouvelles.

L'homme avait vécu là, par cette indifférence. Quand il revint nous voir nous étions moins vivants, moins nombreux, plus terreux comme ces statues de plâtre qui souriaient heureuses sur leurs socles sévères, on les aimait muettes, si patiemment brisées par une longue attente à tortiller des laines. 

L'homme allait s'exiler sans un bruit n'endurant plus les cris de victoire en son propre pays, il se mit à railler bombardes et chevrettes et pria qu'on n'aille point lui chanter des poèmes avec la chalémie. 

Le diable est dans les têtes. Quand ses forces contraires le tiraient d'un côté ou d'un autre, l'homme partait, il restait, il revenait, gêné de ne pas avoir pris à coeur ces ritournelles qu'on lui souffle à l'oreille, l'oreille est son outil, et si prêt de crisper le son sur une affaire qu'un reflet étourdit, on suggéra à l'homme de s'en venir semer les ors des chrysanthèmes sur nos champs de bleuets. Il le fit à son prix. Puis ce fût la jachère.

Qu'importe la saison, tous les jeux à la fin s'étranglent sur un rire, quand le chemin des daims se réduit aux ornières, un fleuve revient, aspire les rives hospitalières, la fille mal fagotée semblait toujours chanter ses amours d'Orcival, accroupie dans la neige, sur le foin de la bête, près d'un vétérinaire qui triait des entrailles et le sang qui pissait n'affolait plus le ciel.

Tout devenait normal. La bête était immonde. Devant l'homme secoué de sanglots, s'affairaient quelques dames, accourues au galop, pour consoler les mâles avec leurs gros ballons et des mains fabriquées à lustrer des pétrins contre pépites honnêtes, l'homme s'en irait demain, un panier de pintades sous le bras, à la foire où l'on vend des mensonges du matin jusqu'au soir. Quand nous revînmes au soir, sur nos bois en copeaux, il tombait des hallebardes.  

On n'y penserait plus, on allait, on venait, enfin, on fit l'idiot pour se sauver d'ici, comme on croise à la gare ceux qui courent à la vie. On s'est remis aux phrases, des phrases rudes et légères qui nous grimpent au dessus. 

On cherche dans les champs les formes du trèfle rare. On voudrait le cueillir. On a vu, le gri-gri du plus grand enchanteur pris dans les rayonnages du produit pittoresque, on acceptait l'obole au prix phénoménal qu'on nous faisait d'un grain de blé broyé menu, on en croquait le dimanche, à défaut de brioche, il fallait remercier le coeur des bienfaiteurs, ne pas trop jacasser qu'on le digérait mal ce petit grain jeté autrefois aux bossus, aux boiteux, ou aux nains, si la petite hirondelle ne l'avait pas volé, quand ce n'était pas elle, c'est l'alouette qu'on plumait.

On a vu l'archiprêtre saupoudrant finement d'acide la bonne étoile qui se changea, mauvaise. Ce n'est pas un remède que les bêtes minuscules sacrées par nos bons dieux nous révèlent un royaume par les arts de la fugue qui s'étalait en fresque de démons-chimpanzés, d'anges mutiques retombés par mégarde contre un mur.

Ils criaient innocence, ils n'avaient embrassé qu'une statue de plâtre trônant au fond d'un cloître, ils voulaient la sauver ou la montrer au dieux, ils avaient insisté, c'était l'unique mal, ils tournaient autour d'elle croyant voir se former des syllabes sur ses lèvres, la statue souriait, depuis mille ans peut-être, personne n'avait frôlé sa bouche, sauf les mouches ou les anges et voilà qu'ils perdaient subitement la parole. 

Ils ont dû regretter comme nous l'éternité qui ne prolonge en rien les actions désirables, vidait notre mémoire écrivant à la marge sur des fossés poreux hissait des cathédrales où les prières tournaient en virelai puis en peines qu'on recycle en papiers.  

Ces pages furent barbouillées du noir de ce plumier à nos mondes essentiels comme l'huile de pédalier sur Rossinante Ruissel (c'est le nom d'une coureuse cycliste médiévale), elle salue du mollet les buveurs de ginseng (et buveuses :) qui trinquaient. elle espérait un jour revoir l'aventurier, un genre doux maréchal qui roule sa mécanique en tricot balinais.

Quand la lumière revient, sur la rive oubliée, sûr que chacun n'y voit rien qu'une dégringolade, ne pouvant tout saisir on affichait nos rages aux horloges d'un clocher, on tournait les aiguilles à la main, comme c'était laborieux, pour se donner du mou on secouait nos pieds suivant le "Sing sing sing". Nul ne pût distinguer le tambour ou le coeur du genre des créatures, qui ne jouaient de rien, léchaient les devantures et prirent d'un air bravasse la chose très au sérieux.

Le matin nous recueille, flottant sur des barquettes, avec l'homme toujours seul et des types près du zinc, des gars de la marine en grosses têtes d'épingle flairant la sphère de Dieu, des mains comme des palettes tripotent la barre à mine. Ils boivent jusqu'à l'ivresse dès le petit matin ou ils causent avec nous à nous rendre plus informes peu à peu on s'abaisse à échanger des nèfles, on joue au jass couinché contre du marasquin

A ce coût insensé qui n'exalterait pas le coeur des mélomanes arrivés pour rythmer le temps sur un clavecin, où rien ne se tempère, il faut encore s'y perdre. Passera, passera pas ? Encore un jour pour rien.

Au pire, on est moyen à s'en virer dehors plutôt que d'approcher ces palais où les chants de merles vont caporaux nous chier un répertoire limité à des cris pinaillant ou gloussant, c'est dans la rue, parfois, qui nous prend en tenaille, avec nos oreilles d'âne qu'on court de l'idéal aux sons précipités dont l'oiseleur disait qu'ils masquaient de l'angoisse, et pourtant, et pourtant...

La trouveresse cachée sous sa couette paysanne sort de sa solitude et se met à clamer debout sur un bidon (avec la voix de Simone de Bardot ou de Brigitte Beauvoir)

- "Ouh ben ! Faudrait beau voir (c'est pas malin, je sais) par le grand Fournival qu'est pas mon gigolo, mieux vaut être une renarde ou la rougette vilaine qui intrigue les moineaux avec ses dents fragiles, des ailes tellement spectrales qu'on dirait des vampires allés au carnaval  en parcourant un point lequel d'ici bientôt marquera des années jusqu'à faire deux mil 15, 16, 17 fois le tour du même pied roulant dans le même foin qui se trouve là, chez machin, moi, ou eux, enfin bon, chez tous les cornichons qui ne savent toujours pas voir plus loin que leur tarin".

Pour nous c'est juste un point là, dans une île très loin, d'où l'on devait partir toujours de l'origine rêvant d'atteindre un but au pays enfantin, où les corps sont d'écume gonflés de berlingots. On gardait des images à se ressouvenir quand tout serait passé pour s'extraire des ressorts d'un enfer où les morts font la pluie et le crachin, le ciel sur une truelle, notre chaleur humaine semblait devenir tiède. 

On pourrait l'enrichir des trésors que convoitent les nouveaux followers qui prennent la place du mort dans les décapotables où flottent les hémisphères et la blondeur des blés s'étoffera d'une barrette sertie d'un rubis vert.

L'oeil du dragon clignait sur l'empire du soleil, il vient sur tes genoux, l'homme prend de la bouteille, sa guenon débarquée, de ces rades, en nuisette, de cent pas s'enfonçait dans ses mondes intérieurs.

Deux mille pas balayés, feraient une épopée de quatorze avec l'ombre héroïque d'une armée et ces coeurs en voiliers c'est toute l'humanité qui s'égare dans une bulle et danse la tarentelle, ce vacarme vient chez nous, s'y croyant informé sur les zoos, les igloos, et le lycalopex, il fouillera dans nos fiches, corrigera le cahier qui porte la méprise comme si tout était vrai.

L'homme grisé, follement s'entichait de lui-même, ne sait plus à présent, quelle saison est la sienne. On a vu le printemps, l'été, l'automne, l'hiver et les quarts de saisons, tourner des béchamels autour d'une soupière avec tout ce vermicelle qui dépasse de l'assiette, il pleut des alphabets.

La fée prise dans sa traine regarde des cervelas flotter sur la rivière, par des foules en pique-nique, la clepsydre accélère le tempo pour un bouc tapi sous les loquets, d'un beau bleu électrique qui imite à moitié le pays où l'on dort quand on sait par avance qu'on n'arrivera jamais, ce qui est peu de chose ; quand on n'a pas d'idées on vit sur le côté comme des singes qui se sapent ou se pendent aux voilures, à peine à la lisière on s'y fond docilement et tous les points mouvants nourrissent une mémoire constellée de gourmets roulant leur aligot dans nos ronds de serviette d'où l'avenir a eu lieu, où le passé lira le présent dans tes yeux, il chuchote à voix basse des petits poèmes creux consacrés aux cinq sens, aux licornes, aux belles lettres, et à la grande musique.

    

Photo : Olga la vache aux pieds d'ânon, posant dans devant mon le plus simple appareil, droite dans ses bottes fourrées (maison) ou ses sandales (vintage), c'est tout comme vous voulez, et les voeux pour la suite du monde... (ô maudite procrastination ! Vade Retro ! grand mal !), (tout ira comme hier, je remets à demain, les bonnes résolutions :)

 

"Sem pesalt sexuse upor el tredar § sle clesiens lhaes, drapon, drapon, eorcen cemir à ovus, sem nages...", (c'est de Dante).

 

  

A l'oclens des véchas : © Frb 2014

lundi, 18 novembre 2013

Ostinato

Les plaisirs ont choisi pour asile...

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Photos : Fragments tissés sur une partition, gauchement, où le pas de l'homme entraîné au coeur de sa forêt l'égare en heurts et flottements. Contre le règne obscur, l'homme trouve où se cacher, oublie ses turpitudes couvant d'autres plaisirs, il se laisse envoûter dans les alcôves humides. Quelques correspondances trament encore le passage d'une mémoire indicible, et l'homme pour l'effacer tentera d'ajuster les formes échouées aux sons de l'ancienne passacaille, un temps bat la mesure d'une terre d'origine à ces mondes bleutés où jadis les navigateurs courageux, afin d'oublier leurs efforts, chantaient les mêmes notes en litanie.

 

Là bas © Frb 2013.

jeudi, 08 août 2013

Oublier Cahuzac

Ôl a point d'ainme, ôl est rvenu cment si d'ren étot (*)

 

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ce foin qui vient rouler.jpgaffiche.jpg























 

Il n'a aucun amour propre, il est revenu comme si de rien n'était.

 

Nota 1 : Ce billet est une suite en série d'oublis dont le premier volet peut s'ouvrir ICI.

Photos : Le paradis tout court, peut-être suffirait...

Nota 2 : Je veux dire pas fiscal, (amsi aç av vneir, masi no lse cacuiellno à pouc ed trequi, vouzin"...  C'est du père Mathurin le Virgile du potasi charmilloné masi j'nen susi sap beni rûse ptêtte bin que oui ptêtte bin que non ptêttre uqe my'j mégenlonsa loquequefis nu upe lse picanuxe ce qui veut dire: pour les djeun's qui reviennent du maquedeau, que Cahuzac n'est pas un nom de village de la Creuse (quoique...). En tout cas c'est pas sur le chemin du pays du Tseu

Pour les aroumeux de la bonne guanle de nos paradis tout court, vous pouvez faire un tour du côté de chez Monsieur Mario Rossi via le Topo d'ici

 

Pays du Tseu © Frb 2013 

vendredi, 04 janvier 2013

Ne t'efface pas

Il semble que la vie restera toujours inachevée. Mais on demande une chance supplémentaire.

André DHOTEL : extr. "Le pays où l'on n'arrive jamais" éditions Pierre Horay, 1995.

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C'est entre deux temps, l'un volontairement ralenti que je trouvais dans une valise, quelques fragments d'un livre de André Dhôtel, un auteur magistral, dont l'esprit merveilleux à chaque lecture semble nous restituer un pan secret de l'univers. En ouvrant quelques pages du livre à l'aveuglette, je tombais pile sur cet extrait, il semblait que cela pouvait convenir à ce point de l'année (ou de la précédente) grosso-modo à la croisée, de l'heure et du retard, jeu de broderie là bas, et ici ravaudant entre la fin du monde, et les petits commencements coutumiers, des suites à griffonner sur des vitres où le ciel et la terre sont au mieux une image, au pire, un idéal.

A part ça, quelquefois, on ne peut que broder. Il n'y a plus de frontière dans le calendrier. On profite des grisailles, on ne veut rien louper de cette heure quand des brumes tirent les personnages là, au milieu du ciel, dieux du flou, parenthèse incomplète, allant à l'opposé de nos jours saturés, de nos voix vivant moins en nous qu'au dehors - autant d'yeux/ d'autres voix ne cherchent plus entre elles à se persuader qu'elles seraient plus réelles qu'une parole, remueraient ciel et terre pour un mot déplacé, vérités comme une masse à la fin capturée, c'est un seul homme qui clame - je suis vrai- je suivrai la parole d'autres mêmes - et la mienne effacée, se dissout dans l'espace, il n'en reste qu'un trait, un peu de brume encore. Des petits trains muets longeant la voie ferrée, croisant quelques remblais. Ensuite ça redémarre. Toujours on dérivait. On voyait quelques hommes qui passaient leurs mains par la fenêtre, faisaient des moulinets devant l'expostion des tableaux alignés, variés ou tous pareils. Est ce que ça importait ? Vues d'un train, des clôtures aux fenêtres, arrimées à ces lettres: un verrou par sujet, gardant la citadelle. C'était là, le pays où l'on arriverait.

Le cantonnier qui balayait les dernières feuilles est venu ramasser les sapins de Noël. C'est comme l'année dernière, à quelques détails près. Puis l'an d'après ça rebelote : automne hiver printemps été...

On aura trouvé de l'agrément à chercher simplement un quai, dans un endroit paumé sans panneau, ni frontière, pour s'offrir une escale au pays où l'on n'arrive jamais. Moins qu'une formule désespérante ça demeurera toujours un supplément discret ou de la nonchalance et parfois un peu d'ombre nous retrouve en silence. 

Le cantonnier qui volait dans le ciel avec les feuilles mortes ne dévoila pas les secrets que nos coeurs emportaient, son pas l'invitant à marcher sous les arbres, juste avant le passage qui va de l'ombre à la lumière, une étincelle, à peine, tenant encore le reste.

On n'aurait aucun mal à se pavaner tranquillement d'une rue bien pavée jusqu'à l'étendue paisible autonome des fourrés, des forêts et des étangs sauvages pour y cacher son faix, se fondre à l'épopée, retourner cahoter, aborder les sentiers afin d'éprouver les limites de ces foules, de ce corps roulant comme la feuille entre les joncs bleutés, longeant un peu les baies, là bas où l'on se dore, jouant dans les reflets d'une barque retournée à l'envers.

On ramène des images sans chercher à savoir qui tournera la page, s'échouera à moitié, tourne ou sera tourné. On entendra les cornes de brume: un son qui ne dure guère, dont l'écho s'éternise et ne vaut pas qu'on laisse ainsi cingler l'espace.

On serait heurt / spectateur, dans cette marge exsangue retenant l'échappée, elle prend de si loin l'objectif, fait exprès de rater son but, aborde le vieux singe qui se perd sous son arbre. On continue à vivre dans la réalité - je vous jure que tout est vrai, ma bouche, mes yeux, mon nez ! et mes chaussures de marche qui marchent dans ce pays, pour serrer le vieux singe et ses gros doigts carrés, s'il referme sa patte, le pays disparaît.

Toi tu dis - c'est pas vrai ! ça ne peut pas exister, tu parles comme une toupie, on va pas tout gober/ utilité d'un mot allant à l'objectif, louant celui qui joue le rôle de s'échiner, des mots pour amuser. La galerie nous enflamme, quand on veut converser c'est un fragment du bruit. On peut tout laisser dire. On entendra les cornes, un paysage de brume, nous mènerait à l'impasse, désolant comme l'ennui. On s'étonne. Que sais-tu, de l'ennui ? De celui qui l'éloigne ? Qui parle aux animaux et voudrait faire sa vie au pays où l'on n'arrive jamais.

Tu n'es pas étranger près de cet étranger, il paraissait tenu par un autre défi, on voudrait essayer de déjouer l'oubli d'un partage advenu.

Il resterait longtemps assis là, sur sa borne, à attendre, on ne peut pas signifier qu'on s'était lentement perdu dans le langage / ou le plus simple mot/ butant sur cette ronde qui invite à marcher/ la tête dans les épaules. Tout brillait si gaiement, vu d'en bas chargé d'armes, contre les jours maussades, il y a des parades. Faut-il s'en contenter ?

Lui, il conserve sa part, il n'alignera pas ce peu de force vive pour s'égayer d'un bruit, qui va dans les objets émettra le bruit grave de les accumuler ; des peuples s'y enivrent, ces voix dont le prestige est un terrassement encore abstrait, détruiront le réel, on ne sait pas comment, ces voix colleront sur nos bagages un label "qualité" après quoi on pourra s'enfuir, ou bien l'on se retire, et le point de départ sur le point d'arrivée, n'est qu'un pas de côté pour se griller la place. Le corps embarrassant, nous bâterait comme un âne qui voulait lui aussi trottiner sous les arbres au pays où l'on n'arrive jamais.

Quel diable les possédait à vouloir s'évader ? C'est bien pour nous aider qu''un jour ils nous rattrapent / aider ? / ah ? / réussir ? / mais réussir quelles vies ?  

On libérera le livre, il flottera sur l'eau calme pour les cent mille ans à venir. Il passera de main en main, d'aussi près qu'il paraissait n'ouvrir sur rien de précis. Une empreinte animale contre une tête d'homme usée se couronnera de phrases annonçant le déclin de nos civilités.

Des signes extraordinaires dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les peuples paralysés de frayeur devant le fracas d'une mer démontée./ (Luc 21.25-27). Là où l'histoire s'arrête, n'en retiendrait-on rien ? 

Ou si peu de nous réunis, s'il n'y avait pas ailleurs un sourire dans les yeux du passeur, posant son galurin près de nous sur la rive, nous voyant à genoux et avançant sa barque, chuchotera encore :

Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement.  

Le présent, le souvenir, cent mille ans à venir. Laissera-t-on filer l'homme embarqué comme l'enfant parti on ne sait quand avec quelques copains allés si loin, qu'il revient seul, presque au point de départ. Encore si près de nous qu'on croit l'avoir déjà rencontré quelquepart, quand d'autres pourraient jurer qu'ils l'ont vu chaque jour, seulement tourner en rond, depuis les cent mille ans qui ont passé, si vite, et autant à venir.

C'est peu, pensera-t-on, en guettant sur l'horloge l'heure de ce rendez-vous, des milliers de secondes à raconter l'attente. A ne penser à rien ou bien à regarder ces foules au coeur du monde se faire une place au soleil. Quelques cornes qui grondent et la monnaie sonnante dira que tout va mal/ ça ira mieux demain. Rien que de l'ordinaire. Cent mille mots de conquêtes à la fois fausses et vraies, aucune qui n'ait pas balisé d'avance nos trajets. Cent mille jours de silence rendant force à ce souffle dont l'immédiateté repousserait un instant celui de s'effacer, ne pourrait rien connaître de ce patient retour qui toujours nous retient. Où est notre mémoire ? Qu'y'a t-il après rien ? / Que dire pour que tu saches ? / Une terrasse de café/ simplement/ presque rien/ des années-lumière/ une seconde/ où mon pas se glissait/ dans le tien/ pour aller regarder les étoiles.

 

 

  

 

 

photo: Là bas. Une image embarquée. Buisson flottant et des coraux.

 

Nabirosina © Frb 2013

jeudi, 20 septembre 2012

La naissance du modèle (I)

Tu prépares, comme chaque jour, un bol de Nescafé ; tu y ajoutes, comme chaque jour, quelques gouttes de lait concentré sucré. Tu ne te laves pas, tu t’habilles à peine. Dans une bassine de matière plastique rose, tu mets à tremper trois paires de chaussettes.

Georges PEREC : "Un homme qui dort", éditions Denoël 1967

la naissance du modèle (1), marcher, homme,dormir, georges perec, le monde en marche, rêverie, partir, fugue, errance, vie, autre, les autres,  terre, ciel, pieds, tête, chaussettesIl faudra y aller à bras le corps, sortir un bazar de caleçons, de cravates, pour trouver les chaussettes, des bonnes chaussettes qui vont dans la chaussure, ni trop fines ni trop  chics, surtout pas trop épaisses, un style de coton confortable, un peu comme les nuages, un détail  brisant là,  le premier pas contre le rituel d'une journée qui ne peut pas répéter les mêmes gestes qu'hier, qui les répétera. A partir de maintenant, il ne sera plus jamais permis qu'une journée ressemble à la précédente, il en a décidé ainsi, et cela jusqu'à nouvel ordre.

C'est peut-être intenable de ne pas claquer la porte derrière soi, simplement pour marcher sans un projet qui mènerait ici ou là. Il l'a dit fermement hier soir à sa femme, un ton semblant si sûr, qui tremblait en dedans, il s'est râclé la gorge plusieurs fois, il a dit : -"le travail, j'irai pas, c'est fini, j'irai pas".

Il n'a pas entendu sa femme murmurer gentiment en essuyant la table : - "mon pauvre Patrick, j'crois que tout le monde en est là !". Ca avait l'air d'une blague.

Des jours qu'il vit comme ça, à se balancer sur sa chaise à regarder ses jambes se croiser, se décroiser sous la table, il fait tourner la phrase "j''irai pas/ j'irai pas" - aller-retour de là à là - "j'irai pas, j'y vais pas". Depuis le temps qu'il y va.

Chaque jour il enfile ses chaussettes avec les animaux, une paire brodée de papillons, une paire avec des vaches qui font "meuh" dans des bulles au niveau du mollet, une paire avec des sortes d'écussons, des oursons couchés sur des rayures bouclées à l'intérieur achetées par lot de six à la boutique de L'homme Moderne.

Chaque jour, il s'en va, travailler avec ses papillons et des vaches plein les pieds, il rentre le soir à la maison, il ressort les chaussettes à rayures avec les écussons et les oursons il les prépare pour le lendemain, posées par terre à plat à côté des chaussures. C'est leur place. Ca va de là à là.

Il hésite à pencher vers cette faculté qu'un homme aura toujours de ne plus adhérer à ce qu'il crée. Il refuse cette instance qu'imposeront les limites de la satisfaction cette prétention cachée à pouvoir ressentir la lucidité comme une chance.

Il désire juste marcher et ne plus arriver à l'heure, quitte à les faire attendre, il ne veut plus devoir saluer ses collègues dont l'amabilité peut se retourner comme un gant.

Barnier, Chaumette, et Thomasson: trois paires de mocassins, grimpant sur une échelle...

Il refuse d'écouter les fourmis qui tourmentent son bestiaire, des mollets à ses pieds, un rêve de bord de mer où les algues vont naître enchevêtrant les joncs sur des rives jusqu'aux îles que la rue re-dessine sous ses pas, à l'emplacement exact de la semelle. Quand il pleut c'est visible, on pourrait y loger des milliers de créatures inoffensives : les doryphores, les coccinelles...

Enfin, il faut rentrer par la bouche du métro passer entre les poutres en ferraille qui diffusent les musiques d'une nostalgie, au  temps vécu par d'autres quand il n'était pas né. Celles-ci paraissent pourtant plus authentiques que sa mémoire, un canyon près d'une route chantée par des ancêtres dont il visualise précisément l'espace : les bornes, les caravanes, les kilomètres qu'il reste à parcourir jusqu'aux dunes, les sommets sous le ciel, un espace infini.

Ca grouille dans les artères, quand il attend sa rame, il peut apercevoir une quantité d'orchestres, son pas ouvrant l'attaque de ces anciennes vies et les nouveaux visages et les chers souvenirs fussent-ils revenus  intacts de la saleté, du bruit ; un énorme désastre absorbé par l'envie.

Entre les grosses pierres il voit des galets blancs et des petits scorpions goûtant la drôle de chair des papillons, des vaches, la chair des écussons, en lambeaux des rayures que les oursons avalent, et la voix de Suzanne, qui criait dans la rue quand elle le vit pieds-nus accroché au portail "mon pauvre Patrick, tu t'es encore perdu !".

Ca pressait le défi d'abîmer leurs espoirs, rien d'extraordinaire n'avait eu lieu ici. Cette expérience ruineuse entre en grâce pour laisser marcher l'homme dans un rond de serviette avec les animaux, jusqu'à ces alluvions, il entend les guitares : "Dirt road blues", il retrouve le fauve qui garde son esprit, un tigre dans le muscle piétinant à pas vifs les dernières plumes d'autruche d'un édredon trop lourd, il revient à la vie, pieds nus dans ce dédale, il est nu, il déclame couché sur des moellons les vers de "Walk the line". 

Une fois n'est pas coutume, elle ne met pas ce soir sa longue chemise de nuit brodée de libellules. Elle apporte les fruits, les citrons, les grenades qui décorent la ouate rebrassant ces étoffes, elle se glisse près de lui, trouvera le passage au moins jusqu'à l'aurore, elle marche sous ce corps en précisera l'attache en s'appliquant surtout à ne pas réveiller l'homme qui dort.

 

A suivre ...

 

 

Nota : L'ouverture du mouvement à cliquer dans l'image

Photo : Le modèle en extase (devant un tableau de... Vazarely ?). Selon nos experts, si le marcheur s'est endormi, rien ne pourra l'arrêter, il n'aura donc cessé de marcher pendant que nous dormons, il aura fait des kilomètres sauf si nous sommes en train de le rêver, une hypothèse probable. L'homme qui dort et qui marche dans sa tête ne cessant de mourir et de naître, la suite dépendra aussi des espèces d'espaces traversés et peut-être aussi un petit peu de Suzanne ?

Le mot de Georges  (un supplément à méditer) :

L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.

 

 

Lyon presqu'île © Frb 2012.

jeudi, 16 août 2012

Vitrailler (I)

Oh n'est-ce pas mon Christ, mieux valait l'esclavage,
Les terreurs et la lèpre et la mort sans linceul,
Et sous un ciel de plomb l'éternel Moyen-Age,
Avec la certitude au moins qu'on n'est pas seul !

Jules LAFORGUE, extr. "Certes ce siècle est grand !" in "Poésies complètes", (références incomplètes).

vitrail &.jpgLe temps allé, nos corps se trouvèrent suspendus, il fallait bien choisir entre le haut ou le bas. Nous sommes demeurés dans cette position indécise, un peu voûtés comme les  plafonds en voûte d'arêtes du petit édifice.

L'assemblée est debout, ramassée dans son cercle, elle sommeille.

Quand viendra l'heure de rentrer, il sera difficile de rejoindre les bruits. Entre la solitude et cette clameur là bas, il y a l'ombre d'un homme qui vient chercher la somme déposée dans les troncs, c'est la recette des cartes postales à cinquante centimes pièce. Il marche sur la pointe des pieds, il a fait le signe de croix, c'est une sorte de vicaire. Et toi tu vis de ça, du regard porté sur l'original au milieu des imitations, de l'envie allant au plus simple esquivant les complications de la vie ordinaire, elle aussi, a fini par te coller une lucarne dans l'oeil et tu t'enfuis là haut saisir les éclats de couleurs. La volonté de tout saisir a fait de toi un courant d'homme qui court et court sans cesse après quelque chose de nouveau, même si cette nouveauté reproduit avec précision un savoir millénaire, cela ne rencontrait pas ton rêve. Tu te promènes en touriste comme tout le monde. Un vitrail te sidère. Ta voix veut s'y loger.

A cette heure, tu devrais être avec les autres, sur la plage et tu ris de toi même, toi, le fauve à genoux, l'incrédule amusé qui s'en revient lustrer son corps sur cette pierre. Tu es tombé ici et tu tais ce hasard. Un voeu de Moyen-Âge traverse ton histoire. Tu t'es dit un instant qu'il serait temps peut-être, d'abandonner le reste, si tu le peux encore.

L'assemblée s'est tournée vers toi, elle met un doigt sur ta bouche, comme une seule émission elle te prie. La voix baisse c'est à peine, se taire, tu ne sais pas.

Tu croyais aux rictus de ces diables surgis des chapiteaux, et encore tu t'exclames, pour ce peu de silence...

Pourrais-tu leur reprendre ?

C'est le même rictus qu'autrefois. Ils t'intriguent ces vieux, avec le même dos rond qui passe en communion, quand ils baissaient les yeux à cause du jugement.

Ils t'effrayaient parfois, au delà de leur âge, il y avait autre chose. Tu n'as pas tout compris. Voulaient-ils te prévenir quand toi aussi un jour, tu marcherais voûté et monterais là haut ?

C'était inadmissible de semer la terreur dans l'esprit des enfants de faire d'eux des petits vieux avant l'heure. A présent l'assemblée ne te juge pas, elle rêve, entrée dans ses prières qui vont avec les pleurs et tout ceux que l'on pleure déjà nous pétrifient.

Tu aimes cette clarté du choeur et des travées contre l'obscurité du bas côté où le visage repeint de la Vierge-Marie semble attendre que l'on répare aussi l'enfant blotti contre les plis d'un voile cœruleum. La statue a été soigneusement inclinée derrière une pancarte qui demande une faveur : "prière de ne pas toucher / restauration en cours". 

Par l'allée principale les figurations de l'enfer ne te semblent pas plus sérieuses que ta tête quand elle sort de la nuit, ébouriffée, broyant dans une image une foule illuminée qui disait les messes basses et troublait ton sommeil. C'est comme au cinéma, ça tourne, ça se répète, ça rejoue d'autres scènes: les sentences arbitaires, l'improbable veau d'or... Un sacré beau désordre : il grouillait de bonhommes qui criaient au miracle, de gouailleuses parigottes s'entichaient d'un sauveur et Robert Le Vigan prenait son rôle à coeur,  dans la chair mortifiée d'un Jésus aberrant guidant un peuple élu qui ne peut s'y retrouver. Cette mémoire revient noire de monde...

Ils montent le long de la colline,
Chacun le front couvert d'épines...
Par centaines...

Toi, tu étais enfant, ces vieux jetaient au ciel les cailloux qu'ils trouvaient en chemin, ça leur faisait des têtes de perpétuels orphelins. Ils revenaient parfois ramper sous forme de bêtes, elles peuplaient les armoires dans la maison austère d'une cousine Charliendine ou d'une tatan chartraine. Les têtes de fouines glissaient sur des manteaux immenses qui ne sortaient que le dimanche. On te prenait la main. On t'emmenait à la messe. Tu trottais derrière eux. Tu aimais ces vitraux qui rappelaient les cubes ou les étoiles de mer avec ton imagination tantôt géométrique tantôt bercée de sphères. Déjà tu ne savais plus  comment faire pour choisir entre le haut, le bas. Le mieux eût été de demeurer toujours ainsi, pendu dans l'air...

Tu ris parce que ces vieux sont devenus d'hier. Ils ne te font plus peur à présent. Ils prient, ils pensent à eux. Ils se consolent entre eux. Ils ont peur des cailloux qui rouleront dans ta bouche, quand tu les chasseras. Ils savaient bien pourtant qu'au temps venu personne ne peut passer son tour. Ils croient que l'heure est proche, ça les hante, ces comètes, les pôles à la dérive, la barbarie, les guerres. C'est écrit dans le livre et même dans les vitraux, des genres d'apocalypse...

Tu contemples ces simples qui mettent des croix partout : aux chemins des calvaires, aux murs des crucifix...  tu ris un peu de tout, avec ta science qui pèse, ton jugement qui claque mais ne flambe pas les mitres. Viserais tu le haut avec tes rimes en raout ? Tu te crois tellement libre de savoir lier ton verbe à ces sortes de vrilles que tu finis aussi par mettre des croix partout : dans des cases, sur des plans sur les gens, sur le blanc, parfois sur tes amours, et ta bouche énumère comme ils faisaient hier, tout un tas de hantises. Tes images nous délivrent. Tes fidèles adoreront un jour ta face de chèvre. Nous te regardons rire sans savoir quoi penser, quoi tirer de nous mêmes. Pour apprécier pleinement la lumière du dehors entrée par les vitraux, peut-être faudrait-il nous crever les yeux puis en fabriquer de nouveaux qui ne soient pas tentés de nous refléter dans tes images.

Au milieu de l'allée, tu as ouvert un sac, tu as sorti des miniatures d'outils afin de mobiliser l'objectif sur ce noyau de vieux, tu les prends, tu les cadres, les traques et les mitrailles comme si tu désirais que l'image te révèle le verrou de leur Dieu. Le ciel t'appartiendrait. Tu nous libérerais avec cet air badin qui voit dans un vitrail, un produit idéal. Capturant l'éternel, tu pressens la tendance, le charme vaste et mystique de nos prochaines vacances. Cet air ne mange pas de pain, il multiplie les êtres postés en file indienne entre les cars multicolores et les modillons minuscules qui veillent sur le jardin de l'ancien presbytère. La place est pleine de monde espérant l'ouverture du choeur par un portail, une excursion bancale sur un rai de lumière. Comme il pèse à présent ce chant des vieux qui tardent dont le silence se perd encore dans la question.

What are you doing after the apocalypse ?

 

 

 

 

Photo : Récemment restauré par l'artiste Rachid ben Lahoucine, ce vitrail magnifique a été photographié en la petite église de Bois St Marie (voir billet suivant ou précédent ICI). Le rendu des couleurs du vitrail n'a pas été modifié par quelque procédé photographique, seuls les murs déjà très sombres de l'église ont été un peu assombris. Pour mieux voir vous pouvez cliquer sur l'image.

Là bas © Frb 2012

vendredi, 02 mars 2012

Impression de voyage

Nous vivons bien à l'aise, chacun dans son absurdité, comme poissons dans l'eau, et nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de stupidités l'existence d'une personne raisonnable. Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes.

PAUL VALERY : extr. "Monsieur Teste", L'imaginaire/ Gallimard 1946.

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Comme s'il fallait toujours s'éloigner de ce qui fût trop proche, comme s'il fallait ne se fier qu'à la captation d'un mouvement qui prend de la vitesse, pour s'imaginer autre, le mouvement devenu l'unique réalité étrangement saisissable, portant au plus haut point la curiosité et la capacité d'attention, abolirait progressivement les dimensions de l'existence personnelle, effaçant les événements à mesure que la mémoire s'appliquerait à les convoquer. Du moins, est-ce un souhait trop difficile à énoncer, tant il paraît aussi léger qu'un rêve. Un état où il serait en même temps possible d'accepter la destruction de sa propre histoire, et l'idée de n'en rien rejeter, se relier à l'inconcevable détachement né d'un attachement véritable autant qu'il deviendrait possible de regarder sans fureur les déflagrations qui ont entaché ce souvenir. Infiltrer en soi le présent plus entier qu'au coeur d'aucune autre conversation, bercé par le coton des voyages, entre une destination épuisée et le point d'ancrage encore vierge où l'on irait sans doute, tôt ou tard, s'attacher de la même façon qu'hier. On s'attacherait ailleurs, quoiqu'on dise, on recommence presque toujours la même histoire en tous lieux. Mais dans l'improbable lieu qui raccorde et répare, dans ce mouvement de dépossession lente, livré aux grincements étouffés, roulements rondement crissés des mécaniques, délivré de n'être à aucune place pour personne, on verrait un début de réconciliation exister entre-deux, rendu à l'anonymat idéal, parmi des issues entrevues, on se surprendrait approuvant le cours des évènements, et le voyage allégé des raisons même qui faisaient voyager pourrait enfin prendre son sens dans une parfaite vacuité, délesté du sang des regrets, des ressassements désastreux de l'intimité. A présent, on approuve, sans mesurer les heures, porté, lâché, plus présent que jamais et déjà hors-sujet. 

Photo : mouvement du 952861184 saisi entre deux gares.

© Frb 2012.

mercredi, 28 décembre 2011

Orea Phone

Devance tout adieu, comme s'il se trouvait derrière
toi, à l'instar de cet hiver qui va se terminer.
Car entre les hivers, il est un tel hiver sans fin
qu'être au-delà de lui, c'est pour ton coeur l'être de tout.

RAINER-MARIA RILKE : extr. "Sonnets à Orphée" (1922)

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Sans doute existe-t-il une histoire de la vocalité qui se confond contre toute espérance, à l'histoire des mondes unis ensemble. Une épopée originelle perdue puis retrouvée, par les mondes que nous fabriquons, rêvons, et que parfois, un bref instant, nous augurons.

Le mythe d'Orphée nous touchera toujours avec force puisque Orphée est la figure incarnée de la vocalité et que la voix jouit d'un statut ambivalent, innocente, ou malfaisante immatérielle, ou incarnée. Orphée est bien cette voix qui fît remonter Eurydice des enfers, mais si la voix parvint à Eurydice par la force d'un chant, c'est que Orphée chanteur était aussi musicien.

Pourrait-on imaginer un chanteur dont la voix ne s'adresse à rien ni à personne ? Peut-être en existe-il un ou deux, qui toucherait le vide des choses, comme autant le vide des êtres. Il serait là, sans doute en soliloque comme déjà en enfer.

Et cette voix dont le son reviendrait toujours à ses oreilles, finirait par ne plus être perçue par son corps, glisserait doucement de l'auto-affectation jusqu'à l'auto-altération.

Il est permis de penser que Orphée chanta pour susciter la coïncidence, ou plus exactement faire coïncider sa voix avec celle d'Eurydice, et cela ne sera pas, comme on l'imaginait une manière de fusion, mais une manière de révélation, pour faire émerger :

 "Ce qui veut naître de moi par toi" 

http://www.youtube.com/watch?v=KCYcWpMDWLQ&feature=re...

Citation de fin de billet, Paul Valéry, in "Les cahiers".

Photo : Ciel vu d'un arbre, je ne me souviens plus lequel exactement, photographié, là bas , près de Saint Cyr, (loin des enfers).

© frasby 2011.

samedi, 12 février 2011

Presqu'île (flottante)

Quant à moi ma résolution est prise, je vais aller quelques temps à Tahiti, une petite île d'Océanie où la vie matérielle peut se passer de l'argent. Je veux oublier tout le mauvais du passé et mourir là bas, ignoré d'ici, libre de peindre sans gloire aucune pour les autres.

PAUL GAUGUIN, extr. "Oviri, écrits d'un sauvage" (texte choisis et présentés par Daniel Guérin), éditions Gallimard, 1989

Tous les oiseaux exotiques de Lyon presqu'île se trouveront bien en chatouillant l'image.LYON1099.JPG

Un tête à tête de vieux marins et de joyeux lurons aux tables des buvettes longeant les quais comme une histoire ancienne qui se répète. à l'infini. Des rues peuplées de femmes ordinaires et d'autres  plus  mystérieuses, rondes ou minces commes des statuettes elles se promènent pour le shopping, grandes têtes sur des tiges, plâtres sculptés aux hanches marquées, minces ou rondes, belles Botérisées en robes printanières grandes bringues classieuses accompagnées ou non, blotties dans des  manteaux épais, étudiantes genre british en blazer à boutons dorés qu'on croirait fraîchement revenues de Londres, paupières peintes, couleurs vives, oeil avec ou sans chien, bras qui balancent le long des corps, avant, arrière les sacs de nos marques préférées. Inanité de la rue de la Ré, Lyon presqu'île sort de son labeur, c'est le moment des pauses, un trop plein de vie, un très grand petit monde s'éparpille sans cacher ses fringales, en heure de flemme, chacun s'ouvre au plaisir du museau vinaigrette, des mâchons au Garet ou ailleurs... Les tabliers de sapeur, l'andouillette à Bobosse connu pour sa gueule de tonton flingueur avec, dit-on, "une andouillette à la place du flingue", sabodet et groins d'âne ou bavette crépitant aux fenêtres basses des cuisines, odeurs de viandes grillées dans les impasses tièdes, les exotismes jouent la concurrence la quenelle quotidienne à force, aura lassé son monde, doublée par les lampions rouges kitsch qui roulent des nems dans les feuilles de menthe fraîche, et la faune hype and chic s'entichera des sushis-shop et des sushis-makis.

Il est midi, à Lyon Presqu'île. L'heure de grâce qui nous flaire et nous flâne, nous affiche complets aux terrasses ou dans les bouchons surchauffés avec les tables bien mises, les nappes en tissu à carreaux épais rouges et blancs, (sinon où serait le charme ?) la bonne franquette servie avec la bonhommie, et ce petit côte du Rhône surnommé (à juste titre), "boit sans soif", assuré à prix modéré sous les lampes rondes, rétros, lunaires de la Manille, notre bistro préféré, en presqu'île sur la Tupin, exactement. Tupin encore, on lit avec une pointe de nostalgie l'avis de fermeture définitive de la pharmacie je ne sais quoi qui fusionne avec la pharmacie je ne sais qui, et déménagera bientôt on ne sait où, (on sait, mais je ne m'en souviens pas), on regrettera parce qu'elle avait des beaux rayons de bois ouvragés à l'ancienne, décorés de bocaux anciens en céramique comme ceux de l'apothicaire, le vrai pas le vrai faux ancien, et on se demande qu'est ce qu'ils vont devenir ces beaux rayons en bois et ces bocaux à plantes. A la Tupin, encore quartier chaud autrefois, on regardera les cartes postales-fantaisie, les beaux stylos qui brillent à la vitrine d'une papeterie. On tournera par les rues, jadis infréquentables, queue de paons, queue de pies s'impatientent à la boulangerie de la Ferrandière pour y trouver les pains anciens cuits au vrai bois avec du vrai feu, dans un vrai four à bois. Le citadin aime le vrai, qu'on lui en montre, même si c'est du faux vrai, du presque vrai  avec de la fausse preuve peu importe ! (Ferrandière c'est du vrai, je crois) tout tapera l'oeil si possible, mais les pains de la Ferrandière ne seront ni meilleurs ni plus authentiques que chez le boulanger Rodrigue, notre chouchou à nous moins tape à l'oeil et plus charmant pas loin de la rue de Brest, (qui n'est pas la rue Lebouteux, mais presque) là où la boulangère d'une prévenance d'un autre temps, est peut être la plus belle actrice, du dernier film que Rohmer ne tournera jamais. Chez Don Rodrigue tout va si gentiment que l'on sait (en causant d'un peu tout, trois fois rien), pourquoi la vie vaut quand même d'être vécue au delà des plus noitres (ou noirtes) trous noirs, ou gris désarrois.

J'irai là bas de l'autre côté du pont, à St Jean puis St Georges y chercher l'Italie, les vieux pavés en pierre et aux pralines (le pavé aux pralines étant au gourmand ce que le Galibier est au coureur cycliste, pour l'attaquer il faut être sûr de sa mâchoire, avoir des crocs pas des dents, enfin bref) et les glaces rhum-raisin, mais pas tout de suite... lci à Lyon presqu'île à midi il est bon de traîner et je traîne, longeant la Saône avec vue sur la rive florentine une rive droite et bancale qui descend jusqu'à Vaise avec ses façades pâles, multicolores, mouillées dans les reflets plus avenants que les reflets du Rhône. La Saône comme un ravin entre les parkings de rive droite décompose par temps clair la cathédrale St Jean  (mi roman, mi gothique) qui s'y noit, troublée d'un vol de mouettes et en dessus dessous, (on ne sait plus trop), il y aura la Sainte Vierge qui domine la colline, prie pour nous avec des grenouilles cachéees dans des couvents et si on tend l'oreille, on devinera, là haut, à quelques mètres, la colline qui apprend la musique, pas loin des ruines gallo-romaines  vers St Just, loin comme à la campagne. Juste autour de midi, la Saône comme un ravin est une parenthèse qui s'enchante de miettes, de mouettes, une valse de mondes flottants un peu entre les hommes et puis toute cette eau qui instille une espèce de joie démodée décalant l'hyper-nerf d'une ville. On se laisse attraper comme toujours. C'est l'heure de l'oubli des horaires, un temps de l'entre deux qui revient chaque jour, si patent, à la fin de l'hiver et la demi-saison nourrit les collections d'oiseaux, quand les mots tournent à vide chacun assis sur son muret, peut manger le froissement de l'aile d'un étourneau vivant presque dans sa main. Il y a l'air du printemps qui convie déjà le "langage des fleurs", les premiers mimosas (?) longeant les bancs des fleuristes du marché St Antoine, (pas loin de la buvette du même nom) les mimosas ne sont pas de Lyon mais ils inspirent des chants forains, tout à l'impro. D'autres bancs affichent le fromage vert étrange revenu d'une époque où la terre était bleue, on n'en doute pas, comme une orange. Un petite pause en passant du côté chez Paul pas les quatre Paul du choeur aimé de certains jours (faites entrer l'aimé quatuor : Verlaine, Valéry, Cézanne, et Gauguin), non, l'autre Paul, le collègue au Dédé, vous savez bien...)

La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours ...
(*)

Foin de la parenthèse des pouèmes, le temps d'une dégustation de fromage vert : "yes it is cheese, and yes it is green ! But it is not bad. It's better than nothing". J'ai appris en causant avec le forain ardéchois, (bien sympathique), que c'était du fromage hollandais au pesto, (fabriqué en Ardèche !), il volera la vedette (pas le forain, le fromage vert, (quoique le forain, ô ma faiblesse ! ayant les yeux aussi verts que son fromage on ne rechignera pas à poursuivre la dégustation, quitte à braver l'odieuse et rustre cancaillotte, enfin bref...) aux rangées sages de bleus (rangés comme des oranges) et des Mimolettes oranges (sans orange comme le bleu).

A midi, c'est l'heure des silences où revient la belle vie, quelque chose qui ressemble vaguement à la vacance, (en Italie, de préférence), un petit bateau gronde, il n'ira pas plus loin que l'île Barbe."Insula Barbara, Prévert ne l'aura pas connue, (ni volée, ah mais tant pis pour lui !), Insula Barbara, il ne pleuvait pas sur Lyon ce jour là, le toponyme signifie "île sauvage" une autre baie des anges, (ou des mésanges) pour le temps où les messieurs-dames à chapeaux couraient aux guinguettes le dimanche loin des encastrements de maisons. Prendre le vert, où bientôt à tête d'Or, côté rive gauche on ressortira les embarcations pour voguer entre les canards et les canetons, (parfois les cygnes) jusqu'à ce que le disque use sa plage et que la chanson n'en finisse plus de boucler sa ronde sur le sable invisible, de Lyon-plage en presqu'île, le grain du sable grondant en dedans de nous à jeter les pépites d'or de Don Rodrigue, tout en marchant le long des quais entourés d'une nuée d'oiseaux qui suivraient le grain des semeurs (ou semeuses) de pépites jusqu'au bout du monde. Nous y sommes, et je pense à Gauguin, quittant Paris pour Tahiti, avec un seul désir :

Composer au plus simple ne plus créer que de l'art simple.

 Il y a des jours où tout paraît si évident, à Lyon Presqu'île ou dans les îles du Pacifique, entre les deux une navette ferait des allers retour Lyon-Papeete. Nous acheminant... (It is not bad. It's better than nothing) comme rien...

 

 

Nota (*) : "La terre est bleue comme une orange Jamais une erreur les mots ne mentent pas" ces vers programmatiques sont extraits du recueil "L'amour la poésie" de Paul Eluard (1895-1952), paru en 1929, Eluard tenait "le flot de la rivière comme un violon", nous tiendrons très modestement, les flots du fleuve comme une mandoline ce ne sera pas un défi que nous ferons à Eluard, mais peut-être à son camarade Dédé, puisque l'on sait que ce dernier n'appréciait pas la musique mais les flots ne s'opposeront pas, même si ce sur ce coup là je laisserai très volontiers la main à Eluard (et son violon magique)...

Photo : Lyon presqu'île, vue sur la Saône côté rive droite photographié du quai de la Pêcherie qui est aussi le quai des bouquiniste, le samedi et dimanche. © Frb 2011.

mardi, 08 février 2011

Voyage d'hiver

  En tes rêves, je ne te dérangerai point,
  Ce serait dommage, en ton repos,
  Tu ne devrais pas entendre mes pas,
  Doucement, doucement, les portes sont fermées
  En passant, j'écris seulement (*)
  Bonne nuit sur le portail
  Pour que tu puisses voir,
  Que j'ai pensé à toi.

WILHEM MÜLLER extr. "Gute Nacht", version originale du poème repris dans le premier lied du "Voyage d'hiver" (Winterrreise) de F. Schubert. 

Pour découvrir une autre musique, il suffit de chercher sous l'imagevoyage d'hiver063.JPG.

En 1827, dans cet hiver qui n'en finit pas d'immobiliser sa création, SCHUBERT (1797-1828) découvre un texte de Wilhem MÜLLER (1794-1827) s'accordant étrangement avec la tristesse de son âme. SCHUBERT entreprend son propre voyage dans la nuit à travers les secrets du "Palais de glace", 12 poèmes de W. MÜLLER tous bouleversants. De nature superstitieuse, le compositeur y partage les mouvements de sa grande solitude, et la certitude d'un néant qui doucement s'achemine. Plus que jamais pris dans cette solitude, le compositeur, affecté par une vie misérable, fuit ses amis. D'autres faits le marqueront définitivement comme la mort de son idole et "père", BEETHOVEN qu'il rêvait de rencontrer, cette perspective étant pour lui porteuse d'un immense espoir se verra définitivement brisée. Puis la mort de W. MULLER  surviendra étrangement au moment où SCHUBERT achèvera son cycle mais l'apparition inespérée des douze nouveaux poèmes de W. MÜLLER sera pour lui d'une grande exaltation (ponctuée de phases d'abattements) et l'invitera à entreprendre, en Octobre, "La suite du voyage d'hiver de W.MÜLLER". Cette juxtaposition de deux cahiers de douze lieder finira par former un ensemble logique depuis l'ouverture de "Gute Nacht" jusqu'au néant de "Leierman" (en écoute à la fin de ce billet).


 

On est loin de "La Belle meunière" consolante, il s'agit ici d'un piétinement, sans nulle rédemption possible. Le présent est mort, tout ce qui est évoqué appartient au passé, le narrateur est entré dans "l'hiver, la nuit, la mort de l'âme".

Le récit est une errance fantômatique, suivant la trame d'une destinée personnelle dans le premier cahier, mais le cycle s'achèvera en odyssée initiatique oppressante, jusqu'à l'irréversible glaciation de toute destinée humaine, le chant devient alors universel. Le cycle se trouve scindé en deux parties très différentes, la première se compose d'une série de tableaux reliés entre eux par la désespérance du voyageur en marche, la seconde partie est raréfaction, les pas du voyageur errent et piétinent, le rythme lourd, perdu de ce pas fatigué se retrouve dans toute la musique. SCHUBERT s'identifie, parle en son propre nom de son pessimisme, verse dans la mélodie tout son mal personnel. Pour la composition, il emploiera l'économie de moyens, jusqu'à des lambeaux de mélodies parfois, des thèmes souvent très simples, beaucoup de notes piquées, obsédantes et la redondance de figures sonores symboliques. On y trouvera comme récitatif tout un art du silence, du chuchotement sur vingt quatre lieder, seize lieder s'acheminent sur le mode mineur. Aux craquement du "Palais de glace" l'immobilité sera la seule fin, rien d'autre que des pas piétinant un paysage désolé. "Le voyage d'hiver" appartient réellement aux créations les plus désespérées de l'humanité. Il est l'apogée du Lied romantique, celui qui s'aborde avec crainte, et que l'on ne saurait écouter sans risque, sans redouter de s'y noyer, oeuvre dénuée de chaleur sans lumière, partition enneigée où le froid gifle un marcheur qui s'échine dans l'espace quasi pétrifié, vidé de toute présence humaine, hormis la dernière rencontre avec un joueur de vielle, des chiens fous hurlants, des corneilles taraudantes, et une girouette aux grincements insensés. Le voyage qui a commencé par un adieu se terminera sur une comptine du vide qui se chante encore au milieu des ruines. "Las à s'effondrer", dit le texte, porté par une musique hébétée qui clopine. Pas d'action, une trame au minimum ; le voyage entre à l'intérieur sous la peau, dans le cerveau du voyageur il s'agit d'un mouvement de sentiments irréversibles, d'un paysage mental où le dehors n'existe qu'en dedans. Le drame n'adviendra qu'en soi. Il n'est désormais plus possible de fuir.

SCHUBERT au physique disgracieux, un peu gras et petit (1,57m) que ses amis surnommaient "Le petit champignon", n'aura connu que des amours plus ou moins tarifés. Par une cruelle ironie du sort il en attrapera une syphilis, lui qui ne rêvait que d'amours élégiaques... Ainsi écrira-t-il toute la désillusion de l'errant qui chemine sans rencontrer l'âme-soeur, aucune âme à aimer ni même compatissante, épuisé par l'amour impossible, la solitude, l'abandon de tous, il finira sa vie dans une forme de dissolution tout comme ira sa musique, dans la nature. La neige étant la classique métaphore du linceul, elle ne quittera pas un instant le "Winterreise", l'angoissante corneille guette la charogne future et tous les feux follets au loin semblent hâter la perte du marcheur, cerné de paysages figés, de montagnes lointaines, pierres et troncs d'arbres hallucinés, pas âme qui vive, sauf le joueur de vieille, à la fin, double du créateur et déjà mort peut être. Les haltes ne sont d'aucun secours, pire encore, elles réveillent les souvenirs de douceurs à jamais effacées, une torture incessante tend le chant de la fuite dans le rêve  jusqu'au retour brutal d'un réel, qui ne peut ni se retourner ni se réparer, dans la monotonie des pas qui vont vers l'ailleurs par d'étonnants écarts de tessiture, tout cela est dans la musique du "Voyage d'hiver".

On sait que SCHUBERT était un homme de fraternité mais il créera ici une oeuvre "blanche" sans hommes sans frères. Tout est blanc dans "Le voyage d'hiver," la géographie et les anges sont encore et toujours ceux de la mort. Ce cycle de presque soixante-quinze minutes sera publié en deux cahiers de douze lieder chacun en Janvier et Décembre 1828. Le "Winterreise" ne sera pas l'oeuvre ultime de SCHUBERT, entre le "Voyage d'hiver" et sa mort il aura encore composé quelques oeuvres, (dont "La messe en si bémol D.950"). SCHUBERT mourra le 19 Novembre 1828, allant rejoindre le joueur de vielle, messager de l'au delà, l'éternel mendiant du monde. Ce vieillard jouant de toutes les douleurs existait déjà dans l'imaginaire médiéval, il jouait alors du violon ou du luth. La musique qui le croise est fêlée, à bout de souffle. Le silence qui suit troublera à en glacer les sangs.

 

 

Nota (*): SCHUBERT a modifié ce vers dans son lied au lieu de "J'écris seulement", il traduira "Je t'écris seulement".

Photo : Un minuscule voyage d'hiver, sous les arbres majestueux du Parc de la Tête d'Or à Lyon, effectué en Janvier de cette année là. © Frb 2011.

 

vendredi, 01 octobre 2010

Nuit et jour (Part II)

Voici des cerveaux voici des coeurs
Voici des paquets sanglants
Et des larmes vaines et des cris
Des mains retournées
Voici tout le reste pêle-mêle

PHILIPPE SOUPAULT  extr. "Une heure" in "Georgia-Epitaphes-Chansons et autres poèmes", éditions poésie Gallimard, 1984.

Night and day en musique c'est possible ! si tu cliquesOCTOBER0025.JPG tout devient possible, ah mais!

Le jour brûle chaque seconde. Du haut des vieilles tours, le pied sur un téléphérique suspendu entre les nuages, des coupe-vent ensorcellent les mouvements sur les places. On regarde des campements abstraitement du sommet des collines. Toutes les étoiles de mer sont entrées dans la ville avec les ventouses de la pieuvre, des venins de serpents, des paroles gluantes s'invitent sur le petit écran, créent des objets pour la souffrance du peuple. Les merles moqueurs sifflent pavane, décomplexion, en habits d'outre tombe. Le soir m'attache à des heures lentes, au mal qu'inventa un poète médecin dans la lumière brumeuse des marécages devenus lac au fond duquel une tête dort. J'entre dans le quatrième monde trainant au cul des plumes d'indiens comme autant de bris de casseroles. J'entre dans la piscine d'une rue noire de monde, toutes les étoiles de mer rient des tubas, et mes palmes me font une démarche embarrassante. Le soir m'attache à des heures lourdes et me prive des apéritifs en plein ciel au onzième étage circulaire d'une demeure accueillante où les bambous touchent le ciel, j'y croise un ami de longtemps et ses femmes folles de plumes, acousmatisées par une grande machine à Cythère, je monte tous les étages à pieds, redoutant les pannes d'ascenseur, recolle, dans la solitude le O au E pour qu'une banalité fasse Œuvre. Je me prive de ces apéros pétillants de champagne teinté de grenadine que nous prenions à la même heure qui marquait minuit en plein jour et midi aux nocturnes d'une fête médiévale du côté de la Grosnes. Déjà s'enfuit la grâce par les volutes informes, un consumé léger de cigarettes longues. Les arômes du tabac un peu roux, virginien, le taux de nicotine et de goudrons m'effacent. Ces volutes effleurent les affiches où se courbent des silhouettes parfumées de Coco, armes de séduction massives, les phéromones de Calvin Klein, l'ylang ylang, la guerlinade aphrodisiaque devenue synthètique ; les femmes sont vêtues de velours sous lequel la peau saigne, on taguerait là, une fine entaille, pour la fragilité du nu. Le jour brûle la petite caissière de l'hyper-Rion de Vaise. Une porte claque, à peine prononcerions-nous une phrase, que l'on nous accuserait de tout. La même porte re-claque sans cesse. La caissière mange son Bromazépam en cinq minutes de pause comme autant de petits bonbons dont la saveur absente rendrait la douleur de l'agneau, par de beaux cris d'égorgements bien douce en doublure de manteau. La nuit dépose juste à côté des pyjamas à rayures en pilou, de la guêpière affriolante ; les panoplies de Tarzan,et de Jane, et des tenues de combat puissantes, des collections de sabres, les amoureux s'escrimeraient, estoc et taille, vertu martiale, chaque phase d'arme tuerait l'un et l'autre un peu plus chaque jour. Le jour suivant les voix seraient roses comme des fleurs, nous ne parlerions que de la pluie et du beau temps. Et j'irai slalomer sur les places avec une bicyclette d'enfant entre les beaux manifestants qui refusent à l'autre la démence de sacrifier leur vie à la valeur travail. La nuit brûle un à un, chaque meuble dans chaque maison. Des lits rouleaux s'enroulant sur eux mêmes se transforment en lit papillons. Quelques amants se brûlent les ailes à trop s'y attarder. Des têtes roulent tout comme au temps de la terreur et on les porte en haut d'un pique. Toutes nos vies se trouvent à louer, les plus douces à brûler ou à pendre. Le soleil décline doucement. Il y a toujours dans la journée, un moment où tout meurt. Le moment où il nous plairait de croire en tout bouleversement est davantage celui de nos fatigues, ou bien est ce le sentiment que tout disparaît quoiqu'on fasse. Une gomme au bout d'un crayon, un doigt frôlant la touche "Erase" et voici la disparition sous un ciel gris, on avance sur les vacances de la Toussaint qui bientôt refleuriront les tombes. Le soleil s'éteint trop tôt, écrasé des poumons malades d'October et d'anciennes tuberculoses de Tristan, et de son batracien


- Un crapaud ! - Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue... - Horreur ! -


Tout près d'ici les brésars font l'Icare, le vent écaille l'écorce aux branches des platanes d'un jardin public où des enfants un peu crétins râclent leur fond de culotte sur de ridicules balançoire en plastique très ergonomiques, sous l'oeil mou de parents mutés en larbins d'angelots. Ici on ressent le danger d'appartenir au monde, on lit des feuilles aux devantures de mille bureaux immobiliers, l'ulcérant sourire au gardol de l'agent du siècle 21, on ressent l'insécurité des pavillons à vendre, ces affaires à saisir à proximité des périphéries avec vue sur des raffineries en grève, et on reste songeur devant le tampon rouge qui tamponne la chose comme "Vendue". Rouge sang, toute vendue comme nous. On ressent le danger, on se prend quasi frêle à remuer ces boites où gisent de vieilles photos de parents jadis amoureux se tenant par la taille devant les tamponneuses. Le vent court dans nos cheveux, sans chapeau ça travaille, et du chapeau quand même. Si, un jour nous allions sans vélo, ce qui est bien sur inadmissible, des petit vélos noirs nous aguicheraient quand même et nous les laisserions tourner dans nos têtes noires jusqu'à la débandade. Un mécanisme infernal tout caché ferait dériver un manège et tout cela porterait encore un nom de maladie. Le jour brûle les souterrains. Un monsieur fait la sérénade à une dame dans une jonque sur le fleuve Rhône jaune et noir comme les amours de ce mal aimé de Corbière, comme la syntaxe chaotique du batracien, ce boiteux qui hurle à la lune avec 4 rimes au lieu des 2 traditionnelles. EL(e) - OA - IER 2 tercets avec rime suivie ER + 2 rimes embrassées OMBR(e) - IF. Œuvre au Œ accolé mais sans âme sŒur.

Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre ...
Un chant ; comme un écho, tout vif,
Enterré, là, sous le massif...
- Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre..."


Photo : Le petit cheval blanc et le chevalier blanc, à la conquête des jours et des nuits, parcours étoilés de l'automne. Vu en fin d'après-midi du côté tonkinois de la cité de Villeurbanne au jour 1 d'October. © Frb 2010

mercredi, 01 septembre 2010

September (Part III)

Des maisons se dressaient alentour puissantes,
mais irréelles, - et aucune
Ne nous connût jamais. Qu'y avait-il de réel dans tout cela ?

R.M. RILKE, extr. "Les sonnets à Orphée", VIII, (trad. Angelloz)

septembre bb.jpg

Quand tu marches sur les cailloux, tu entends un bruit de ferraille, tu cotoies les silhouettes longilignes des petits hommes fluos qui plantent des panneaux de signalisation. Tu roules à St Germain des près avec ta mécanique, tu sais qu'il y a des pistes anticyclables du côté de la Loire. Tu prends les abbayes pour ton propre berceau, tu reviens de Golsone déçue par les hérons, tu vois d'un cimetière arriver les bateaux puis tu sors du tunnel pour nous rejoindre, on sait que tu reviens de loin, peut être de cette plaine qui recouvre deux fois la superficie des prairies.

Ici, c'est presque la même chose, je tombe dans les panneaux des départs, je me colle au sommeil d'une file d'attente interminable en goûtant l'immanence de la situation. Je fréquente les marchands de journaux qu'on appelle des points-presse. Je lis les horoscopes, et puis la météo, les journaux quotidiens rendent hommage à Corneau, je poinçonne à l'envers, m'y reprends à quatre fois en tous sens, j'y arrive, je m'énerve, le temps presse, je m'en vais au quai A, un titre de revue du genre "choc des photos" cite une phrase de Fignon :

"Je n'ai pas peur de la mort, je n'en ai juste pas envie, c'est tout".

Quand tu vas à la banque tu vois les coquillages que tu as oublié de ramasser sur la plage des Issambres un 24 Juillet 2010, d'énormes coquillages vernis et brevetés avec un logo peint sur le côté, qui décorent ta banque, des personnages étranges habitent ton guichet. Tu poses le coquillage à tes oreille et tu entends le bruit d'une cocotte en papier qui te demande de créditer ton compte au plus vite. Tu crédites de très peu. C'est un nouveau départ. Tu prends un rendez vous chez le coiffeur Jacky qui est aussi "visagiste d'art" tu veux être propre et net dès aujourd'hui, pour reprendre ton travail, tu sortiras ravi avec cette impression d'avoir une nouvelle tête, tes bonnes résolutions dureront jusqu'en Octobre, Une septuagénaire s'en ira du salon avec une mise en plis violette. Le parfum d'encens d'une boutique 100% bio te donnera mal à la tête. Tu lis les horoscopes de Voili en cachette, tu t'en défends devant les copains, mais tu y crois dur comme fer, tu achètes le monde 2, le monde 3, et le magazine télé Z. Tu marches sous les yeux inquiétants de mademoiselle Nothomb, notons, notons, que tu as beau marcher mille fois sur son chapeau, tu suis ce que ta ville te montre, puis tu vas à la banque retirer 100 euros pour t'offrir toutes les vagues que ton amour soulève. Tu craqueras aussi pour des cigarillos. Tu en fumeras un devant un bordel de la rue Mercière en pensant que tu as oublié d'envoyer une carte postale des Issambres à Evelyne, que cela fait un mois qu'elle n'a pas eu de tes nouvelles, tout comme Martine et Ghislaine. Tu auras un peu honte de toi. Tu as peur qu'au milieu du mois, ta femme retombe en dépression, tu as rendez-vous à 16H00 chez le vulcanologue pas très loin de la villa des mystères à Pompéï, tu rejoindras demain Evelyne à 17H00 au café des écoles, vous irez à l'hôtel rue du Mail, tu retrouveras ta femme à 20H30, tu lui diras que tu as eu du retard au bureau à cause d'une réunion qui t'auras épuisé, tu maudiras ce crétin de Jouvenot qui pinaille sur les RTT,  tu prendras un effaralgan 1000, tu embrasseras tes quatre enfants, ton chien ton chat et ton chameau et tu prendras une douche avec un truc qui mousse quand tu le pousses. Tu entendras Johnny chanter à la radio. On a tous quelque chose de n'importe quoi ...Tu rêveras d'aller vivre en Pennsylvannie, juste pour voir Bardo Pond en concert, ta femme te montrera le programme du musée de Cluny elle aimerait visiter l'exposition sur l'art gothique en Slovaquie qui aura lieu du 16 septembre 2010 au 11 janvier 2011 à Paris tu diras oui, tu penseras non. Tu regarderas un extrait de "Pick Pocket", tu trouveras ça complètement con. Tu mangeras des rillettes.

Ici c'est presque la même chose. Mes voisines de voyage sont des blondes aux yeux verts, mère et fille si collées l'une à l'autre qu'on les dirait siamoises, la mère parcourt les pages de "L'horizon", elle prend des notes avec un feutre sur un cahier de brouillon parfois elle écrit dans la marge sur "L'horizon", elle souligne des mots à l'aide d'un stabilo. Sa fille porte un mandala vaguement tibétain tatoué sur une seule épaule. Dehors, il y a les vaches comme dans les Lucky Luke, et des petites maisons avec des jardins bordéliques. Des parasols et des tables en plastiques. Parfois on voit des gens au seuil de ces maisons, des gens tout petits qui secouent des tapis par toutes sortes de fenêtres, des jardiniers avec des grands chapeaux qui méticuleusement, ratissent. Dans quelques minutes nous traverserons le Bois d'Oingt et commencera le bout du monde. Je déplie la tablette propre et beige qu'on trouve dans tous les trains, j'y pose un livre et des crayons, des ormes glissent dans mon sac à dos, le ciel se couvre. Je m'intéresse à tout, au cimetière britannique de Bayeux et ses 4648 tombes, au Cardinal de Retz et à Charles Pennequin, je connais maintenant par coeur son poème que j'aime bien qui s'appelle :"Je suis le gruyère" [...]

Et je suis ce que l'autre veut bien de moi
l'autre est dedans ce qu'il veut quand je suis
bien en lui
quand je suis mal à être bien
tout en lui
quand je suis moins en moi
l'autre n'est pas bien
non plus dans son je suis
tout à lui
tout comme moi
je ne suis rien dans le je suis de l'autre

(A SUIVRE...) 

Nota : Pour les précieuses correspondances, je dédie ce billet à Michèle Pambrun et à Marc.

Photo : Le pays de Septembre, vu quelquepart lors d'un voyage, quelques minutes après la pluie, lors d'un léger ralenti entre Le Bois D'Oingt et Poule les Echarmeaux. Et puis d'ailleurs, quelle importance ? Sur la gauche vous pourrez admirer la maison de personne ou du garde-barrière ou de qui vous voulez. Photographiée le 1er Septembre 2010 entre Lyon et Orléans, du train bleu 16846. © Frb.

mardi, 31 août 2010

Variations buisantines

N’arrête pas ta pensée en un lieu, dit le doux maître, qui me tenait auprès de lui, du côté du cœur.

DANTE, extr. "La Divine Comédie", (Purgatoire, X-v. 46 Traduction de J. Risset), Les éditions du Cerf, 1987.

bois d'oing.JPGAllers-retours. Entre la grande ville et le pays perdu. Je neutralise mes habitudes avec toutes sortes d'horaires de train, après les rendez-vous oubliés comme l'été, comme ces jours où je m'accoutume à vivre à rebours des contraintes, avec toujours le même plaisir de disparaître et  m'épanouir sous l'ombrelle d'une fougère dans les bois de Vaux, puis de céder aux fruits abondants des ronciers de Jalogny jusqu'à Saint Cyr. Allers-retours et douceurs capricieuses... Pourquoi se trémousser en ville, quand il y a des trains au départ de chaque gare, à toute heure et pour toutes les destinations ?

Des pérégrins moutonnent autour des vieux wagons. Les autres trains sont beaux, plus spacieux, bleus comme des salons de musique décorés d'un faux-velours assorti aux rideaux. Chamelet, Ternand, Lamure, partir plus loin, se raconter que ce serait l'aventure. Se prendre pour Philéas, pour une jeune fille enturbannée à la Ciotat ou pour la première chaussure de la mission Apollo 11, se garder son aéroplane privatif, personnalisé, tout au fond d'une poche au cas où... (Le transnabirosinien 16846 n'est peut-être pas indestructible). Se fabriquer avec les chutes d'un poème arraché d'une page de la Pleïade, un petit chapeau simple contre les derniers coups de chaleur. Allers-retours par les hameaux de la vallée, sur les plis des sièges modulables de la bête ronde et longue qu'on croirait immobile avant le grand chaos par dessus le viaduc construit avec ces moellons bruts d'un granit ramené des carrières d'Anglure ; ces matériaux portés par le train jusqu'au village de La Chapelle sous Dun puis acheminés par des attelages de boeufs. Juste après... (avertissement aux âmes sensibles, le lien est un peu "empoulé" ) le Bois d'Oingt,  il y aurait des villages, dans le désordre, on pourrait les remonter sans jamais s'arrêter Saint Germain au Mont d'Or, Mussy, Poule les Echarmeaux etc ...

Là, je me suis assise, chargée comme une bourrique juste en face de ces gens. Et j'ai pris les gens sur mon dos. Comme ils étaient faciles! ils venaient  librement, approuvant, tout comme moi le destin collectif, de ces départs plus ou moins grands. Nous avons échangé quelques banalités à propos du temps puis de nos livres dans le mélange le plus parfait d'harmonie et d'indifférence. Et j'ai pris le wagon pour un livre, tandis que le temps m'allongeait.

(A SUIVRE...)

 

 FEVER RAY : "Now's the only time I know"

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Photo : Un aperçu du panneau de la gare du Bois d'Oingt à 350 mètres d'altitude, où vivent les buisantins, les buisantines dans des maisons entièrement recouvertes de buis. Une bien belle image comme en aimerait en voir plus souvent. Photographiée derrière la vitre du glorieux 16846 en provenance de Lyon, la ville en Août 2010 © Frb